Khila Amin

Auteurs : Fianna et Julie

Disclaimer : les personnages, cadres, lieux et langages utilisés pour ce travail sont la propriété de J.R.R. Tolkien, The Tolkien Estate et Tolkien Enterprises. Aucun profit monétaire n'est réalisé sur cette histoire et les lois du copyright ne sont violées en aucune manière.

Avertissement : aucun

Pairing : Haldir et OC féminin

Résumé : Haldir se rend à la Cité Blanche pour le mariage d'Aragorn, encore souffrant des blessures reçues au Gouffre de Helm. Keara est guérisseuse, incertaine de ses dons depuis la perte de sa fille. Peut-elle réussir là où les Elfes ont échoué ?

Histoire traduite de l'Anglais par Mélusine d'Oratlante (ptisachem@wanadoo.fr) pour le compte de, et avec l'accord des auteurs. Veuillez soumettre une requête écrite à la traductrice pour remarques ou demandes concernant ce travail.

~*~

Chapitre Premier : Commencements

Mon histoire commence peut-être le jour où, pour la première fois, je posai les yeux sur le Roi. Je le vis se frayer un chemin à travers la foule nombreuse et massée dans la Cité Blanche, les acclamations rebondissants sur les murs et les bâtiments, les bannières claquant dans le vent au- dessus d'elle. Aragorn - ou Elessar, ainsi qu'il était à présent nommé - chevauchait lentement, les yeux pleins de bonté et de chaleur comme il regardait son peuple, le saluant par des hochements de tête et des sourireset, çà et là, une parole amicale. C'était un bel homme, large d'épaules et qui avaient des bras puissants, dont les manières réservées mais agréables lui valaient un grand respect. La broderie massive de son haubert s'ajustait parfaitement sur la poitrine, et ses belles mains solides serraient celles qui se tendaient vers lui avec fermeté. Comme il se rapprochait de moi, je reculai dans la foule, l'observant tandis qu'il passait devant moi puis me dépassait. J'étais dans la cité depuis peu de temps, mais dès l'instant de mon arrivée j'avais ressenti le besoin pressant de me mettre à sa recherche, bien que je ne pûs m'en figurer la raison. Ce besoin me troublait, car je ne savais qu'en faire. Ce n'était certainement pas encore le moment, mais quelque chose me disait qu'il viendrait bientôt.

La foule se dispersa et je revins sur mes pas, traversant les rues pentues de la cité, évitant les groupes qui se rassemblaient pour discuter des affaires quotidiennes et du passage de leur Roi. De mémoire d'homme, c'était le plus heureux des souvenirs. On reconstruisait les bâtiments, les ombres menaçantes de la guerre étaient balayées cependant que la cité renaissait. De longues files s'étiraient à l'entrée de la ville, de gens qui avaient fui leurs habitations détruites en quête d'une nouvelle vie à Minas Tirith.

Pour ma part, j'ignorais les raisons de ma venue, sinon que j'avais été attirée jusqu'à la cité, et que j'étais attirée par le Roi également. Je descendis rapidement la rue principale, suivant le chemin en courbe qui passait à travers les nombreux niveaux et portes de la cité. J'atteignis le mur extérieur du second niveau et fit une halte pour regarder vers le bas, vers la dernière porte, apercevant les queues de voyageurs épuisés qui attendaient patiemment d'être admis à la franchir.

Je m'apprêtais à me détourner et faire demi-tour lorsque je perçus un certain brouhaha parmi les nouveaux arrivants. Une femme se débattait pour atteindre le Roi, ses cris plaintifs assez perçants pour attirer son attention alors qu'il se tenait très droit sur son cheval, regardant en direction des appels. Les gardes du roi lui barrèrent le passage mais Aragorn les repoussa d'un signe et descendit de cheval, s'approchant pour recevoir la femme qui s'affaissait en sanglotant, éperdue, à ses pieds.

