La salle était pleine, je les entendais tous parler à voix basse autour de moi, mais c'était comme si j'étais seule. Seule avec lui. Lui et ses blessures, ses bandages, son sang. Ils m'avaient dit qu'il était vivant, je le savais, mais je tenais sa main froide et inerte et je doutais.

Je serrais sa main comme je serrais les lèvres, déterminée à ne pas pleurer, pas devant tous ces gens, toute ma future belle-famille. Je savais qu'ils ne m'aimaient pas, qu'ils ne me pensaient rien de plus qu'une fragile poupée blonde, trop belle, trop délicate. J'avais participé au Tournoi des Trois Sorciers, je faisais partie de l'Ordre du Phénix, je me battrais si on me le demandait. Je me serais battue ce soir si ça avait épargné à mon fiancé cette douleur. Mais peu leur importait. À leurs yeux, je restais un pot de fleurs : joliment décoratif, mais ultimement fragile et inutile.

Alors je refusais de pleurer devant eux.

Je m'agrippais à sa main comme un naufragé s'accroche à une branche, comme si ma vie en dépendait, comme si sa vie en dépendait. J'aurais tellement voulu le toucher ailleurs, soulager un peu sa douleur, comme je savais habituellement si bien le faire. Mais tout son corps était recouvert de plaies, certaines couvertes par des bandages, d'autres non. J'aurais voulu caresser son visage, son si beau, si doux visage, l'embrasser sur le front comme il aimait tant, mais je ne pouvais pas. Seule sa main avait été épargnée, c'était le seul endroit que j'osais toucher.

Je sentais un regard peser sur mon dos. Du coin de l'œil, je vis Ginny, les yeux plissés, le regard fixé sur moi. J'avais envie de me lever, de lui crier de regarder ailleurs. Que si son frère m'aimait, moi, cela ne voulait pas dire qu'il l'aimait moins, elle. Que j'aimais Bill, infiniment, profondément, comme elle ne pourrait jamais le faire. Que ça me tuait de savoir qu'elle ne m'aimait pas, qu'elle n'approuvait pas de moi pour son grand frère adoré. Que j'aurais adoré être la grande sœur qu'elle n'avait jamais eue, si seulement elle m'ouvrait la porte.

Que j'étais digne de Bill Weasley.

Mais ce n'était ni le moment, ni l'endroit de mettre à jour mes doléances envers ma future belle-soeur. Je voyais des larmes dans ses yeux méfiants, de la poussière sur ses vêtements, du sang séché sur sa joue. Elle aussi n'était qu'inquiète pour son frère. Je baissai à nouveau le regard vers mon fiancé.

Les conversations avaient continué autour de moi, un bourdonnement que j'entendais à peine. Mais une phrase pénétra la brume qui entourait mon cerveau.

— Il devait se marier !

Je levai des yeux incrédules vers Molly qui, un pot d'onguent à la main, regardait amoureusement le visage de son fils blessé, des larmes coulant sur ses joues rondelettes.

— Qu'est que vous voulez dire par là ? Qu'est-ce que vous voulez dire par il devait se marier ?

Molly tourna le regard vers moi comme si elle venait de se rendre compte de ma présence.

— Eh bien... maintenant..., bégaya-t-elle.
— Vous pensez que Bill ne voudra plus se marier avec moi ? demandai-je d'un ton impérieux. Vous pensez qu'à cause de ses morsures, il ne m'aimera plus ?

Je sentais sur nous les regards de tous les gens présents autour du lit, tous figés comme des statues, semblant attendre une explosion. Je posai ma main gauche sur le lit, mettant bien en évidence la bague de fiançailles qui ornait mon annulaire.

— Non, ce n'est pas ce que...
— Parce qu'il m'aimera toujours !

Je me levai, le rouge me montant aux joues, incapable de rester calme un seul moment de plus. Je n'étais pas une incapable, je méritais l'amour de Bill, il était temps que ma belle-famille l'accepte, de gré ou de force.

— Il faudra plus qu'un loup-garou pour empêcher Bill de m'aimer.
— Certainement, j'en suis sûre, dit Molly en reculant d'un pas, semblant inquiète par la façon dont mes yeux brillaient. Mais je pensais que peut-être... étant donné... la façon dont il...

Elle termina avec un geste vague vers le visage ravagé de son fils, qui n'avait pas bougé depuis le début de notre confrontation. Je la regardai un instant sans comprendre, jusqu'à ce que je saisisse son sous-entendu. Il ne m'avait même pas croisé l'esprit de laisser Bill à cause des évènements de ce soir, de ce qui serait sans doute une longue et pénible réadaptation. Je n'y avais pas accordé une seule infime petite pensée. Et pourtant, Molly avait l'air de croire que c'était ce que j'allais faire.

Une série d'émotions me traversa le corps. La déception d'apprendre qu'ils avaient une si basse opinion de moi, qu'ils croyaient que seul le physique de Bill m'importait. La honte, aussi, de savoir que même après les avoir vus plusieurs fois je n'avais pas réussi à leur faire voir en moi une belle-fille digne de ce nom. La peur que je ne serais jamais rien de plus à leurs yeux qu'une poupée de porcelaine sans profondeur, que mon mariage avec Bill serait synonyme de sa rupture avec sa famille.

Et, finalement, la rage de savoir que l'image qu'ils avaient de moi était fausse. L'envie de leur prouver qu'ils avaient tort.

— Vous croyez que je ne voudrais plus me marier avec lui ? Ou c'est peut-être ce que vous espérez ?

Molly baissa les yeux et je plissai les miens. J'avais visiblement touché une corde sensible. Je continuai :

— Qu'est-ce que ça peut me faire, son physique ! Je suis suffisamment belle pour deux, il me semble ! Ces cicatrices montrent simplement que mon mari est courageux !

Mon mari. Je baissai les yeux vers ma main qui tenait toujours la sienne, ma bague de fiançailles scintillant à la lumière des chandelles. Oui, cette soirée avait montré que le lien qui nous unissait était plus fort que tout. Plus fort que l'attaque d'un animal, plus fort que les doutes d'une belle-mère. Je serrai la main de mon fiancé. Mon mari.

Mes yeux se posèrent sur le pot d'onguent que Molly tenait à la main. Je tendis le bras pour m'en emparer, sans grande délicatesse, et elle tomba contre la poitrine de son époux.

— Et d'ailleurs, c'est moi qui vais m'occuper de lui!

Je pris un peu d'onguent sur mes doigts et lui caressai tendrement le front, espérant de tout mon cœur être ailleurs, dans d'autres circonstances. Que mon mari ne soit pas recouvert de sang, que je n'aie pas dix regards posés sur moi.

Que je puisse simplement l'aimer comme une femme aime son mari.