Comme un couperet. La Une du journal ce matin. Une photo de Will et d'Alicia sortant d'un hôtel, l'extrait du passage où Alicia avouant de sa propre bouche qu'elle avait eu une relation sexuelle suivie avec son patron Will Gardner lors du procès de ce dernier. Elle n'y pensait plus. Depuis que la famille Florrick s'était réunifiée, elle n'y pensait plus. Depuis qu'elle s'était écartée de Will, elle n'y pensait plus non plus. Elle sentit son coeur battre à tout rompre, à la limite du malaise vagal. Elle pensait à Peter et à leurs enfants ainsi qu'à Will.

" Tu n'es qu'une salope ! ", lui criait Grace sur elle

Peter giflait Grace. C'était la première fois qu'il le faisait. Alicia venait de voir qu'elle avait perdu l'amour de Grace dans ses yeux. Elle allait monter dans sa chambre quand Peter la retenait.

" Tu t'excuses Grace ", lui dit Peter

" Que je m'excuse ? Que je m'excuse d'avoir des parents aussi minables qui se trompent mutuellement en espérant que l'autre fasse pire ? Que je m'excuse d'avoir une mère qui exclut ce père qui baise des putes en guise de leçon alors qu'elle s'envoie en l'air avec son patron dont elle est amoureuse ? Mais elle est où votre putain de conscience ? Elle est où votre moralité que vous nous inculquez ? Vous êtes tous les deux pareils de toute façon. Avec votre doctrine à la con 'nous restons pour les enfants' mais pensez à nous merde ! Vous croyez que ça nous plaît et qu'on s'en réjouit d'avoir des parents qui ne s'aiment pas et qui restent rien que pour nous ? C'est beau l'amour ! Elle est belle l'image de l'amour que vous nous vendez ! Et puis nous, on va encore s'en recevoir de partout, des critiques et des insultes. Allez vous faire foutre ! "

Alicia giflait Grace. De toute sa vie, c'était la première fois qu'elle le faisait. Grace montait dans sa chambre en prenant le soin de claquer la porte.

" Elle n'a pas tort ", rajoutait Zach resté silencieux mais dont le sang bouillait autant que sa sœur

Peter et Alicia giflaient chacun leur tour Zach. De toutes leurs vies, c'était la première fois qu'ils le faisaient. Zach montait dans sa chambre en prenait le soin de claquer la porte. Les parents pouvaient à peine se regarder.

" Je suis déçu Alicia. Déçu et vexé. Par toi. Nous savons tous les deux que Grace a raison. Bien que nous étions séparés, nous étions toujours mariés "

Alicia ne disait rien. Elle savait.

" Tu me disais que rien ne comptait plus que la confiance mais la confiance se doit d'être réciproque. J'ai vécu quatre ans à t'attendre Alicia, à être meilleur, à répondre à tes exigences dont je n'avais aucune idée en priant que tu me pardonnes et tout ça pour quoi ? J'ai été pris pour un con pendant que tu jouissais avec un autre. Si tu me l'avais dit, j'aurais pu le comprendre et te pardonner mais je ne te le pardonnerais jamais Alicia. Tu n'as jamais voulu divorcé alors tu te rends infidèle. Tu n'as pas tous les torts, j'en ai une partie mais ... "

Il restait silencieux un instant.

" Je ne peux pas Alicia. Ce n'est pas qu'une infidélité, c'est bien plus que ça et ce n'est pas parce que c'est Will non plus, ça aurait été pareil si ça avait été avec un autre. C'est un manque de respect envers moi qui ne demandait qu'à reprendre ma place, un manque de respect envers les enfants à qui tu leur inculques une morale et un manque de respect envers toi-même. Je divorce, que tu le veuilles ou non "

" Peter ", dit-elle dans la plainte

" J'ai fait tout ce que tu m'as demandé. Avoir une place pour nos enfants dans leur lycée bien que tu m'aies demandé de ne plus user de mes fonctions, de me présenter pour être gouverneur, ce que je suis, pour te venger de Kresteva. J'ai été petit quand tu m'as demandé de l'être, j'ai été grand quand tu me l'as demandé. Je me suis mis en quatre pour toi et tout ça pour quoi ? Pour faire ce que tu aurais dû faire quand tu as su pour moi "

Il avait les larmes aux yeux, il savait qu'il était en partie le déclencheur de cette vie chaotique mais il se sentait trahi.

