Song-fic basée sur la chanson "Il Fabbricante dei Sogni" écrite et composée par le groupe de folk italien, les Modena City Ramblers.

Le ciel était voilé et ne laissait passer que quelques rayons de soleil sur la capitale anglaise. Au Quartier Général des Aurors, un jeune homme était posté debout devant une porte fermée. Il attendit quelques instants puis finit par se décider à toquer et ouvrit la porte.

- Patron, il faut que vous veniez, on n'arrive pas à le faire parler, déclara-t-il à l'homme installé derrière le large mais sobre bureau.

Harry Potter, chef émérite de la Brigade des Aurors, leva les yeux de ses parchemins et regarda fixement le jeune Alex Jones.

- De qui parles-tu, Alex ? demanda-t-il, intrigué.

- Du vieux type au violon qu'on a attrapé après la chute des deux enfants, il y a trois jours. Il est mutique.

Harry soupira pour rassembler ses souvenirs puis reposa la plume qu'il tenait à la main.

- Ah oui, je vois de qui tu parles mais cette affaire ne fait pas partie de nos priorités. Je n'étais déjà pas très favorable au fait que ce soit nous, et non la police magique, qui prenions en charge ce cas. Mais les journaux ont parlé de ces drames et le Ministre a personnellement demandé à ce que nous nous en occupions.

Il s'interrompit pour compulser les parchemins sur lesquels il travaillait puis les repoussa en soupirant à nouveau.

- Alex, je suis sur le dossier de ces agressions en série au Sectumsempra, reprit-il. L'affaire du violoniste ne me paraît pas difficile. Pourquoi t'adresser à moi ? As-tu vu quelque chose de particulièrement inquiétant ?

Le jeune Auror se dandina sur ses jambes, hésitant, avant de se décider à répondre.

- Il ne veut rien dire. Du moins, rien à part « je veux parler à Harry Potter ». Il ne répond pas à nos questions. Il ne nous regarde jamais réellement, il ne fixe pas un point précis, ses yeux ont l'air de papillonner dans tous les sens… Il regarde tout sauf nous.

Harry fronça les sourcils. C'était effectivement étrange, comme si cet homme était soumis à un Confundo si puissant qu'il n'ait pu être détecté par les Aurors au début de l'interrogatoire.

- Penses-tu que l'affaire est plus grave que je ne le pensais ? Que ce serait une erreur si je ne venais pas ?

- Je ne me le permettrais pas, Patron. Mais il est vrai que son attitude me met dans le plus grand doute…

- Très bien, j'arrive, assura Harry en se levant et en accompagnant le jeune homme.

J'ai tourné en long et large
En compagnie de mon violon
Et le vent des voyageurs
A toujours été mon ami

Il était là, assis mollement dans le siège de la salle d'interrogatoire, les yeux fixés sur la table. Au bout de celle-ci était posé son violon, un de ces anciens modèles qui devaient valoir une fortune, qu'elle soit en gallions ou en livres sterling. Les collectionneurs sorciers et moldus se seraient damnés pour pouvoir ne serait-ce que le toucher. Pourtant, il appartenait à un vieil homme qui paraissait avoir dans les soixante-dix ans pour autant qu'Harry pût en juger – mais il savait qu'il n'était pas très doué pour cela – et qui, de toute évidence n'avait pas d'autre fortune. Sa baguette magique, posée juste à côté, paraissait usée par le temps mais elle était probablement fonctionnelle.

L'homme n'était pas soigné, juste habillé de ce qu'il avait pu trouver. Pour autant, il ne donnait pas l'impression de mal vivre cet état de fait. Il émanait de lui une étrange félicité qui intrigua le Chef des Aurors. Quelle était donc cette magie ?

Et déjà, Harry sentit poindre en lui les prémices d'une émotion inattendue mais qu'il ne voulut pas écouter…

Il entra dans la salle et s'installa face à l'homme. Celui-ci ne réagit pas immédiatement puis il leva lentement la tête jusqu'à croiser le regard de Harry. Et pour la première fois depuis qu'il avait été arrêté, il laissa enfin ses yeux se fixer sur quelque chose. Il n'avait pas l'air inquiet, il était même serein et dans son regard brillait comme une petite lueur de malice.

