Chapitre 1 : Ce qui a précédé et ce qui viendra …

Root se tient là immobile sur le trottoir à observer la caméra de surveillance, une profonde détresse inscrite sur son visage. " Je t'en supplie, je t'en supplie, je t'en supplie " pense-t-elle avec force. Elle ne prie cependant pas, il y a bien longtemps qu'elle ne croit plus en Dieu. Elle s'était dite petite que si ce denier existait, il l'avait surement oublié et qu'un Dieu qui a des trous de mémoire, ça n'existe pas, conclusion à 9 ans, elle en avait déduit que Dieu n'existe pas.

Non, elle ne prie donc pas, elle supplie intérieurement la Machine de la contacter, de lui donner un signe, un indice pour retrouver Sameen.

" Je t'en supplie, je t'en supplie, je t'en supplie " pense-t-elle encore une fois. Elle se le répète plusieurs fois en fermant les yeux comme un mantra qui le l'apaise pourtant pas.

Harold la rejoint d'un air morose. Root le sent venir et ouvre les yeux pour les plonger dans les siens. On dirait qu'il sort d'un enterrement. Or, bien qu'elle a conscience de sombrer peu à peu dans la folie d'un monde qu'elle comprend de moins en moins, Root est encore assez lucide pour se souvenir que l'on n'a pas retrouvé de corps, son corps. Elle lit dans ses yeux la résignation, et elle réalise qu'il n'a jamais cru possible que Sameen soit vivante, or elle, elle en est sûre. Enfin bon, pas à 100% sinon elle ne serait pas dans cet état-là. Sameen, sa Sameen est vivante, elle doit l'être. Ce monde n'a pas pu la lui prendre, elle aussi, ou alors est-elle maudite pour que tous les gens qu'elle a un tant soit peu aimé sur cette Terre lui soient enlevés ?

- La Machine sait où est Shaw ! lui dit-elle enfin, ne supportant plus ce silence.

Harold continue néanmoins de se taire en observant le bitume du trottoir comme s'il lui trouvait subitement un charme fou. Root se tourne à nouveau vers la caméra de surveillance

- Elle sait, Finch. Elle sait et elle ne me dit rien, crache alors Root.

Elle sent la colère monter. Elle aurait voulu qu'elle soit là, pleine et entière pour remplacer son désespoir et sa tristesse. Mais elle ne semble être apparue que pour les renforcer. Elle sent les larmes monter mais elle les retient, elle les retient depuis tant d'année maintenant. Elle sait qu'elle en est capable, qu'elle peut enfermer sa douleur à l'intérieur, mais elle n'a jamais su la faire taire. Elle hurle en elle, la dévorant de l'intérieur comme un rongeur affamé qui semble pendre un malin plaisir à la grignoter petit à petit pour la faire souffrir jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'elle finisse un jour par demander grâce et de supplier un clément achèvement.

Contre qui au juste est-elle en colère ? La réponse peut sembler simple, contre Samaritain bien sûr, cet immonde tas de ferraille, cette intelligence artificielle qui veut diriger le monde. Cet ennemi qui les traque depuis maintenant un an. Il veut détruire la Machine car elle seule a la capacité de l'arrêter dans sa montée au pouvoir et sa main mise sur le monde. Or, depuis que le gouvernement Américain a acheté les services de Décima pour utiliser Samaritain comme moyen de protéger la nation, la Machine, construite par Harold, a été gentiment remerciée et mise au rebut tandis que Samaritain a eu tout pouvoir. La Machine n'a cependant pas cessé de prévenir et de donner des numéros de personnes qui allaient se trouver dans de très mauvaises situations, des crimes prévus à l'avance et prémédités. Elle a continué, comme Harold le lui a appris, à observer, écouter, lire les messages et espionner afin d'assurer la sécurité. Elle ne donne qu'un numéro de sécurité social, rien de plus, rien de moins. Et c'est à eux, ses agents, d'enquêter pour savoir si la personne à qui appartient ce numéro social est une victime ou un criminel, et dans quel crime il est impliqué.

Depuis des années, Root sert la Machine. C'est elle la première qui a obéit à ses ordres sans discuter et c'est pour cela que de tous ses agents, Root est celle que la Machine préfère, allant jusqu'à en faire son interface analogique et ne discutant qu'avec elle. Sameen et Reese n'ont jamais été aussi dévoué qu'elle à la Machine, tout comme Harold, remettant en question ses choix et ses ordres. Root, elle, n'a jamais douté, alors pourquoi ne lui donne-t-elle pas une réponse aujourd'hui ? Elle la sert fidèlement alors pourquoi ne pas lui dire ?

Elle se rend compte alors qu'elle est en colère contre elle, contre la Machine. Elle doit se reprendre. Non, elle ne peut pas être en colère contre la Machine, c'est elle qui a donné un sens à son existence. Elle lui a sauvé la vie alors qu'elle sombrait dans la noirceur de ce que peut devenir l'être humain égaré. Non, elle est en colère contre Samaritain et uniquement contre lui, tente-t-elle de se convaincre. Mais une petite voix dans sa tête lui murmure " Es-tu sûre ? ". Elle est en colère contre Reese qui aurait pu se sacrifier à la Bourse à la place de Sameen. Elle est en colère contre Finch qui reste planté là dans son silence d'autiste. C'est lui qui a construit la Machine et lui a donné des limites afin de ne pas avoir une puissance hors de contrôle qui pourrait gouverner le monde. Elle lui en veut car il a handicapé la seule qui pourrait lui dire où est Sameen. Elle sait au fond que Harold a eu raison d'handicaper la Machine, ou à l'heure actuelle, elle serait comme Samaritain. Une intelligence artificielle dépourvue de morale et remplie d'ambition pour diriger l'humanité et étant prête à tout pour affermir son pouvoir sur elle. Mais voilà, Root veut en vouloir à quelqu'un, pour ne pas avouer qu'elle s'en veut à elle-même.

- Miss Groves, commence alors Finch, ne sachant pas très bien comment présenter les choses.

Il savait, avant même que John ne le lui dise au téléphone, qu'elle le prendrait mal.

- Nous n'avions qu'une seule piste et ce fut un fiasco. Vous et John avez pris d'énormes risques, vous avez failli être découvert par Samaritain.

- Vous avez renoncé depuis longtemps, Harold, pour vous c'est réglé, elle est morte, rugit Root.

- Bien au contraire, je veux garder espoir mais cet espoir est trop douloureux. Pour notre sécurité, il faut accepter le fait que l'on ne connaitra peut-être jamais la vérité.

- Mais il faut qu'on sache. En tout cas moi, je dois savoir si Sameen est vivante ou non. J'ai besoin d'une réponse. Pitié, ajoute Root en se tournant à nouveau face à la caméra.

Un téléphone public sonne alors au coin de la rue. Root se tourne vers Harold, un grand sourire aux lèvres. Elle sait que c'est la machine. Bien sûr, qui d'autre ? Elle se maudit intérieurement, bien sûr qu'elle va l'aider, elle l'a toujours aidée. Pourtant quelle cruelle déception, et quel profond sentiment d'injustice et de trahison lorsque la Machine ne lui fournit qu'un seul mot : STOP. Encore et encore, elle lâche le combiné du téléphone qui pend dans le vide et se met à vaciller. Finch la rattrape de justesse et attrape le combiné pour écouter à son tour. Elle n'a même pas vu qu'il l'a suivie. Dans sa course folle, elle n'était concentrée que sur le téléphone qui sonne. Il raccroche, un air grave et entendu sur le visage. Root s'est reprise et se tient droite, attendant sa prochaine phrase.

- La Machine nous dit clairement d'arrêter nos recherches. On ne saura peut-être jamais ce qui s'est passé. Mais si l'on poursuit, nous pourrions tous nous épuiser dans cette quête.

Root le regarde avec un air de profond dégoût. Il recule incertain. Elle réalise qu'il a peur d'elle comme au premier jour où elle l'a enlevé.

- Au revoir, Harold, se contente-t-elle alors de lui dire.

Elle tourne les talons et s'éloigne. Il ne la suit pas, ne l'appelle pas, ne tente pas de la retenir et c'est tant mieux. Elle a besoin d'être seule, de réfléchir, de faire le point et surtout de désobéir, de lui désobéir à elle.

Elle a peur de l'avenir, elle n'est plus sûre de rien sauf d'une chose, elle ne va pas l'abandonner.

Elle a besoin de marcher et les rues de New York sont excellentes pour cela. On se perd dans la foule d'anonymes. Root les observe un instant et les envie. Elle envie ces personnes normales et ignorantes du monde dans lequel elles vivent. Elles se croient toutes en sécurité, rien n'est plus faux. Samaritain est là, les observe telles des fourmis au microscope. Root se demande brièvement ce qu'aurait été sa vie si elle avait été quelqu'un de normal. Ses souvenirs la ramènent malgré elle dans son enfance. Elle s'arrête nette sur le trottoir bondé. Les gens l'évitent en râlant, mais elle n'en a que faire.

Non pas ça, pitié, supplie-t-elle intérieurement. Mais elle ne peut pas lutter éternellement contre son passé et elle se dit que c'est bien là qu'elle trouvera des réponses à son présent si sombre. Elle ferme les yeux, sentant les souvenirs affluer. Elle les laisse venir et reprend doucement sa marche dans New York sans vraiment regarder où elle va. Elle se souvient.

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6 ans.

Elle s'appelait Samantha Groves et elle était terrifiée. Son premier souvenir dans ce monde n'impliquait que de la terreur. Une petite fille si mignonne est recroquevillée dans un coin de la pièce tandis que son beau-père ivre frappe et hurle sur sa mère, Katarina. Samantha ferme les yeux et se met les mains sur les oreilles en attendant que ça s'arrête, elle entend pourtant tout.

- T'es qu'une bonne à rien, une traînée, une salope. Je pourrais te crever que même le diable ne voudrait pas de toi. Occupe-toi de ta bâtarde qui chiale.

Elle était née ici au fin fond du Texas dans une secte mormone près de Kermit. Les membres devaient obéissance et dévouement à Dieu qui parlait à travers son prophète Mac Kroven, chef de la communauté, intermédiaire de Dieu et sauveur spirituel à tous. Alors évidemment, quand sa mère Katarina était tombée enceinte hors des liens du mariage, elle avait été sévèrement punie. Il y avait un lieu spécial pour cela, pour réparer les fautes. Dans la grange rouge, les pêcheurs devaient subir leur châtiment et l'accepter en remerciant Dieu et le prophète pour leur clémence à vouloir racheter leurs âmes. S'ils survivaient à la correction, ils étaient pardonnés. Katarina avait failli mourir, Samantha le savait, mais elle avait survécu. Le prophète la maria à Henry Kylan, une brute et un alcoolique sans vergogne. En fait, sa punition avait continué avec ce terrible ordre de mariage. Kylan était un fou, et aucune femme ne lui avait été mariée. Il avait failli être banni mais on lui avait trouvé cette utilité pour punir Katarina et Samantha. Il devait accepter la femme et l'enfant.

