Note : La version longue de "La bataille des cinq armées" est passée par là. Et encore un mouchoir, encore un ! Du coup, j'ai abandonné ce que j'avais en cours pour écrire ça. Mais cette fois, ce sont les événements vus par les morts eux-mêmes, ce qui est moins désespérant et rend les choses un peu moins tristes. Parce que vraiment, marre, à la fin, de pleurer devant ce film ! J'ai donc délibérément voulu inclure cette fois une nuance d'espoir, surtout à la fin (oui parce qu'en chemin, ça a un peu dérapé par moment, erf).
Ah oui, et vu le sujet, il y a un peu de kiliel ici et là, forcément. Comme je sais que certains sont allergiques, je préfère prévenir.
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C'était une sensation très étrange. Fili avait l'impression de se regarder dans un miroir et cependant il y avait quelque chose de bizarre, d'anormal, qu'il ne parvenait pas à définir. Déjà, il ne parvenait pas à croiser les yeux de son reflet. Ce dernier avait les prunelles fixes, dénuées d'expression. Du sang maculait son visage. Quoi de plus normal après ce qui venait d'arriver, d'ailleurs.
- Je devrais être mort, pensa Fili.
Il se souvenait de la douleur, brève heureusement, qui lui avait transpercé le dos. Il avait senti sa colonne vertébrale se disloquer et la lame de son ennemi lui percer le coeur sur sa lancée... Soudain, la vérité lui apparut :
- Je SUIS mort !
Il ne fixait pas son reflet... mais son cadavre ! Son propre corps, brisé, étendu dans la neige au pied de la tour, les jambes pliées dans un angle improbable. Son corps qu'il avait quitté il ne savait comment et au-dessus duquel il se tenait, immatériel désormais.
- Mince alors ! pensa le jeune nain, éberlué par sa découverte.
Il était abasourdi. C'était tout de même une drôle de sensation. Et il lui fallait le temps d'appréhender la réalité. Il se demanda ce qu'il faisait encore là, puisqu'il avait quitté son enveloppe mortelle. D'après ce qu'on lui avait toujours raconté ça ne devait pas se passer comme ça. Il aurait dû se trouver... ailleurs, non ?
Perplexe, Fili regarda autour de lui. Il se trouvait toujours à Ravenhill. Il ne voyait plus personne en revanche, ni orcs, ni gobelins, ni nains. Par contre, tendant l'oreille il entendit des pleurs. Venant de deux directions différentes. Presque de manière automatique, il voulut aller se rendre compte de ce qui arrivait. Il se rendit compte du même coup qu'il n'était plus du tout tributaire des réalités terrestres. Privé de corps, il se déplaçait très vite, il pouvait aller d'un endroit à un autre presque instantanément et aucun obstacle matériel n'avait plus de consistance pour lui. Guidé par le bruit le plus proche, il gagna le sommet de la tour au pied de laquelle gisait toujours son corps presque sans savoir comment. En tous cas sans avoir à monter les marches ni se soucier de trouver une porte. En revanche, le spectacle qu'il découvrit en arrivant au sommet le figea d'horreur :
- KILI !
C'était l'elfe aux cheveux roux, Tauriel, qui pleurait. Et Fili aurait peut-être pleuré aussi s'il avait encore été en capacité de le faire. Son petit frère gisait mort sur le sol, la poitrine défoncée.
- Oh non, non ! Kili ! Pas toi !
Agenouillé près de son frère, Fili passait ses mains sans consistance dans ses cheveux, nullement gêné par Tauriel qui ne pouvait se rendre compte de sa présence.
- Pourquoi vous n'avez pas fui comme je vous le disais ? murmura Fili, anéanti. C'était un piège, vous n'avez donc pas compris ? Il fallait partir. Pourquoi ne m'avez-vous pas écouté ?
