Chère, très chère Lysandra,

Voilà bien longtemps que nous nous sommes perdu de vue, et croyez bien que je regrette aujourd'hui de ne pas vous avoir écrit plus souvent. Cependant, comme nous le savons tous deux, il aurait été très mal avisé de correspondre tant que Lord Voldemort n'aurait pas disparu définitivement.

Pour l'heure, je suis inquiet. Pour vous, comme pour les évènements qui s'annoncent. Bientôt, j'aurai la triste mission de dire adieu à ce monde – ce monde qui, hélas, a encore besoin de moi. Néanmoins, je maintiens mes affirmations de notre dernière rencontre : le garçon peut ! Vous ne le connaissez pas comme je le connais, mon amie, et si vous vous souvenez encore de mes sages conseils, vous admettrez que je ne me trompe peut-être pas.

Aussi, je me tourne une dernière fois vers vous : aidez le garçon. Malgré toutes ses mésaventures, son courage n'aura jamais failli, sa loyauté n'aura jamais faibli et son cœur sera toujours resté aussi bon qu'à sa naissance. Vous êtes la seule qui puisse lui venir en aide, désormais, et je m'en remets à vous pour l'emmener vers la victoire.

Adieu,

Albus Dumbledore.

Couvertes d'écailles bleues et dotées de griffes acérées, les mains qui tenaient le parchemin le plièrent cérémonieusement comme si la lettre avait été d'une valeur inimaginable. Puis elles posèrent le papier sur la longue table basse qui trônait au centre du salon ; et un silence d'attente s'installa, rompu par la pluie fine qui martelait timidement les fenêtres et le crépitement des bûches brûlant dans l'âtre d'une modeste cheminée.

La créature reptilienne détourna ses yeux jaunes aux pupilles verticales du parchemin pour les orienter sur son auditrice. Il s'agissait d'une très vieille femme aux longs cheveux blancs et soyeux, le visage si ridé qu'elle paraissait porter une multitude de toiles d'araignée sur la tête, et aux yeux aveugles. Bien que la créature n'ait jamais ressenti la moindre tristesse à ce jour, elle comprenait parfaitement celle de son hôtesse.

Albus Dumbledore, le directeur de l'école de sorcellerie Poudlard, était mort. Aussi bien pour la vieille femme que pour la créature, cette perte était une sinistre nouvelle. La créature connaissait Dumbledore par sa réputation, et plus particulièrement pour son respect à l'égard des êtres magiques. Lysandra lui avait souvent répété, au cours des deux dernières décennies, que s'il existait bien un être humain fiable en ce monde, c'était bien Dumbledore.

La créature n'en doutait pas une seule seconde : en fait, elle ne remettait jamais en doute la plus petite certitude de Lysandra. Si la vieille femme affirmait quelque chose, personne ne soupçonnait qu'elle ait pu se tromper – car, de mémoire, ça ne s'était jamais produit.

─ Désirez-vous quelque chose en particulier ? demanda la créature d'une voix sifflante.

Les innombrables rides de Lysandra parurent gonfler, la rajeunissant d'un coup sans pour autant duper quiconque sur son âge très avancé – et inimaginable. Elle répondit avec un faible sourire, d'une voix à peine moins ferme et vive que celle d'une jeune femme de vingt ans :

─ Je crains que ton rôle dans cette affaire soit minime, mon enfant, déclara-t-elle. Néanmoins, tu peux effectivement faire quelque chose : renseignes-toi auprès des maîtres, cherche la perle rare, trouve une personne qui pourra accomplir la terrible mission que je lui confierai. Choisis un Grand Initié, Edroll, et ne reviens que quand tu en auras un.

La créature dénommée Edroll plissa légèrement ses yeux reptiliens. Edroll connaissait suffisamment la vieille femme pour savoir que la destruction totale d'une capitale ne correspondait pas à l'idée qu'elle se faisait d'une « terrible mission ». Quelle tâche s'apprêtait-elle à confier ? Il n'en savait rien, mais il sentait une menace redoutable se dissimuler sous les projets de Lysandra.

─ Ne serait-il pas préférable de sélectionner quelqu'un d'un niveau supérieur ? tenta-t-il.

─ Préférable, sans aucun doute, reconnut Lysandra d'une voix sereine. La question, cependant, n'est pas « que préférons-nous ? », mais que « pouvons-nous ? » Et crois-moi, mon enfant, un Grand Initié est l'unique choix qui s'offre à nous.

Edroll s'inclina, convaincu par les explications de Lysandra.

─ Dois-je m'intéresser à toutes les classes ? ajouta-t-il.

─ Privilégie les Ombres, les Guerriers et les Invocateurs, dit Lysandra après un instant de réflexion. Et si tu découvres qu'une Ombre étudie également la Guerre ou l'Invocation, n'hésite pas une seconde à l'inscrire dans la liste des potentiels. Plus cette pauvre âme aura d'armes en sa possession et plus nous lui offrirons une chance de survivre…

Les yeux reptiliens se plissèrent à nouveau, d'une manière plus prononcée.

─ Je pensais que vous la chargeriez simplement de ramener le garçon, avoua-t-il.

─ Aucun être humain n'a jamais mis les pieds ici, Edroll, et il en sera de même aussi longtemps que je vivrais, déclara Lysandra avec patience. Laisse-moi m'occuper du garçon, et va accomplir la mission que je t'ai confié. Je m'en remets à ton jugement.

