Coeur de Glace
-chapitre 1-
« Elle avait quelqu'un au fond du cœur que même la mort ne pouvait effacer. »
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Il était retourné sur Terre. Dernière mission clôturant l'épisode interminable du Hueco Mondo. Rapide visite histoire de vérifier que tout était de nouveau en ordre, que plus rien ne viendrait troubler le calme installé depuis quelques jours. C'en était même triste, ces rues animés, ces joies et sourires, le fait de sortir de chez Urahara sans stress, sans recherches… Non. Rien de tout ça. Juste le fait d'apprécier le cours chemin à pied, avant de retrouver celui du bureau et de la paperasserie. Un quotidien, des habitudes. Une vie sereine et sûre. Un peu banal, mais sympathique tout de même. Qui aurait préféré courir encore après les Arrancars ? Bon, certes, il y avait peut être Zarachi et sa division qui allait s'ennuyer… Mais lui ne pouvait refuser une telle offre.
Aussi il s'était vu attribuer avant ce mérite, une dernière obligation. Il revenait d'ailleurs de sa petite visite express auprès du marchand blond, ancien Capitaine de la douzième division. Rien à signaler. A croire que la paix s'était belle et bien installée sur la ville de Karakura. Une bonne nouvelle en somme. Il allait finir par croire que le Shinigami remplaçant aux étranges cheveux roux, alias Kurosaki Ichigo, attirait de lui-même les ennuis.
Il soupira alors avant de se stopper à un carrefour, attendant patiemment que le feu daigne virer au vert. Il était resté dans son Gigaï, un réflexe. Après tout c'était la première fois qu'il passait autant de temps dans le monde des vivants, d'habitude il s'y rendait quand rares occasions. Histoire d'aider des Shinigamis aux prises avec un Hollow surpuissant ou accompagner sa division dans des missions terrestres.
-Tu es perdu mon petit ?
Il sortit de ses pensées, fixant surpris la femme qui lui adressait un magnifique sourire, une de ses mains s'étant posés sur son épaule. Il fronça les sourcils avant de hocher négativement la tête. L'inconnue eut alors un haussement de sourcils avant de se détourner, traversant la rue. Quand au Shinigami, il fulminait en lui-même. Que les humains pouvaient être pitoyables ! C'était d'ailleurs aussi pour ça qu'il évitait leurs contacts, leurs faux sourires, leurs soi-disant connaissances… Non. Il n'était plus un gamin depuis longtemps. Qu'ils arrêtent de le voir comme un jeune écolier. La tête qu'ils feraient s'ils apprenaient son véritable âge ! Un sourire mauvais se peignit sur ses lèvres. Petite vengeance silencieuse. Enfin, c'était vite dit, vengeance !
Ses pas dérivèrent vers un coin qui lui était moins connu. Ordre d'en haut. Il devait encore rester un jour entier ici, sans compter celui qu'il avait déjà bien entamer. Alors autant en profiter pour faire connaissance avec le reste de la ville. Il avait de nombreuses heures devant lui après tout. Il remarqua alors la présence d'un cimetière, endroit où ces crétins d'humains enterraient les corps de leurs familles pour mieux pleurer sur leurs morts. Il soupira. Quitte à passer du temps il préférait la compagnie des cadavres plutôt que celle de ces hommes dont les seuls objectifs étaient de devenir beau, riche et intelligent. Autant dire que ce n'était pas gagné !
Il poussa le portail de fers, celui-ci grinçant dans un effroyable bruit de métal rouillé avant de se glisser à l'intérieur des lieux. C'est incroyable comme un son pouvait se stopper aussi vite qu'il était né. Ce fut cette impression qui le cueillit alors que la rumeur de la foule disparaissait, séparée des tombes par un mince mur et un portail vieux de cinq siècles. Mais après tout, c'était cette impression que dégageait un cimetière qui le rendait aussi intéressant et source de mythiques histoires apocalyptiques.
Il jeta un bref coup d'œil aux alentours avant de s'avancer dans la rangée principale. Un calme apaisant et un peu morbide régnait entre ses rangées de tombe. Comme un lieu coupé du reste du monde. Après tout, peut être que quelques âmes traînaient encore ici, en quête de repos, ce qui expliquerait cette sensation qui l'avait traversé en arrivant ici. La même impression que lorsque votre esprit se rappelle d'un ancien souvenir. L'impression de continuer à vivre malgré tout. Que notre existence ne s'est pas si vite effacer que l'on aurait pu le croire.
