Ce récit se trouve dans le même univers parallèle qu'au-delà des étoiles, toutefois il n'est pas nécessaire d'avoir lu cette dernière pour suivre ce récit.
Elle soupira, tapotant des griffes avec agacement sur l'accoudoir de son trône.
Quel âge déjà avaient ces deux imbéciles ? Neuf mille huit-cents quarante-deux pour l'un et six mille douze pour l'autre, et pourtant ils étaient là, à pleurnicher dans ses jupes comme deux larves d'une décennie.
Elle feula d'agacement et les deux scientifiques se figèrent, la tête baissée, soumis.
« Jilymn, vous n'avez pas besoin de tout le laboratoire 13 pour vos expériences sur les cyanobactéries, laissez Huat'lym installer ses cuves dans un coin, et je ne veux plus jamais vous voir en train de chouiner comme des larves devant moi !Est-ce clair ? » gronda-t-elle, agacée.
« Oui, Majesté, pardonnez-nous ! » gémit Jilymn qui s'était misérablement ratatiné sous ses remontrances.
« Dehors ! » siffla-t-elle, détournant les yeux des deux rats de laboratoires qui battirent précipitamment en retraite.
Lorsque la grande porte de la salle du trône se fut refermée, elle se releva.
« Zil'reyn, j'en ai assez de toutes ces idioties. Qu'on ne me dérange plus avant le prochain cycle. » déclara-t-elle à son commandant, qui la salua respectueusement alors qu'elle se retirait dans sa chambre.
Avec un immense soupir de lassitude, Delleb retira son élégant manteau de cuir ouvragé rehaussé d'une longue traîne de voile noir léger comme de l'eau, puis dégrafa son corset avant de le jeter dans un coin.
Pourquoi n'aimait-elle pas cette robe déjà ? Elle lui allait pourtant à la perfection, le délicat tissu bleu nuit rehaussant parfaitement son teint, le décolleté mettant parfaitement en valeur ses traits équilibrés. Elle s'en souvint subitement. Le vêtement était fermé par une longue boutonnière dans le dos et elle ne pouvait s'en extraire seule.
Elle claqua des doigts, mais aucun esclave humain ne vint. Elle les avaient tous chassés de sa chambre le matin même. Pestant contre son étourderie, elle ouvrit la porte menant à la salle du trône.
« Zil'reyn, ici ! » siffla-t-elle à son commandant qui donnait des ordres aux pilotes via la console centrale, qui occupait tout un pan de la salle.
Avec déférence, il s'approcha d'un pas rapide, inclinant la tête avec respect devant elle.
« Que puis-je faire pour vous, ma reine ? » demanda-t-il doucement.
« Ouvrez ça » répondit elle en se retournant.
« Mais...majesté... » bafouilla le commandant.
« Zil'reyn... » siffla-t-elle en guise d'avertissement.
Prestement, mais avec une maladresse navrante, il défit les innombrables boutons.
« Ça ira comme ça, faites venir mes esclaves et retournez à votre travail. » grogna-t-elle alors qu'il arrivait un peu trop bas à son goût sur son dos.
« Bien sûr ma reine. Passez un bon cycle de repos, Majesté. »la salua-t-il en refermant la porte de ses appartements.
Enfin libérée de son carcan vestimentaire, Delleb se laissa choir sur un divan moelleux qu'elle avait fait importer d'un monde humain quelques décennies auparavant.
Douze mille ans qu'elle subissait la bêtise affligeante de ses subordonnés. Douze millénaires à régler des disputes insignifiantes entre officiers, et à envoyer des croiseurs se faire tirer dessus pour une stupide planète avec à peine quelques milliers d'humains dessus. Et tout ça en veillant à générer régulièrement de nouvelles couvées afin de remplacer les effectifs perdus de la ruche, et donc à se coltiner un troupeau de reproducteurs flatteurs, vicieux et imbus d'eux-mêmes.
Elle rêvait parfois de laisser tout cela derrière elle. Ne plus à avoir à enfiler chaque jour des vêtements plus sublimes les uns que les autres, mais ô combien inconfortables. Ne plus avoir à subir les longues heures de coiffure quotidiennes pour avoir une mise digne d'une reine. Ne plus avoir à mener des négociations longues et ennuyeuses qui ne seront de toute manière jamais respectées avec les autres reines.
Elle aurait presque voulu naître mâle. Être un guerrier, ou un pilote de Dart. Sortir de la ruche, combattre, vivre des aventures épiques, et pouvoir s'échapper de la ruche quelques jours tous les soixante ou septante cycles, pour faire ce que bon lui semblait.
Point de repos pour les reines. Il fallait toujours qu'elle soit parfaite, physiquement et mentalement. La faiblesse et la fragilité n'avaient pas leur place dans sa vie.
Un discret carillon retentit, et Delleb aperçut ses trois esclaves personnelles qui entraient aussi silencieuses que des souris, s'alignant dans un coin de la pièce.
« Préparez moi un bain, avec beaucoup d'essence d'Iljar, et occupez-vous de mes cheveux, ces peignes sont insupportables » ordonna-t-elle en se redressant, alors que Un, la plus vieille de ses servantes, dont les tempes grisonnaient depuis presque un demi-siècle, se précipitait pour prendre son nécessaire de coiffure, et que Deux, qu'elle avait choisie pour sa magnifique chevelure noir de jais qui lui descendait jusqu'aux fesses, disparaissait dans la salle d'eau pour y préparer son bain.
Trois, la plus jeune, qui était entrée à son service moins d'un an auparavant, lorsque la précédente Trois l'avait déçue et qu'elle l'avait vidée, resta immobile, servilement prosternée.
« Ne restez pas plantée là, stupide créature. Amenez cette robe au tailleur, il faut que je puisse l'enlever seule si la fantaisie m'en prend ! » cracha-t-elle alors que Un lui retirait délicatement les quatre lourds peignes d'argent qu'elle portait, avant de les poser dans leur boîte en bois précieux avec mille soins.
Avec un grognement appréciateur, Delleb se laissa aller en arrière sur son divan, tandis que sa servante lui peignait les cheveux avec un soin maniaque avant de lui masser le crâne avec une huile subtilement parfumée.
Une demi-heure plus tard, immergée dans son immense baignoire jusqu'aux épaules, une main négligemment tendue à Deux qui lui polissait les griffes avec soin, Delleb sentit enfin son agacement disparaître.
Elle pourrait ensuite aller voir les recherches de Tualym. Le tout jeune biologiste était pour le moins prometteur, mais surtout, il l'amusait. Ses dernières recherches portaient sur l'apesanteur et en quoi cela affectait les êtres vivants, et plus particulièrement la circulation de l'énergie vitale.
Avec sa permission, il avait fait couper la gravité artificielle dans tout un hangar, dans lequel il gardait un véritable zoo, allant de l'ectoparasite à l'humain en passant par un énorme Juguu mâle couturé de cicatrices. Voir toutes ces créatures gigoter en l'air, en tentant de réapprendre les actes vitaux qu'ils avaient toujours pratiqué, comme se nourrir, l'amusait beaucoup.
Mais pour le moment, elle n'avait que les griffes de la main droite polie, et il n'était pas question qu'elle sorte immédiatement de son bain délicieusement chaud.
Fermant les yeux, elle ordonna à Trois de chanter de sa douce voix une ode à sa gloire.
