Disclaimer : l'univers de Pirates des Caraïbes appartient à Walt Disney.
Rating : T car des sujets assez sombres risquent d'être évoqués, mais sans descriptions précises.
Chapitre 1
Le Queen Mab
Elizabeth Turner, née Swann, attendit que son époux ait fini de marteler son enclume pour signaler sa présence dans la forge.
« Will ? Il serait temps de te préparer. Le dîner de père commence dans une heure. »
Will leva les yeux de son travail et son visage s'éclaira brièvement à la vue de sa femme.
« J'arrive. Je ne voudrais surtout pas faire mauvaise impression alors que la bonne société de Port Royal semble enfin commencer à accepter que je fasse partie de leur paysage quotidien, » déclara-t-il d'un ton qu'il essayait de garder léger, tout en rangeant soigneusement ses outils.
Il rejoignit Elizabeth en deux pas souples.
« Je ne te prend pas dans mes bras, j'ai les mains sales, s'excusa-t-il. Qui honorerai-je de ma compagnie, ce soir ?
– Il y aura les Blackwood. Tu sais, ce couple à l'air perpétuellement pincé qui était à notre mariage.
– Un des nombreux couples à l'air perpétuellement pincé qui était à notre mariage. J'imagine que je les reconnaîtrai quand je les verrai. Qui d'autres ?
– Les Forrester… Madame a toujours l'air pincé, mais son mari, non. Le colonel Fisher. Oh, et Père a dit que Norrington viendrait peut-être. »
Will leva les sourcils.
« Vraiment ? Il doit aller mieux alors, non ?
– Je l'espère », répondit Elizabeth, l'air sombre.
L'équipage de L'Intrépide avait alimenté les ragots de tout Port Royal ces derniers mois. Alors qu'il se nettoyait vigoureusement en essayant de se rendre suffisamment présentable, Will se remémora ce qu'il savait des événements.
Norrington avait tenu parole après l'évasion de Jack Sparrow. Lui laissant une pleine journée d'avance, il avait lancé son équipage à sa poursuite, mais celle-ci avait tourné court. Lors d'une escale à Nassau pour refaire le plein de vivres, Norrington avait entendu parler d'un navire pirate, le Queen Mab, dont le capitaine, répondant au nom d'Ephraïm Dougan, avait consciencieusement massacré les habitants de plusieurs petits villages de pêcheurs de la région.
Le commodore avait alors décidé d'abandonner la piste de Sparrow pour se concentrer sur ce qui lui paraissait la plus grande menace pour la sécurité des honnêtes citoyens de l'endroit. Il avait envoyé un message au Gouverneur l'informant de son changement de cap, et pendant presqu'un an il n'y eut plus d'autres nouvelles du navire.
Alors qu'une partie de la ville se rongeait les sangs tandis que l'autre avait déjà rangé L'Intrépide et son équipage au rang des pertes et profits, exigeant de l'Amirauté qu'elle envoie de quoi les remplacer, le vaisseau de la Royal Navy était enfin rentré au port, le Queen Mab en remorque. La population de Port Royal avait alors constaté avec ahurissement l'état pitoyable du navire et des hommes qui le manœuvraient. Des quatre cents hommes environ présents au départ, il n'en restait plus qu'une petite trentaine, en haillons, et tous blessés à des degrés divers. Mais ce fut surtout leurs récits évasifs et leur attitude après leur réapparition qui marqua les esprits.
Norrington se contenta d'un rapport succinct dans lequel il expliqua que la poursuite avait duré des mois avant qu'il ne parvienne à rejoindre le Queen Mab. S'en était suivi une rude bataille durant laquelle Dougan et ses hommes avaient perdu la vie. Après quoi le commodore avait donné sa démission. Avec les parts de prises accumulées au cours de sa carrière, il avait de quoi vivre agréablement quoique sans excès, et n'en demandait désormais pas plus. Le lieutenant Groves, seul autre officier survivant, avait également quitté ses fonctions pour rejoindre sa famille au Pays de Galle. Le chirurgien du vaisseau s'était pendu peu après son retour, et les autres rescapés vivotaient tant bien que mal, ne montrant aucun désir de reprendre la mer et se fermant comme des huîtres dès qu'on essayait d'obtenir des précisions sur leur aventure.