Samantha s'était toujours sentie seule dans cet enfer. Sa mère l'aimait mais elle était faible et fragile. Son beau-père n'était qu'un bon à rien qui les maltraitait toutes les deux. Les autres enfants ne l'aimaient pas, Samantha était l'enfant du pêché. Ils lui hurlaient " Brûlons la sorcière " et lui jetaient des pierres dès qu'ils la voyaient. La solitude avait vite été une fidèle et bien triste compagne.

Son existence dans ce sombre monde s'éclaircie un jour quand un couple et leur fille Hanna intégrèrent la communauté. Samantha les vit arriver. Hanna était descendue de la voiture et la première chose sur laquelle elle avait posé les yeux avait été Samantha. Une enfant aux cheveux sales et le visage tâché de terre, une petite fille recroquevillée dans son coin, le regard focalisé sur ses pieds et l'observant à la dérobée. Hanna lui avait souri et Samantha ouvrit grand la bouche en la regardant. Personne ne lui avait jamais souri comme ça, à part sa mère. Personne. Pourquoi elle ferait ça ? Ça ne pouvait être qu'un piège. Elle prit peur et s'enfuit en courant. Hanna la regarda mais ne lui a pas courue après. Le lendemain, Samantha était en haut de son arbre. C'était un beau pommier et son refuge, là où les autres ne la trouvaient pas. Un arbre sur lequel elle avait gravé son nom, pour qu'il y ait une preuve de son existence. Elle ne l'entendit pas arriver. Hanna traversa la prairie, les hautes herbes lui frôlant les mains. Elle l'avait trouvée. Enfin. Elle n'aurait jamais voulu venir ici, elle détestait cet endroit les gens aussi. Mais elle, elle était différente.

- Tu ne vas pas encore te sauver ? lui dit Hanna.

Samantha faillit tomber de son arbre. Elle la regarda, complètement apeurée puis se calma peu à peu. Hanna était seule et n'avait pas l'air de lui vouloir du mal. Elle avait encore ce gentil sourire.

- Comment tu m'as trouvée ?

Voilà la seule phrase qui a franchi ses lèvres.

- Je n'avais pas envie d'être avec les autres et ils m'ont dit que je te trouverai cachée dans le près.

Samantha en resta muette de surprise, elle croyait sa cachette si sûre. Hanna ramassa une fleur et arracha une à une les pétales distraitement. Samantha l'observait, cette fille n'avait rien à voir avec les autres. D'abord elle était plus jolie, de beaux cheveux longs, bouclés, roux foncé.

- Ils n'ont pas l'air très gentils avec toi, poursuivit Hanna en balançant la tige de la fleur. Ils t'appellent la sorcière.

Furieuse, Samantha descendit de son arbre et se tînt droite en face d'elle.

- Je m'appelle Samantha, répliqua-t-elle vivement, et je ne suis pas une sorcière.

- Je sais, murmura Hanna. Moi, c'est Hanna. Tu me fais visiter cette joyeuse communauté ?

Samantha la regarda stupéfaite. Hanna se moquait de cet endroit, des autres, des règles, elle bafouait tout ainsi. C'était dangereux et interdit, on ne devait pas remettre en cause la loi de la sainte église. C'était un piège, non ? Elle voulait la tester, la piéger. Hanna ne pouvait pas s'intéresser à quelqu'un comme elle. Personne en dehors de sa mère, parce qu'elle était sa mère, ne pouvait s'intéresser à elle.

- Pourquoi moi ? répliqua Samantha d'un air méfiant. Tu devrais demander à quelqu'un d'autre, je ne suis rien moi ici. Tu vas te faire mal voir si tu ne choisis pas les bonnes copines.

- Je veux que ce soit toi, les autres sont bêtes, répliqua Hanna.

Samantha leva la tête et l'observa. Elle était sincère, Samantha savait souvent quand on lui mentait. Ça lui était d'ailleurs d'une grande aide ici. Elle lui sourit enfin. Pour la première fois de sa vie, elle souriait à quelqu'un d'autre que sa mère. Quelqu'un qu'elle pouvait aimer, apprécier. Une … amie, non ? Elle décida de ne pas rater cette chance, de ne plus se poser de questions, elle verrait bien après tout. Elle lui prit la main et elles partirent ensemble.

9 ans

Elle et Hanna étaient à la bibliothèque de Kermit sur l'ordinateur. Elles n'avaient pas le droit bien sûr. Elles se sont sauvées de la communauté comme d'habitude. Avec Hanna, Samantha a pris de l'assurance. Et même si elles se sont déjà fait prendre une fois et punir à coups de bâton, elles y sont retournées. Kroven leur avait dit que les livres et les ordinateurs étaient des armes du diable et qu'il fallait rester en sécurité dans la communauté, le monde extérieur étant bien trop dangereux pour elles, une fille ayant devoir d'obéissance. Pourtant elles y étaient retournées. Elles avaient bien sûr peur des punitions si elles se faisaient prendre, mais elles avaient encore plus peur de rester enfermées avec ces monstres. Hanna et elle se moquaient bien de toutes ces règles stupides, elles ne croyaient plus au prophète et à ses paroles apocalyptiques, ni en Dieu, ni en quoique que ce soit d'autre. Elles voulaient s'enfuir toutes les deux de cet enfer, et la bibliothèque leur offrait un refuge.

Elles y apprirent tant de choses, à lire surtout. Et elles lurent. Tous les livres possibles pour en apprendre le plus possible sur le monde. Un monde qui n'avait rien d'apocalyptique, un monde magique et plein de promesses, un monde bien loin de Kermit. La bibliothèque, c'était chez elles, une autre planète pratiquement. Des livres s'entassant partout, c'était un vrai paradis. Le savoir, la connaissance. Voilà ce dont on les avait privées. Les laisser dans l'ignorance pour mieux les contrôler. Aucun enfant à Kermit n'avait eu d'éducation, aucun n'allait à l'école et personne ne semblait s'en inquiéter. Mais ce que Samantha préférait par-dessus tout à la bibliothèque, c'était les ordinateurs. Ça, ça avait été la découverte de sa vie, un objet quasi magique, voilà ce que c'était pour Samantha qui ne croyait plus ni aux miracles, ni en la magie. Elle était passionnée et très douée. C'est là qu'elle a appris seule les codes informatiques. Hanna préférait les livres, surtout ceux de géographie avec des images du monde.

Elles étaient venues des milliers de fois en cachette et restaient des heures. Pourtant il fallait toujours repartir. Ce jour-là ne fit pas exception. C'était le soir et il faisait noir. Elles se regardèrent et accélèrent le pas dans le champ qui passait derrière la clôture barbelée fermant leur triste prison. Elles étaient en retard et elles le savaient, elles allaient être punies si on les prenait.

Samantha rentra chez elle telle une petite souris. Elle avait à peine fermé la porte que son beau-père lui tomba dessus. Il avait bu ou pas. Qu'importe, il empestait toujours l'alcool. Il était furieux. Il l'attrapa par les cheveux et la traîna de l'entrée au salon. Elle n'a pas crié ni pleuré. Elle refusait de lui donner ce plaisir. Mais là surtout, il lui faisait mal, bien plus que d'habitude. Il la projeta de toutes ses forces à travers le salon et elle atterrit violemment contre le mur. Sonnée, elle tomba à terre et n'eut pas le temps de se relever qu'il la frappa à coups de pied et de poing. Il lui hurla dessus pour savoir où elle était, ce qu'elle foutait et avec qui. Mais Samantha ne disait rien, elle était recroquevillée à terre et encaissait coups, insultes et hurlements. Elle attendait et se protégeait du mieux qu'elle pouvait. Sa mère, attirée par les bruits, entra dans la pièce et se jeta sur Kylan. Elle lui hurla d'arrêter, qu'il allait la tuer. Alors il se retourna et la frappa à son tour encore et encore. Il lui claqua violemment la tête au sol. Puis il sortit de la pièce. Samantha s'était relevée pour s'approcher de sa mère au sol, cette dernière saignait un peu mais pas trop. Elle se releva et porta sa fille pour aller soigner ses blessures.

Le lendemain, Samantha rejoignit Hanna. Celle-ci quand elle vit son état, n'eut pas besoin de lui demander ce qui lui était arrivée, elle savait que Kylan était un monstre qui la frappait. Mais elles n'eurent pas le temps de se parler. Kroven était là avec tous les membres de la communauté. Il expliqua qu'elles avaient gravement offensé Dieu et qu'elles devaient expier leurs fautes. Hanna trembla et ne comprit pas. Samantha, elle, avait bien compris. Elle se mit à hurler et à crier quand on les traîna jusqu'à la grange. Elles y sont restées 2 jours sans boire ni manger, enfermées dans des caisses en bois. Samantha a hurlé les premières heures puis elle s'est tue. Elle n'entendait rien, pas même Hanna, pourtant enfermée comme elle. C'était comme si on l'avait mise dans un cercueil vivante et cette constatation la rendait encore plus folle. Elle avait failli mourir, elle s'était presque laissé mourir avant qu'on ne la sorte de là. Mais on l'avait sortie de là. Juste pour lui apprendre la première claque de sa vie.

Sa mère n'allait pas bien, elle avait mal à la tête depuis ce fameux soir. Ça lui a pris deux longs jours pour mourir dans ses bras. Samantha en fut effondrée. On l'accusât, lui disant que sa mère avait été reprise par Dieu pour la punir. Elle s'en voulut. Sa mère l'avait toujours beaucoup aimée. Elle avait toujours essayé de donner quelques petites traces de normalité dans cette sombre existence. Elle lui lisait des histoires et lui chantait des berceuses le soir. Elle lui avait appris à cuisiner. Elle lui avait dit de toujours suivre ses talents et lui répétait souvent qu'elle pouvait tout faire si elle le désirait. Grâce à la bibliothèque, Samantha avait depuis peu mis un nom sur cette capacité à pouvoir apprendre tout si facilement et si rapidement : autodidacte. Avant qu'elle ne meure, Samantha était restée allongée sur le lit de sa mère agonisante. Cette dernière lui avait dit de ne pas rester là, elle lui avait fait promettre de s'enfuir et de suivre ses talents. Elle lui disait qu'elle s'en sortirait toujours, qu'elle était plus forte et plus courageuse qu'elle-même ne l'avait jamais été.

Samantha avait beaucoup pleuré et Hanna l'avait consolée. Malgré l'interdit, elles étaient retournées à la bibliothèque encore et encore. C'était leur seule chance.