" Tu n'as jamais supporté que tes parents aient divorcé mais au moins ta mère n'a jamais fait semblant d'aimer son mari en allant voir discrètement ailleurs. Tu es pire que ta mère Alicia parce qu'elle, elle assume. Il ne s'agit plus d'amour mais de responsabilité "

" Je t'aime "

A cette phrase qui peut être belle mais qui était moche venant de sa femme, Peter sortait de ses gongs.

" Tu m'aimes ? Tu m'aimes Alicia ? Si tu avais un tant soit peu d'amour pour moi, tu me l'aurais dit pour Will. Tu me l'aurais dit lorsque je t'ai dit mes derniers secrets. Je pourrais lui péter la gueule à ce con mais tu es entrée dans un jeu de séduction avec lui, un jeu de séduction que toi seule jouait parce qu'il t'aime Alicia. Même si je ne l'ai que rarement aimé, il t'aime et tu as joué avec lui autant que tu as joué avec moi. Les enfants ont raison : tu n'es qu'une salope qui a brisé le coeur de deux hommes. Tu as joué de nous, de nos corps et de nos coeurs pour ton plaisir personnel. Pourquoi ? Nous venger de ce que je t'ai fait ? Tu aurais pu le faire en baisant tous les hommes de Chicago mais pas en couchant avec un homme amoureux de toi. Pleure Alicia, joue ton rôle de victime, vas-y : lâche-toi, montre-moi comment tu excelles dans ton art, tu veux un peu de vin pour t'aider à mettre ton costume ? Je suis désolé que tu n'aies pas eu le temps de te préparer. Je vais voir les enfants en attendant mais sache que bien des gens ont souvent dit que je ne te méritais pas, ce qui peut être vrai mais Will ne te mérite pas non plus car il mérite mieux que toi "

Peter partait voir ses enfants tandis qu'Alicia restait là, figée. Je suis une salope et Will m'aime, se répétait-elle dans sa tête. Eli entra sans sonner ni frapper dans la maison et trouva Alicia seule, immobile dans ses pensées. A sa tête, il voyait qu'une dispute venait d'éclater. Elle se réveilla de ses pensées et dévisageait Eli.

" N'en rajoutez pas une couche Eli ", dit Alicia, les larmes aux yeux

" Je libère enfin ma conscience : j'ai sciemment effacé un message de Will qui vous déclarait son amour en vous disant qu'il était amoureux de vous et ce, depuis Georgetown ", lâcha Eli, soulagé

Alicia ne put que s'asseoir à cette nouvelle. Elle avait atteint son quota de nouvelles, bonne ou mauvaise, pour la journée.

" Pourquoi ? ", chuchota-t-elle

" Les intérêts de Peter "

" Alors, c'est ça ? Je suis une femme que l'on manipule pour que son mari puisse être au pouvoir ? "

" Vous l'avez toujours su Alicia et vous l'avez acceptée "

Oui, elle le savait. Mais se le dire tout haut en sachant que c'était bien vrai lui donnait envie de vomir. Elle se sentait corrompue. Elle avait dû taire ses sentiments envers Will pour que Peter puisse être ce qu'il est aujourd'hui et malgré tout, malgré le sacrifice de sa vie, il divorçait. Elle avait su qu'il le ferait, qu'il ne changerait pas d'avis sur le divorce.

