Inspiré de la série « Versailles », ce récit montre les us et coutume de la Cour de Versailles, vu de l'intérieur selon le témoignage d'une jeune femme issue de la noblesse bretonne.

Versailles

inside

Prologue

Si nous nous étions rencontrés,

Nous nous serions appréciés,

Louis XIV

Il y avait si longtemps que je ne m'étais rendue en Bretagne…

L'air océanique était vraiment vivifiant. Fallait-il en avoir oublié les bienfaits ?

Désireuse de me promener dans la région du Morbihan, je consultai pour la énième fois ma carte routière. Impossible de retrouver la nationale que j'avais quitté un peu plus tôt.

Stationnée à un carrefour en pleine campagne, je remarquai une affichette signalant une vente aux enchères. Curieuse, je décidais de m'y rendre. Peut-être y trouverai-je, au pire une distraction imprévue, au mieux, quelques personnes pour me remettre sur mon chemin.

La salle n'était remplie qu'à moitié. Je remarquais posés, çà et là, tout un tas d'objets assez anciens, tandis que je prenais place sur une chaise en observant les gens acquérir, au fur et à mesure de la vente, les lots exposés. J'appris qu'il s'agissait d'effets personnels ayant appartenu à la Comtesse Eloïse de Villelote de Levallois, dernière descendante d'une famille issue de la noblesse. Le château familial, faute de repreneur, allait être racheté par l'Etat pour devenir un musée. Voir s'éparpiller tous ces bibelots était un crève-cœur pour moi. Ils avaient tous une vie. Les imaginer tenus par des personnes depuis longtemps disparues, me donnait la chair de poule.

Vint le moment où fut présenté un lot de quatre carnets reliés de cuir rouge attachés par un ruban de taffetas ivoire.

Je ne sais pour quelle raison, ces calepins attirèrent mon attention. Dès lors, je mis tout en œuvre pour les acquérir. Il me fallut débourser la coquette somme de trois mille cinq cents euros. Un antiquaire de la région était aussi sur le coup et ne voulait pas lâcher l'affaire, mais je réussis à avoir le dernier mot, plus l'itinéraire que j'étais venue chercher plus tôt.

Le soir, dans la maison familiale de mes amis, je laissai mon regard vagabonder devant les flammes dansantes d'un feu de cheminée. J'attendis que tous soient couchés avant de m'emparer du précieux paquet. Avec beaucoup de précaution, je défis le ruban de taffetas, et sentis un petit objet glisser entre mes doigts. Malgré mes tentatives pour le rattraper, il tomba à terre. Je me baissai et ramassai un pendentif en or, magnifiquement ciselé. Le bijou était ancien, cela ne faisait aucun doute. D'une épaisseur certaine, je me doutais qu'il devait s'ouvrir. Effectivement le fermoir me permit de séparer en parties égales, deux formes oblongues où étaient disposées des mèches de cheveux. L'une paraissait plus pâle que l'autre et toutes deux étaient recouvertes d'un morceau de verre.

Je demeurai un long moment hypnotisée devant ce pendentif à me poser tout un tas de questions. Afin de satisfaire ma curiosité, je décidai de commencer la lecture des quatre carnets.

J'y passai la nuit entière.

Au petit matin, tout m'avait été révélé. Je bouclai mes bagages et rentrai chez moi. Ces écrits m'avaient bouleversé au point de les relire à nouveau.

C'était, à la fois, un fait historique d'une grande valeur, et une magnifique confession. En deviendrais-je la dépositaire attitrée, ou était-il plus sage de conserver ce témoignage à ma seule appréciation ?

Un dilemme de choix s'offrit à moi…

Je pris enfin une décision : transmettre ce témoignage que je considérais comme précieux.

Cela devint pour moi un devoir !

Il y avait un tas d'expressions en vieux français qui auraient sans nul doute rebuté le plus ardu des lecteurs.

Aussi, décidai-je de réécrire le tout, sous la forme d'un roman merveilleux à offrir aux lecteurs.