Soudain, il fronça les sourcils et regarda autour de lui : il était mort, soit. Et Kili aussi, hélas. Mais dans ce cas, puisque lui-même s'était séparé de son corps, comment se faisait-il que ce ne soit pas le cas de son petit frère ? Ou alors, ils ne pouvaient pas se voir ? A moins que Kili, lui, ait bien été transporté dans les Salles de l'Attente, ainsi que le croyaient les nains ?
Fili se releva, un rien désemparé. Décidément, rien ne se passait comme on le lui avait toujours laissé croire.
Il s'éloigna sans avoir de véritable but, mais la vue du corps sanglant et inerte de son frère le démoralisait au plus haut point.
Puis il les entendit à nouveau : quelqu'un d'autre pleurait non loin de là. Une terrible appréhension traversa le jeune nain. Qui d'autre était mort ? A nouveau il traversa l'espace sans difficulté. Il vit tout au bord de la falaise une personne avachie sur elle-même, la tête dans les mains, près d'un autre corps étendu inerte sur le sol. Fili eut aussitôt le pressentiment de la réalité mais il ne pouvait pas y croire. C'était impossible. Il se rapprocha cependant, ses yeux s'ouvrant démesurément à mesure. C'était Bilbon qui pleurait. Qui sanglotait, même. Et près de lui...
- Non ! exhala Fili.
S'il avait encore eu un corps mortel, il serait tombé, terrassé par la stupeur.
- Thorin !?
Thorin ne pouvait pas être tombé au combat, pas lui ! C'était tout simplement impossible.
Fili était arrivé à quelques mètres du corps de son oncle. Sidéré, il se retourna : il était passé sans s'arrêter près de la carcasse d'Azog, clouée sur la glace. Il n'y avait pas pris garde mais à présent il reconnaissait l'épée qui était enfoncée dans sa poitrine. Il tourna à nouveau la tête vers Thorin. Il était mort, aucun doute la dessus, malheureusement.
- Non, non... Mon oncle, comment... ? Comment est-ce possible ?
- Fili ? Thorin !
Il se retourna. Ah non, il n'avait pas été transporté ailleurs. Et ah si, il pouvait le voir, finalement. Kili se tenait à quelques pas derrière lui, sourcils froncés, l'air tout aussi abasourdi que lui-même.
- Où tu étais ? demanda Fili un peu bêtement.
- Comment "où j'étais" ? En fait je... ne sais pas. Tout à coup j'ai été hors de mon corps.
Il tourna la tête vers le sommet de la tour et soupira. Puis il baissa la tête. Fili savait qu'il pensait à Tauriel et à tout ce qu'ils auraient pu vivre ensemble si les choses s'étaient passées autrement.
- J'ai essayé de lui parler, dit-il.
Sa voix était douloureuse.
- De la toucher. Mais elle ne m'entends pas et... je ne peux plus...
Il leva sa main devant son visage et la regarda avec une expression à la fois perplexe et exaspérée. Fili se rapprocha de lui.
- Je sais, petit frère.
Tous deux tournèrent ensemble leurs regards vers la dépouille de Thorin.
- Notre lignée est anéantie, chuchota Kili d'une voix rauque.
Ils échangèrent un regard sombre.
- Azog l'a emporté.
- Oh, ricana Fili en jetant un coup d'œil vers le corps de l'orc pâle. C'est manière de parler. Il ne pourra plus s'en vanter, en tous cas !
Les deux frères firent silence, plongés tous deux dans des pensées similaires.
- Ça va être si dur pour notre mère... chuchota Kili.
Il soupira et sa voix trembla :
- J'ai manqué à ma promesse. Je lui avais juré que je reviendrai.
Fili voulut passer son bras autour de ses épaules pour le réconforter, mais aucun d'eux n'avait plus aucune substance et son bras retomba le long de son flanc comme s'il avait seulement traversé l'air.
- Ne pleurez pas, maître hobbit. Cela devait sans doute être ainsi. Vous êtes sauf et la vie continue. Ne pleurez pas.