12 ans

Elles avaient prévu de partir loin. En Californie. Samantha n'était pas sûre mais Hanna l'avait suppliée. Elle voulait voir l'océan comme sur les livres. Elles devaient partir le lendemain mais devaient retourner à Kermit pour voler de l'argent à leurs parents en prévision de leur fuite. Samantha avait compris en espionnant les gens normaux que l'argent était nécessaire. Les adultes en avaient, et dans leur secte, les hommes contrôlaient l'argent. Hanna avait vu son père en avoir et Root avait vu son beau-père en cacher. Mais ce soir-là, elles se sont fait attraper et punir à la grange dans les caisses pendant des jours. Quand on les a sorties, on aurait dit des cadavres. Blanches et maigres.

Kroven les a séparées, elles furent étroitement surveillées pendant des semaines. Puis la surveillance un peu relâchée, elles ont encore essayé de s'enfuir mais se sont toujours fait attraper et punir. Hanna a fini par tomber malade et ils l'ont laissé mourir dans cette saleté de caisse juste à côté de la sienne. Quand Samantha était sortie de son "cercueil", elle avait aperçu le corps de Hanna posé bien en évidence devant elle. Elle avait hurlé de rage et de douleur, pleuré, frappé et insulté. Kroven l'avait brûlée dans son dos avec des cigarettes pour la punir de son insolence. Mais elle lui avait tenu tête, lui riant au nez malgré la douleur. Elle n'avait plus peur ni de lui ni de personne, elle ne ressentait plus que de la haine. Elle lui avait dit que Dieu n'existait pas et que lui n'était qu'un fou, un menteur, et un meurtrier. Il l'avait frappée encore et encore, brûlée et même tailladée dans le dos avec un couteau jusqu'à ce qu'elle perde connaissance.

Quand elle s'était réveillée, elle était chez elle, dans sa chambre. On avait dû la traîner là. Elle s'était levée n'ayant qu'une idée en tête, s'enfuir ou mettre le feu à cette foutue baraque de cauchemars. Les deux options n'étant pas à exclure. Il semblait n'y avoir personne d'autre qu'elle dans la maison. Tout tournait, elle était mal et transpirait à grosses gouttes. Prudemment, elle avait traversé l'entrée quand elle le vit lui barrant la route. Son beau-père la regardait un sourire mauvais sur le visage.

- Où tu vas, ma belle ? lui dit-il doucement dans un murmure sur un ton menaçant.

Elle en resta muette de peur. D'habitude, il hurlait et la frappait mais pas là. Elle avait l'impression que quelque chose dérapait, elle ne connaissait pas les règles de ce nouveau jeu et elle avait peur. Il n'avait jamais été aussi … Ses yeux, réalisa Samantha. Ses yeux ne mentaient pas. La douce voix mentait mais pas les yeux, ils exprimaient la folie et un truc angoissant qu'elle ne connaissait pas.

- Tu sais que Kroven m'a demandé de m'occuper de toi. Personnellement, ajouta-t-il dans un souffle en s'approchant enfin d'elle.

Elle recula malgré elle jusqu'à se retrouver dos au mur dans un coin, piégée. Elle n'arrivait plus à respirer calmement. Kylan l'avait attrapée par le bras et traînée jusqu'au canapé. Il se mit au-dessus d'elle et elle comprit ce qu'il allait lui faire. Elle hurla et se débattit mais il était bien plus fort qu'elle. Elle ne cessa pourtant pas et ne lui fit pas le plaisir de pleurer. Quand il la lâcha enfin, elle fonça à la cuisine, et prit un couteau qu'elle brandit devant elle. Il la regarda et éclata de rire.

- On sait tous les deux que tu ne le feras pas.

Il avait tort, elle n'avait plus rien à perdre. Il s'avança d'un pas et la coinça encore une fois dans un coin. Elle s'y attendait, elle lui renvoya son sourire mauvais. Il la regarda, surpris et avant qu'il ne puisse réagir, elle l'avait frappé dans l'entrejambe et lui avait planté le couteau profondément dans le cou quand il tomba à genoux devant elle.

Elle l'avait vu s'effondrer par terre dans la cuisine et s'étouffer dans son propre sang. Elle l'avait regardé, un sourire aux lèvres, pendant de longues minutes mourir.

Puis elle s'était enfuie et n'était jamais revenue.

14 ans

Elle a piraté une caméra de surveillance et regarde Kroven se faire descendre par les dealers. Elle avait cherché comment lui faire payer la mort de Hanna et toutes les souffrances qu'elles avaient endurées, et elle avait découvert son petit trafic. Il transportait de la drogue pour une petite bande de dealers depuis le Mexique. Puis il virait l'argent sur leur compte et empochait un pourcentage sur l'affaire. Une vraie fortune à long terme. Avec laquelle il achetait le silence des agents de police du comté sur ce qui se passait dans le monde de son enfance. Root avait piraté le compte et l'avait vidé. Elle savait que les dealers n'iraient pas chercher plus loin. Kroven était le seul à connaitre l'existence de ce compte avec eux. Ils s'étaient dit qu'il les avait doublés et avait piqué dans la caisse. Root avait regardé la scène, elle avait jubilé quand il s'était fait tabasser puis abattre. La vengeance d'une fille est surement l'arme la plus dangereuse au monde, avait-elle pensé en souriant.

Elle était ensuite repartie à Phoenix et y avait rencontré Vladi, un petit voyou et un hackeur qui piratait les distributeurs automatiques. Elle a cru que c'était le coup de foudre, un vrai conte de fée. Il lui avait dit qu'il l'aimait et elle était tombée enceinte. Il avait été très content quand elle lui avait appris, lui disant qu'il avait un dernier gros coup et qu'ils partiraient tous les deux très loin pour s'occuper de leur enfant. Elle rêvait tellement d'une vie normale qu'elle le crut.

Mais quand 8 mois plus tard dans un garage miteux, il lui avoua qu'il comptait vendre son bébé, elle refusa tout net. Il lui rit au nez, lui disant qu'elle croyait au Père Noël si elle pensait qu'ils allaient vraiment partir ensemble et former une belle, grande et heureuse famille, qu'elle ferait ce qu'il lui dirait et qu'elle la fermerait. Elle lui avait dit qu'elle n'avait pas besoin de lui et qu'elle avait suffisamment pour partir. Après tout, elle avait tout cet argent volé aux dealers.

- Oh ! Tu veux parler de ton petit jackpot.

Elle en resta pétrifiée. Non, il ne pouvait pas savoir. Il la regarda en se fichant clairement d'elle.

- Tu crois vraiment que je n'ai rien vu, je l'ai vidé il y a des semaines ton petit compte secret. Tu n'as plus rien. Si tu veux du fric, tu vendras ton môme.

Elle prit peur, encore prise au piège, encore trop naïve et trop confiante. Elle regarda la porte du garage et fonça droit dessus. Il l'attrapa par le bras.

- Je ne ferai jamais ça, lui hurla-t-elle terrifiée. Laisse-moi partir, laisse-moi partir.

Il la frappa au visage et au ventre. Elle tomba à terre et se recroquevilla tandis qu'il la frappait. Elle tentait de protéger son ventre avec ses bras, en vain. Il l'abandonna là.

Elle avait mal et s'aperçut qu'elle avait perdu les eaux. Terrifiée, elle s'était rendue compte qu'elle allait devoir accoucher seule dans cet endroit infâme.

Elle avait cru ne jamais y arriver, puis elle le vit, son fils. Elle sut tout de suite que quelque chose n'allait pas. Elle n'était pas stupide, il était bleu et ne respirait pas.

Le garagiste qui la retrouva quelques heures plus tard dans une mare de sang, appela la police et une ambulance. Elle avait déjà tant souffert, et avait failli mourir. Les flics l'interrogèrent à l'hôpital mais elle n'avait rien dit et s'était enfuie dès qu'ils sortirent dans le couloir. Elle ne savait pas où on avait emmené son enfant, elle n'avait pas pu le revoir une dernière fois pour lui dire adieu, elle n'avait même pas pu l'enterrer.

16 ans

Elle est à San Diego. En observant l'océan, elle se sentait tellement coupable de ne pas avoir pu sauver Hanna, elle aurait adoré ça. Sans argent, sans famille et sans diplôme, elle avait atterri sur le trottoir, shootée à la cocaïne, une fille perdue, à bout. Elle était intelligente et savait comment tout ça allait se finir et elle l'acceptait. Que pouvait-elle bien faire ? Elle acceptait son sort. Elle pensait mériter ce qui lui arrivait, elle était punie par le destin pour avoir causé la mort de Hanna, de sa mère, de son enfant. Elle n'avait rien pu faire pour les sauver.

Si certains clients pouvaient être assez sympas, d'autres étaient clairement des brutes qui la prenaient pour un punching-ball. Elle se sentait souvent observée mais n'avait pas les idées suffisamment claires pour trop s'y attarder. Pourtant, elle apercevait souvent une femme rousse, mais dès qu'elle regardait plus attentivement, cette dernière disparaissait. Root laissa tomber.

Un jour, un client la fit monter dans sa voiture. Mais à peine assise sur le siège passager, elle avait senti une piqûre dans le cou par derrière. Elle avait tenté de résister, de se débattre mais ça n'avait servi à rien, elle était trop faible et elle avait fini par glisser dans l'inconscience.

Elle s'était réveillée dans une chambre douillette. On l'avait allongée dans un lit confortable, recouverte de nombreuses couvertures, mais elle frissonnait. Elle se demanda vaguement depuis combien de temps elle avait perdu connaissance. Ses muscles étaient endoloris, ça devait faire au moins un jour, voire deux. Que lui avait-il fait ? Elle remarqua aussi que pour la première fois depuis longtemps, elle avait l'esprit clair et parvenait à formuler des pensées cohérentes sans être abrutie par la drogue. Elle s'assit et fut prise d'un vertige. Elle se rendit compte alors qu'elle n'était pas seule.

Une femme l'observait depuis un coin de la pièce d'un air calme et bienveillant. Elle lui sembla vaguement familière et Root avait mis quelques instants à se rendre compte que c'était la rouquine qui l'observait sur le trottoir de temps en temps. Elle regarda la porte puis à nouveau la femme, essayant de calculer si elle pourrait courir assez vite avant qu'elle ne l'attrape. Cette dernière l'observait toujours calmement et n'avait pas bougé.

- Je ne te veux pas de mal, Samantha. Je m'appelle Andrea, je suis une amie.

Root en resta interloquée, comment connaissait-elle son nom ? Cette dernière lui sourit, lisant dans ses pensées.

- Je sais beaucoup de chose sur toi, Samantha. Je sais d'où tu viens et comment tu en es arrivée là.

Elle se tût, s'approcha doucement du lit et s'assit à côté d'elle. Root ne bougeait toujours pas.

- Je sais que ça prendra du temps avant que tu ne refasses confiance. Les effets du manque ne vont pas durer, on t'a donné quelque chose pour ça, tu verras, ça ira mieux. Tu vas décrocher en douceur.

- On ? demanda Root d'une voix rauque.