Il lâcha un nouveau souvenir, grappillant ça et là quelques noms oubliés ou bien effacés par le temps. Ayant une pensée pour ces tombes en ruines qui n'avaient plus personne pour s'en occuper et qui allaient disparaître bientôt, pour laisser la place à d'autres. La vie s'y résumait de la même manière. Chacun son tour et un autre suivra. Vivre pour mourir. Mourir pour vivre. Un simple cercle sans début ni fin. Certes, certains contestaient. Pour eux la naissance de l'homme était celle du cercle, et la mort, la fin. Mais était-ce vraiment vrai ? Ne vivions nous pas dans le but de remplacer ceux morts ? Ne mourrons nous pas pour permettre la vie ?
Il se secoua la tête, chassant ces quelques idées morbides qu'il avait tendance à avoir lors de promenades solitaires. Ce qui était rare. La plupart du temps, sa lieutenante le collait, sa voix forte à sa suite, son rire bruyant juste à ses côtés. Il ne se rendait jamais assez compte à quel point elle pouvait être fatigante. Mais après tout, c'était dans sa nature, et sa présence avait du bon.
Il se souvenait encore de leur « rencontre » plus qu'agitée. Encore une fois elle avait débarquée avec ses gros sabots, piétinait un pauvre vendeur innocent avant de l'envoyer, lui par le marchand, rencontrer le comptoir… Involontairement bien sûr. Elle possédait déjà cette tendance un peu trop démonstrative, le fait d'hurler pour pas grand-chose, de dépenser inutilement son énergie pour ce qui n'en valait pas la peine, de se donner à fond pour tout. Que ce soit dans le shopping ou le vidage de bouteilles. Malheureusement ce cas ne s'appliquait jamais aux feuilles d'administrations. Allez savoir pourquoi…
Et puis il avait découvert ses pouvoirs. Que le stade de Shinigami se trouvait juste devant lui, à portée de mains et que, si il le souhaitait suffisamment, il n'aurait eu qu'à tendre le bras pour s'en saisir. Cela l'avait surpris… Quelques minutes. Le temps de comprendre toute l'information. Après tout il avait toujours été différent des autres. Que ce soit dans l'apparence ou dans les étranges évènements qui parfois arrivaient en sa présence.
Tous liés à la glace.
A cette époque encore, il venait tout juste d'établir un lien avec Hyourinmaru. Il ne comprenait même pas pourquoi un dragon tout de verre gelé pouvait lui adresser la parole pendant son sommeil. Il était si vulnérable et faible. Attendant seul, au Rukongaï. Attendre quoi ? Un signe. Et ce signe avait été Matsumoto Rangiku.
Ah ! Et il y avait eu le jour de sa nomination. Comme il était fier, ne laissant transparaître aucune émotion sur son visage, se contentant de passer devant tous ces Shinigamis, la tête haute, arborant son haori de Capitaine. Il avait croisé le regard sombre, profondément surpris d'Hinamori. Quelle délectation ce moment là ! Et puis, il avait découvert que cette rousse à fort caractère se trouvait être son lieutenant ainsi que la salle secrète où personne n'avait droit d'entrer… Emplit de toute la paperasserie accumulée depuis la mort de l'ancien dirigeant de la dixième division. Son hurlement avait certainement dû se faire entendre jusqu'aux bâtiments de recherche scientifique.
Il eut un sourire, sortant de ses pensées. A croire que les lieux étaient propices aux souvenirs. Enfin, souvenirs… C'était vite dit. Pouvait t-on vraiment désigner ainsi des évènements datant de peu ? Non. Les vrais souvenirs étaient ceux de sa vie. Pas sa mort. Sa « vie », son existence… Et il ne les connaissait pas. Lorsque une âme arrivait au Seireitei, elle oubliait tout les évènements d'avant.
« Pas de regret ainsi ! » avait annoncé le Commandant du Gotei 13. Mais avait-il pensé au fait de regretter d'avoir oublié ? Lui-même se posait parfois la question. Qu'arrivait-il maintenant à sa famille d'avant ? Et celle qui l'avait mis au monde… Où était-elle ? Mais sa mémoire n'était qu'un puit vide qu'il devait combler avec les maigres aventures parsemant la banalité de sa vie quotidienne. Oh, il ne se plaignait pas de ça. Mais combien de temps lui faudrait-il pour combler dix ans de vie ? Un millénaire entier ?