" Vous pouvez divorcer de Peter maintenant "

" Il le fait, contre mon gré. Quand une femme trompe son mari, il faut divorcer et quand c'est le mari, il faut à tout prix pardonner et rester "

Eli regardait avec ses yeux ronds Alicia et souriait. Il connaissait la tentation d'Alicia ainsi que son abandon auprès de Will.

" Vous pouviez divorcer Alicia. Et vous n'êtes pas d'accord ? "

" Non "

" Pourquoi ? Will est libre aussi. Vous pourriez être enfin ensemble tous les deux. Les enfants sont au courant maintenant. Malgré le scandale, vous devriez vous réjouir "

" Je vous giflerai bien Eli "

Le souffle d'Eli fut coupé. Ils restaient silencieux.

" Vous avez vu Will ? ", demandait Alicia

" Non. Vous ne l'avez pas appelé ? "


Brouhaha incessant, attaques personnelles sur ma vie privée, insultes et menaces. Merci sincèrement Alicia de m'avoir dit que tu avais dévoilé au grand jury que nous avions eu une relation, ça m'évite d'avoir de telle surprise. Une putain de grosse surprise dont je ne m'attendais franchement pas. Comment lutter contre ça vu que tout le monde est désormais officiellement au courant ? Je m'attends à voir courir Eli en furie dans cette salle de conférence me disant que faire mais il n'y a plus rien à faire. Ca sera l'occasion de tout dire à la face de ce monde, dont Alicia Florrick. Merci également de m'avoir téléphoné pour m'avertir mais non, c'était bien mieux que moi, Will Gardner, fasse face à une bande de journalistes hargneux en bas de chez moi pour connaître les détails intimes que nous avons partagé. Les partenaires en face de moi sont censés être des êtres sensées. Je vois de là de l'agressivité voire de l'animosité, j'en conclus qu'on descend bien du singe et du mouton dans l'imitation de l'autre. Heureusement que personne n'a de livre, je m'en serais reçu un en pleine tête. Bien qu'ils aient leur téléphone en main, ils n'oseraient jamais lancé leur excroissance de leur cerveau contre le mien.

" Je l'aimais ", finis-je par avouer en criant

Tous ces regards tournés vers moi, ce silence absolu après le grabuge. Je me sentais vide avec l'envie de disparaître. Avouer publiquement ses sentiments à d'autres. Leurs regards étaient désormais dénués de jugement et de colère.

" Ca change tout ", disait Howard

Ils comprenaient. Ils étaient passés du regard haineux à un regard compatissant. Ca en était bouleversant. Ca me faisait bizarre d'avoir dit tout haut devant quelqu'un, enfin devant tout le monde, ce que je ne pouvais pas dire tout haut à Alicia ou du moins ce qu'elle ne voulait entendre et encore moins écouter. Cet amour que je devais éteindre mais qui me brûlait. Cet amour disparu fort heureusement lorsqu'elle disparut de ma vue, de ma vie et de mon cabinet, comme si elle avait tout pris, me laissant enfin seul avec moi-même et plus rien à lui offrir. Une libération, une liberté. Je n'avais pas cherché à la retenir parce que je ne le voulais pas, parce qu'elle ne le voulait pas. C'était l'occasion d'en finir entre nous deux. Définitivement. Je n'avais pas cherché à le revoir et lors de nos rencontres, je n'éprouvais plus rien, à mon grand soulagement, comme si en partant, elle avait lâché ce que j'avais plus de précieux, que mon souffle est revenu, la douleur disparue. Comme si ma maladie s'était guérie, Alicia était mon poison que je m'infligeais à dose mortelle chaque jour sans que je ne me rende compte de sa dangerosité.