Petit à petit, les phrases se formèrent sur l'écran de mon ordinateur et voici ce qui en résulta…

Acte I

Scène I

La rencontre

Je m'appelle Eunide de Villelote de Levallois. Je suis née dans une magnifique région nommée Bretagne, le Vingt et un Décembre de l'an de grâce 1658. Ma famille possède un château dans les environs de la ville de Dinan, entouré de terres agricoles. Nos fermes sont au nombre de quatre, et deux d'entre elles sont consacrées à l'élevage de vaches laitières et de volailles que nos gens se chargent de vendre sur les marchés des environs. J'ai passé une enfance chaleureuse au sein d'une fratrie de six enfants. Je suis l'aînée, et mes parents ont toujours fondés de grands espoirs sur moi. Ma mère me voyait fort bien mariée à l'un des fils de Rochemont, mais certains événements en ont décidé autrement.

Jamais je n'aurais imaginé remercier Dieu pour avoir, dans sa grande bonté, placé sur le chemin de ma destinée, un amour aussi grandiose.

Tout commença par le désir d'un roi, d'imposer une monarchie absolue. Je surpris les conversations de mes parents, oncles et cousins par inadvertance, et cherchai, aidé par mon précepteur, à comprendre ce que j'avais entendu. Ma condition de jeune fille ne m'autorisait pas à prendre part à ces débats, mais la bonté de Monsieur de Lamotte, apporta, à ma curiosité, une réponse inespérée.

Le contexte politique de la France, jusqu'ici partagée par d'autres formes de pouvoir comme celui de L'Eglise romaine, du clergé, de la noblesse, et du parlement ne satisfaisait plus Sa Majesté Louis XIV. Le douloureux souvenir de sa fuite nocturne durant sa jeunesse lors de la Fronde, avait humilié et laissé un goût amer à ce jeune garçon devenu roi.

Il réussit à mettre en place une forme d'absolutisme en développant le projet d'une monarchie de droit divin, s'octroyant, ainsi, un pouvoir que nul ne pourrait lui contester. Sur son ordre, Colbert procéda à des recherches sur la noblesse. Tout devait être vérifié. Cela commença en 1666. Chaque région de France fut concernée. Personne n'y échappa, mais ce fut très long…très pénible aussi. Quelquefois, certaines familles quittaient le sol français afin de se réfugier à l'étranger. Si certains avaient joui des privilèges réservés à la noblesse sans avoir à s'acquitter d'impôts, beaucoup durent régler leurs comptes avec les représentants du pouvoir royal et se soumettre à la volonté du roi.

Gardien des privilèges de ses sujets, et proclamé « Premier gentilhomme de France », notre souverain n'en avait pas moins « préparé » la plus vaste chasse aux sorcières jamais entreprise pour contrôler cette noblesse parfois indisciplinée et à la limite de la révolte.

Ce fut ainsi que naquit, dans l'esprit du roi, l'idée de rassembler tout ce joli petit monde autour de lui afin de le soumettre définitivement à son pouvoir absolu. Versailles fut l'endroit idéal pour cela. Monsieur de Lamotte, en discutait souvent avec mon père et tous deux tombaient d'accord sur le fait que cette idée relevait d'un stratège politique exceptionnel. Il s'avéra donc que nous étions gouvernés par un être à la démesure fantasque, dont la seule ambition de faire de ce pays le miroir du monde, occupait tout son temps. Je n'arrivais pas à m'imaginer le roi comme un être sans cœur l'esprit occupé à enfermer dans cette prison dorée nommée Versailles, toutes ces belles personnes s'imaginant au-dessus de leur maître.

Louis XIV, entrait définitivement dans mes bonnes grâces, car, il alla de soi, qu'en mon âme et conscience, je pris la défense de cet être attaqué et critiqué de toute part. J'avoue avoir été guidée par ce sentiment lorsque je consentis, enfin, à braver mes parents afin de leur soumettre mon envie de leur prouver le bien fondé de mes allégations. Comme je m'en doutais, ils ne me prirent pas au sérieux, mais j'insistai tant sur ma volonté de me rendre à Versailles, qu'ils finirent par accepter.

