Pour une histoire de corbeille de fruits
« Je ne te pardonnerais pas !... C'est ça, ce que tu veux entendre ? »
Pourquoi Tohru…
Pourquoi faut-il que tu sois toujours ainsi… aussi gentille… Surtout avec quelqu'un comme moi… Après tout ce que je t'ai fait endurer, toi tu te montres constamment gentille à mon égard… Je ne te comprends pas. Je suis responsable de la mort de ta mère, et toi tout ce que tu trouves à me dire c'est que tu ne m'en veux pas… Je ne comprends vraiment rien.
« Je ne te pardonnerais jamais. »
Elle avait raison de me dire ces mots, tu le sais au fond de toi Tohru. Si Kyôko m'a dit cela, elle en avait parfaitement le droit. Je l'ai laissé mourir… Et pire encore, si elle est morte, c'est de ma faute ! Ma faute ! J'ai l'impression que tu n'as pas saisi l'envergure de la vérité que je viens d'enfin t'avouer. Tu ne comprends pas… Si ta mère est morte, c'est entièrement par ma faute !
« Si jamais elle te l'a vraiment dit, alors… Moi… Je dois… me révolter contre elle ! Parce que sans ça, toi… Tu ne comprendras jamais… A quel point je t'aime ! »
Pourquoi m'avoir dit ces mots à cet instant précis ? Je venais de t'avouer ma responsabilité dans la mort de Kyôko, et toi, la seule chose que tu trouves utile de me dire c'est cela… Tu ne comprends pas… Non, tu ne saisis pas à quel point ce que tu me dis peut me faire souffrir… Je culpabilise déjà assez d'avoir tué la dernière famille qu'il te restait, alors si en plus tu me dis ces choses-là… Comment pourrais-je accepter tes sentiments et vivre normalement avec le poids du remord ? Vivre avec toi alors que je suis responsable de l'accident de ta mère… Non, je n'en ai définitivement pas le droit. Tu mérites bien mieux que moi. Tu mérites un homme capable de te protéger, de veiller sur toi, de te rendre heureuse, de te faire garder ce sourire éclatant que tu arbores si souvent… Je ne te mérite pas, voila tout. Il faudrait que tu t'en aperçoives enfin toi aussi…
« C'est… affligeant ! »
En y repensant, je pensais ce que je t'ai dit. Je savais que j'allais te faire souffrir, mais je n'avais pas le choix. Comment te faire renoncer à moi sans cela ? Je pensais qu'en te rejetant, tu finirais par être si blessée que tu te déciderais à aller voir ailleurs… Mais c'était bien mal te connaitre, Tohru. Même après tout ce que je t'ai fait, toi tu désires rester à mes cotés… Je ne m'en suis réellement aperçu que lorsque tu as eu cet accident, avec Akito, au bord de cette falaise…
« Ca ne peut pas se passer comme ça ! Je n'ai jamais voulu ça ! Tohru ! Reste avec moi ! »
J'avais cru voir ma vie partir en lambeaux à la vue de ton corps inanimé. Mon cœur avait cessé de battre, mes jambes tremblaient tellement que je ne pus rester une seconde de plus debout. Je tombais donc agenouillé près de toi. Je te regardais, mes larmes ont alors commencées à dévaler mes joues sans que je ne les retienne. Je m'étais penché au-dessus de toi, mes larmes retombaient lourdement sur ton corps blessé. Mais rien n'avait d'importance à ce moment-là, seule l'idée de te savoir partir loin de moi m'empêchait de respirer. Je ne m'imaginais pas continuer mon chemin sans toi, que tu ne sois plus de ce monde, que ton existence prenne fin ici alors que tu méritais tellement mieux.
Et c'est alors que j'ai senti ta main qui venait caresser ma joue.