La créature s'inclina respectueusement puis s'éloigna, pour finalement disparaître par la porte. Avec un infime soupir, Lysandra s'affaissa légèrement sur son fauteuil puis le quitta. D'un pas aussi assuré que si elle n'avait pas souffert de cécité, elle contourna son confortable meuble pour s'approcher de la cheminée et s'agenouiller devant le feu de bois.

Elle tendit une main ridée et tremblantes. Comme protégé par un sortilège, le bras s'enfonça parmi les flammes qui s'écartaient sur son passage, lui ouvrant un chemin jusqu'à une pierre amovible, bien plus sombre que toutes les autres. L'index de Lysandra suffit à la bouger : en l'effleurant du bout du doigt, la vieille femme activa apparemment un enchantement qui fit jaillir la brique de son emplacement.

Flottant au-dessus de la main tendue, la brique attendait que les doigts décharnés de Lysandra mettent le grappin sur le contenu de la cachette : un grand morceau de cuir de dragon enveloppant ce qui, sans aucun doute possible, devait être un livre. La pierre reprit sa place dès que Lysandra recula la main, et les flammes refermèrent le passage à mesure que le bras tendu de la vieille femme se rétractait. Quand le précieux trésor fut hors de l'âtre, Lysandra regagna son fauteuil.

Confortablement installée, Lysandra ouvrit le grand morceau de cuir pour libérer l'ouvrage, qu'elle ne tarda pas à parcourir du bout des doigts. Sa cécité l'empêchait de voir, c'était un fait, mais elle voyait quand même. Tout comme Dumbledore des années auparavant, l'épais grimoire diffusait une espèce de halo que les yeux aveugles de Lysandra distinguaient parfaitement. Rares étaient les personnes qui pouvaient répandre cette aura – et plus rares encore étaient les objets.

Les doigts de Lysandra parcoururent le centre de la couverture de cuir – elle s'en souvenait – noir. Des reliefs y avaient été placés, à défaut de titre. Ils tournaient tous autour d'un axe, les faisant défiler les uns après les autres, et bien qu'elle ne put les voir de ses propres yeux, Lysandra les reconnut sans mal en les caressant. Quatre crânes de quatre couleurs, une pour chacun, et chacun ayant une signification que personne, aujourd'hui, ne pourrait soupçonner même dans ses cauchemars les plus fous.

Lysandra souleva légèrement la première couverture et glissa sa main dessous pour attraper une lettre qu'elle avait secrètement espérée ne jamais avoir à envoyer. Dumbledore l'avait rédigée quinze années plus tôt, lors de leur dernière rencontre, et Lysandra lui avait promis de veiller dessus jusqu'à ce que le moment de l'envoyer arrive. Tout en espérant que ce jour ne viendrait jamais. Mais ce jour funeste de la mort de Dumbledore était venu et, malheureusement, Lord Voldemort vivait toujours.

Lysandra soupira.

─ Mon très cher Albus, j'ose croire que vous ne vous êtes pas trompé sur ce garçon, murmura-t-elle.

Un bruissement d'ailes précéda l'apparition d'un bien étrange oiseau. Il avait un très long cou, comme celui d'une oie, et une crête de flammes bleu glacé qui lui descendaient de la tête jusqu'aux plumes les plus longues, répandant derrière lui un léger scintillement bleuté. Lysandra tourna la tête et regarda le halo volant, bleu clair, se poser sur l'accoudoir de son fauteuil en laissant échapper un petit cri aigu et mélodique.

─ Toujours aussi prompt à te porter volontaire pour un courrier, hein ?! commenta Lysandra d'un ton amusé. Parfait, car cette missive est d'une importance capitale. Tu dois la délivrer à Harry Potter, que tu trouveras au 4, Privet Drive, Little Whinging, Surrey, en Angleterre. Il serait préférable que tu joues la carte de la discrétion, car les humains te croient disparu…

Une voix douce, masculine, résonna dans son esprit :

J'ai toujours été prudent, Lysandra, dit-elle.

C'était vrai, bien entendu, mais Lysandra connaissait l'oiseau depuis si longtemps que, compte tenu de la situation actuelle en Grande-Bretagne, elle s'inquiétait pour lui. D'un geste nonchalant de la main, la vieille femme fit jaillir un coffret adapté au livre, qu'elle plaça délicatement à l'intérieur. Refermant le contenant, elle l'emballa d'un autre geste désinvolte. Une enveloppe apparut et, une fois la lettre de Dumbledore à l'intérieur, Lysandra acheva la missive en fixant le message sur le carton de l'ouvrage.

Est-ce une bonne idée de confier un tel ouvrage à un être humain ? demanda l'oiseau par télépathie, d'un ton indifférent.

Lysandra hocha vaguement la tête. Aussi avisés que furent les conseils de Dumbledore de son vivant, il était toujours resté un être humain ; plus que toutes les autres races, Lysandra se méfiait des humains et de leur intelligence. Cependant, Dumbledore avait été son ami – un exploit, pour un sorcier – et elle ne voyait aucune raison valable de ne pas respecter ses dernières paroles.

─ Il y aura quelqu'un pour le surveiller, de toute façon, annonça-t-elle. Quelqu'un de chez nous.

L'oiseau ne répondit pas, mais Lysandra le connaissait suffisamment pour savoir qu'il n'était pas tout à fait convaincu qu'elle commettait une bonne action. Il prit cependant le paquet entre ses griffes très acérées, posa un regard intense et perle sur la vieille femme, puis se volatilisa dans un éclair enflammé et froid.