Prologue

Il n'était pas deux fois, la ville de Londres avec ses hautes structures, son cœur tentant de se relever de la guerre qui y sévissait deux ans plus tôt. Elle brillait toujours par ses manières, cette façon dont les gens prenaient le thé à heure fixe en mettant de côté leurs malheurs. La grandeur anglaise se parait de milles bijoux, agrémentés de Fish'n'chips, du marché poisson qui luttait contre les senteurs citadines et encore toutes ses carrioles tirées par des chevaux qui se plaçaient en maîtres.

Les chats errants se glissaient ci et là, cherchant à quémander les citoyens qui promenaient leurs chiens, se baladaient ou s'en allaient tout simplement au travail.

Tout se promettait à une journée comme les autres. Des actes signifiants qui se faisaient sans même que qui que ce soit s'en rende compte mais qui seraient hurlés lorsqu'ils surviendraient. Des découvertes anodines, des ménages qui se faisaient des naissances et même des morts qui brisaient le cœur des proches…

Tout se confondait dans Londres et qui aurait remarqué ce grand orphelinat qui n'en était pas vraiment un ? Les enfants s'y succédaient et augmentaient mais personne ne voulait des enfants qui s'y trouvaient. Des attardés, disaient-on…

Recroquevillée sur elle-même dans la cage d'escaliers de cette maison, Modestie entendant les coups répétitifs. Des claquements encore et encore. Elle se souvenait qu'il fut une époque, pas si lointaine, elle les comptait. Ça faisait longtemps qu'elle avait arrêté…

Et pourtant, elle n'avait que dix ans.

On aurait pu croire qu'à son âge, elle avait d'autres choses à faire que compter ces claquements. Peut-être que c'était parce qu'elle avait si longtemps compté ces coups qu'elle avait le visage fermé, les yeux vides et l'impression que même ça, elle ne pourrait pas le pleurer…

Ou était-elle attardée parce qu'elle ne connaissait rien des expressions humaines, qu'elle ne réagissait à rien.

À rien…

Les coups s'arrêtèrent et elle se redressa sur ses jambes qui tremblaient étrangement. Elle leva le pied pour le lancer sur la marche d'en bas et descendre lorsqu'elle croisa le regard de son frère. Il secoua la tête. Elle resta sur place et attendit, comme un soldat de plomb.

Les coups furent remplacés par des insultes qui ne cessaient. Des mots blessants par centaines. Tant de choses qu'ils avaient entendus, l'un et l'autre, trop de fois mais qui continuaient de les ronger. Surtout lui… Modestie voyait bien la façon dont il rentrait la tête dans les épaules, son envie de pleurer qu'il réprimait.

- Croyance !

La main se ferma dans ses cheveux et tira dessus pour le forcer à se redresser, à montrer son visage rougissant.

- Tu es presqu'un adulte. Lui asséna-t-elle.

Il savait, comme sa sœur qui ne bougeait toujours pas, que ça lui incitait à ravaler ses sentiments, ses pleurs.

- Tu sais que tu as mérité tout ceci. Lui asséna-t-elle avec froideur.

- Oui, mère.

Une nouvelle baffe.

- Je ne suis pas ta mère ! Rugit-elle.

Puis le claquement reprit. Le claquement de la ceinture de Croyance qui battait ses mains, son dos, ses jambes… Jamais son visage. Surtout pas son visage ou on le remarquerait…

Puisque parler ne faisait que le plonger dans les problèmes, il se recroquevillait sur lui-même et ne disait rien, laissant pleuvoir les injures et les coups.

Puis leur mère, qui n'en était pas une, dut se lasser parce qu'elle l'abandonna et partit, s'essuyant les mains poisseuses et couvertes de traits sanguins. Cette fois, Modestie n'attendit pas et descendit en courant. Le jeune homme remettait sa ceinture de ses mains tremblantes et il sentit les bras de sa petite sœur autour de son cou.

- Ça va aller, Croyance. Murmura-t-elle. Tu te sens comment ?

La question pouvait paraître stupide. Après tout ce qu'il venait de subir, il était évident qu'il n'allait pas bien. On pouvait comprendre qu'il veuille s'abandonner aux larmes qui tentaient de fuir ses yeux bruns. Mais il tentait de les retenir, secouant ses épaules sous les sanglots effroyables.

- Moins pire que d'habitude. Répondit-il.

- Ne t'inquiète pas. Chuchota-t-elle.

Elle plongeait ses yeux dans les siens, emplie de détermination.

- Ce soir.

Il écarquilla les yeux.

- Déjà ?

Elle n'aurait su dire s'il était excité ou s'il était terrifié. À vrai dire, Croyance lui-même l'ignorait.