Il se traita alors mentalement d'imbécile. Voilà un moment qu'il était mort. Moins que la plupart des Shinigamis, surtout pour les Capitaines. Mais plus d'une trentaine d'années environ. Ses parents devaient être morts. Si ce n'était pas idiot. Ils devaient être au Rukongaï, dans un district éloigné à moins qu'il ne soit proche… Mais trop loin pour ses yeux et sa mémoire.
Inconsciemment, la Soul Society pouvait être cruelle. Séparer ainsi les familles. Effacer les mémoires. Faire vivre les moins chanceux pauvrement. Pouvait-on vraiment la qualifier d'équivalant du Paradis ? Non. Mais cela devait être ainsi et ce n'était pas une vague opinion qui allait changer les choses. Si tout marchait de cette manière, c'est qu'il n'y avait pas meilleure solution. La paix devait passer par la souffrance. On n'obtenait pas ce que l'on voulait d'un claquement de doigt, il fallait se battre pour l'acquérir et c'était cela qui nous rendait aussi heureux lorsqu'on arrivait à le posséder.
Il releva alors brusquement la tête. Un bruit étouffé lui parvenait. La source devait se trouver plus loin dans les rangées, à l'abri d'une tombe, cachant sa présence. Il fronça les sourcils, ayant pour habitude de ne traiter que les problèmes qui le regardait, il aurait dû tourner les talons ou ignorer complètement ses pleurs retenus. Alors pourquoi se dirigeait-il en direction de la silhouette sombre, agenouillée devant une stèle de pierre ? Pourquoi cette sensation qui lui tordait les entrailles ? Pourquoi avoir cette impression de peur, de découvrir un secret qu'il n'aurait jamais du connaître ?
En silence, il s'avança dans la mince allée, ignorant les alentours, ses yeux fixaient sur la forme mince qui se trouvait au bout, au sol, les mains reposant sur les cuisses, la tête penchée. Il arrivait même, petit à petit, au fur et à mesure de sa marche, à distinguer les éclats des larmes salées, roulant librement sur des joues incroyablement pâles. Il reconnut en cette ombre, une femme. Une vraie. Ni jeune, ni très vieille. Elle était dans la force de l'âge, il aurait bien dit vers la quarantaine. Que pouvait-il bien lui arriver pour se mettre à pleurer ainsi telle une enfant ? C'était la question qu'il se posait.
Elle sembla sentir alors sa présence et releva doucement la tête. Ses yeux d'un superbe bleu marin rougis par les larmes. Ses cheveux longs lui tombant dans le dos en un fouillis indescriptibles de mèches d'un blond sale. Son visage était notamment caché en partie par une frange trop longue, en bataille. Un tee-shirt noir trop lâche, tombant sur un jean trop grand et de vieilles baskets fatiguées. Elle n'avait aucune allure. On aurait même dit un épouvantail, une adolescente en pleine crise de déprime. Mais non.
Et cette femme le fixait, les yeux écarquillés. Sa bouche s'ouvrit, mais aucun son ne parvint à franchir ses lèvres. Ses mains tremblaient comme secoués par une force invisible. Les larmes perlant au bout de ses cils, coulèrent de nouveau, comme redoublés. En silence. Un silence lourd et pesant.
Il ne savait pas comment réagir face à cette inconnue qui le fixait avec tant de surprise. Sa simple présence semblait la faire souffrir et il recula d'un pas, s'apprêtant à quitter cette allée, cette rangée, ce cimetière, cette ville, ce monde qui n'était finalement pas le sien. Il était mort. Pourquoi continuer à s'accrocher inconsciemment à ce qu'il avait connu avant ? A des souvenirs qui n'existaient même plus ? Il avait un monde maintenant. Des personnes qui comptaient pour lui et qui comptaient sur lui. Il ne voulait pas décevoir.
-To… To… Toshi… Shi… Toshirô… Onii…Oniisan…
Et tout s'écroula.
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« Il avait quelqu'un au fond de sa mémoire que l'oubli avait effacé. »
Disclaimer : Tite Kubo
- ?? : Xunaly