De l'endroit où je me tenais, je ne pouvais entendre les mots de la femme ni la réponse du Roi, mais son inquiétude était clairement visible dans la clarté du petit matin. Elle désigna du doigt la caravane des chariots, et il fit signe à ses gardes d'amener ce qu'elle avait demandé. Incapable de réfréner ma curiosité, je passai la porte et courut jusqu'à me tenir à une courte distance de la scène. Un moment plus tard, les gardes firent leur retour, portant une litière où gisait une petite fille dont le visage était creusé d'une paleur maladive. Mon coeur se serra lorsque la femme en pleurs supplia le Roi d'aider sa fille. Aragorn s'accroupit au côté de l'enfant ; ses pouvoirs de guérison étaient bien connus, mais je sus instinctivement qu'il s'agissait de quelque chose qu'il ne pouvait guérir.

Ma propre petite fille chérie avait été allongée de la même manière. Impuissante à lui venir en aide, j'avais regardé, malade de douleur, ma fille se consumer jusqu'à ce que la mort finisse par l'emporter. Même à présent, mes yeux brûlaient de l'affliction retenue et du dégoût de moi- même. J'étais une guérisseuse, pourtant j'avais été incapable de sauver mon propre enfant ! J'ignore ce que j'aurais pu faire de plus, même si j'avais encore possédé le pouvoir de guérir. Mais quelque chose m'entraînait vers cette femme et son enfant, quelque chose d'implacable et de puissant, comme si j'étais tirée là par quelque force inconnue.

Je vis Aragorn froncer les sourcils et secouer la tête, ses yeux remplis de chagrin en voyant la femme sangloter. Sans réfléchir, je me frayai un chemin parmi les gens, rencontrant le regard du Roi comme il relevait la tête. Il me considéra pendant un moment, prenant la mesure de mes vêtements miteux et de mes yeux à la forme inhabituelle, en amande.

« Je peux la soigner, » dis-je, avant de réaliser ce que j'avais dit. Le choc et le doute vinrent un instant plus tard, alors que les mots avaient déjà franchi mes lèvres.

Je vis la manière dont le Roi me jaugea durant un moment, avant d'acquiescer pour marquer son approbation.

« Allez-y, » dit-il à voix basse. « Peut-être saurez vous réussir quand je ne peux qu'échouer. »

La mère de l'enfant me dévisagea fixement, ses yeux écarquillés par la peur et le désespoir alors que je m'avançais pour m'agenouiller auprès de sa fille. Avec des gestes doux, Aragorn la tira en arrière, sa foi en moi plus grande que ma propre confiance. Comment avais-je pu oser émettre pareille affirmation ? Cette enfant serait la première que je prétendrais soigner depuis la mort de ma fille.

Les larmes me montèrent aux yeux, les piquant comme le me penchais au- dessus de la pauvre enfant, les longs cheveux sombres m'enveloppant dans un bouclier qui cacha mon expression au Roi. Envoyant des prières aux Valar, je plaçai une main sur le front de la petite fille, mes yeux se fermant lorsque je sentis la moiteur froide de sa peau. Soudain, je pus sentir son pouls battant en rythme avec le mien, et mon coeur fit un bond lorsque je compris que cette fois, je pourrais réussir. Me remémorant mes prières lorsque ma propre enfant gisait entre mes mains, je n'osai pas espérer trop ; pourtant déjà je percevais faiblement sa douleur infiltrer mon corps pour la première fois.

Encore je pensai à mon propre petite. Ô combien aurais-je été heureuse de prendre sur moi sa souffrance ! J'avais souhaité la sauver avec tant de ferveur que j'avais été prête à donner ma propre vie pour elle. Et pourtant, elle était morte. Il semblait que les Dieux n'eussent pas daigné entendre mes plaintes. Trop tard. J'avais dû prier trop tard.