Andrea acquiesça en souriant.

- Je travaille pour une organisation appelée Artov. Nous t'avons repérée il y a quelques années mais nous avons perdu ta trace après cela. Tu es douée pour disparaître, avoua-t-elle avec un sourire et un clin d'œil de connivence.

- Vous m'avez repérée ? Cracha Root plus que méfiante. Quand ? Comment ?

- Les dealers que tu as volés il y a deux ans, précisa simplement la rousse. Ils dirigeaient un des plus grands trafics de drogue du Texas, on voulait obtenir ce petit business. Tu nous as coupé l'herbe sous le pied en agissant avant nous. C'est comme ça que l'on t'a trouvée.

- Qu'est-ce que vous me voulez ? S'agita Root sans croire un mot de ce qu'elle disait. Laissez-moi partir.

Elle se dégagea du lit et se mit debout bien trop vite. Elle chancela et dût se tenir au mur pour rester debout. Elle respira à fond pour que ça passe.

- Pour aller où ?

Andrea n'avait pas bougé, et était restée assise sur le lit à l'observer.

- Tu n'en as pas assez de fuir tout le temps. Je t'offre une chance de repartir à zéro, de décrocher de cette vie. Je t'offre un travail, un but.

- Pourquoi à moi ? Soupira Root sans parvenir à cacher son exaspération.

Elle ne la croyait pas.

- Tu es douée. Très douée, murmura doucement Andrea.

- Vous ne me connaissez pas, cracha Root en la foudroyant du regard.

La rousse assise sur le lit avait soutenu son regard, et c'est Root qui avait fini par rompre le contact visuel. Elle était trop épuisée pour jouer au petit jeu de la rouquine. Si elle voulait la baiser, elle n'avait qu'à y aller. Elle n'était pas au meilleur de sa forme mais si la rousse s'était donnée tant de mal pour l'emmener ici, c'est que ça faisait un moment qu'elle prévoyait son coup. Elle fantasmait sur elle alors même ainsi, elle la prendrait surement. Il y avait des tordus partout après tout, Root en avait fait l'amère expérience plusieurs fois dans sa vie. Même quand elle croyait avoir tout vu, la plupart des gens parvenait à la choquer encore un peu plus. Cette Andrea ne serait pas la première. Root avait rompu le contact visuel pour fermer les yeux, son vertige s'intensifiant. Elle se maintint au mur et se dit qu'elle ne devait pas avoir l'air très désirable à cet instant précis.

Elle était en train de se dire qu'elle devrait être un peu plus sympa avec sa tordue de cliente si elle voulait tirer un bon prix de ce coup, quand elle sursauta vivement. Elle ouvrit brusquement les yeux et sortit tout aussi vite de ses pensées. Elle n'avait pas entendu la rousse s'approcher d'elle.

- Détrompe-toi, chuchota Andrea en enroulant ses bras autour d'elle dans un tendre câlin dont Root n'avait été gratifiée la dernière fois que par sa mère.

Ce souvenir la hérissa, personne n'avait le droit de lui faire ça, sa mère était morte et personne n'avait ce droit. Et surtout pas la rousse. Root tenta de se dégager mais Andrea la tenait fermement. Après quelques minutes de lutte, Root finit par s'abandonner à son étreinte. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas ressenti une telle douceur. Elle ferma les yeux et replongea un instant dans le doux souvenir d'enfance, d'un moment avec sa mère la serrant dans ses bras.

- Nous savons tout de toi, continua enfin Andrea quand elle la vit calmer dans ses bras. Comment tu as piégé Kroven par exemple. Je sais que tu es douée avec les ordinateurs et ça nous intéresse beaucoup. On t'apprendra à développer cette capacité. Mais tu dois aussi apprendre à te défendre. Tu as besoin de protection. Tout ce que tu as à savoir, c'est qu'ici tu es en sécurité.

Ici. Sécurité. Protection. Trois mots qui voulaient dire tant et plus rien depuis longtemps pour Root. Un doux rêve. C'était trop beau. Alors …

- Non, s'entendit-elle répondre.

Andrea haussa un sourcil, elle avait pensé que la convaincre serait plus difficile.

- Tu peux aussi retourner te défoncer sur le trottoir et continuer à bosser pour l'espèce de gros con qui te sert de mac. Tu préfères vraiment ça, ma belle ?

Root déglutit. Qui préférerait ça sérieusement ? Et pourquoi ne pas y croire un peu ? Il était temps, non ? D'arrêter les conneries et d'émerger dans le monde des vivants ?

- C'est quoi ce travail ? demanda-t-elle alors.

Ça ne pouvait pas être pire que son actuel job de toute façon.

- Tu acceptes ? Andrea se dégagea doucement et la regarda dans les yeux.

Root sourit enfin. Elle était rousse comme Hanna. Un signe ?

- C'est Root, pas Samantha. Samantha est morte depuis longtemps.

Andrea lui sourit et lui prit la main.

Au cours des quatre années suivantes, elle avait été heureuse et travaillait pour Artov. C'était un groupe de criminels qui piratait et gagnait des millions en vendant leur service au plus offrant. Root était la plus douée. Andrea l'adorait. Root avait confiance en elle. Elle l'avait sauvée, sortie de la rue, rendue clean, plus qu'un toit et un travail, elle lui avait offert un refuge. Root se sentait en sécurité. Elle avait perfectionné ses capacités de piratage et avait appris à se servir d'une arme à feu et à se battre. A 20 ans, elle était une pirate hors norme et extrêmement douée, pleine de sarcasme et d'ironie. Andrea lui avait appris très facilement à se jouer de son monde, par son sourire et sa répartie pour obtenir ce qu'elle voulait. Elle n'arrêtait pas de lui répéter qu'elle était belle et spéciale, et Root l'aimait comme une mère. Elle avait appris à tuer aussi facilement qu'à pirater pour leur compte. Elle était devenue une des leurs, la meilleure.

Elle rencontra Jimmy dans un cyber café alors qu'elle était en mission pour Artov. Elle devait pirater son système. Jimmy était un jeune informaticien qui avait monté sa boite, elle avait été chargée de voler les projets secrets d'une nouvelle application qu'il avait créée pour lancer son entreprise. Artov comptait la vendre au plus offrant. Root parvint à pirater son ordinateur à distance avec une incroyable facilité, mais il ne contenait pas ledit projet. Andrea la renvoya quelques heures plus tard à son bureau pour fouiller. Elle avait ordre de trouver ce programme, mais il n'était pas là non plus. Elle contacta Andrea et celle-ci lui dit que seul Jimmy devait savoir où il était et qu'elle devait amener Jimmy à lui faire confiance, quitte à le séduire pour cela. Root était réticente, son ancien boulot ne lui manqua pas spécialement, mais elle accepta. Après tout, Andrea ne voulait que son bien et c'était son travail. Sauf que ce que Root n'avait pas prévu au cours des mois qui suivirent, c'était de tomber amoureuse de Jimmy. Elle développa une grande affection pour le jeune homme. Root essaya de se mentir à elle-même. Elle restait méfiante des hommes, mais Jimmy était différent.

Andrea aussi sentait que quelque chose avait changé. Root lui échappait et se rapprochait trop de sa cible. Elle la mit en garde plusieurs fois mais Root niait toute implication émotionnelle, lui assurant qu'elle poursuivait sa mission. Rien n'était plus faux et elle le savait. Jimmy était gentil, attentionné. Elle s'en voulait de lui mentir. Root ne voulait plus lui faire de mal, elle savait que voler ce programme reviendrait à le ruiner et à fermer sa société.

Un soir, il la demanda en mariage. Root eut peur mais le regarda et ne vit que de l'amour et de la sincérité dans ses yeux. Elle accepta, elle voulait arrêter tout ça et partir avec lui.

Deux jours plus tard, elle le retrouvait mort, pendu dans leur salon. Elle hurla et tomba en larme au sol. Andrea entra dans la pièce. Root se tourna vers elle et sut tout de suite.

- C'est toi !

- Tu croyais vraiment après tout ce que l'on a fait pour toi qu'on te laisserait partir aussi facilement. Tu nous es redevable, Root. Je t'avais prévenue de ne pas t'attacher. Regarde ce que tu m'as obligée à faire pour rattraper tes conneries.

Root se leva. Elle regarda Andrea avec une haine féroce. La trahison encore, on avait encore une fois bafoué sa confiance. Elle attrapa son arme et la pointa sur Andrea.

- Je vais te crever.

Et elle lui tira dans la poitrine. Elle s'enfuit sachant que le remue-ménage attirerait très vite la police. Et disparut.

21 ans

Elle est une tueuse à gage et une hackeuse de légende. Elle est très réputée et gagne des millions à exécuter ses cibles. Elle s'était occupée de Artov et avait vendu toute l'organisation à la CIA. Ça ne lui faisait plus rien désormais de tuer. Elle était persuadée que tous les êtres humains étaient des mauvais codes avec lesquels elle ne veut plus rien avoir à faire. Elle sentait pourtant qu'il lui manquait quelque chose, un but. Elle se sentait si seule, mais elle savait aussi que s'attacher était dangereux pour elle. Et pourquoi chercher à être normale quand on est comme elle ? Elle ne veut plus être normale, elle ne veut plus être comme eux. L'humanité l'avait déçue depuis longtemps et elle cherchait autre chose. Elle ne se faisait plus d'illusion pour autant, se disant qu'elle ne le trouverait jamais.

26 ans

Jusqu'au jour où quelques années plus tard à New York, une entité déjoua ses plans avant qu'elle ne les mette à exécution. Elle comprit alors que le gouvernement l'avait trouvée et mise en place : la Machine. Ce système capable de prévenir les actes criminels, les attentats pour protéger ces chers petits citoyens terrorisés. Elle avait dû mettre au point un plan. Elle se fit passer pour une psychiatre Caroline Turing et mit un contrat sur sa tête pour faire sortir du bois le génie qui avait créé Dieu : Harold Finch.

Elle pointa une arme sur lui et l'enleva pour savoir où se trouvait la Machine. Elle ne lui a jamais voulu de mal, elle a énormément de respect pour lui, pour son génie, sa création. La Machine est le but qu'il lui manquait, une entité créée qui n'a rien d'un mauvais code, un code parfait contrairement aux humains si défaillants.

Reese est pourtant venu sauver Harold et son plan est tombé à l'eau. Mais elle a continué pendant des mois à chercher où le gouvernement cachait la Machine.