Cette surprenante lubie de ma part fut interprétée comme un caprice ce qui n'était pas courant de la part de leur chère enfant, mais il fallait bien que jeunesse se passe. Ils consentirent donc à mon départ.

Il me fallait absolument connaitre la véritable nature du monarque, pour un temps du moins, afin d'apporter un crédit à mes affirmations, avant de rentrer au pays y vivre ma vie de jeune femme noble, comme mes amies.

Encouragés par la soudaine volonté de leur fille de faire rejaillir sur la famille l'honneur de son nom, tout comme sa valeur, nous partîmes pourVersailles avec les documents prouvant notre légitimité et nos titres de noblesses avant que les représentants du roi ne viennent d'eux-mêmes. En gage de remerciements, l'entourage proche du monarque entreprit de me placer sous la protection de Madame de Maintenon, gouvernante des enfants de Madame de Montespan, grande favorite du roi. Je fus chargée de remplacer Mademoiselle Claude de Vin des Œillets, ancienne Dame de Compagnie d'Athénaïs, qui, se murmurait-il, avait eu un enfant naturel du monarque. Ce dernier préféra ne pas le reconnaître. Suite à ce scandale d'alcôve, la Demoiselle se retira dans son hôtel particulier rue Montmartre à Paris, encouragée, je suppose par le roi lui-même et encore plus par Athénaïs que l'on disait fort jalouse !

Mon séjour devait durer un an avant de retrouver ma chère Bretagne et sans doute y épouser le fils deRochemont. Je connaissais ma mère… Fine stratège, mon année à Versailles avait dû chèrement se négocier, en échange d'un mariage espéré par mes vœux…

Encore me fallait-il l'accord de mon père ! Ce dernier souhaitait garder encore un peu auprès de lui sa fille aînée et prenait grand soin à décourager les galants qui osaient m'approcher d'un peu trop près*.

Pourtant, une autre destinée m'attendait en l'an de grâce 1678.

Mon arrivée à Versailles fut assez épique. Je m'en souviens encore…c'était un jeudi dix juin 1678. Ce jour-là, il pleuvait des cordes et notre carrosse fut plusieurs fois embourbé, mais il parvint, tout de même, à nous déposer devant ce qui devait être mon nouveau logis. J'étais habituée au climat de ma région natale, mais cette pluie diluvienne portait atteinte à mes esprits quelques peu mélancoliques. Je laissai derrière moi, mes frères et sœurs, mais aussi mes parents, venus avec moi, dans le but de me savoir en sécurité. L'on nous avait installés dans un bel appartement, au dernier étage de l'aile nord de ce splendide château. Ses trois fenêtres donnaient toutes sur des travaux d'importance. Le palais lui-même était sans cesse en chantier afin d'accueillir les familles de la noblesse.

Sous notre vue, s'étendait la future construction d'une fontaine nommée « Bassin de Neptune ». Une volée de marches donnait accès à une large allée pentue conduisant à cette future œuvre d'art. Elle représenterait le Triomphe de Neptune brandissant son trident, et Amphitrite acquérant les richesses de la mer présentée par une Naïade sur un char entouré de Tritons et de monstres marins.

Pour l'instant, les sculptures demeuraient aux côtés des fondations du bassin. Les ouvriers s'appliquaient consciencieusement à creuser le sol en une forme ronde aussi parfaite que possible, ce qui, avec un tel déluge, relevait de l'exploit. Je plaignis ces pauvres hères, dont les tâches ne me paraissaient pas faciles.

Monsieur de Lamotte, mon précepteur, m'avait enseigné quelques notions d'Art antique, et si, dans les livres, tout semblait merveilleux, je notai combien la réalité était toute autre.

Cependant, je remarquai aussi, les goûts fastueux de notre monarque et les appréciaient fortement.

Après m'être installée confortablement dans ma nouvelle vie, je due accepter, de mauvaise grâce, le retour de mes parents sur leurs terres et les laisser me quitter.

Ce fut extrêmement difficile de s'acclimater aux désirs de Madame De Montespan. C'était une personne exigeante et terriblement hautaine avec les gens de son entourage. Je la détestai dès la première fois où mes yeux se posèrent sur ce visage outrageusement fardée.