« Je vais… bien… Tout… va… bien… maintenant… »
J'avais eu si peur que tu ne m'abandonnes, que tu ne partes définitivement… Si tu savais Tohru… Ça avait été affreux ces quelques secondes qui avaient précédées le moment où je t'avais finalement retrouvé, Yuki étant déjà à tes cotés. Pendant tout le trajet depuis la maison de Shiguré, j'avais complètement paniqué. Je présentais la pire, j'étais paniqué. Mais sentir la chaleur de ta main sur ma joue, dans cet effleurement aussi faible que tendre, mon cœur s'était à nouveau emballé. Mais de soulagement cette fois. Tu étais toujours là, toujours près de moi, toujours dans ce monde… Oh ce que je pouvais être heureux, c'était merveilleux…
Ta main avait faibli et avait commencé à retomber vers le sol, mais je l'avais arrêté en la serrant dans la mienne. Je sentais que tu étais encore faible.
« Arrête… »
« Non… Ça va. »
« S'il te plait… Ne dis rien. »
Et sans que je ne sache pourquoi, je m'étais penché vers toi et avais délicatement déposé mes lèvres sur les tiennes, dans une douce caresse désespérée. Je t'avais cru morte pendant un instant, alors je n'avais pas vraiment réfléchi à ce que je faisais. Je laissais parler mon cœur. La seule chose qui m'importait était que tu étais vivante. Vivante. Ce mot sonnait si bien. J'étais vraiment heureux, et en même temps si étourdi. Tant de choses s'étaient déroulés en si peu de temps… Je t'avais avoué la vérité sur l'accident de Kyôko, tu m'avais clairement exprimé tes sentiments, j'avais fui et t'avais repoussé, et tu avais eu cet accident… C'en était un peu trop pour moi. Il fallait que je respire un instant.
Puis, une ambulance appelée par Yuki était arrivée en trombe peu de temps après. Ils t'avaient embarqué sur leur brancard, direction l'hôpital le plus proche. Et moi, dans tout ça, j'étais resté bêtement planté sur place, te regardant t'éloigner au son du gyrophare. Je n'avais pas eu la force de bouger, mais j'avais quand même eu la force de me trainer péniblement jusque dans ma chambre dans la maison de Shiguré. J'aimais bien m'y isoler lorsque je voulais être un peu seul. Je m'étais assis au bord de la fenêtre et l'avais ouverte. La nuit était assez belle ce soir, c'était assez paradoxal tout de même. Toi, tu étais à l'hôpital, dans un état grave, et la lune brillait avec tant d'ardeurs que c'en était magnifique. Je n'osais pas croire que le monde continuait de tourner alors que toi tu allais si mal…
Mon monde à moi ne tournait plus vraiment. Plus sans toi. Plus sans le soleil qui l'anime.
Mais mes états d'âmes me paraissaient bien dérisoires. L'important c'était toi. Et de te savoir dans ce lit d'hôpital me donnait envie de cogner de toutes mes forces contre quelque chose, ou bien quelqu'un. Mais je me contrôlais tout de même, je renvoyais toute ma colère et la peur que j'avais ressenti en plein sur moi-même. Après tout, si tu allais si mal, c'étais entièrement ma faute une nouvelle fois. Il fallait croire qu'après avoir conduit Kyôko à la mort, il fallait que toi aussi tu la frôles de si près... J'étais peut-être la cause de tout ça, après tout. J'apportais peut-être la malchance à tout ceux qui m'approchait, ou peut-être seulement les personnes de ta famille.
Une pensée me vint soudain, comme une illumination, comme si au fond de moi je l'avais toujours su… Il fallait que je m'éloigne de toi, pour ton bien.