C'est ainsi qu'elle a rencontré Sameen, un agent de l'ISA qui travaillait alors à cette époque pour le gouvernement sur les numéros pertinents donnés par la Machine : elle traquait et tuait les terroristes. Elle et son coéquipier ont posé trop de questions sur un certain contact, Aquino qui avait construit un entrepôt pour la Machine. Le gouvernement avait décidé de les éliminer. Root avait lu le dossier de Sameen et elle avait adoré ce qu'elle y avait trouvé : une sociopathe et un excellent agent, une femme de caractère comme elle. Quand elle lui avait mis la main dessus, ça avait été très chaud et super excitant. Elle l'avait menacée avec un fer à repasser pour savoir où se trouvait Aquino, mais Shaw lui répondit extrêmement calmement qu'elle adorait ce genre de chose. Root en fut estomaquée et elle ne put s'empêcher de lui sourire en lui rétorquant qu'elle aussi elle en raffolait. Mais la discussion avait tourné court et elle avait dû s'enfuir tandis que la CIA avait débarqué à l'hôtel à la recherche de Shaw pour l'achever.

Root ne s'était pas inquiété pour elle, elle avait vu Reese entrer dans l'hôtel.

La deuxième fois qu'elle rencontra Shaw, elle qualifia ça de leur premier baiser. Sameen lui tira dans l'épaule. Mais cette rencontre n'eut rien d'aussi passionnante que la première pour Root. Harold lui avait menti, il l'avait piégée en la menant dans un hangar vide où aurait dû se trouver le Machine. Elle n'aurait jamais cru ça de lui, elle s'était encore fait manipuler. Elle avait senti la colère monter, et elle atteint son paroxysme quand Harold l'appela Samantha.

Elle avait alors explosé comme une bombe. Samantha n'existait plus depuis longtemps. Elle pointa son arme sur lui.

- Je m'appelle Root, est-ce que c'est clair ?

Sameen et Reese étaient alors entrés et Sameen l'avait abattue. Mais elle n'en avait que faire, elle se sentait comme dans un état second. Ils ne l'avaient pourtant pas abandonnée là à son triste sort, aux mains des agents gouvernementaux qui débarquaient à leur recherche dans le bâtiment. Ils l'avaient enfermée à l'asile quelques heures plus tard.

Mais c'était là que tout avait changé. Alors qu'à ce moment, elle était persuadée que la seule chose de bien pouvant lui arriver était la mort, la Machine l'avait contactée et en avait fait son interface analogique. Elle l'aida même à s'enfuir de l'asile, et ne cessa plus de lui parler, lui indiquant où elle devait se rendre et ce qu'elle devait y faire. Root n'avait jamais douté d'elle et lui faisait entièrement confiance. La Machine savait la récompenser de cette fidélité, et toutes les deux étaient devenues une équipe de choc.

La troisième fois qu'elle rencontra Sameen quelques mois plus tard, Root l'avait tasée, droguée et attachée au volant d'une voiture en attendant son réveil. Elle lui avait alors expliqué que la Machine leur confiait une mission et qu'elle avait été obligée de faire cela pour être sûre qu'elle l'écoute jusqu'au bout. Sameen avait accepté la mission à contrecœur mais s'était bien entendu vengée en l'assommant à la fin. Root s'était réveillée dans une cage de Faraday à la bibliothèque, coupée de la Machine. Elle avait ainsi découvert que c'était là que Finch Reese et Shaw avaient installé leur quartier général pour s'occuper clandestinement des numéros non pertinents fournis par la Machine. Elle avait toujours aimé les bibliothèques, ce lieu serein, calme, empli de savoir. C'était une bibliothèque qui l'avait sauvée d'une certaine manière, là que tout avait démarré, là que Root était née en parallèle de sa passion pour les ordinateurs.

Elle avait prévenu Harold de la laisser sortir, que quelque chose de grave, Samaritain, allait arriver et qu'il allait à l'encontre de la volonté de la Machine en la retenant prisonnière. Il lui avait alors fait prendre conscience que si elle était là, c'est que la Machine l'avait surement voulu.

Root réfléchit à cette hypothèse et en conclut qu'il avait raison. Elle sut pourquoi quelques semaines plus tard. Elle était toujours malade et Sameen avait fini par accepter le fait qu'elle ne simulait pas. Elle l'avait examinée en silence et lui avait alors annoncé de but en blanc qu'elle était enceinte. Elle avait alors pour une fois pu voir une Root interdite et au pied du mur. Elle regardait Sameen la bouche grande ouverte, une expression de stupeur dans les yeux, et n'avait trouvé aucune phase taquine emplie de sarcasmes à lui sortir. Elle ne put s'empêcher de repenser à ses 14 ans à Phoenix et la panique l'emporta sur la stupéfaction alors qu'elle détourna son regard de la petite brune. Elle avait compris que la Machine était au courant, bien avant eux tous et avait mis son interface à l'abri des missions trop dangereuses vu son état. Elle l'avait fait enfermer pour la protéger d'elle-même. Elle la connaissait décidément très bien, pensa Root. Elle savait qu'elle n'entendrait pas raison.

Sameen continuait d'observer Root mais celle-ci poursuivait le cours de ses pensées : Que faire maintenant ? Le garder ? Quel genre de mère pourrait-elle faire ? Elle connaissait le père, elle l'avait séduit et mis dans son lit afin d'obtenir des informations pouvant aider la Machine à stopper Samaritain avant sa mise en service. L'homme travaillait en fait pour Greer, le patron de Decima, qui cherchait à mettre Samaritain en ligne. Quand il avait réalisé qui elle était au matin, il avait tenté de la tuer et elle l'avait abattu.

Elle se tourna vers Sameen qui continuait de l'observer.

- Ton téléphone, s'il te plait.

- Même pas en rêve, dit Shaw en se levant.

Root se leva à son tour.

- Très bien, alors sors et appelle-la, toi, lui cria Root exaspérée.

- Pourquoi je ferais ça ?

- Je dois lui parler.

- C'est hors de question.

- Tu ne comprends pas. C'est important.

Sameen la regarda, soupira, sortit de la cage de Faraday et activa son téléphone qui aussitôt sonna. La petite brune secoua la tête de dépit. Elle n'allait pas aller à l'encontre des volontés de la Machine après tout ? En fait, elle n'en avait rien à foutre, elle aurait pu ignorer cet appel. Mais sa curiosité sur le lien étrange entre Root et la Machine l'emporta. Elle décrocha et mit le haut-parleur tandis que John et Harold, alertés par les cris de Root approchaient pour voir ce qui se passait.

- Non, paniqua Harold, mademoiselle Shaw, ne faites pas ça.

Sameen recula en le regardant.

- C'est bon, Harold, je gère.

Root ne s'occupait pas d'eux et avait commencé à lui parler à elle.

- Tu m'entends? Tu savais, pas vrai ? Accusa-t-elle avec colère en faisant les cent pas. C'est pour ça que je suis là ?

- Interface analogique en sécurité. Nécessité de repos pour son bien et celui du bébé.

Et elle raccrocha.

- Le bébé ? murmura Harold.

Il se tourna vers Shaw qui acquiesça en silence.

Root continuait à faire les cent pas dans sa cage. Tout ça tombait vraiment très mal. Samaritain arrivait et elle devait être prête pour l'endiguer. Un bébé n'avait pas sa place dans une guerre. Elle secoua la tête, furieuse.

- Mademoiselle Groves, murmura Finch, euh, je…

Root se tourna vers lui, un air calme sur le visage, attendant qu'il termine sa phrase. Elle n'avait pas remarqué qu'ils étaient toujours là à l'observer.

- Reposez-vous, tout va bien se passer, murmura simplement Finch.

Root leur tourna le dos et retourna s'asseoir dans son fauteuil. Elle ferma les yeux et réfléchit. Elle n'en voulait pas à la Machine de l'avoir trahie. Pour la première fois de sa vie, c'était pour son bien. Elle n'eut pas à réfléchir trop longtemps pour savoir qu'elle voulait garder son enfant. Elle voulait au moins faire quelque chose de bien sur cette Terre. Elle avait souffert de la perte de son fils à Phoenix. Ça l'avait détruite et amenée à devenir un monstre de sang-froid, tuant aussi facilement que l'on respire.

Dans les mois qui suivirent, elle prit soin de se reposer comme le lui avait ordonné la Machine. Ses geôliers se montraient particulièrement sympathiques et empathiques à son égard et elle développa un certain attachement pour eux et surtout pour Shaw qu'elle a alors commencé à draguer sans vergogne. Cette dernière, en tant que sociopathe aguerrie, niait toute complicité entre elles. Elle se contentait de lever les yeux au ciel quand Root lui sortait des phrases du genre "J'adore quand tu joues au docteur." alors que Sameen l'examinait.

Shaw avait remarqué les traces de brûlures et les cicatrices dans son dos, mais ne lui posait jamais de question. Root surprit pourtant un jour son regard.

- Tu te demandes qui m'en veut plus que toi pour m'avoir fait ça.

- Donne-moi son nom que je lui envoie des chocolats.

- Plutôt une couronne funéraire alors, mon cœur. Il s'appelait Mac Kroven et c'était le chef de la secte dans laquelle j'ai grandi.

Sameen se mura dans le silence. Root continuait de la regarder et lui raconta succinctement sa triste enfance, les punitions, Hanna, sa mère, son beau-père, sa fuite, comment elle s'était vengée de Kroven. Elle n'en avait pas parlé depuis des années, depuis Artov. Shaw écouta en silence. Root n'en revenait pas que ce soit à elle qu'elle fasse des confidences. Mais Shaw écoutait. Quand Root eut fini, elle lui avoua qu'elle savait d'où elle venait, et qu'elle ne l'aurait pas comme ça. Elle avait fait des recherches sur son enfance. Elle savait qu'elle était née dans cette secte mais personne n'avait jamais su ce qu'il s'y passait. Elle avait compris que Root était une survivante et elle se mit, malgré elle, à l'apprécier.

Elle venait souvent la voir dans sa cage, prétextant un examen pour son bébé, une prise de tension. Root n'était pas dupe mais ne disait jamais rien. Elle ne voulait pas faire reculer Sameen qui nierait tout en bloc. Cette dernière lui avoua qu'elle avait fait des recherches sur elle alors qu'elle la traquait et Root en avait été extrêmement flattée. Elle avait découvert son travail pour Artov. Root lui raconta comment Andrea l'avait trahie à son tour et comment elle s'était vengée de chaque membre du groupe pour la mort de Jimmy. Sameen la regardait en silence. Elle comprenait pourquoi Root avait fini par considérer tous les êtres humains comme des mauvais codes. Elle avait grandi dans une folie absurde et avait été abandonnée de tous ceux en qui elle avait eu le malheur d'accorder sa confiance. C'était un miracle qu'elle soit toujours en vie, et encore plus incroyable qu'elle ne soit pas plus dingue. N'importe qui d'autre ne se serait pas remis de telles épreuves et elle devait bien admettre que Root était une dur à cuire, une battante.

- Pourquoi tu gardes le bébé ?

La question lui avait échappé. Root la regarda d'un air calme. La question se posait en effet.

- Je voudrais faire quelque chose de bien, juste une chose de bien dans ma vie, juste une belle chose. Et qui sait, ça me rendra peut-être meilleure. Je pourrais te faire moins peur, ajouta-t-elle avec un clin d'œil aguicheur.