Pourtant, il me fallut faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Heureusement pour moi, Madame de Maintenon, devinait très souvent mes états d'âmes et me réconfortait quelquefois.

Un soir, Sa Majesté offrit l'une de ces fastueuses fêtes dont il avait le secret, mais je n'y assistai pas. Mon choix se portait, de préférence, sur une promenade dans les jardins de Monsieur Le Nôtre, et plus particulièrement vers un endroit que je devinai calme à cette heure de la soirée.

A l'heure où les fontaines se taisent sur ordre du roi, afin de rendre hommage au coucher du soleil, je demeurai debout face à cet astre dont le monarque en avait fait son emblème.

Louis XIV, prétendait qu'un tel spectacle valait, à lui seul, toutes les fontaines et feux d'artifices réunis. Il ne fallait donc point lui porter ombrage. Il se disait que bien souvent, l'on pouvait deviner la présence du monarque assis à l'endroit le plus propice pour assister au coucher de Son astre, et cet endroit je l'avais sous les yeux.

Sans doute la plus originale des créations de Monsieur André Le Nôtre, jardinier de génie, le Grand Canal avait, sous le désir de Louis XIV, transformé la perspective est-ouest de Versailles, en une longue trouée lumineuse de neuf cent vingt huit toises. L'axe nord-sud, quand à lui, en mesurait cinq cents cinquante cinq, et offrait une forme crucifère à l'ensemble. Les ouvriers avaient œuvré durant onze années, de 1668 à 1679, afin de réaliser le souhait de leur monarque. Ce lac immense semblait se perdre à l'infini. L'on ne savait plus s'il rejoignait les Cieux ou s'ils s'accordaient l'honneur de s'y miroiter.

Cette œuvre avait, tout juste, une année d'existence, que déjà son prestige dépassait les frontières.

Certains osaient même affirmer que tous les cinq septembre, le jour anniversaire de Sa Majesté, le soleil se couchait dans l'alignement du Grand Canal. Une bien belle façon de s'approprier ce magnifique emblème.

J'avais hâte de constater, par moi-même, l'étendue de ces dires et en apprécier la magie de l'instant.

J'admirai la volonté de ce puissant souverain, à s'apparenter ainsi, au centre de notre univers. Quel homme devait-il être ? A quoi ressemblait-il ?

Je n'avais pas encore été présentée à Sa Majesté. Mes parents non plus d'ailleurs. En voyage à Paris, Louis XIV prolongea son séjour, aussi, bien à regret, mes parents décidèrent de rentrer avant de présenter leurs hommages à leur souverain.

C'est à peine si je connaissais son âge, quarante ans. Ce devait être un vieux Monsieur enrobé, aux traits empâtés…je chassai immédiatement ces odieuses pensées de mon esprit, et rabattis la capuche de ma longue cape de velours bleu nuit sur mon visage, souhaitant préserver un peu de mon intimité tout en me dirigeant vers la grotte de Téthys.

Située sur le côté nord du palais, comme mes appartements, cet endroit était souvent le rendez-vous de galants, du moins c'était ce que me racontait Linette, la femme de chambre de Madame de Montespan. Bien que d'un rang social inférieur au mien, nous étions du même âge et je considérai, tout à fait naturellement, qu'une amitié ne devait s'embarrasser de tels encombrements.

Nous nous entendions bien, c'était l'essentiel pour moi.

Cet endroit se prêtait parfaitement, du moins mon âme romantique m'y encourageait-elle, à de beaux discours d'amour. Tapissée de coquillages, elle abritait trois groupes de sculptures dans trois niches, représentant Apollon baigné par les nymphes et les chevaux du char du Soleil. C'était un bonheur à contempler dont je ne me lassais jamais.

Il faisait doux ce soir-là. La saison estivale prenait ses aises et les gens de la Cour étaient occupés à dîner à l'intérieur du château. Les banquets royaux étaient réputés partout en France. L'on en parlait avec déférence. Les mets les plus fins, comme les vins liquoreux chargeaient les tables tendues de lin blanc. Les meilleurs cuisiniers officiaient dans le sous-sol et l'on ne comptait plus la myriade de marmitons au service du grand chef des cuisines.