Pourtant les voies des Valar étaient impénétrables, car cette fois-ci il sembla que mes suppliques eussent été entendues. Je frissonnai lorsque la maladie de l'enfant s'insinua en moi, et j'eus un haut le coeur comme la douleur et le mal rampaient dans mon corps comme une force vivante et malfaisante. Terrible ; c'était terrible, comme rien de ce dont j'avais fait l'expérience jusqu'alors pendant tout autre guérison. Je ne sais pas combien de temps cela dura, mais je sais quand cela fut fini. J'ouvris les yeux, ma vision floue comme je retirais ma main du front de l'enfant.

J'essayai de me mettre debout et retombai à genoux, puis tout à coup je sentis le bras puissant d'Aragorn m'enlacer pour me soutenir. « Regardez, » dit-il. Tournez-vous et regardez ce que vous avez accompli. Je ne pus refuser. Lentement, je me tournai pour voir une paire d'yeux verts cillant devant moi, les couleurs de la santé s'épanouissant de nouveau sur des joues enfantines. Mes yeux s'écarquillèrent sous le choc, et je portai la main aux tempes quand le vertige me prit.

Pleurant de joie, la femme serra sa fille contre sa poitrine tandis qu'Aragorn m'aidait à me remettre sur pied. Je chancelai, et la femme me regarda fixement, ne saisissant pas à quel point le prix de la guérison de sa fille avait coûté à mes forces. Pourtant je savais que d'une manière ou d'une autre Aragorn l'avait compris, et alors que je faisais un signe de tête à la femme, il m'arracha à la foule avide des badauds. « Venez, » dit-il calmement. « Vous avez besoin de repos. »

Ses mots m'arrivaient de loin, presque inaudibles, car je me sentais très faible. Je tentai obstinément de chasser l'épuisement qui avait pénétré mon corps, mais il me poussa jusqu'à un banc tout proche. Le souffle coupé, je courbai la tête sur mes genoux comme la nausée tordait mon estomac et que la douleur me vrillait la tête. Lorsque je fus capable de boire, il m'offrit de l'eau puisée à un fontaine voisine, et bien que je ne prîs qu'une simple gorgée, cela fut suffisant pour que je sois capable de comprendre les questions qu'il me posait.

« Comment soignez-vous ? » demanda-t-il d'une voix pressante. « D'où tenez- vous donc ce don ? »

Je secouai la tête, incapable de répondre. « Un don des Valar, » répondis- je, sachant que cela ne serait pas assez pour lui. « Je l'ai eu toute ma vie. Je ne sais pas pourquoi ni comment cela marche, non plus que je ne puis promettre que cela va marcher. » Je ne lui dis pas que je n'avais jamais guéri d'aussi grave maladie auparavant, ni ressenti la douleur que je ressentais à présent. Quelque chose avait changé.

Le regard d'Aragorn se posa sur mon visage. « Vos talents équivalent la magie des Elfes, » dit-il si doucement que je pouvais à peine l'entendre. Il m'étudia, son visage immobile et pensif, m'examinant tandis que je m'appuyais contre la pierre blanche du mur. Je secouai la tête, légèrement amusée par sa déclaration. Pour valoir les dons elfiques, il aurait fallu faire preuve d'une bien grande magie. Tandis que la pensée s'installait, je levai une main tremblante pour couvrir mes yeux. Se pouvait-il qu'il eût raison ? Mon habileté à guérir avait-elle augmenté ? Et si tel était le cas, comment cela était-il possible ? Et pourquoi ?

Il entreprit de m'offrir une place à la Cour mais je déclinai. Je luttais pour me mettre debout, incapable de supporter plus longtemps son regard pénétrant, bien que la faiblesse apportât un tremblement désagréable à mes genoux. A ce moment mon seul désir était de trouver mon lit et de dormir. Me forçant à sourire, je remerciai le Roi encore une fois pour sa gentillesse et je fui sa présence, mais alors que je me glissais dans la foule je pus sentir son regard derrière moi.