- Parce que tu crois que les gens comme toi et moi peuvent changer et devenir meilleur? répliqua Shaw d'un ton dubitatif, ignorant la dernière phrase.

- Pas toi, mon cœur ? Alors pourquoi tu es là à travailler pour Finch avec Reese, à sauver la veuve et l'orphelin ? Non, attends, j'ai une meilleure question, pourquoi tu es là à veiller sur moi et mon bébé ?

- Parce que Finch me l'a demandé. Ne crois pas que je me soucie de tout ça. Et je n'ai pas peur de toi.

- Oh, alors pourquoi me surveiller si attentivement ? A moins qu'il n'y ait une autre bonne raison qui te pousse à rester ici avec moi ? Hum, alors, Sameen, quelle est la véritable raison de ta présence ici ?

Root était trop proche, elle prenait un malin plaisir à déstabiliser Shaw, la pousser dans ses retranchements en la draguant honteusement. Sameen ne recula cependant pas et l'observait en silence. C'est ce qui plaisait tant à Root dans ces situations, le rapport de force silencieux entre elles, mais c'était Root qui avait toujours le dernier mot.

Elle avait ponctué sa phrase d'un sourire appréciateur tout en observant Sameen d'un œil expert ce qui avait énervé cette dernière au plus haut point. Elle semblait prête à lui mettre à nouveau son poing dans la figure pour l'assommer quand Reese était apparu à la porte de la cage et avait toussé pour signaler sa présence aux deux femmes, et avait annoncé à Shaw qu'ils avaient un nouveau numéro. Cette dernière, furieuse, était sortie en trombe de la pièce. Elle était néanmoins repassée le lendemain et les jours suivants, et le jeu de Root avait recommencé de plus belle.

Sameen lui apportait souvent ses repas, en tant qu'ancien médecin, elle s'assurait qu'ils soient équilibrés. Elle restait aussi parfois avec Root, prétextant la surveiller sur ordre de Finch. Root lui lançait alors son plus grand sourire, lui montrant ainsi qu'elle n'était pas dupe. Une relation étrange avait alors commencé à se nouer entre les deux femmes. Root trouvait Shaw fascinante, et cette dernière en tant que sociopathe, lui répétait souvent qu'elle n'avait pas de sentiments et que c'était tant mieux car elle ne s'embarrassait pas de relation et d'attachement pour quiconque, ce qui lui évitait bien des ennuis. Mais elle avait été surprise que Root lui donne raison sur ce point, là où toute sa vie, les gens ne lui avaient fait que des reproches, la considérant comme un monstre. Mais Root savait aussi que sans relation, on ne pouvait pas être comblé dans la vie. Elle avait tant souffert de la solitude. Elle avait compris qu'avec Sameen, les choses pourraient être simples et différentes. Elle ne s'embarrassait pas de manières et allait toujours droit au but avec Root.

Root entretenait souvent la conversation quand elle était avec elle et ne s'offusquait pas des silences de Sameen. Cette dernière dût bien avouer que sur ce point, Root était agréable. D'habitude, les personnes qui la côtoyaient, prenaient ses silences pour du mépris et de l'indifférence, mais pas Root. Elle avait compris comment fonctionnait Sameen, que cette dernière n'était juste pas à l'aise dans ces situations, et elle ne la forçait jamais à s'y intégrer si elle ne le souhaitait pas. Elle lui parlait de tout et de rien, de ses goûts en matière de cuisine à New York (elles avaient d'ailleurs eu une conversation très animée sur les meilleurs restaurants de la ville), de la musique sur laquelle elle adorait danser en chaussette le soir pour se détendre. Sameen l'écoutait en silence. Elle lui apporta un jour un lecteur de musique avec une pile de CD. Root en fut très touchée, et Sameen lui répliqua simplement mais vivement que ça traînait dans les affaires de son père et qu'elle voulait juste s'en débarrasser. Root lui avait promis d'en prendre soin. Elle savait que le père de Sameen était un sujet sensible, elle l'aimait beaucoup et avait été très affectée par sa mort dans un accident de voiture quand elle avait 9 ans. Il était mort sous ses yeux, et plus rien n'avait jamais été pareil après cela. Root avait compris que Sameen s'était détachée des gens et refusait toute relation par auto-défense, plus que par réel syndrome d'axe II de la personnalité. Elle avait des émotions, là quelque part, elle les avait juste enfouies, mises en sourdine. Root ne perdait pas espoir de parvenir à les faire s'exprimer à nouveau un jour.

Plus le terme de sa grossesse approchait, plus Root se mit à paniquer. Elle faisait d'horribles cauchemars dans lesquels son bébé mourait à la naissance, et se réveillait en sueur, à tel point qu'Harold, inquiet, ordonna à Shaw de dormir à la bibliothèque pour veiller sur elle. Ce qu'elle fit de mauvaise grâce.

Un soir, après un cauchemar particulièrement horrible, Root se réveilla en larmes. Shaw n'était pas très douée pour ça, et elle ne sut pas comment réagir. Heureusement, Root se calma vite. Sameen ne l'avait jamais vue dans cet état. Elle avait fait des recherches sur son passé et était au courant de l'horrible enfance qu'elle avait eue, complétée par ce que Root lui en avait avoué. Mais il n'y avait rien qui pourrait expliquer de telles terreurs nocturnes. Elle s'assit près d'elle.

- Bon, c'est quoi le problème ? Tu vas cracher le morceau.

Root resta silencieuse un bon moment puis sans la regarder, elle lui avoua qu'elle avait perdu un enfant à 14 ans. Sameen ne dit rien, elle savait au son de sa voix que Root n'en avait jamais parlé à personne, pas même à Andrea en qui elle avait toute confiance.

- Je ne te laisserai pas me clamser entre les mains, toi ou ton mioche, alors arrête de t'inquiéter et dors.

Elle était restée toutes les nuits suivantes avec elle et la serrait dans ses bras pour la calmer quand elle se réveillait en sursaut. Sameen avait fini par s'allonger près d'elle et les cauchemars étaient peu à peu partis. Une réelle affection unissait les deux femmes. Même si Sameen restait en apparence hermétique aux suggestions et aux remarques taquines de Root, cette dernière savait qu'il n'en était rien. Ses gestes étant beaucoup plus explicites que ses paroles, même s'ils étaient souvent maladroits et gênés.

La journée, quand elle n'avait pas de numéro, Sameen restait avec Root et elles jouaient aux cartes.

- Tu ne veux plus me quitter, mon cœur ? lui avait lancé Root.

- Ordre de Harold, je dois te surveiller, répliquait simplement Shaw.

Root souriait à son mensonge, il y avait déjà une caméra dans la pièce pour cela, reliée directement aux ordinateurs de Harold.

Root lui racontait les plus grands coups et chantages qu'elle avait montés en tant que tueuse à gage et Shaw, quelques-unes de ses missions pour l'ISA. Reese se joignait même parfois à elles pour une partie de poker. Quand Reese repartait, il ne fermait plus la porte à clé, ce que Root prit pour un immense progrès. Sameen avait surpris son regard et lui avait rétorqué que Reese savait qu'elle pouvait parfaitement la gérer, surtout dans son état. Balou venait aussi la voir et Root et Sameen s'amusaient à lui lancer sa balle dans la bibliothèque, faisant un raffut du diable, ce qui exaspérait Finch. Root surprit un véritable élan d'amour de la part de Shaw pour le chien et elle souriait à chaque fois qu'elle y assistait. Si un chien avait réussi à faire tomber ses solides défenses pour se faire une place dans son cœur, il n'y avait aucune raison qu'elle-même n'y parvienne pas un jour.

Finch avait autorisé Root à se balader dans la bibliothèque pour qu'elle puisse choisir ses livres, mais toujours sous la garde vigilante de Sameen. Elle ne devait pas avoir accès à un téléphone pour communiquer avec la Machine et Sameen devait y veiller.

- Vous avez peur que je m'enfuis, Harold, se moqua un jour Root. Je suis à peine capable de marcher alors m'enfuir en courant. Sans compter que ce serait un grave manque de reconnaissance envers l'hôtel et la qualité du service. De plus, je n'oserai pas faire une telle chose, surtout à Sameen, ça lui briserait le cœur.

Shaw avait levé les yeux au ciel et soupiré mais s'était abstenue de tout commentaire.

- Mademoiselle Shaw vous accompagne pour veiller à ce qu'il ne vous arrive rien, répliqua Harold. Dans votre état, je préfère ne pas prendre de risques inutiles.

Cependant, le téléphone de Shaw sonna et elle décrocha.

- Désolée, Harold, vous allez devoir trouver une autre baby-sitter car Reese a besoin de mon aide pour le nouveau numéro et elle sortit.

Harold accepta alors de laisser sortir Root seule et la laissa se balader dans les rayons où il pouvait garder un œil sur elle. Il la surprit à prendre des livres de couture.

Quelques jours plus tard, il lui offrit des aiguilles et des pelotes de laine de toutes les couleurs. Root en fut très touchée et s'attela à tricoter. Sameen était passée le soir et avait alors éclaté de rire en entrant dans la cage.

- Ça y est, une vraie mère poule.

- Qui te dit que c'est pour lui, murmura Root avec un sourire espiègle.

Elle lui tendit une écharpe verte qu'elle avait tricotée pour elle. Sameen soupira et leva les yeux au ciel. Elle l'examina, dîna avec elle, puis elles allèrent se coucher. Mais le lendemain en repartant, elle prit l'écharpe sans un mot.

- Elle te plait alors ? demanda Root le soir venu quand Shaw revint de sa journée. Je savais que tu ne pourrais pas résister à mes cadeaux.

- Il fait froid dehors, simple esprit pratique, répliqua Shaw.

Sameen était de plus en plus réceptive au badinage de Root. Cette dernière le savait et en jouait. Elle savait que Shaw ne lui manifestait pas de l'attention par obligation de Finch, ou par pitié au vu de son passé, mais bien parce qu'elle l'appréciait en tant que personne, qu'elle lui reconnaissait des qualités. De son côté, Root devait bien avouer aussi que c'était agréable d'avoir des personnes sur qui compter. Ils prenaient tous soin les uns des autres mais aussi d'elle à leur manière alors que rien ne les y obligeait. Ils avaient peu à peu cessé de la voir comme un électron libre et dangereux, et ils l'appréciaient. La prudence restait tout de même de mise au départ, aussi bien d'un côté que de l'autre.

D'une part Finch, que Root de par son lien avec la Machine et de par sa capacité à tuer et à infiltrer tout système aussi bien informatique qu'humain avec une relative facilité, effrayait. John la considérait comme instable et Sameen comme complètement tarée mais ils la reconnaissaient aussi comme une femme courageuse.