Je laissai tout ce faste aux précieuses gens et entrai à l'intérieur de la grotte. Une fois encore, j'admirai le décorum dont l'artiste avait fait preuve, mais cela ne suffit pas à me distraire de ma mélancolie et, bien malgré moi, mes larmes se mirent à couler. Ma famille me manquait et Versailles était un endroit si vaste…

J'en étais à ces pensées, lorsqu'un bruit attira mon attention. Je relevai précipitamment mon visage, et me trouvai devant un gentilhomme portant un justaucorps richement brodé de fils d'or, agrémenté d'une chemise brodée, sur laquelle reposait un jabot de dentelle, orné d'une broche précieuse.

Des bas de soie rouges, se perdaient sous une culotte bouffante de taffetas gris aux motifs damassés. Les chaussures à bout carrées et talons rouges, étaient ornées de nœuds de satin bordeaux. Il porte fier son vêtement. Je demeurai immobile, en admiration devant cet être pourvu d'un charme indéniable. Il devait être de noble naissance, cela ne faisait aucun doute. Son maintien le trahissait. Sa taille haute lui conférait un certain prestige. Ce n'était pas un jeune homme, mais il ne paraissait pas vieux non plus. Je le pensais entre deux âges, de ceux dont ils ne souhaitent se dévoiler tant ils se jouent des chiffres…

Interdite, je ne pouvais qu'admirer ses traits d'une finesse inouïe. Cela me changeait des physiques de certains domestiques quelque peu ordinaires voire disgracieux pour certains. La petite vérole laissait parfois de vilaines cicatrices rebutantes.

Ce gentilhomme n'avait rien avoir avec ces gens-là. Bien au contraire. Je crois ne m'être jamais autant extasiée sur un regard. Ce dernier était d'un bleu azur si pâle, avec un je ne sais quoi de particulièrement attachant…je m'y noyais sans chercher à être sauvée. Si j'osais, je pourrais même affirmer y avoir décelé un trait de malice, ce qui fit pétiller ces yeux dont je tombai éperdument amoureuse.

Mon visage peinait à s'égayer, aussi prit-il un air contrit en s'approchant de moi. Il sortit de la poche de sa veste, un mouchoir richement brodé, et tamponna, délicatement, le bord de mes cils. Sous l'effet de la surprise, je demeurai bêtement figée, les lèvres entrouvertes, les mots coincés au fond de moi.

Faisant fi de la convenance, je laissai mon regard s'attarder sur ce noble visage aux pommettes saillantes. Mon attention, captée au-delà du raisonnable, provoqua, chez lui, un sourire charmant et fit remonter les coins d'une fine moustache au-dessus d'une bouche ourlée invitant au baiser. Malgré mon jeune âge, doublé de mon innocence, je ne pu m'empêcher de rêver à la tempête qu'aurait pu provoquer un tel acte sur mes lèvres.

Honteuse, je détournai mon regard. Il se décida enfin à prendre la parole :

Gentilhomme : Il m'est douloureux d'effacer en un geste, l'étendue d'un chagrin qui se voulait néfaste. Serait-ce outrepasser la décence que vous en demander la raison charmante Demoiselle ?

Impressionnée, je ne sus que répondre. Toute à mon émerveillement, un filet de voix parvint, enfin, à s'échapper de ma gorge, qu'en un geste je dévoilai en faisant glisser la capuche de ma coiffure. Armée d'un courage soudain, mes mots firent écho aux siens :

Eunide : Je vous prie Monsieur, d'excusez ma tristesse si longtemps contenue, qu'en ce lieu, je le confesse, il me fallait abandonner.

Gentilhomme : C'est à moi d'avouer mon erreur, d'avoir souhaité, en mon âme, et mon cœur, effacer tous vos pleurs, était une erreur. Vos soupirs ont, à ma grande surprise, suscité ma compassion. Allons Demoiselle, confiez au gentilhomme, que je suis, la somme d'une affliction qu'il me faudra chasser sitôt la confidence écoutée. Je vous promets d'y mettre bon ordre afin qu'elle ne revienne hanter un esprit déjà fort troublé.