C'était cela le plus étrange, songea Will en revêtissant son meilleur habit. L'équipage de L'Intrépide avait affronté sans faiblir, peu de temps auparavant, une horde de pirates squelettiques incapables de mourir. Que leur était-il donc arrivé pour que les quelques survivants soient à ce point traumatisés, pour que Norrington abandonne une carrière jusque-là si brillante ? Il arrivait évidemment de temps en temps qu'un homme craque face à la rude vie de marin et ses dangers incessants, mais une trentaine d'un coup ?
Estrella, la femme de chambre d'Elizabeth, tenait de la cuisinière de l'ancien commodore que ce dernier passait désormais ses journées assis dans un fauteuil à fixer le vide, et ses nuits à faire des cauchemars, tirant du lit toute la maisonnée par ses hurlements.
En tout cas, ce n'était pas ce soir qu'il découvrirait la vérité. Il avait encore du chemin à faire pour être accepté comme gendre du gouverneur de Port Royal et ce n'est pas en mettant un sujet aussi délicat sur le tapis qu'il y parviendrait, se dit-il alors qu'il apercevait par la fenêtre la voiture que Weatherby Swann leur avait envoyé.
…
Ils étaient les premiers arrivés, mais peu après avoir chaleureusement serré sa fille dans ses bras et salué avec politesse quoiqu'un peu sèchement son gendre, Weathervy Swann dût accueillir les nouveaux venus.
« Je suis ravi de vous revoir parmi nous, James, » déclara Swann en secouant vigoureusement la main de l'ancien officier.
Quand celui-ci la dégagea, Will remarqua qu'il y manquait deux doigts, l'auriculaire et l'annulaire. Il afficha néanmoins un air dégagé et dépourvu de toute curiosité pour saluer l'homme qui avait été son rival dans le cœur d'Elizabeth.
Norrington le mettait mal à l'aise. Il y avait eu un temps où il l'avait admiré, suivi d'une époque où il lui avait voué une jalousie féroce. À présent, il ne pouvait plus que le plaindre. Il lui avait été reconnaissant de lui avoir laissé l'occasion d'épouser Elizabeth, et avait souhaité qu'après cela, Norrington trouve lui-même le bonheur. Pas seulement parce qu'il le méritait, mais parce que cela aurait atténué le sentiment de culpabilité qu'il abritait à son égard depuis ce fameux jour à Fort Charles. Il savait que sa femme abritait le même genre de pensées. Il suffisait à présent d'un regard sur les épaules tombantes et le visage amaigri aux yeux morts de Norrington pour comprendre que l'occasion ne se présenterait sans doute jamais.
Le dîner fut mortellement ennuyeux. Non que Will eut jamais apprécié ce genre de réception où il se sentait comme un poisson hors de l'eau, mais cette fois-ci les convives semblaient s'être donnés le mot pour n'aborder que les sujets les plus anodins, tout en jetant des coups d'œil à la dérobée en direction de Norrington, comme s'il menaçait d'exploser d'une seconde à l'autre.
« Savez-vous quand sera nommé le nouveau commodore, Gouverneur ? » lança soudain Mrs Blackwood.
Swann se tira de la dégustation de sa part de gâteau, pris au dépourvu par la question.
« Oh, j'ai reçu une lettre de l'Amirauté. Ils nous envoient quelqu'un, un amiral, en fait. L'amiral Ferguson.
– Ferguson ? »
Norrington venait de lever les yeux de son assiette où il jouait avec la nourriture depuis dix minutes sans rien avaler. Son visage s'était légèrement éclairé.
« Oui, Ferguson, répété Swann, rassuré par l'expression de l'ancien commodore. Le connaissez-vous ?