Et Root d'autre part, qui s'était trop souvent fait trahir au cours de sa vie, mais qui s'abandonna peu à peu et de plus en plus facilement à la confiance sans pouvoir rien y faire, touchée par les attentions qu'ils lui portaient. Contrairement à Andrea qui n'avait vu en elle qu'un génie informatique qui pouvait lui être utile, et une gamine perdue qu'elle avait pu facilement manipuler, Finch, Reese et Shaw ne semblaient rien attendre d'elle. Ils étaient là pour elle et développaient eux aussi, peu à peu, un attachement à son égard, la reconnaissant comme quelqu'un que la vie n'avait pas gâté mais qui pouvait changer et qui semblait vouloir y parvenir.

Tout dans leurs attitudes démontrait ce sentiment, avec un petit quelque chose de plus chez Sameen. Mais cette dernière n'était pas prête à le reconnaître. Ce n'était pas grave, Root serait patiente, Shaw la fascinait et représentait un incroyable défi.

Elle perdit les eaux dans la matinée du 16 février. Sameen n'était pas là, elle était partie sur une mission avec Reese pour un numéro et Finch était sorti promener Balou.

Elle commença à paniquer. Elle était encore une fois seule pour affronter cette épreuve. Elle avait peur, sachant comment ça s'était passé la première fois. Sauf que là, elle n'était plus une gamine terrifiée de 14 ans. Elle était plus forte et elle tenta de se rassurer. Elle n'était pas dans un garage sordide, Finch allait revenir d'une seconde à l'autre et appeler Sameen.

"Tout va bien se passer. Tout va bien se passer. Tout va bien se passer. " se répéta-t-elle encore et encore en caressant son ventre rond.

Finch était revenu quelques minutes plus tard et avait immédiatement appelé Shaw. Cette dernière avait foncé à la bibliothèque. Root respirait avec difficulté. Debout, les mains crispées sur les bords de la table, elle semblait souffrir beaucoup. Sameen l'obligea à s'allonger et l'examina en silence. Root ne put s'empêcher de paniquer, les larmes lui montant aux yeux.

- Sameen, je ne veux pas le perdre, s'il-te-plait, supplia-t-elle les larmes aux yeux.

Shaw l'avait rassurée en douceur, lui affirmant que tout allait bien se passer et que ce serait bientôt fini.

Au moment où elle l'avait vue, elle avait su qu'elle allait l'aimer. Elle l'appela Louisa. Elle ne savait pas quel genre de mère elle serait mais elle savait qu'elle allait l'aimer et tout faire pour la rendre heureuse dans ce monde de fous qu'elle ne comprenait pas. Sameen l'a lui mis dans les bras et observa une Root émue aux larmes.

- Elle est magnifique, murmura Root.

Dans les jours qui suivirent, elle se reposa avec sa fille dans la bibliothèque, tout à son bonheur. Ils lui offrirent de nombreux cadeaux, des peluches, un berceau, des jouets, et même un mobile musical au-dessus du berceau qui exaspérait Sameen. Cette dernière avait continué à passer ces nuits dans la cage de Faraday et quand Root le lui fit remarquer, elle lui répliqua simplement qu'en tant que médecin, elle devait garder un œil sur le bébé par souci professionnel. Louisa se portait pourtant le mieux du monde. Les nuits ne furent cependant pas de tout repos. Root lui chantait alors la berceuse " Lettre à Elise " comme le faisait sa mère avec elle petite, et cela calmait l'enfant comme par magie.

Elle avait transformé sa cage en un véritable nid douillet. Sameen l'avait aidée à déplacer les étagères et les meubles, puis Root avait obtenu de la peinture pour refaire les murs de la pièce en bleu pastel. Sameen lui avait alors ironiquement fait remarquer qu'il ne manquait plus que les petits anges. Elle l'avait pourtant aidée et en deux jours, la chambre fut méconnaissable.

Une semaine plus tard, Root avait trouvé le moyen de sortir de sa cage de Faraday et était partie avec sa fille. Sameen, Reese et Finch la cherchèrent partout via les caméras dans la ville, quand au bout d'un quart d'heure, ils l'entendirent parler au fond d'un rayon dans la bibliothèque où ils se précipitèrent. Ils la virent poussant un chariot de livres et observant les étagères à la recherche d'un bouquin. Elle leur tournait le dos et ne les avait pas vus, ni entendus arriver, tandis qu'elle parlait au bébé, allongée au milieu des livres sur le chariot et qui la regardaient les yeux grands ouverts.

- Alors qu'est-ce que tu en penses, toi, des contes de Grimm ou de Perrault ? Ouais tu as raison de Perrault, je préfère aussi. Un petit traité de philosophie de Kant pour maman et un roman de Dickens. Voilà, on a tout, je crois, ma princesse. On va retourner dans notre suite privée.

Elle s'était retournée et avait été surprise de les voir là, à l'observer d'un air stupéfait. Comment avait-elle pu sortir ? Mais surtout, ce qui les stupéfia le plus, c'était cette douceur dans sa voix, pas de folie furieuse, juste une mère et son enfant.

Root se reprit et leur sourit.

- C'est gentil pour l'escorte, Harold, mais Lou et moi, on aurait retrouvé le chemin toute seules, vous savez.

- On a cru que tu étais partie, dit Sameen.

- Oh, Sameen, pas sans te dire tendrement au revoir.

Sameen leva les yeux au ciel et tourna les talons tandis que Root affichait un sourire immense.

Ils ne l'ont plus enfermée dans sa cage après cela et ont commencé à lui faire confiance. Elle est restée à la bibliothèque à attendre que la Machine la contacte, à profiter de son bébé, et à participer aux enquêtes sur les numéros non pertinents à distance. Finch l'autorisant à s'approcher de ses précieux ordinateurs, une marque de respect et de confiance immense à son égard, mais les missions de terrain lui manquaient. Finch finit un jour par céder et lui offrit un téléphone. Elle attendit 3 jours puis la Machine la contacta pour une mission de terrain, un peu trop tôt au goût de Finch. Mais Root revenait toujours à la bibliothèque qu'elle considérait comme chez elle désormais. Ils avaient fini par tous lui faire entièrement confiance, suivant même ses directives données par la Machine lors de missions. Une réelle harmonie s'était installée au fil des mois, ses capacités et son aide furent jugées précieuses au cours des missions.

L'une d'entre elles avait particulièrement failli mal tourner pour la jeune maman. Voulant sauver Finch et Shaw de son ancienne patronne Control, cette dernière l'avait attrapée. Elle avait compris que Root était l'interface de la Machine, et l'avait torturée pour qu'elle révèle son emplacement. Elle n'avait pas été déçue. Root avait bien résisté pendant des heures, lui riant même au nez. Elle qui avait tant encaissé dans sa vie, elle trouvait cette pauvre bureaucrate ridicule et idiote, elle qui croyait lui faire peur avec ses seringues de barbiturique et d'amphétamine.

Control s'occupait des numéros pertinents fournis par la Machine et voulait contrôler celle-ci. Elle avait alors expliqué à Root comment se pratique une stapédectomie. Elle lui avait expliqué comment elle allait couper le signal entre elle et la Machine. Root avait senti une pointe d'adrénaline monter en elle mais elle n'avait rien dit, même quand Control lui avait charcuté l'oreille. Elle se rappelait ce que Sameen lui avait dit un jour, qu'à l'ISA, on l'avait formée à résister à la torture en s'enfermant dans sa tête dans un endroit en sécurité. Root lui avait alors demandé si elle faisait partie de son endroit sûr, mais Sameen ne lui avait pas répondu. Root se concentra alors, elle s'imagina dans sa chambre, à la bibliothèque, donnant un biberon à sa fille dans ses bras et débattant avec Sameen sur le meilleur restaurant de New York comme elles aimaient le faire souvent. S'enfermer dans sa tête n'était cependant pas chose aisée, et Root y parvint plus ou moins. Elle se figea et se concentra sur un son que seule une de ses oreilles pouvait maintenant entendre, une vibration légère : du morse. La Machine lui indiqua, via le téléphone de Control posé sur la table devant elle, que cette dernière avait un couteau dans sa veste. Elle parvint à l'attraper alors qu'elle lui découpait l'oreille. Suivant les ordres de la Machine, elle ne la tua pas et s'enfuit. De retour à la bibliothèque, elle s'était effondrée de douleur dans l'entrée. Avant que tout ne devienne sombre, elle avait senti Reese la rattraper. Elle s'était réveillée dans sa chambre, Sameen assise à côté d'elle, soignant son oreille. Elle aperçut Lou dans son berceau pas très loin et se félicita de la voir endormie sereinement. Elle apprendrait bien assez tôt la dureté de ce monde. Elle tenta de se lever mais Shaw la repoussa.

- Reste tranquille, tu veux. Je dois nettoyer ça.

Root avait obéit non sans un grognement de douleur. Les gestes de Sameen étaient tendres et doux, et Root finit par s'endormir dans le calme de la pièce.

Elle repartit en mission le lendemain au grand dam d'Harold. Quelques jours plus tard, elle eut l'idée de transformer sa nouvelle infirmité en atout, un moyen de rester connectée en permanence à la Machine et ne plus dépendre d'un téléphone que l'on pouvait trop facilement lui prendre en cas de capture. Elle mit au point un dispositif, un implant cochléaire avec l'aide d'Harold et prit en otage un médecin pour se le faire greffer dans l'oreille.

Elle reprit les missions avec eux, sans faire grand cas d'elle-même.

Trois ans passèrent ainsi. Finch lui avait offert un bel appartement dans Brooklyn pour elle et sa fille. Louisa grandissait si vite. Root savait qu'un jour, elle devrait lui dire la vérité sur son passé et sur ce qu'elle avait été. Shaw lui assurait qu'elle saurait s'y prendre et qu'elle ne devait pas s'inquiéter, qu'elle était une bonne mère. Root avait peur aussi. Elle savait que la bataille contre Samaritain approchait. Elle savait que Greer n'hésiterait pas à s'en prendre à Louisa et à Sameen pour l'atteindre elle, et priver ainsi la Machine d'un grand atout. Même s'il ne connaissait pas l'existence de sa fille, nul doute qu'il en serait bientôt informé. Il en était de même pour sa relation avec Sameen qui avait évolué à pas de géant. Le jeu mené par Root entre les deux femmes n'avait pas cessé, bien au contraire, jusqu'au jour où elles avaient finalement sauté le pas. Sameen passait de plus en plus de soirées et de nuits chez Root. Finch et Reese feignaient de ne rien remarquer, et les deux femmes leur en étaient reconnaissantes. Sameen avait fini par céder, et pour quelqu'un qui ne fait pas ce genre de chose, elle était plutôt douée, lui avait un jour lancé Root d'un air taquin. Si Sameen ne disait rien, cela ne dérangeait pas Root qui ne semblait rien attendre d'elle. Elle l'aimait comme elle était. Elle le lui avait dit plusieurs fois.