Grace et Zach n'avaient pas parlé à Alicia depuis le premier jour du scandale. Peter avait emménagé dans ses appartements de fonctions, ses enfants l'avaient suivi. Ils sont partis sans lui dire au revoir en apportant toutes leurs affaires, laissant vide leur chambre. Alicia ne les avait pas revu depuis qu'elle et Peter avaient giflé leurs enfants. Elle ne cessait de penser à eux. Ils ne répondaient pas à ses appels téléphoniques, ni aux emails et à chaque fois qu'elle se rendait chez Peter, personne n'ouvrait la porte. Peter avait annoncé publiquement leur divorce sans qu'il ne la mette au courant. Elle avait également été évincée de ses activités dans son cabinet pour le bien du cabinet. Elle ne voyait plus qu'un seul recours pour ne plus être la méchante Alicia.


Mon téléphone sonnait. Bien trop tard à mon goût. Alicia. Je décrochais à contre-coeur. C'était la dernière personne sur cette Terre que je voulais voir.

" Will Gardner ", dis-je, comme pour lui mettre une barrière

" C'est Alicia "

Je ne dis rien. J'attends.

" Nous devons parler "

Oh oui, nous devons parler depuis que tu as pris tes fonctions chez moi soit quatre voire cinq ans maintenant, déjà.

" Parlons alors ", dis-je

" Face à face "

Oh non. Je sais très bien ce qu'elle va me dire. J'ai vu la conférence de presse de Peter qui informait le monde de son divorce avec Alicia. Sainte Alicia. J'ai souri en attendant ça : la femme ne peut pas divorcer et doit donner une deuxième chance à son mari après une infidélité tandis que le mari divorce sans pardon.

" Nous pouvons le faire là au téléphone "

" S'il te plaît Will "

Je ne dis rien. Je n'ai pas envie de la voir. J'aurai dû courir comme un âne qui tente de manger cette carotte en face de lui mais je suis devenu cet âne dégoûté par les carottes.

" Chez toi à 21 heures ? "

" Non, pas chez moi ! "

" Chez moi alors ? "

" Non plus "

Chez ni l'un, ni l'autre.

" Où alors ? "

Je n'en sais rien. Je ne veux tout simplement pas te parler.

" Maintenant, au Cloud Gate ", lui dis-je

" En public ? "

Je sais parfaitement pour quoi elle m'appelle maintenant.

" C'est maintenant ou jamais "

" J'y serai dans quinze minutes. A tout de suite ", me dit-elle

Je raccroche. J'aurai dû lui préciser que ça ne servait à rien de se faire belle ni de rajouter une couche de rouge à lèvres supplémentaire ou de parfum en plus.

Je suis au Cloud Gate et j'attends. Je suis juste vêtu d'un jean et d'une chemise à carreaux, avec mon blouson par dessus et d'une paire de baskets. Je mange un sandwich assis sur les rares marches parce que j'ai faim. J'ai l'impression d'être un touriste dans ma propre ville. Des japonais avec leur casquette Chicago vissée sur la tête m'ont demandé juste avant de les prendre en photo avec pour arrière plan le Bean. Ca fait longtemps qu'on ne m'avait pas fait le coup. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où j'ai quitté le sol américain pour jouer les touristes dans une ville inconnue.

" Bonjour ", me dit-elle

Je la regarde en mâchant et lui fait un signe de la main. Elle sait que je déteste parler en manger. Elle est vêtue d'une robe de celle qui ne bouge pas avec le vent. En regardant une collègue féminine il y a quelques jours, je me suis dit que ces robes étaient comme des maillots de bains qui donnaient l'impression que la femme retenait son souffle pour ne pas montrer ses rondeurs à croquer, j'ai trouvé ça laid, uniforme et strict. Je préférais les robes légères, de celles que le vent fait tourner au point de faire tourner mon monde en entier. Alicia s'assoit à côté de moi. J'ai des effluves de son parfum qui me chatouille les narines, je n'aime plus non plus.

" Tu vas bien ? ", me demande-t-elle

Je hoche affirmativement la tête. Je termine de mâcher.