– En effet, j'ai eu l'occasion de servir sous ses ordres, lorsque j'étais aspirant. C'est quelqu'un de très bien. Vous n'y perdrez pas au change, ajouta-t-il avec un sourire aigre.
– Et a-t-il de la famille ? intervint Mrs Forrester.
– Il est marié, mais sans enfant. Son fils est mort il y a des années, lors d'une bataille navale.
– Oh, comme c'est dommage, » fit Mrs Forrester en reprenant du gâteau.
Will vit Elizabeth jeter à la femme un regard méprisant. Tout ce qui intéressait Mrs Forrester, c'était trouver un beau parti pour sa fille. Norrington avait fait un bon candidat, jusqu'à récemment, mais il n'était désormais plus question d'y penser. Et l'arrivée de Ferguson n'amènerait même pas un peu de sang neuf.
« J'ai hâte de le voir arriver, déclara Mrs Blackwood. Le capitaine Hardwick est compétent, j'imagine, mais quelqu'un capable de commander une flotte c'est autre chose. Je me sentirai bien plus en sécurité, alors. »
Le visage de Norrington était impénétrable, mais ses mains tremblaient légèrement. Le gouverneur Swann affichait un sourire crispé, espérant sans doute voir le dîner se terminer avant qu'il ne dérape.
Un peu plus tard, dans le grand salon, Will sortit prendre l'air sur le balcon, tandis que les autres invités fumaient un cigare en attendant que les femmes les rejoignent. Personne ne faisait l'effort de l'inclure dans la conversation, et il ne ferait pas celui d'essayer de s'y incruster.
« Oh, excusez-moi. Je ne vous avais pas vu. »
Norrington venait de sortir à son tour.
« Ce n'est rien. Vous voulez être seul sans doute ? J'allais rentrer », balbutia Will.
Norrington eut un sourire sans joie.
« Vraiment ? Dîtes-moi, j'ai besoin d'un point de vue neuf sur cette compagnie. Sont-ils tous aussi odieux qu'ils me le paraissent ou suis-je seulement devenu aigri ? »
Will hésita. Il avait beau avoir épousé la fille du Gouverneur, il n'était toujours qu'un forgeron. Pouvait-il critiquer ouvertement les membres de la bonne société de Port Royal devant l'un d'eux ?
« Je suis certain qu'ils sont charmants. Entre eux, dit-il finalement.
– Ils savent s'y prendre pour vous faire comprendre que vous n'avez pas votre place parmi eux, n'est-ce pas ? J'imagine que j'aurais fait de même si… »
Norrington s'interrompit un instant.
« J'ai eu tort de venir. Je pensais que… Enfin, il est temps que je rentre. Bonsoir, Mr Turner. »
Avec un brusque salut de la tête, il fit demi-tour, laissant à Will l'usage du balcon pour lui seul.
…
Paddy Shaughnessy remonta la barque sur la plage, frissonnant malgré la chaleur de la nuit. Il était en retard pour le dîner, et son père n'allait sans doute pas manquer de le punir. Alors qu'il s'apprêtait à regagner en courant le petit village de pêcheurs où il vivait, un bruit étouffé de conversation attira son attention. Plusieurs canots se dirigeaient vers la plage, et à la lueur de la lune, il apercevait un navire, amarré dans la crique.
Faisant demi-tour, il prit ses jambes à son coup, et ne fit pas immédiatement le lien entre le coup de feu qui claqua et la douleur cuisante dans sa jambe gauche.
Il n'eut que vaguement conscience de l'important groupe d'hommes qui dépassa son corps effondré pour se diriger vers le village. Enfin, l'un d'eux s'arrêta auprès de lui. Paddy n'avait pas la force de lever la tête pour voir son visage, mais il eut celle, avant de s'évanouir, d'entendre ce que l'homme avait à lui dire :
« Dis à tout le monde qu'Ephraïm Dougan est de retour, petit. »
Les premiers cris s'élevèrent du village à ce moment-là.
…
À suivre.
Voilà pour le premier chapitre ! Le légendaire Jack Sparrow fera son apparition dans le prochain chapitre.