Pour la première fois depuis mon arrivée, je pris conscience de ce que serait ma nouvelle vie à Versailles. Emplie de la meilleure volonté, mon cœur s'épancha face à cet inconnu dont la bienveillance rehaussait l'éclat de ses yeux. Ma voix s'affermit, et je relatai mon départ du château familial, le long voyage depuis ma Bretagne natale, l'arrivée dans la capitale et l'installation dans cet immense palais construit selon les volontés d'un monarque aussi fantasque qu'impressionnant, selon les dires des domestiques au service de Madame de Montespan. Le gentilhomme haussa un sourcil à l'évocation de la glorieuse Dame, et du roi dont on avait accolé une étiquette cocasse :

Eunide : Oh…je vois bien que mes bavardages vous embarrassent. Ma jeunesse dessert mes meilleures intentions. Je vous fais grâce Monsieur de vos bontés à mon égard, et vous libère de ma compagnie. Allez rejoindre cette fête dont les échos parviennent jusqu'à ce lieu de retraite.

Gentilhomme : Me chasseriez-vous Demoiselle ?

Eunide : Oh ! Grands Dieux non, Monsieur. Je vous suis redevable d'une raison gardée à seule fin de chasser mes pleurs. Mais je ne puis vous retenir, le roi…

Gentilhomme : Ce roi que vous paraissez tant craindre…l'avez-vous seulement rencontré ?

Eunide : Je suis à Versailles depuis si peu de temps…

Gentilhomme : Vous a-t-on dit de lui quelques mots bienveillants ?

Eunide : Que nenni Monsieur, mais il se murmure qu'il est bel homme, et fort galant avec le beau sexe. Quantité de personnes m'ont dit le plus grand bien de lui…

Gentilhomme : Le roi est beaucoup et si peu à la fois.

Eunide : Mais…il est notre monarque. Un être à la fois fier, puissant, noble et courageux. Il est le digne représentant de notre belle France.

Le gentilhomme sourit bien malgré lui :

Gentilhomme : Et s'il se trouvait être un homme laid, bedonnant, à la bile mauvaise et aux ordres pédants ?

Eunide : Je ne puis l'imaginer, Monsieur. Ce serait appuyer une bien vilaine opinion.

Gentilhomme : Le refus de votre âme à s'emplir de pensées corrompues, montre un esprit courtois dont il me faut faire louange. J'ai senti en vous des attentes cruelles auxquelles je pensai apposer une douce clémence. Je ne peux quitter ce lieu, en ne vous sachant point en paix. Me feriez-vous, Demoiselle, l'honneur d'accéder à ce vœu ?

Je levais vers lui, un regard attendri :

Eunide : Je vous en fais la promesse, Monsieur. Cependant, me serait-il permis de vous offrir mon nom, quant tous mes devoirs m'y poussent à présent ?

Gentilhomme : Je l'apprendrai bien assez tôt, Demoiselle. A Versailles, tout se sait, voici une première leçon dont il vous faudra faire bon usage. Permettez-moi de me retirer.

Eunide : Je vous permets Monsieur.

A reculons, le gentilhomme disparut en s'abîmant dans une profonde révérence. Je demeurai quelques temps encore sur mon banc. Un bouquet de pensées s'invita à mon esprit.

Qui était ce gentilhomme ?

Pourquoi tant de mystère ?

Etait-il un personnage de la Cour ?

Quand le reverrais-je ?

Pourquoi tremblais-je ?

* Contrairement à une croyance répandue, on se mariait généralement à un âge avancé. Hormis les mariages précoces des rois de France et hauts nobles (quatorze ans pour Louis XIII, vingt et un ans pour Louis XIV, quinze pour Louis XV, quatorze ans pour Louis XVI), la moyenne de l'âge au mariage était de vingt cinq vingt six ans pour les femmes et vingt sept vingt huit ans pour les hommes.