Harry ne savait pas comment réagir. De toute sa carrière, il n'avait jamais rencontré un suspect qui se comportait de la sorte.

- Très bien, on va commencer. Quel est votre nom et que faites-vous dans la vie ?

Le vieil homme ne répondit pas immédiatement. Il parut réfléchir à ce qu'il allait dire puis, d'une étonnante voix rocailleuse, il se lança.

- Je vous connais Monsieur Potter. Vous n'imaginez pas le nombre de fois où j'ai pu chanter votre vie sur les chemins d'Angleterre…

- Vous ne répondez pas à ma question, répliqua Harry.

- Mais je n'ai pas de nom ou alors cela fait bien longtemps que je l'ai oublié. J'ai mille noms plutôt qu'un seul. C'est plus intéressant, Monsieur Potter et aussi plus juste… car on n'est pas fait d'un seul moule alors pourquoi n'aurait-on qu'un nom ?

Harry soupira bruyamment. Cela n'allait pas être simple…

- Admettons. Et que faites-vous dans la vie ?

- Je vous l'ai dit, je suis les chemins et les routes, accompagné de mon violon et je chante…

Je connais tous les ponts,
Les trottoirs et les gares
Et dans chaque endroit et dans chaque lieu
J'ai laissé une chanson

Il sourit en surprenant le regard perplexe de Harry puis il reprit :

- Je n'ai jamais eu besoin de carte, j'ai toujours su où je me trouvais, quelle que soit l'heure, quelle que soit la saison. Une carte… ça ne sert qu'à s'obliger à aller quelque part et en avançant seul, j'allais où je voulais. Aucun lien, aucune force n'a jamais pu m'attacher. Même ma baguette ne m'a jamais servi à cela, je respecte trop la Magie pour l'asservir à une si basse besogne.

- Trouver sa route ? Vous trouvez que c'est une basse besogne ? s'étonna Harry qui sortit du cadre strict de l'interrogatoire professionnel.

- Oui, Monsieur Potter. Il y a tellement de plus belles choses qu'on puisse faire avec la Magie. Il y a tellement de gens qu'on peut aider, tellement de sourires qu'on peut donner…

Il jeta un regard sur son violon et soupira tristement.

- Monsieur Potter, je ne suis qu'un musicien, je vais au gré du vent conter mes chansons et mes histoires. C'est ce que j'ai fait toute ma vie… Ma baguette m'a surtout servi à maintenir mon violon en l'état. Quelquefois à survivre aussi…

Je me produis pour les passants
Pour les pauvres et les messieurs
Parce qu'il n'existe pas d'homme
Sans musique dans le cœur

Harry se redressa sur son siège. Le vieil homme arrivait-il enfin à des faits précis ?

- A survivre dites-vous ? Vous êtes-vous battu ? Vous êtes-vous défendu ?

- Défendu ? Oui, quelquefois, mais seulement pour éviter qu'un voleur ne s'empare de mon trésor… Il n'y a pas eu de mal, les brigands sont juste partis avec l'arrière-train brûlant. Mais sans mon violon, je ne suis rien, il est mon prolongement, bien plus que ma baguette. C'est toute ma vie…
Il avait débuté sa réponse avec un sourire mais l'émotion l'avait étranglé dans ses derniers mots.

- Il faut que vous compreniez, Monsieur Potter, reprit l'homme en se rapprochant de Harry par-dessus la table. Il m'accompagne depuis si longtemps ! Il est comme un frère, un compagnon d'une fidélité sans reproche. Il m'a toujours soutenu, même dans les moments les plus durs. Je ne veux pas le perdre, je ne le supporterai pas…

Dans le regard du violoniste brillaient des larmes probablement depuis longtemps contenues. La sincérité ce qu'il y vit frappa Harry de plein fouet. L'homme ne parlait pas de son violon comme d'un simple objet ni même comme un objet de valeur inestimable ce qu'il était pourtant. Il le considérait comme un être vivant, comme un être doté d'une âme…

Et alors qu'il aurait pu considérer cet homme comme fou, Harry commença à être ébranlé, bien qu'il n'en laissât rien paraître. Ce n'était pas le moment, il y avait trop de choses en jeu…

L'homme s'était repris, comme s'il avait l'habitude de ses changements rapides d'émotion. Personne, en entrant dans la pièce, n'aurait pu croire qu'une seconde auparavant, il aurait pu éclater en sanglots.