Abattue et nauséeuse, je parcourus les rues en trébuchant jusqu'à ce qu'enfin j'atteignîs la ruelle où j'avais mon logis, mais j'étais à présent si faible que j'eus à ramper sur les toutes dernières marches à l'aide des mains et des genoux. Je m'effondrai sur mon lit minuscule, agitée de frissons, jusqu'à ce qu'enfin je pûs sombrer dans un sommeil lourd ,qui dura un jour entier.

Lorsque je m'éveillai, le matin était encore jeune ; mes vêtements de nuit étaient humides de transpiration mais mon esprit était clair, et mon corps avait recouvré ses forces. Je me levai sous le coup de la faim, si forte que j'en tremblais, et me mis en quête des reliefs du repas du jour précédent. La nourriture était désséchée et un peu rance, mais je la dévorai cependant, après quoi je lissai ma robe pour en défaire les plis. La laine grise avait connu des jours meilleurs et avait achevé de partir en loques durant mon long voyage à pied jusqu'à Minas Tirith, mais elle était ma seule possession.

Je sortis marcher par les rues de la cité silencieuse, cheminant en direction des murs, au moment où les premiers rayons du soleil éclairaient l'horizon, les mèches rousses de l'aurore brillant au-dessus de ce qui restait de l'obscurité du Mordor. Je m'assis au pied de la fraîcheur des pierre blanches, songeant à la petite fille, me demandant si elle allait réellement bien. Je pris appui sur mes mains, et respirai l'air frais du matin, sentant le brouillard humide se dissiper comme le soleil commençait à réchauffer les pierres. Je pouvais entendre le froissement des bannières sous le vent fort qui venait de l'Est, et l'écho des conversations qui montait depuis les gardes postés sous les murs. Lentement, la cité revenait à la vie en même temps que ses habitants s'éveillaient pour entamer un nouveau jour.

Je venais de me décider à partir lorsqu'une main de petite taille s'agrippa au volant de ma jupe et le secoua légèrement pour attirer mon attention. Je me retournai pour me trouver face à la petite fille, dont les joues étaient toujours rosies de bien-être et dont les yeux verts étincelaient dans le soleil matinal. Elle souriait avec timidité, et j'aperçus sa mère qui se tenait quelques mètres plus loin.

Lorsque je rencontrai son regard elle s'avança et s'empara de ma main, bien qu'instinctivement je tentâs de lui retirer, car sa gratitude me mettait mal à l'aise. La peine de mon propre enfant pesait encore lourdement sur mon coeur. Pourtant, lorsque les larmes me montèrent aux yeux, la petite fille me saisit la main et m'attira jusqu'à elle. Avec cette innocence que possèdent les jeunes enfants, elle sourit et essuya sur ma joue l'unique larme qui y avait coulé. Puis elle passa ses petits bras autour de ma nuque, et son je me trouvais étrangemement rassérénée par son étreinte.

Elle me dit que son nom était Gwinnyth, et cela me fit sourire, car il lui allait bien. Son rire d'Elfe malicieux réchauffa mon coeur, et sa douceur allégea ma peine. Sa mère me supplia d'accepter une récompense en paiement des soins, et en dépit de mon refus elle me fourra un petit panier dans les mains. Encore hésitante, je regardai à l'intérieur, pour y voir du pain frais et des fruits. De telles choses étaient encore difficiles à trouver et, soucieuse, je tentai de les lui faire reprendre, mais la femme secoua la tête et regagna son stand, que j'aperçus enfin, l'ayant dépassé sans le savoir alors que je me rendais à la rencontre du soleil levant.

L'enfant prit place à mes côtés comme je mordais dans un fruit, et nous contemplâmes toute deux le soleil embraser la Cité Blanche dans toute sa splendeur. Son gazouillis m'apaisait. Voilà des mois que j'avais été noyée dans la douleur, mais à présent je me demandais si peut-être je recommençais à trouver ma voie. Pouvais-je guérir à nouveau ? Réussirais-je encore à le faire ? Je l'ignorais, mais je trouvai du réconfort dans cette petite main, glissée dans la mienne.