Elle avait peu à peu rapporté ses affaires chez Root et y avait emménagé progressivement sans rien dire et sans grande cérémonie. Root respectait cela et Sameen lui était reconnaissante. Elle savait que Root était inquiète pour l'avenir, et elle se sentait démunie.

Greer avait demandé à la hackeuse de le rejoindre mais elle avait refusé, sachant que ce choix signait son arrêt de mort. Elle ne le regrettait cependant pas, elle avait vu en lui un homme malsain et profondément mauvais qui cherchait à n'obtenir d'elle que ce qu'il souhaitait et qui s'en débarrasserait dès qu'il l'aurait obtenu, tout comme Andrea. Tout en assumant son rôle de mère, elle demeurait l'interface de la Machine et partait souvent en mission pour elle, parfois avec Sameen. Louisa restant avec oncle Finch et oncle John comme elle les appelait. A chaque retour, Lou lui faisait la fête, tant elle était heureuse de la revoir et Root oubliait ses tourments avec Samaritain pendant un moment.

Sa relation avec Sameen ne l'avait pas empêchée de continuer son badinage pour la draguer et ce, même dans les situations les plus explosives. Root lui avait exprimé ses peurs pour Louisa. Sameen lui avait affirmé qu'ils sauraient la défendre. Root avait été sensible à cela, Sameen aurait très bien pu l'envoyer sur les roses. Au lieu de cela, elle s'était montrée gentille et humaine, ce qui était un exploit pour la sociopathe aguerrie qu'elle était.

- S'il m'arrive quelque chose, tu prendras soin d'elle, n'est-ce pas ?

Elles étaient en mission à Détroit et venaient de liquider des agents de Décima dans un hangar où des serveurs de Samaritain avaient été stockés. Sameen voulait les détruire mais Root lui expliqua que la Machine lui avait donné l'ordre de les emporter. Elles venaient de les charger dans un camion quand Root avait lâché sa question. Sameen n'avait pas répondu tout de suite. Elle savait de qui Root parlait. Shaw adorait Lou, une gamine de 3 ans adorable, intelligente et vive. Elle avait toujours détesté les enfants, enfin bon, avant Gen. Une petite russe dont le numéro était tombé, il y a quelques années, parce qu'elle avait surpris et enregistré une conversation entre flics véreux de New York. La gamine avait failli y passer et Shaw l'avait sauvée, développant un attachement à son égard malgré elle. Gen lui avait fait remarquer que Shaw avait des émotions mais qu'elle devait juste les écouter. En général, elle trouvait les enfants bruyants, pleurnichards et ennuyeux à souhait. Or, Lou n'était pas comme cela. Et quand Root lui avait un jour fait remarqué son attachement envers sa fille, Sameen avait simplement répondu que cette dernière était à l'image de sa mère, particulière et impossible à classer dans une quelconque catégorie.

- Bien sûr. Murmura Shaw dans un souffle presque inaudible. Je te le promets.

- Merci, répondit simplement Root et elles montèrent en silence dans le camion.

Root n'avait pas pu cependant enrailler la montée de Samaritain. Le gouvernement voulait un système de surveillance qui ne lui appartienne pas pour pouvoir nier toute implication dans la surveillance des citoyens. Greer leur vendit les services de Samaritain et en profita au passage pour éliminer tout individu pouvant s'y opposer. C'est ainsi que la Machine, et ses agents étaient devenus des cibles.

Root avait alors pris les devants avec l'aide de la Machine et leur avait créé de nouvelles identités, grâce aux serveurs volés, pour les cacher du regard de Samaritain et faire d'eux des gens ordinaires. Reese était flic, Finch prof, Sameen vendeuse en cosmétique et chauffeur d'un petit gang de voleurs, et Root multipliait les identités. Ils continuèrent, malgré les risques, de sauver des numéros non pertinents que la Machine continuait de donner. Root avait souffert de la coupure entre elle et la Machine mais l'avait compris. Samaritain l'aurait aussitôt détectée. Plusieurs mois difficiles passèrent ainsi.

Sameen et Root avaient continué à partager le même appartement, malgré leur domicile officiel de leurs identités respectives. Elles prenaient un risque mais avaient décidé que quitte à se faire prendre par Samaritain, elles auraient plus de chance si elles étaient deux. Un véritable jeu de casse-tête et de cache-cache s'instaurait alors. Elles se savaient observer en permanence par Samaritain et devaient être très prudentes. Chacune entrant dans son appartement respectif de leur identité, puis elles sortaient discrètement par une fenêtre dans une zone qui n'était pas couverte par les caméras, et où donc Samaritain ne pouvait pas les repérer. Puis en utilisant la carte fantôme, elles se retrouvaient chez elles. Elles devaient faire le même manège en sens inverse au matin, c'était exaspérant et épuisant mais à leurs yeux, indispensable. Samaritain leur prenait déjà toute liberté, et elles avaient décidé de résister à ce qu'ils leur volent un peu plus de leur vie privée.

Root pouvait s'absenter plusieurs jours pour des missions et Sameen s'occupait de Louisa, l'emmenant à l'école et au parc. Root avait été effondrée de ne pas être là pour la première rentrée de la fille, mais Shaw lui avait fait remarquer qu'elle ne s'en souviendrait pas et que ça n'était pas un drame. Mais entre les missions de la Machine, son travail officiel et son travail de voleuse nocturne, Sameen n'avait pas pu tenir longtemps. Louisa était trop petite pour qu'on la laissa seule et Root avait dû la placer à contre cœur dans un pensionnat et elle ne la récupérait que pour les vacances et quelques week-ends quand elle le pouvait.

Shaw détestait son identité, et son travail officiel l'ennuyait profondément. Cependant, elle savait que c'était là le seul moyen de rester en vie et elle l'accepta à contre cœur. Elle dût supporter les remarques pleines d'ironie de Root à ce sujet. Cette dernière changeait si souvent d'identité et avec une telle facilité que Sameen ne put s'en empêcher d'être impressionnée. Root n'avait pas des horaires de travail réguliers et rentrait souvent tard. Une fois, elle avait trouvé Sameen dans le salon en train de nettoyer les armes à feu. Louisa, à la maison pour le week-end, était couchée. En entrant, Root s'était retrouvée face à face avec une arme à feu. Sameen l'avait baissée à temps en jurant.

- Tu peux pas prévenir quand tu rentres, non ! Le téléphone, tu connais ?

- Oh, mon cœur, je t'ai tant manqué ? C'est chou.

Sameen retourna s'asseoir dans le canapé et continua son occupation.

- Tu as transformé l'appartement en armurerie ?

- Pff, comme si tu n'avais pas d'armes chez toi avant de me connaitre.

- Je range toujours mes jouets, mon cœur, histoire que Lou ne tombe pas dessus. Même si elle sait qu'elle ne doit pas y toucher, je sais comme la tentation peut être grande.

Root s'approcha de Sameen, se mit à califourchon au-dessus d'elle et s'assit sur ses genoux. Elle se pencha et l'embrassa. Shaw lâcha l'arme qu'elle était en train de remonter et la prit dans ses bras, répondant au baiser. Lorsque Root se recula, elle l'observa un grand sourire aux lèvres.

- Qu'est-ce que je te disais, la tentati…

- Tais-toi, la coupa Shaw avant de s'emparer à nouveau de ses lèvres. Elle glissa ses mains sous sa chemise qu'elle ouvrit et la fit basculer sur le canapé avec elle sans jamais lui lâcher les lèvres.

Root l'embrassa dans le cou, la faisant gémir doucement. Elle glissa ses mains sous sa chemise pour lui retirer son soutien-gorge et passa le tout par-dessus sa tête. Pendant ce temps, Sameen lui caressait les seins d'une main tandis que l'autre descendait toujours plus bas et se glissa dans le pantalon de Root. Cette dernière cessa de respirer et soupira de plaisir quand elle la sentit en elle. Elle continua de l'embrasser tendrement dans le cou en gémissant doucement sous les caresses de Sameen. Quand cette dernière les arrêta, Root la fit basculer à son tour et ne la lâcha plus jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus.

Elles finirent la nuit dans le lit, et s'endormirent sereines dans les bras l'une de l'autre. Root se sentait en paix. Elle n'aurait jamais pu imaginer ce qui les attendait le lendemain.

Sameen avait été repérée par Samaritain, trahie par un membre de son équipe de voleurs avec qui elle travaillait, qui, sous la torture avait révélé comment la trouver. Samaritain avait envoyé une femme aux instincts de chasseuse particulièrement efficaces sur ses traces : Martine. Cette dernière avait débarqué au magasin de cosmétique et avait tiré dans le tas pour abattre Sameen sans se soucier des éventuels dommages collatéraux. Root était intervenue à temps pour une extraction explosive.

La couverture de Shaw était grillée et elle devait se cacher. Elle avait d'abord refusé, jouant les bravaches et Root avait dû la droguer en la prenant par surprise dans son dos pour la traîner jusqu'au métro, leur nouvelle planque.

Sameen était furieuse d'être ainsi mise à l'écart de l'action. Et quand deux jours plus tard, Samaritain avait lancé une crise économique mondiale pour forcer la Machine et ses agents à réagir et ainsi les éliminer, Shaw avait refusé de rester cachée. Elle était venue les aider à la Bourse de New York et s'était sacrifiée pour les sauver non sans avoir embrassé Root au préalable. Shaw avait été abattue par les agents de Samaritain dont Lambert, le fils à papa prétentieux au sourire sadique et au costume anglais impeccable, et Martine, la pétasse blonde. Mais les portes de l'ascenseur s'étaient fermées et Root n'avait pas vu si Martine avait achevé Shaw. Elle sentait que Sameen était vivante et dans les jours qui suivirent, elle ne cessa pas de la chercher, aider de Reese. Pourtant, ils avaient échoués. Sameen était introuvable.

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Root continuait à marcher dans New York. Elle allait désobéir. Il fallait qu'elle cesse de mentir à Louisa. Elle se dirigea vers le pensionnat où elle l'avait cachée. Elle avait besoin de voir sa fille, de tout lui expliquer. Louisa avait 5 ans maintenant et pouvait comprendre, au moins en partie. Root saurait choisir les mots. Elle avait prévu un plan B pour elle au cas où il lui arriverait quelque chose. Elle avait fait promettre à Sameen de veiller sur Louisa, mais voilà, elle n'avait jamais prévu que Sameen se fasse abattre dans cette guerre, elle avait prévu que ce soit elle.

Peu importe ce que disait Harold ou la Machine, Root retrouverait Sameen. Elle allait la sortir de là. Elle allait tous les sortir de là, quitte à se sacrifier. Elle refusait de laisser encore quelqu'un d'autre mourir à cause d'elle. Quand le plan A a merdé et que le plan B est compromis, il ne reste plus qu'une option, la plus angoissante mais aussi la plus exaltante : l'improvisation.