Fili et Kili se retournèrent d'un bond. Thorin s'était à son tour détaché de son corps. Impossible de s'y tromper étant donné qu'il apparaissait en deux exemplaires à ses neveux, un peu ébahis tout de même. Il y avait son corps de chair toujours étendu sur le sol, et une autre version de lui, debout, qui posait une main aussi immatérielle que l'air sur l'épaule de Bilbon, toujours prostré. Quant au ton de sa voix, à la fois bourru et affectueux, les garçons le reconnurent tout de suite pour l'avoir entendu toute leur vie, chaque fois que leur oncle voulait les consoler de quelque chose. Ils échangèrent un petit sourire de connivence : ils avaient eux aussi beaucoup d'affection pour Bilbon Sacquet, leur cambrioleur, leur compagnon d'aventure, leur ami. Et en toute franchise, en dépit de l'amour et de l'admiration qu'ils vouaient à Thorin, ils avaient été choqués par ses paroles et ses actes sur les remparts d'Erebor. Certes, sur le coup, quand Bilbon avait avoué avoir donné l'Arkenstone à ceux qui les assiégeaient, ils avaient été atterrés. Horrifiés, même. Mais après les explications fournies par le hobbit... ils avaient beau de pas oser se l'avouer, il était hélas bien vrai que Thorin avait changé. Pas vraiment en bien. Et puis en toute honnêteté, en leur for intérieur les deux jeunes princes éprouvaient une certaine honte à le voir se parjurer et traiter Bilbon de manière aussi injuste. Depuis, Thorin était redevenu lui-même. N'empêche que Fili et Kili étaient heureux, extrêmement heureux de voir que leur oncle paraissait s'être réconcilié avec le semi homme.
Bilbon n'entendit évidemment pas la voix de son ami défunt ; il ne sentit pas le poids de sa main sur son épaule. Pourtant, il n'aurait su dire pourquoi ni comment, il se sentit un peu moins désespéré et ses larmes se tarirent peu à peu. Ce que voyant, Kili se tourna à nouveau vers la tour et... disparut.
- Kili !
Fili eut un bref mouvement pour le retenir, finalement s'abstint et, indécis, jeta un coup d'oeil à son oncle, qui ne s'était pas aperçu de sa présence et continuait à parler tout doucement au hobbit. Fili fit quelques pas en direction de la tour, partagé quant à ce qu'il devait faire. Il savait qu'il n'avait pas sa place dans la relation qui existait entre Tauriel et son jeune frère. Kili devait vouloir apaiser la douleur de l'elfe. Fili était trop honnête pour nier éprouver une certaine jalousie mais il aimait suffisamment Kili pour faire l'impasse là-dessus.
Pourtant, sans savoir pourquoi, il était inquiet.
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- Tauriel. Tu ne peux pas m'entendre mais j'ai quand même envie de dire : "écoute-moi".
Kili s'agenouilla près la jeune femme et posa ses mains dépourvues de substances sur les joues inondées de larmes.
- Je voulais que tu me suives à Erebor...
Il ne songeait même pas qu'il s'était mis à la tutoyer. Il ne pensait qu'à lui ouvrir son coeur, sachant qu'il n'aurait plus jamais l'occasion de le faire après cela.
- J'étais prêt à les affronter tous pour les obliger à t'accepter. Je me rends compte à présent que c'était insensé. Pourtant... écoute... nous n'avions peut-être aucune chance, tous les deux. Et peut-être que si. Peut-être que ni les nains ni les elfes n'auraient jamais accepté que nous soyons ensemble. Je n'en sais rien. J'aurais tellement, tellement voulu que nous ayons au moins la possibilité d'essayer. Tu ne me l'as jamais dit mais je sais que tu éprouvais quelque chose pour moi, toi aussi.
Figée, Tauriel avait relevé la tête. Elle éprouvait quelque chose qu'elle ne comprenait pas : une sensation de froid tout autour d'elle qui s'accompagnait pourtant d'une étrange chaleur intérieure.
