Prologue
Quelque part sur Grande Line.
Le vent raflait tout sur son passage. De la neige, des tonneaux, et même des hommes. La tempête les emportait tous, dans son enfer immaculé. Une mort enrobée de tranquillité, dans un duvet de flocons doux et glacial. Aucun bruit, aucune plainte. Elle accomplissait son œuvre dans un silence dérangeant.
Naru était assise par terre, les jambes recroquevillées contre sa poitrine. Ses yeux vermeils, brillants comme la Lune, fixait l'étranger qui ruisselait de sang sur le sol de la cuisine. Une gouille écarlate s'éparpillait lentement, et dessinait un tracé sinueux jusqu'à ses pieds. Ses chaussettes en laine s'imprégnèrent de sang, encore chaud.
La maman de Naru appliquait un onguent visqueux, confectionné à base d'herbe de Lune, sur les nombreuses plaies de l'inconnu. Ce dernier portait un grand manteau de plumes noires, qui cachait en partie son visage cadavérique. L'enfer immaculé l'avait épargné, lui, alors que Naru avait vu tant d'autres personnes y périr, ensevelis dans une souffrance lancinante. Le froid les avait dévorés, littéralement. Des personnes qu'elle avait vu rire dans les rues de la ville, et qu'elle connaissait depuis sa naissance. Naru serra les lèvres, afin d'asphyxier les plaintes qui lui brûlaient la langue. Elle contemplait l'inconnu, une rancœur amère rongeant son jeune cœur :
"Cet homme n'est pas d'ici, maman."
Naru essuya son petit nez retroussé, et se redressa, pour contourner la flaque de sang. Ses mains pendaient le long de son corps frêle, au dos légèrement voûté.
"On ne choisit pas nos patients, Naru. Je te l'ai déjà dit."
L'inconnu toussa soudainement, crachant une nouvelle vague de sang, qui dégoulina le long de ses joues. La jeune fille dévisageait sa mère les sourcils froncés, une mèche de ses cheveux argentés lui barrant l'œil droit :
"Papa déteste que tu ramènes des inconnus chez nous."
Elle s'assit près de la tête du blessé, et lorgna son visage pâle, l'œil plissé. Elle l'inspectait sous toutes ses coutures. La moue concentrée de Naru amusa sa mère, qui souriait de la naïveté de sa fille.
"Ton père n'a pas toujours raison, tu sais."
Sa mère lui offrit un regard doux, et continua de soigner son patient en silence. C'était une guérisseuse très douée, et emplie de bonté. Naru l'admirait énormément, bien qu'elle ne soit jamais arrivée à lui ressembler. La petite fille se plongeait dans de nombreux livres, et apprenait très vite l'art subtile des plantes et herbes curatives. Mais elle ne possédait pas cette bonté, qui différenciait sa mère des autres "guérisseurs". Naru n'avait pas envie d'aider les autres, elle souhaitait simplement guérir ceux qu'elle aimait.
Néanmoins, l'ouverture d'esprit de sa mère l'emmena à se poser une question, qu'elle n'aurait jamais eue, en la présence de son père : l'enfer immaculé n'épargnait personne, alors pourquoi cet homme était-il toujours vivant ? Qui était-il ? Et qu'allait-il changer aux événements futurs qui les attendaient ?
