Sans voix

Un livre une identité

Le soleil illumine déjà la plus haute partie de la guilde. Un profond soupir se fait entendre. Il doit partir. L'enfer d'un présent sans fin ternit la lumière passée.

–Happy… Tu dois rester avec eux.

–Non ! Je viens avec toi !

–Tu ne peux pas…

–Je te laisserai pas…

Un reniflement, des larmes qui s'écoulent sur le visage du chat.

–Je n'ai pas le choix…

Maintenant ou jamais, attendre ne ferait que retarder l'inévitable. Un petit coup bien placé et son meilleur ami maintenant dans les vapes.

–Désolé Happy…

Un bagage d'une main, un gros livre de l'autre. Ce livre, un nom, une identité, son fardeau.

XXX

Anxieux, énervés, frustrés et déçus.

–Comment il a pu faire ça!

–Gray… calme-toi…

– Lucy ! Comment tu peux rester si calme ?

–Arrête Gray…

Sa voix se brise et derrière Happy retient ses larmes.

–Désolé… Je voulais pas.

–Natsu… Il veut nous protéger en tuant Zereph, mais s'il fait ça il…

Les sanglots reprennent humectant son poil.

–On va le retrouver ce crétin ! Happy où il allait ?

–Il n'a rien dit, mais je crois qu'il doit se rendre à Alvarez, Zereph en est le roi non ?

–Ok ! C'est une bonne piste !

–Désolé…

–Rien n'est de ta faute, arrête de t'excuser…

– C'est loin d'ici… il ne doit pas y être arrivé déjà… Gray ?

–Oui Erza ?

–Va rassembler la guilde, on va former des équipes de recherches !

Gray, Lucy, Erza, Wendy, Charuru, Jet, Droy, Macao, Kanna, toute la guilde. Chacun parcourt un point différent... Tout, mais rien, que le vide et le silence. Les heures s'écoulent, le sablier se vide de son sable rouge.

XXX

Les hauts le cœur, ces mouvements de vas et vient qui ne s'arrêtent pas. Le goût de vomi roule sur sa langue, veut sortir. Encore 5 heures, 5 longues heures où il se sépare de ce qui le rattache à l'humanité. Moment rendu pénible par son mal des transports, mais surtout par son cœur qui s'effiloche, s'effrite au vent. Zereph… Son frère disparaîtrait et lui irait rejoindre le néant.

Plus il approche de sa destination, plus la peur s'incruste en lui. Ce sentiment, cette souffrance s'en irait, peut-être, en même temps que lui.

Ses doigts parcourent les trois lettres gravées, il observe jusqu'au contour du livre. Sa vie constitue en ces nombreuses pages, une histoire qu'il n'ose ouvrir ou lire de peur de se perdre.

Un regard fixe à la fois le garçon et l'ouvrage qu'il serre entre ses doigts.

Haine, douleur... Du sang, un cœur qui s'arrête, une maison qui s'écroule. Les flash-back hantent l'esprit malade.

–Où t'as trouvé ça ?

Un haut-le-cœur persistant et une voix tremblante.

–Quoi ?

– Ton nom ?

–… De quoi j'me mêle ? Dégage le vieux…

L'esprit confus et le corps affaibli par les transports, il ne peut se défendre.

Puis le noir absolu.

–Fairy Tail n'est pas là pour te protéger cette fois… Etherious Natsu Dragnir…

XXX

La pluie abondante empêche tout repérage.

–J'en peux plus !

3 semaines depuis. Leurs nerfs à tous saignent d'une frustration refoulée.

–Attends Gray !

Le torrent ne s'arrête pas. Cette pression liquéfiée empêche sa progression. Il se met à explorer les recoins les plus sombres et malfamés. Des hématomes apparaissent, son sang se mélange à la pluie.

–Où est-il ?

–Puisqu'on te dit qu'on sait pas, c'est pas nous !

Les poings de Gray dégoulinent de rouge. Sa respiration s'accélère et, bien qu'il se le refuse depuis bientôt dix heures, il doit s'arrêter. La pluie percute son visage et devient grêle.

XXX

Des gouttes de sang se répandent sur le ciment. Une poitrine se soulève par petits coups. Les lourdes chaînes mettent un terme à sa résistance.

–Arrête… Je dois… tuer Zereph.

Un homme ricane.

–Tu me prends pour un crétin. Pourquoi irais-tu tuer ton créateur, démon ?

L'homme s'impatiente, il le roue de coups. L'être ne gémit et ne parle plus, ses plaies pourtant graves cessent de le tourmenter.

–E.N.D… c'est tout ce dont tu es capable…

En réponse, le corps crache l'écarlate hors de ses poumons.

XXX

Des bourdonnements, des sons se mélangent. Un gémissement lui échappe alors qu'il tente d'ouvrir les yeux.

–Il se réveille…

Ses yeux parcourent brièvement la pièce, récupère ses sens. Un mauvais rêve rien de plus…rien de plus.