- Kili... chuchota-t-elle d'une voix rauque de larmes.
- Je suis là. Je suis là, mon amour.
La main de Kili esquissa le geste d'écarter une mèche de cheveux roux, qu'elle traversa tout simplement. Tauriel frissonna.
- Je voudrais tellement te dire de m'oublier et d'être heureuse, soupira Kili, le cœur en berne. Et pourtant tu vois, je suis trop égoïste pour ça. Je voudrais vraiment que tu sois heureuse, vraiment, mais je... ne peux pas m'empêcher de souhaiter que tu gardes quand même un petit souvenir de moi. Je ne sais même pas ce que je veux faire. Rester toujours auprès de toi ou rejoindre mon frère et mon oncle... est-ce pour cela que je suis toujours ici ?
Invisible derrière le mur de la tour, Fili ferma les yeux. Il s'en voulait d'espionner Kili, mais c'était plus fort que lui. Et ce qu'il venait d'entendre, c'était exactement ce qu'il avait redouté. Pourtant, il ne se reconnaissait pas le droit d'intervenir. Il n'aurait même pas dû être là, à écouter des mots qui ne lui étaient pas destinés. Mécontent de lui-même, il s'éloigna pour ne plus entendre. Plus mal à l'aise que jamais.
- ... il y a tout de même une chose qui est certaine, Tauriel : je ne veux pas que tu aies autant de chagrin. Cela me brise le cœur, ou ce qu'il en reste. Si seulement je pouvais faire quelque chose en ce sens...
Tauriel n'entendait pas, ne comprenait pas, mais ne pleurait plus. Elle avait l'impression d'une présence, tourmentée et cependant chaleureuse. Posant sa main sur la poitrine de Kili, elle se mit à murmurer tout doucement une incantation en elfique. C'était une très ancienne prière, demandant aux Valars d'accorder aux disparus la paix de l'esprit. Et peu à peu, en la récitant, elle se sentit elle-même un peu plus sereine.
Kili se releva et s'écarta. Il était toujours indécis quant à ce qu'il devait faire mais, pour le moment, Tauriel paraissait apaisée. Il pensa qu'il devait aller voir ce qui se passait du côté de Fili et Thorin. Il trouva son frère au pied de la tour.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il, surpris.
- Je venais voir où tu en étais, biaisa Fili, qui s'en voulut aussitôt de mentir mais ne pouvait se résoudre à avouer qu'il l'avait espionné un moment.
- Où est Thorin ?
- Toujours auprès de Bilbon, je suppose.
Ils furent au bord de la cascade de glace en un instant. Bilbon n'était plus là. Il était allé s'asseoir un peu plus loin, le regard fixe, et le magicien arrivait à sa hauteur.
- Fili ?! Mais comment est-ce possible ?
Fili tourna brusquement la tête. Thorin le regardait, à la fois incrédule et stupéfait. Voyant une lueur d'espoir naître dans ses yeux clairs, le garçon comprit. Son oncle n'avait pas encore appréhendé la réalité. Il ne comprenait pas encore que c'était deux morts qu'il voyait devant lui. Il semblait penser qu'il voyait... deux vivants. Instinctivement, Fili fit un pas de côté et se plaça devant son frère, comme s'il pouvait le cacher à la vue de Thorin et lui épargner le choc de la sinistre vérité.
- Mon oncle... commença-t-il d'une voix douce, se demandant comment il allait pouvoir prononcer des paroles aussi cruelles. Je vais t'expliquer...
Il se creusait la tête pour savoir comment continuer mais ce fut inutile. Thorin venait de comprendre. Son visage exprima une telle douleur que Fili tendit machinalement les bras vers lui.
- Oh non... fit Thorin d'une voix à peine audible, les épaules affaissées comme sous le poids d'une trop lourde révélation.
- Pas toi aussi, Kili, chuchota-t-il encore. Pas toi !
L'intéressé baissa la tête, comme s'il se sentait coupable.