Oui… C'était ça la solution. Pour ta propre santé, il fallait que je ne t'approche plus. Cette pensée me donna un goût amer, mes yeux se tournèrent vers l'astre brillant au-dessus de nos têtes. Malgré mes sentiments, il fallait que je m'éloigne de toi, pour que plus jamais tu ne souffres à cause de moi. Ça me tuait de ne songer ne serais-ce qu'un instant que je ne croiserais plus tes prunelles chocolat… Mais il le fallait. Je ne voulais plus assister à la vue de ton corps blessé, je ne voulais plus voir tes larmes, ou ne serais-ce que ton air triste… Sans moi, j'étais persuadé que tout irait bien mieux pour toi, que plus rien ne pourrait t'arriver. Oui, j'avais pris ma décision : il fallait que je parte.
Et puis, à ce moment-là, sans que je ne le prévoie, Yuki entra précipitamment dans la pièce, l'air furieux.
« Pourquoi… t'es pas venu à l'hôpital ? T'es si bien que ça, ici ? 'Y a pas à dire ! T'es vraiment un idiot ! »
« Je me moque de ce que tu peux dire ! Ça ne changera rien ! Ma présence l'a fait souffrir. Je suis incapable de la protéger. Il vaut mieux que ce soit toi qui restes auprès d'elle. »
Sans que je ne m'y attende, Yuki m'avait violement frappé au visage, me projetant près du mur.
« Tu es 'incapable de la protéger' ! 'Protéger' ? Mais qu'est-ce que ça veut dire, hein ? »
Yuki me fixait avec un tel regard haineux, que j'en fus vraiment surpris. Je ne l'avais jamais vu sortir autant de ces gonds, c'en était presque effrayant.
« Que tu dois la rattraper quand elle tombe d'une falaise ? Que tu n'es content que si tu peux lui éviter en beauté de se faire écraser par une bagnole ? C'est vraiment ça que tu penses ? Alors comme ça, tu te prends pour un super-héros, hein ! Mais tu n'es qu'un petit chat idiot !
« Quoi ? La ferme ! Tu crois que c'est cause de qui, tout ça ? Moi je voulais être comme toi ! Toi qui es toujours si parfait, si impeccable ! Oui ! Je voulais seulement… Etre… comme toi ! »
« Tu plaisantes ? »
Sans que je ne puisse l'esquiver, Yuki m'avait fermement plaqué contre le mur, prêt à me frapper une nouvelle fois.
« Tu te moques de moi ? Mais… Tu te trompes ! Tu te trompes ! C'est… C'est moi ! C'est moi… qui voulais être… comme toi ! »
J'étais resté ébahi, tandis que Yuki relâchait peu à peu la prise qu'il avait sur moi. Je n'en revenais pas… M'étais-je trompé à ce point sur lui ? N'avais-je pas vu la vérité qui se cachait derrière ces traits si parfaits ? N'avais-je pas vu la rancœur qui habitait le cœur du « Prince » ?
« Pourquoi ? Pourquoi ? C'est moi qui voulais être comme toi ! Et toi… tu dis ça comme ça ? Et devant moi en plus ! Tu te moques de moi ? »
Yuki m'avait alors complètement relâché, mais j'étais resté pétrifier par la surprise, assis contre le mur.
« Toi tu es Kyô, et moi… Je ne peux être… personne d'autre que Yuki ! Et ça, il a bien fallu que je l'accepte… pour continuer à avancer ! »
Je le voyais serrer les poings, dans un état d'énervement extrême. Yuki avait alors violement exprimé sa folie furieuse en frappant le mur de son pied.