–Natsu…

Le silence et des regards tristes.

–Où… il est ?

Ceux qui tentent d'approcher se retrouvent projetés contre le mur. Figé et glacé, le corps se débat contre ses pulsions. S'assombrit jusqu'au bout des doigts le corps de l'enragé.

–Tête à flamme !

Cherche, provoque.

–J'sais que t'es là ! Viens te battre je t'attends !

Illusion, souvenirs.

Un silence pesant, une respiration précipitée. Gray parcourt rapidement la pièce, puis la guilde entière.

–Natsu n'est pas là Gray !

Une voix se lève. Sa progression cesse. Lucy retient un sanglot.

–On t'a retrouvé inconscient dans la dernière ville…

–Calme-toi, je t'en prie…

Ses sens lui échappent. Sa raison refoule l'inévitable. Tout est flou.

XXX

La chambre est dépourvue de fenêtres ou même de lampes. Le seul éclairage provient d'une chandelle qui fréquemment s'éteint sous les gouttes d'eau. L'averse traverse le toit en bois moisi. Dans les fentes se faufilent parfois quelques araignées ou d'autres insectes attirés par l'humidité.

–Tu vas crever…

L'homme en crise abat sa colère sur sa victime. Des bouteilles de vins et de bières encombrent la totalité du sol.

–Rend-là moi ! Meurtrier !

–Rend là !

– J'comprends rien de que vous dites !

Malnutrition, et ces menottes anti-mage qui lui aspire son énergie. La lutte devient impossible, il se perd, panique. Trop faible même pour mourir en protégeant ses amis.

–T'es un démon, vous êtes tous les mêmes…

Une bouteille se fracasse contre le mur du fond frôlant le visage de l'homme attaché. Ses membres fondent comme neige au soleil. Entretenus par la douleur, ses souvenirs ne laissent que des cicatrices. Bientôt, son feu le consumerait entièrement emportant avec lui la peine et le regret.

Sous le silence perpétuel, la colère ne peut s'estomper. Sa propre haleine lui revient tel un coup de fouet malodorant. L'alcoolique frustré abruptement quitte la pièce s'enfilant quelques autres bouteilles de vin bon marché.

Cette hargne et ces hurlements ne cessent que lorsque le bourreau s'endort une bouteille vide à la main, du vomi sur les lèvres.

XXX

Une respiration saccadée, un visage encore plus blême qu'il ne l'a jamais été. Des gouttes d'eau salées mouillent son visage.

–Gray !

–Lucy ?

Des bras entourent la taille du garçon, la confusion se lit sur ses traits.

–Tu n'arriveras à rien tout seul, tu dois te reposer…

Appuyée contre le mur du bâtiment voisin, une femme aux cheveux écarlates les fixe, les bras croisés.

–Elle a raison Gray, tu le sais bien.

–Aye…

Un petit chat bleu observe la scène piteusement.

– C'est de ma faute… J'aurais dû l'empêcher de partir…

Lucy se saisit du chat qu'elle caresse d'une tendresse maternelle.

–Rien n'est de ta faute Happy…

Ses pattes masquent ses yeux inondés.

La pointe d'un couteau entre et percute l'artère principale de son cœur. Culpabilité. Sa main froide caresse le visage du félin, s'arrête, regarde le ciel brumeux.

L'étourdi fixe ses pieds qui tournent en rond. Son poing percute le mur du fond. Sanglant peut-être, mais dont le regard reprend vit.

-Happy !

–Gray ?

–Je te promets qu'on va le ramener… Je vais ramener la tête à flamme ! J'te promets !

Son regard transperce jusqu'à la fissure du mur. Ses amis ne voient que son dos et des gouttes d'eau qui s'accumulent au sol. Fébrile, la blonde fixe sans bouger.

–Il a besoin d'être seul…

Éloigné par Erza, son regard se détache du mage de glace non sans difficulté.

Profitant du retour du calme, Gray s'éclipse. Ses pas le guident sous un arbre nostalgique où son corps épuisé prend du repos.

Les images et les rires lui reviennent en un coup au visage. Les bagarres fréquentes et ce ruisseau qui s'écoulait jadis et dans laquelle il tentait à tour de rôle de se faire tomber.

La voix brisée, il murmure au vent :

–Natsu, t'es où merde ?

Le silence englobe la réponse qu'il se fait à lui-même. Aucune piste et il en a cherché. La pluie a eu raison des empreintes restantes. Sa patience ébranle sa lucidité. La peur le ronge sans qu'il n'en comprenne la raison. Natsu, cette tête de linotte entêtée qui ne peut renoncer sans se battre, impossible d'imaginer sa perte. Impossible… impossible… impossible.

Sans pour autant parvenir à se rassurer, son esprit s'évapore au sommeil espérant le retour d'une chaleur familière à ses côtés.