- Je suis désolé, Thorin, murmura-t-il. Je n'ai pas été à la hauteur, je regrette.
Thorin releva brusquement les yeux :
- Ne dis pas ça, dit-il d'une voix ferme. J'ignore ce qui est arrivé mais je te connais assez pour être certain que tu as fait honneur à son sang et à ton rang.
- J'ai voulu sauver celle que j'aime, répondit Kili avec une pointe de défi. Une elfe, Thorin.
Il lança un regard d'excuse à son frère et ajouta :
- Au début je voulais venger Fili mais quand Tauriel s'est trouvée en danger...
La douleur envahit son visage. Il avait perdu Tauriel à jamais et le regret brûlait férocement son âme. Contre toute attente, mettant un peu de baume sur son chagrin, Thorin sourit :
- Et tu as réussi à la sauver, n'est-ce pas ?
- Oui, admit Kili, mais...
Thorin se rapprocha de lui, le regardant avec affection :
- Si cela m'avait été possible, je serais mort cent fois, mille fois pour te permettre de vivre... même si c'était pour que tu partages ton existence avec une elfe.
Thorin n'aurait sans doute pas parlé ainsi de son vivant, ni surtout du vivant de Kili. Il n'aurait assurément pas très bien pris la chose. Mais la mort a une manière bien à elle de changer votre façon de voir. Thorin en cet instant était parfaitement sincère : si tel avait été le prix à payer pour que Kili puisse vivre, il aurait donné sa bénédiction plutôt dix fois qu'une.
- J'aurais donné n'importe quoi pour que vous viviez tous les deux, confirma-t-il. Encore maintenant, je donnerais n'importe quoi pour revenir en arrière. Mais une chose demeure : nul d'entre vous n'a à rougir de quoi que ce soit. Cette femme est encore en vie grâce à toi, Kili. Erebor est sauvé grâce à nous tous, sans oublier Balin, Dwalin et Bilbon. Alors que je ne t'entende plus jamais dire que tu n'as pas été à la hauteur.
Il voulut, comme le faisaient les siens, appuyer son front contre celui de son neveu. Cela donna quelque chose de bizarre, comme s'ils passaient l'un à travers l'autre, et chacun se retrouva à la place qu'occupait son vis à vis un instant auparavant. Kili ne put s'empêcher de sourire, son oncle l'imita, puis Fili. Enfin, ce dernier demanda :
- Comment se fait-il que nous soyons encore là, Thorin ? J'aurais cru que nous serions transportés dans les forges de Mahal. C'est ce que notre peuple croit, en tous cas.
- Je pense, répondit doucement Thorin, que quelque chose nous retient encore ici, tous les trois.
- Mais quoi ?
Kili, lui, ne répondit pas et tourna automatiquement son regard vers le sommet de la tour, là où Tauriel pleurait toujours sur sa dépouille. Fili le regarda d'un air inquiet puis, se secouant, il jeta un regard circulaire autour de lui, comme quelqu'un qui cherche à se changer les idées.
- Oh ! fit-il. Thorin, regarde.
Là où le corps de son oncle demeurait étendu sur la glace, la Compagnie au grand complet s'était rassemblée. L'un après l'autre, les nains mettaient genou à terre et courbaient la tête, afin de rendre un dernier hommage à leur roi.
- Je suis désolé, mon oncle, dit enfin Fili. Tu as tellement combattu pour reprendre Erebor et la garder sauve... j'aurais tant voulu te voir monter sur le trône de nos ancêtres...
Thorin haussa les épaules.
- Je ne sais pas si j'étais vraiment fait pour ça, admit-il avec franchise. J'ai commis tant d'erreurs... Je suis heureux de penser que notre peuple a recouvré son héritage.
Il médita un court instant et ajouta :
- Dain deviendra Roi sous la Montagne, s'il a survécu. Je pense qu'il sera tout à fait à la hauteur de la tâche.
Thorin paraissait cependant légèrement inquiet.