***

Je fus par la suite attirée à ceux qui étaient malades, et le quartier qui les abritait devint presque une seconde demeure. Je vis peu Aragorn, mais son estime à mon égard était maintenant connue, et l'on me conduisait souvent à ceux qu'il n'avait pas réussi à guérir. Ses dons étaient si grands, que je me suis souvent demandé comment il avait échoué avant moi mais il est vrai que Sauron et les démons de la guerre avaient encore prise sur un grand nombre. Les jours s'écoulant, le Roi laissait errer son regard sur la plaine aussi souvent que moi, et je savais que ses pensées étaient ailleurs. Je savais qu'il l'attendait, celle qu'il aimait, et ce dévouement, cette force d'esprit touchait mon coeur, ne s'amoindrissant point quand passaient les jours et les semaines. Il savait qu'elle allait venir, et se yeux étaient souvent rivés sur le lieu lointain d'où elle apparaîtrait pour la première fois.

Il me parla rarement, mais je fus honorée de savoir qu'il pensait toujours à moi. J'en étais consciente car chaque fois que j'achevais de prodiguer des soins, je trouvais quelqu'un qui m'attendait afin de m'escorter jusqu'à ma chambre. Aragorn savait tout de la faiblesse qui me surmontait, et faisait en sorte que, si nécessaire, je fusse portée de par les rues jusqu'à mon lit.

Tandis que les gens continuaient d'entrer par flots dans la cité, les rumeurs se répandirent. Elle était en chemin, mais se trouvait encore au loin ; et bien que le temps dût avoir passé avec lenteur pour le Roi, chaque jour davantage voyait ses yeux briller sous l'effet de la joie. Quelques uns de ses amis, ses alliés de guerre, étaient déjà arrivés, un Nain et plusieurs Hobbits, mais ce jour-là il en vint un de plus. Je vis la posture d'Aragorn changer à l'approche d'un cavalier solitaire. Le Roi paraissait exalté, et j'observais plus attentivement pour apercevoir le nouvel arrivant, dont les cheveux blonds, qui lui descendaient à la taille, flottaient derrière lui comme il chevauchait dans un bruit de tonnerre à travers la plaine.

Il arriva bientôt, et sa façon de bondir à bas du cheval me dit qu'il s'agissait d'un Elfe avant même que je vîs ses oreilles. Il salua Aragorn, et ses pieds semblèrent à peine toucher le sol lorsqu'il étreignit le Roi sans réserve. Ils rirent et se tournèrent, et je restai muette d'admiration devant la beauté de cette créature elfique, la première de sa race que j'eusse jamais vu.

Ils passèrent les portes, conversant à voix basse tandis qu'ils traversaient la cité. Je me tournai et les regardai s'éloigner, étudiant l'Elfe qui avançait avec grâce au côté du Roi. Nattés dans son dos, ses longs cheveux pâles retombaient sur son carquois, et je remarquai que son arc, long et incurvé, et le manche en ivoire de ses longues dagues se confondait presque avec leur couleur. A ma grande surprise, il avait dû sentir mon regard, car il tourna soudain la tête dans ma direction. Je détournai les yeux, mais pas avant que les siens, d'un bleu surprenant, ne les rencontrent ; et il me sourit.

Lorsque j'osai enfin regarder à nouveau, ils étaient hors de vue, et je soupirai en retournant à la foule, sachant qu'à un moment ou un autre le Roi mentionnerait mon nom. Mon désir de passer inaperçu était rapidement devenu impossible, ce qui rendait souvent difficile de trouver la solitude dont j'avais besoin pour méditer sur ce qui m'arrivait. D'une manière étrange, j'avais comme l'impression d'être en train d'attendre quelque chose. De plus en plus souvent je me prenais à guetter depuis les murs de la cité, à guetter toujours. Mais quoi, ou qui donc ?

