Chap 1
Ellana l'observait du coin de l'œil. Il n'était comme aucun homme qu'elle avait pu rencontrer jusque-là. A la fois impassible et froid comme le marbre, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer les regards furtifs qu'il lui lançait quand elle faisait mine d'être occupée. Edwin brillait de sa propre lumière. Et n'avait besoin de rien ni personne pour l'éclairer. Cette idée fit sourire Ellana sans qu'elle sache pourquoi. De son côté, elle peinait à nier la force irrésistible qui l'attirait vers lui. Chacun de ses gestes, de ses pas étaient calculés en fonction de la place qu'occupait Edwin, pas trop près, pas trop loin, pas trop souvent.
« Ne dépendre de personne et ne laisser personne dépendre de moi »
Elle lança Murmure au petit galop.« Ne dépendre de personne et ne laisser personne dépendre de moi » Le vent faisait battre les longues mèches noires, échappées de sa tresse, sur son visage.
Elle avait besoin de réfléchir, appréhender cette nouvelle route qui s'offrait à elle avant d'envisager la suivre.
La nuit commençait à tomber lorsqu'elle ralentit Murmure pour laisser les autres la rattraper. Ils n'étaient qu'à quelques centaines de mettre, Edwin en tête.
Elle sourit.
Chaque chose était à sa place, dans sa tête et dans son cœur.
- Nous nous arrêterons ici pour la nuit.
La voix dure, sans appel et pourtant sans prétention d'Edwin avait claquée et personne ne se sentit l'âme d'objecter.
Ellana souriait en descendant de Murmure, elle souriait encore en le dessellant et ...
- Tu partages la plaisanterie avec moi ?
Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas vu Edwin attacher son cheval à l'arbre d'en face, elle ne l'avait pas vu non plus la dévorer des yeux depuis 5 bonnes minutes.
Edwin cligna des yeux, secoua imperceptiblement la tête.
Que lui arrivait-il bon sang ? Quoiqu'il puisse se passer dans la tête de la jeune femme, ça ne le concernait pas. En quelques secondes il reprit ses esprits, se détourna sans attendre la réponse, chassa de son esprit le visage souriant d'Ellana, sa peau, ses mains, ses formes,…
Chassa Ellana de son esprit ou tout du moins la reporta à plus tard et retourna au camp.
« Salim, tu comptes vraiment cuire quoi que ce soit avec si peu de bois ? »
Ellana peinait à retrouver ses esprits, pouvait-on vraiment placer autant de mépris dans un seul regard ? Cette histoire promettait d'être moins rigolote que prévu. C'est les pieds de plomb qu'elle s'approcha du feu. Elle s'assit près d'Ewilan, un peu à l'écart et mangea en silence
« Ces … comme tu dis seraient capables d'avaler 4 marchombres et d'avoir encore faim »
Ces mots résonnaient dans sa tête en boucle, et au rythme du galop de Murmure.
« …et d'avoir encore faim
et d'avoir encore faim
et d'avoir encore faim … »
Quel crétin !
Que savait-il d'elle ? Rien !
Quel crétin !
Crétin et prétentieux, et rigide, et froid, et …
« …et d'avoir encore faim,
encore faim,
encore faim … »
« Celui qui croit savoir n'apprend plus »
« …et d'avoir encore faim, Ellana commençait à se calmer, le rythme de son cœur ralentit, ses pensées s'éclaircirent.
encore faim,
encore faim … »
« Celui qui croit savoir n'apprend plus »
Que connaissait-il d'elle ? Que connaissait-elle de lui ? Cette dernière question méritait qu'on s'y attarde. Que connaissait-elle de lui ? Guerrier, froid, distant, sans cœur …
Sans cœur vraiment ? Ellana sourit, elle commençait à comprendre.
Sans cœur, ses sourires discrets lui disaient le contraire.
Sans cœur, ses regards furtifs lui disaient le contraire.
Sans cœur, son être tout entier clamait le contraire comment ELLE, Ellana Caldin, Marchombre, se targuant de maitriser les finesses de l'âme et du langage et avait-elle pu être aussi aveugle face à tous ces messages. Comment avait-elle pu être aussi CRETINE ! Marchombre crétine et bornée !
Elle s'arrêta, le coin de sa bouche remonta.
La tête libre et le cœur vibrant d'anticipation elle rentra au camp, laissant Murmure adopter un trot léger, parfait égal de ses émotions.
Il fallait qu'elle parle, qu'elle s'excuse, non, elle n'avait rien à se reprocher. Il fallait qu'elle s'excuse.
Le pardon est plus qu'une simple remise en question publique, c'est aussi un don, une ouverture vers l'avenir.
Les corps allongés près du feu lui apprirent que tout le monde dormait. Elle hésita à aller réveiller Edwin. Ou à se coucher contre lui. A…
Demain se dit-elle. Demain nous parlerons…
Quelqu'un bougeât près du feu, elle n'y prêta pas attention et continua de caresser Murmure.