" Et toi ? ", lui demandais-je

" Les enfants ne me parlent plus, je divorce. Sinon, tout va bien "

Rien de surprenant. J'attends désespérément à me demander si je dois croquer dans mon sandwich. Je ne vais me priver pour elle, je m'apprête à poser mes dents sur mon sandwich quand :

" Les journalistes ne t'ont pas trop ennuyé ? "

" Tu es plus intéressante que moi "

Elle sourit. Je croque. Mon sandwich, pas Alicia.

" L'ancienne femme bafouée qui se retrouve au banc des accusés. Quelle ironie ! "

Je souris et mâche.

" Ta mâchoire craque toujours autant "

Ma mâchoire a toujours craqué quand je mangeais ce genre de sandwich.

" Tu devrais aller voir un ostéopathe ", rajoute-t-elle

Oh mais quelle gentille attention Alicia. Mon niveau d'amour pour toi est à zéro et le niveau est bloquée.

" Je n'ai pas mal "

" Tu resteras bloqué un jour "

" Je consulterai ce jour-là "

" Je t'y emmènerai "

Je souris malgré moi. Nous y voilà. Je l'attendais. Nous nous regardons. Elle avait le sourire aux lèvres. Un sourire commercial. Je finissais mon sandwich et buvait mon soda.

" De quoi voulais-tu parler ? "

" De nous "

" Il n'y a plus de nous "

J'espère qu'elle voit ma sincérité dans mes yeux. Son sourire se dissipe mais qu'importe, je ne vais pas lui mentir ni me mentir.

" Je suis presque divorcée. Je suis prête à vivre quelque chose avec toi "

" Je ne veux plus rien vivre avec toi Alicia. Je ne t'ai pas oubliée, je ne t'oublierai jamais, je ne nierai jamais notre histoire mais je ne veux plus vivre avec toi "

" Pourquoi ? "

" Je ne sais pas "

" Il y a bien une raison "

" L'amour est éphémère si on ne l'entretient pas. Il se dissipe aussi vite qu'il apparaît si on ne le saisit pas en vol "

Elle me regardait avec ses yeux grands ouverts, son point d'interrogation sur le visage.

" Je ne t'aime plus Alicia "

Je suis soulagé de le dire. Définitivement soulagé. Définitivement libéré. Elle paraît estomaquée.

" Tu ne peux pas ne plus m'aimer "

" Et pourtant, c'est le cas. Je savais que tu viendrais à moi quand Peter divorcera de toi. Je ne suis qu'une alternative, une pièce de rechange, un plan B. Je ne suis pas le choix de ton coeur car si je l'avais été, tu aurais quitté Peter pour être avec moi "

" C'est plus compliqué que ça ne l'est "

" C'est compliqué que parce que tu veux que ça le soit. Je ne suis pas le problème à tes problèmes. Tu es le problème à tes problèmes. Les miens sont réglés. J'ai tourné la page, j'ai brûlé le livre et expédié les cendres dans le Michigan. Fais-en autant Alicia. Ca ne pourra te faire que du bien "

" Tu as quelqu'un dans ta vie ? "

" Ca n'a aucun rapport "

" Comment elle s'appelle ? "

" Je n'ai personne Alicia "

" Essayons au moins "

" Non "

" Une chance, Will. Juste une "

Je la regardais.

" Nous l'avons déjà eu cette chance. Regarde ce que tu en as fait "

" Ce que j'en ai fait ? "

" Tu m'avais Alicia. Tu aurais pu faire de moi absolument tout ce que tu voulais. Je ne demandais qu'une chose : que nous nous aimions. J'ai trop attendu. Je suis comme une plante : pour ne pas qu'elle fane, il faut l'arroser, passer du temps avec, lui parler, la mettre au soleil. Mon exemple est absolument très con, je le conçois mais je ne peux pas trouver mieux. Je ne suis pas une plante qui peut vivre dans le désert à se nourrir d'indifférence et d'abandon voire de mépris. Les larmes que tu verseras pour nous ne me fera pas ressusciter la fleur qui ne demandait qu'à s'épanouir avec la tienne. Je renais de mes cendres, je pousserai ailleurs dans une terre inconnue "

" Et moi alors ? Tu ne crois pas que j'avais besoin d'être arrosée ? "

" Tu as refusé d'être arrosée "

" J'aurai pu me noyer "

Silence. Déséquilibre entre l'offre et la demande.