« Mais tu l'as protégée ! Tu l'as même merveilleusement protégée ! Elle te disait 'Je suis heureuse' ! 'Je suis contente' ! Ce n'est peut-être pas grand-chose ! Et ça ne fait peut-être pas de toi un super-héros ! Mais à tes cotés, Tohru… Elle… Elle souriait tout le temps ! Crois-tu que si j'avais été à ta place… c'aurait été pareil ? Tu sais parfaitement qu'il y a des choses que tu es le seul à pouvoir faire ! Alors ça suffit maintenant ! Ouvre les yeux… Et arrête de la faire pleurer ! Regarde les choses en face bon sang ! »
Le silence s'était abattu après la tirade de Yuki. Je n'osais pas déglutir, ni même faire un mouvement. Peut-être avait-il raison, après tout… ? Peut-être que ma vision de la manière dont je me dois de la protéger est erronée ? Peut-être que j'ai tout faux depuis le début…
« Qu'est-ce que tu attends pour y aller, hein ? Espèce de chat débile ! Vas-y ! C'est ton idole qui te l'ordonne ! »
Yuki semblait véritablement furieux, je ne le reconnaissais pas. Peut-être avait-il enfin extériorisé toutes ces peurs et son ressentiment dans les paroles qu'il venait de me lancer. Il semblait vraiment me penser complètement idiot. En temps normal, je ne me serais pas laisser insulter comme cela, mais les temps n'étaient pas normaux. Et je devais bien admettre qu'il avait raison, cette satanée souris… Ça m'en coûtait de me dire ça, mais il fallait voir la vérité en face. Je ne pouvais plus fuir, je ne devais plus fuir. Si les pensées de Yuki s'avéraient exactes, alors Tohru avait besoin de moi… Et j'avais encore plus besoin d'elle. Je ne voulais pas l'admettre, mais il m'aurait été difficile de m'éloigner d'elle si j'avais suivi mon raisonnement. Comment aurais-je pu faire pour vivre sans elle ? Vivre sans son sourire si doux, sans sa voix si mélodieuse, sa maladresse, sans toutes ces petites attentions innocentes et sa gentillesse… Non, vraiment, je n'aurais pas pu. Ça aurait été insupportable d'être ainsi éloigner d'elle, je ne m'en rendais compte maintenant que j'avais l'esprit plus clair. Yuki avait raison…
Sans un regard pour lui, je me précipitais à l'extérieur, déterminé, marchant droit vers l'hôpital.
Maintenant… Il faut que je commence à avancer…
J'avais eu beau tout faire pour aller voir Tohru à l'hôpital, mais j'avais négligé deux petits problèmes… Que Saki et Arisa se mettraient en travers de mon chemin.
Elles m'ont passé un savon monumental, m'ont traité de tous les noms, ont même menacés de me frapper avec une batte. Mais le pire, c'est qu'elles m'ont mis la responsabilité de l'accident de Tohru sur le dos. Comme si je ne savais pas déjà que tout était de ma faute…
Bien entendu, Yuki y a ajouté son petit grain de sable, et la machine s'est encore plus emballée. Je me suis donc retrouvé interdit d'aller la voir. Mais j'ai tout de même appris quelque chose de très important de la bouche de Saki… Tohru ne m'en veut absolument pas. Alors là, je ne comprenais pas. Elle ne m'en voulait pas ? Mais c'était complètement absurde ! Après tout ce que je lui ai fait subir, et elle ne m'en veut toujours pas ? Alors là, j'étais perdu. Elle était vraiment le genre de fille innocente mais en même temps si angélique. Je savais qu'un jour où l'autre sa candeur finirait par la perdre ou la faire souffrir. Mais je me dis que de toute manière je serais là près d'elle, et que je ferais tout pour lui éviter cela, qu'importe ce qu'il faudrait faire. Alors ce n'était pas deux grades du corps comme Saki et Arisa qui allaient me décourager ! Non, j'étais déterminé. Rien ne pourrait m'arrêter et se mettre en travers de ma route.
« Je crois qu'il est temps… que j'assume mes actes… »
Je m'étais détourné de la porte de la chambre de Tohru, lorsque Hatsuharu m'avait alors dit quelque chose de très véridique…
« Alors tu vas les écouter ? Tu n'iras pas la voir ? Kyô… Tu n'es qu'un idiot ! »
Une seule réponse me vint à l'esprit. La réponse qui reflétait parfaitement la réalité.
« Je sais… »