- Les soldats protègent les alentours, nous sommes en sécurité, une balade ?
Le cœur d'Ellana avait fait un bond. Edwin. Voix douce et chaude. Edwin.
- Ma foi, pourquoi pas …
Pourquoi pas sérieusement ? Elle qui il y a quelques secondes à peine ne rêvait que de se jeter dans ses bras ? Pourquoi pas ? Sa répartie fléchissait.
Alors qu'elle s'éloignait de Murmure, Edwin prit doucement sa main.
Calme. Chaleur. Douceur.
Sans cœur vraiment ?
Ellana posa sa tête contre son épaule.
Ils marchèrent quelques secondes en silence. Profitant du silence que leur offrait la forêt.
- Excuse-moi.
Les mots d'Edwin avaient fusés.
- J'ai peur.
Que lui arrivait-il ?
- Je, j'…
Il s'arrêta, effleura l'épaule d'Ellana du bout des doigts puis les écarta. Pris son visage dans ses mains puis soupira.
- Excuse-moi, je t'ai agressé sans raison, peut-être blessé même. Ça n'a jamais été mon intention. Je suis un crétin.
Ellana sourit, plutôt laconique, mais elle ne pouvait lui en tenir rigueur.
- Excuse-moi.
Ces mots firent l'effet d'un électrochoc sur Edwin il se redressa et planta son regard acier sur elle.
- Toi désolée ? Mais pourquoi ?
- J'ai été aveugle, et stupide, et égoïste. Tu m'as offert le peu que tu pouvais m'offrir, je n'ai pas su en capter la valeur. Entouré de tes soldats, tu ne peux pas te permettre plus. Au lieu de profiter de tes sourires et de tes regards j'ai exigé toujours plus. J'ai compris maintenant. Tu es un soldat, tu es général, pas de place pour nous. Pas devant tes hommes en tout cas apparemment.
- Tu…, tu me plais Ellana. Plus que je n'aurai cru qui que ce soit capable de me plaire. Aucun de tes gestes ne m'échappe, chacun de tes sourires me donnent envie de me rapprocher de toi. Je…, Je.
Il prit quelques secondes pour rassembler ses idées. Il maniait les armes avec brio. Les armes, pas les mots. Quand il reprit la parole il avait reconstruit ce mur autour de son âme.
- Tu m'as cerné, je ne peux me montrer aussi expressif que je le voudrais en présence de la légion noire. C'est comme ça. Et que tu le comprennes est important. Ces derniers mots avaient été crachés, empreint d'une colère qui cachait mal son malaise.
- « Important » Ricana Ellana. Elle commençait à voir clair. Elle commençait à se sentir mal aussi,
« Important, devoir, … »
« Si se sont tes hommes qui te retiennent … Que fais-tu maintenant. Ou sont-ils ? » dit-elle en tournant la tête à droite et à gauche », avec une expression de naïveté feinte.
« Je ne les vois nulle part, ni eux ni personne, nous sommes seuls, toi et moi, mon corps me crie de me rapprocher de toi et pourtant tu restes là, bras balans. Ce ne sont pas tes hommes qui te retiennent Edwin, c'est toi-même. C'est comme ça. Et que tu le comprennes est important. »
Un sourire cynique s'était dessiné sur le visage d'Ellana pendant qu'elle savourait la portée de ses mots sur le visage d'Edwin. Un œil attentif aurait pourtant pu aussi y lire déception et tristesse.
Edwin était attentif.
Il attrapa son bras et rapprocha son corps du sien. Les mots d'Ellana ajustés à la perfection avaient fini de détruire sa garde.
Il attrapa son bras. Alors qu'elle faisait mine de s'éloigner.
« Ellana. » Un mot pouvait-il retenir quelqu'un ?
« Pas d'homme. »
Il s'approcha d'elle.
« Pas de devoir. »
Leurs regard se frôlèrent.
« Juste toi et moi. »
Chuchotât-t-il avant de poser délicatement, très délicatement, ses lèvres sur les siennes. Il l'embrassa avec toute la douceur dont il était capable. Posa un baiser sur ses lèvres, puis deux, puis trois. Lorsqu'il s'écarta de quelques centimètres, il approcha ses lèvres de son oreille et chuchota à nouveau :
« Juste toi et moi. »
Avant de l'embrasser dans le cou, de remonter sur sa mâchoire, sur sa joue, sur ses lèvres. Encore et encore. La chaleur de son corps était nouvelle. Jamais elle n'aurait cru cet homme parfois si froid capable d'autant de douceur. Elle ouvrit doucement la bouche et effleura sa langue d'une caresse. Son corps entier était électrisé. Il passa ses mains sous sa tunique caressant son dos, ses hanches, son ventre, son dos. « Edwin… »
« Juste toi et moi » répondit la nuit.