" Le mauvais timing, nous nous le sommes imposés. C'était notre bonne excuse pour ne pas être ensemble. Mais maintenant, nous n'avons plus d'excuse puisque l'un de nous n'aime plus l'autre "

" Je n'aurais jamais dû partir du cabinet "

" Justement, si. Tu as fait le bon choix. Dans quelques semaines, tu seras indépendante, libre. Tu pourras en profiter pour te recentrer sur toi "

" Tu veux que je souffre autant que de toi ? Que je sache ce que ça fait d'attendre une personne ? C'est ça ton but ? "

" Tu pourras toujours m'attendre, je ne viendrais jamais "

Nous n'avions pas élevé la voix une seule fois. Nous restions silencieux avec mes paroles en suspension dans l'air.

" Eli a effacé le second message "

" Quel second message ? "

" Celui où tu dis que tu m'aimes et ce, depuis Georgetown "

" Tu savais ce que je disais de toute façon "

" C'était si dur de me le dire en face ? "

" Je te l'ai dit plus tard, tu ne m'as pas écouté. Je ne suis qu'un plan cul. Le mec avec qui on se sent bien, en qui on a confiance, avec qui on souhaite réaliser ses fantasmes mais pas une vie ensemble "

" J'étais prête à quitter Peter si tu m'avais répété mot pour mot ce qui tu as laissé sur mon répondeur "

" Quitter ou divorcer ? "

Je la regardais.

" Tu pouvais le faire quand nous étions ensemble "

Une question m'inondait, j'étais terrifié de connaître la réponse car je pense la connaître.

" M'aimes-tu ? "

Le silence était pesant. Je devais arrêter ce massacre.

" Si tu m'aimes, tu accepteras l'idée que je ne t'aime pas comme moi je l'ai fait en acceptant que tu sois avec Peter parce que je voulais juste que tu sois heureuse et même si ce n'était pas avec moi "

Elle ne disait rien et me dévisageait.

" Oui Alicia. Ca va jusque là l'amour. Certains diront que c'est de la lâcheté mais ce n'est rien d'autre que de l'amour. Tu prétendais rester avec Peter, j'ai accepté. Tu as brisé notre relation, j'ai accepté. Tu n'as jamais vu à quel point j'en ai souffert, j'ai payé ton adultère en étant suspendu six mois. J'ai été tout ce que tu voulais que je sois car tant que j'avais ma place à tes côtés, je l'acceptais. J'ai toujours imaginé qu'un jour tu partes et ce jour, j'ai rêvé que j'en mourrais. Et puis ce jour est arrivé et je ne suis toujours pas mort. C'est comme si quelque chose avait été réactivé en moi. Comme si je revivais "

Elle ne disait toujours rien.

" M'aimes-tu Alicia ? M'as-tu déjà aimé pour ce que je suis et non pour ce que nous avons fait ensemble ? "

Elle semblait réfléchir. On ne réfléchit pas à ces questions.

" Je suis allé chez toi quand Grace a disparu et quand je vous ai vu tous les trois ensemble, j'ai su que je n'aurais jamais eu la place que j'espérais. Nous disons des femmes qu'elles sont soit mères, soit maîtresses d'un homme et à cet instant précis, j'ai su que je ne serais jamais rien d'autre que ton amant et ce, bien que je sois un homme. J'aurai pu te prouver que tu pouvais compter sur moi pour n'importe quoi. J'aurai été ton infirmier quand toi tu aurais été malade, j'aurai été ton chauffeur pour nos escapades, j'aurai été amant quand tu aurais été femme, j'aurai été beau-père pour tes enfants, j'aurai été mécanicien pour ta voiture. Tu ne veux pas de moi. Et je ressemble à n'importe qui quand mes rêves éclatent. Tu me savais plus engagé que toi, tu savais que je voulais plus mais j'étais celui qu'on cache comme une perversité. Le mauvais timing vient de toi "

Quelques larmes coulaient sur son visage. Que je ne ramassais pas.