- Tu sembles douter, mon oncle, observa Fili.
- Non, répondit fermement Thorin. Je ne doute pas de Dain. Je pensais seulement...
Il tourna la tête à son tour, regardant en direction d'Erebor. Il savait désormais ce qui le retenait encore en ce monde. Il s'en voulait d'y attacher encore une telle importance mais c'était malheureusement évident. Si Kili demeurait à cause de Tauriel, lui-même était encore sauvagement attaché à l'Arkenstone. L'Arkenstone qu'il n'avait pas seulement pu tenir entre ses mains une seule petite fois depuis leur arrivée à la montagne !
Que le Joyau du Roi demeure la possession des hommes lui était insupportable. Et bien qu'il s'en défende intérieurement, même l'idée qu'elle puisse revenir à Dain lui était terriblement désagréable. Enfin, ce serait tout de même moindre mal. Et de beaucoup.
Tout près d'eux, ignorants de leur présence, les nains silencieux se relevaient un par un. Certains laissaient couler leurs larmes sans chercher à les cacher, tous avaient le visage extrêmement grave. Dwalin quitta enfin des yeux le corps sans vie de Thorin pour relever brusquement la tête. Sa voix parut avoir du mal à sortir. Lui-même éprouvait la sensation d'avoir avalé tout un seau de gravillons ou de sable lorsqu'il laissa tomber, avec une brusquerie qu'il n'avait pas le courage d'atténuer :
- Fili est tombé également.
Les nains le regardèrent d'abord avec incrédulité, puis avec horreur. Dwalin tendit le bras vers la sinistre ruine dont la silhouette noire se dressait sur l'autre berge du cours d'eau gelé :
- Au pied de la tour.
Il n'en dit pas plus. Il n'en avait pas la force. Plus tard peut-être. Beaucoup plus tard. Il pourrait raconter ce qui était arrivé. Peut-être.
- Et Kili ? demanda quelqu'un d'une voix faible.
- Je ne sais pas, répondit Dwalin avec effort.
Il y eut un petit silence puis il ajouta, non sans difficulté :
- S'il a survécu, il doit être auprès de son frère.
Il regarda Thorin et ajouta très bas :
- Il ne doit pas savoir que...
Ce fut sa pensée qui acheva, pour son seul bénéfice :
- ... qu'il est notre nouveau roi...
Thorin, Fili et Kili avaient assisté à toute la scène, invisibles, réduits au silence et consternés.
- Ô Mahal... gémit Fili en essayant de se prendre la tête dans les mains, ce qu'il ne put faire en l'absence de corps solide. Quand ils vont savoir...
Thorin hocha la tête, lugubre, sans trouver la force de répondre.
- Mon oncle, avons-nous démérité ? Avons-nous failli ?
Kili paraissait soudain singulièrement inquiet.
- Peut-être, continua le jeune nain d'un air anxieux, peut-être que c'est pour ça que nous sommes encore là ? Nous n'avons pas mérité le séjour éternel de nos aïeux ?
- Kili !
Thorin tendit le bras, avant de se souvenir qu'il ne pouvait plus toucher personne.
- Kili, tu ne dois pas penser ça. Je te l'ai dit, si nous sommes encore ici c'est parce que quelque chose nous retient. Quelque chose de personnel pour chacun de nous. Nous ne sommes pas en paix, voilà tout. Nous ne pourrons pas trouver le repos éternel avant de l'être. C'est la seule raison.
Les deux garçon hochèrent la tête d'un air lugubre. C'était vrai, ils n'étaient pas en paix. Et ils commençaient déjà à trouver cette "non-existence" et cet état de fantômes totalement déplaisants. Mais la paix... comment la trouver ?
Fili ne laissa rien paraître mais il était trois fois plus anxieux que son frère. Il sentait bien que son âme était inquiète mais il aurait donné cher pour savoir pourquoi ! Qu'est-ce qui le retenait en ce monde ? Il n'en savait rien et cela commençait à l'effrayer.