Et je joue pour les jeunes filles
Pour les sérieuses et les effrontées
Parce qu'il n'existe pas de femme
Qui dise non à une sérénade

- Je cours les chemins pour chanter. Je connais tant de monde, j'ai chanté pour tant de monde ! Je n'ai jamais choisi le public, ce sont les gens qui sont venus à moi. Et il n'y avait pas que les pauvres hères pour m'écouter. Des hommes riches, des Moldus et des Sorciers, de sublimes dames et d'autres au cœur d'or. Vous savez, Monsieur Potter, que la Magie simple, la Magie par baguette n'est pas la seule chose puissante dans ce monde. Vous, particulièrement vous, le savez très bien… Je n'ai jamais su exactement ce que c'était, mais j'ai toujours ressenti de la joie autour de moi lorsque que je touchais mon violon. Les premières notes de musique attiraient les gens, les premiers mots les faisaient s'arrêter devant moi et le temps de la chanson, leur sourire allait crescendo. Toujours. A chaque musique jouée, à chaque air entonné. Et pourtant, Merlin sait que j'en ai chanté des milliers depuis toutes ces années ! Pas une seule fois, je n'ai rencontré la rancœur sur ma route.

Il se tut quelques instants avant de reprendre sur un ton rapide et étrange qui ne donnait plus l'impression qu'il s'adressait à quelqu'un :

- Et les femmes, oui… Que ce soit pour une seconde ou pour une nuit, elles ont toutes cédé. La musique a tous les pouvoirs !

Et un sourire apparut sur son visage, à mille lieues d'un sourire carnassier ou vulgaire. L'homme semblait perdu dans ses souvenirs et Harry n'en sut rien déchiffrer mais il ne put s'empêcher lui-même de sourire à son tour…

Et je tourne avec mon violon
Sur les places et dans les rues
Les gens autour dansent
Et trouvent le temps de rêver

Le violoniste s'était animé plus que jamais pendant ses explications. A l'autre bout de la salle, discrètement adossé dans un coin de la salle, le jeune Auror Alex Jones observait la scène. Il n'en revenait pas de voir son supérieur réussir l'exploit de faire parler cet homme sans rien faire ou presque. Son aura, malgré toutes ces années après la destruction du plus grand mage noir de tous les temps, était toujours aussi forte. Et il se prit d'une soudaine et inattendue bouffée d'affection pour son mentor, il l'admirait depuis si longtemps…

Tandis qu'Alex Jones luttait contre cette vague d'émotions et tentait de reprendre pied, le vieil homme avait poursuivi son histoire. Il semblait s'être réveillé et regardait à nouveau Harry fixement.

- En fait, je ne vous ai pas dit tout à fait la vérité tout à l'heure quand vous me demandiez mon nom. Je ne suis pas un anonyme, j'ai une identité mais pas au sens où vous l'appelez, vous… Je me nommais ou plutôt je me considérais comme un Créateur de Joie parce qu'autour de moi, c'est ce que je voyais. Mais les gens ont commencé à m'appeler le Fabricant des Rêves, et ce nom m'est resté par la suite. Il m'a suivi tout au long de ma route, tout au long de ma vie, jusqu'ici, même… Et ça m'a convenu car je savais que grâce à moi, les gens oubliaient leurs soucis et se prenaient à penser qu'ils allaient s'arranger. Et même si ce n'était que le temps d'une chanson, cela valait bien la peine de les faire rêver…

Chaque soir je compte l'argent
Eparpillé au fond de mon chapeau
Je m'endors sous un plafond
Recouvert par les étoiles

Durant encore de longues minutes, Harry écouta le violoniste lui conter sa vie, lui qui n'avait pas de toit et n'avait aucune attache. Ses journées se déroulaient sur un rythme immuable. Levé dès l'aube, s'enivrant des premiers rayons de soleil qui lui inspiraient ses rimes jour après jour, il marchait au gré des vents et des mouvements des groupements d'oiseaux. Il ne restait que rarement deux jours de suite dans un même lieu, goûtant cette liberté à laquelle il accordait presque autant de valeur qu'à son violon. « Elle est ma destinée, mon guide et ma mère nourricière », avait murmuré le violoniste.