" Aimons-nous "

Elle n'a rien compris.

" L'amour, ce n'est pas comme du sexe. Ce n'est pas mécanique, c'est chimique. Il n'y a plus de chimie, d'alchimie, de tension. Le magicien est mort. Il n'y a plus rien. Juste un souvenir "

Nous restions longuement silencieux. Trop à mon goût. Je me levais en prenant mes déchets. Je regardais assise là devant moi Alicia.

" J'espère que tes enfants te parleront. Dis-leur la vérité s'ils te la demandent. Ne leur cache rien. Ils la méritent bien plus que ces journalistes "

Elle me regardait, l'air suppliant.

" Sois heureuse Alicia. Si tu veux l'être, tu le peux "

" Pas sans toi "

" Aucun obstacle n'est sur ta route pour être heureuse "

" Il y a toi. Toi qui ne veut pas de moi. Tout arrive comme tu l'as toujours espéré et voilà que tu fuis sans doute par manque de courage du fait que tes rêves se réalisent "

Je m'agenouillais face à elle et plantais mon regard dans le sien.

" Je n'ai plus le coeur qui palpite quand je regarde tes yeux. Je n'ai plus envie de t'embrasser quand tes lèvres bougent. Je n'ai plus envie de mettre ma main dans la tienne quand tu marches. Je ne fais plus de rêves érotiques te concernant. Je ne peux pas m'excuser de ne plus t'aimer Alicia. Je ne peux pas m'excuser de ne pas vouloir faire ma vie avec toi. Je ne t'ai jamais rien promis "

Elle ne disait toujours rien. Elle me regardait, comme perdue. Je ne pouvais pas l'aider.

" Je dois y aller Alicia. A bientôt "

Je me levais et partais en prenant le soin de jeter mes détritus à la poubelle. Alicia me dépassait en courant et se plantait devant moi. Je la dévisageais. Son maquillage coulait. Elle m'embrassait. Je ne l'embrassais pas. Elle s'accroche désespérément à moi en tentant de m'y faire participer. J'ai posé mes mains sur ses bras et je l'ai écarté de moi. Je sentais que je fronçais les sourcils, j'essayais de m'adoucir mais je n'y arrivais pas. Il n'y a plus rien à en tirer de moi. Je viens seulement de comprendre qu'à sa façon de s'accrocher à moi, Alicia n'a jamais eu peur de divorcer mais d'être tout simplement toute seule. Elle avait perdu son mari, ses enfants ne lui parlaient plus et son ancien amant que j'étais ne l'aime plus.

" Je te demande juste de m'aimer ", me dit Alicia

Elle me faisait franchement pitié.

" Tout ira bien Alicia. N'aies pas peur. Tu as du temps désormais devant toi. Repense à tout ça, prends du recul, comprends ta vie et ensuite avance. Je dois vraiment y aller "

Car pour moi, ce n'est pas le tout mais je veux voir ce film au cinéma. Je la sers dans mes bras pour lui donner le courage nécessaire. Je me souviens lorsqu'elle m'a quitté, j'aurai aimé être plus longtemps dans ses bras, aujourd'hui, c'est l'inverse. Cette étreinte m'était désagréable mais c'était le dernier service que je rendais à Alicia.

" Prends soin de toi Alicia "

Je partais. Au cinéma. En y repensant, elle n'a pas prononcé une seule fois mon prénom. Je le savais : elle ne m'a jamais aimé. Pas du même amour que je lui portais. J'avais passé ma vie à l'attendre. Ma vie s'arrêtait à notre histoire. Quelle connerie !