- Monsieur Potter, vous êtes-vous un jour endormi sous le ciel étoilé ? Avez-vous pu, un jour, ressentir cette immensité et n'avez-vous jamais craint de vous noyer parmi ces milliers d'étoiles sans pouvoir arriver à remettre le pied sur Terre ? Si vous croyez que la vie n'est que villes et technologies, alors vous n'avez rien vu…

Harry était resté muet devant cette assertion tant il y ressentait une vérité presque impalpable pour lui, presque inaccessible… Il était incroyable que cet homme, qui de prime abord, paraissait simple et sans culture, pût à ce point élargir sa vision des choses et en si peu de temps. Et Harry s'en voulut des préjugés qu'il ressentait…

Je trouve toujours un plat chaud
Dans les marchés et dans les foires
Parce que là où il y a un violon
Tout le monde est heureux

C'était presque fascinant de découvrir qu'il n'avait jamais manqué de rien. Bien que Harry soupçonnât que le vieil homme n'était pas exigeant, il comprit qu'il n'avait jamais eu besoin de demander quoi que ce soit pour l'obtenir. Un peu de thé chaud, une couverture, un toit, quelques mornilles… Et Harry le crut, quand il lui expliqua qu'il n'avait jamais volé ni utilisé la magie pour obtenir des gens ce dont il avait besoin. Il n'avait qu'à regarder les yeux pétillants de son jeune disciple Alex au fond de la pièce pour comprendre que sans baguette magique, cet homme avait un pouvoir puissant sur les gens. Lui-même ne pouvait s'empêcher de sourire. C'était totalement irrationnel…

Harry se secoua mentalement pour reprendre la main sur l'interrogatoire. Il sentait qu'il avait perdu le fil depuis un bon moment. Il était là pour interroger le gars sur sa potentielle responsabilité dans la chute des deux enfants par-delà cette falaise et pas pour écouter de telles élucubrations !

- Revenons-en aux faits, Monsieur. Que faisiez-vous donc le 4 avril dernier ?

- Voilà une question bien précise, Monsieur Potter !

J'ai rencontré mille femmes
Et chaque femme, je l'ai charmée
Avec l'histoire du vagabond
Et la sagesse de la rue

Il regarda fixement Harry puis se lança dans une réponse claire et précise, à la différence de ce qu'il avait fait jusqu'alors.

- Monsieur Potter, si je ne me trompe pas, j'étais dans la région de Douvres. J'y vais régulièrement. J'y suis arrivé très tôt dans la matinée. J'aime bien aller au bord de la falaise pour tenter d'apercevoir les côtes françaises. Ce serait un endroit plus reposant s'il n'y avait pas tant de touristes moldus mais c'est un de ceux qui m'inspirent le plus…

Et aussi soudainement qu'il s'était mis à parler clairement, il retomba dans ses divagations qui ne semblaient pas avoir de but apparent.

- Et j'y ai fait de si belles rencontres ! Je me souviens particulièrement de la belle Meredith et de ses formes généreuses… Elle a toujours été si douce avec moi ! Une femme de la campagne, oui, peu lettrée mais elle aimait ma poésie… Je l'ai perdue de vue, j'ai peut-être eu un enfant avec elle ? Qui sait…

Il marmonna encore quelques longues secondes et Harry ne put quasiment rien percevoir de ce qu'il disait. Il avait l'air de compter le nombre d'enfants qu'il pouvait potentiellement avoir et il égrenait des rimes incohérentes mais il ne semblait guère s'en inquiéter, il ne parlait pas réellement à Harry, pas plus qu'il ne s'adressait à un quelconque public. Il se perdait à nouveau dans ses souvenirs si tant est que tout cela lui fût effectivement arrivé dans sa vie. Rien n'était moins sûr, selon Harry qui s'inquiétait surtout du déroulement de son interrogatoire. Comment pourrait-il mener son enquête ? Et surtout, arriverait-il à un résultat ? Il voyait bien que le vieil homme n'avait certainement plus toute sa tête. Il allait devoir espérer tomber sur un moment de lucidité pour éclairer l'affaire, sans quoi il serait obligé de la clore…

(Suite très prochainement)