C'est à cet endroit que l'Elfe me trouva un jour. Encore éprouvée par une récente guérison, je fus jetée dans ses bras par quelques enfants qui m'avaient bousculée en courant à travers la foule. Ses mains fortes m'aidèrent à rétablir mon équilibre et me remirent d'aplomb, ses yeux bleus emplis de curiosité tandis qu'ils se posaient sur mon visage. Il avait dû voir ma pâleur, car il fronça les sourcils et passa un bras autour de mes épaules, et me conduisit vers un banc.

Il me parla avec douceur, sa voix à peine un murmure à mes oreilles. Il me dit que son nom était Legolas, et qu'il avait entendu parler de moi et de mes dons. Il me conta également son admiration pour ce que j'avais fait, et son inquiétude quant à ma santé. Je m'assis, écoutant tout émerveillée, stupéfaite que quelqu'un tel que lui se souciât de mon bien-être.

Il m'aida à rentrer chez moi et lorsque je me tournai devant la porte je vis qu'il m'étudiait encore. Il était grand, et cela m'obligea à lever les yeux vers lui quand il me parla à nouveau de ses inquiétudes à mon sujet. Il parla avec conviction, mais malgré cela je continuais de prodiguer des soins à chaque fois que j'étais appelée à le faire. On m'avait souvent répété que j'étais têtue, et je suppose que ce fut aussi l'avis de Legolas ; mais il ne m'en fit point le reproche. Quand je me sentais assez bien, j'allais jusqu'aux murs, et le trouvais souvent là-bas, m'offrant de la compagnie si tel était mon désir. Je ne savais toujours pas qui ou ce que j'attendais, mais je ne lui en soufflai mot et il ne parut pas s'en préoccuper.

Et c'est enfin que le jour que j'avais tant attendu arriva, bien que je ne le susse point en premier lieu. Il faisait froid et gris, les nuages s'amoncelant dans le ciel, menaçant d'inonder la cité. Je tirai mon monteau sur mes épaules et parcourut du regard la plaine, mes cheveux cinglant mon visage et mes yeux sous l'effet du vent. Ces derniers temps la mélancolie s'était de nouveau emparée de moi, et de sombres pensées m'habitaient, qui me faisaient revenir sans cesse sur mon enfant et sa mort.

Ce jour-là j'éprouvai l'envie étrange et irrésistible d'aller plus loin que j'avais jamais été jusqu'à présent, et je me trouvai en train de grimper la colline, suivant les chariots qui empruntaient le chemin menant aux étages supérieurs de la ville. Je n'avais aucune idée d'où je mettais les pieds, et fus surprise de me voir à la porte de la Haute Cour, emplie d'amiration devant la Fontaine au pied de la Blanche Tour d'Ecthelion. Les gardes me dévisageaient avec curiosité, ne sachant pas s'ils devaient m'autoriser à entrer alors que, sans réfléchir, je fis un pas en avant. C'est alors que l'Elfe surgit de nulle part, et les gardes se retirèrent comme Legolas prenait ma main et me conduisait à travers la cour. Même ici, dans ce décor fabuleux, j'étais attirée par les murs, la hauteur du lieu m'assurant d'une vue plus étendue que celle que j'avais l'habitude de voir. Les nuages se dispersaient peu à peu, et juste comme le soleil faisait une apparition, Legolas tendit le doigt en direction des collines lointaines, apercevant quelque chose que je ne pouvais pas voir. En riant, je lui rappelai que mon regard ne portait pas aussi loin que le sien, mais un moment plus tard des cris d'enthousiasme derrière nous m'apprirent ce que j'aurais dû deviner.

Elle approchait. Je me tournai à nouveau vers le mur et me penchai, tandis que Legolas m'entretenait doucement, en disant plus long sur Arwen Étoile- du-Soir, sur sa beauté et pourquoi elle allait épouser Aragorn. Elle vient avec son peuple, expliqua-t-il, et je souris à l'idée de la joie qu'Aragorn devait ressentir. L'Elfe sourit à son tour, et me parla de la célébration qui allait s'ensuivre.

Je me penchai par-dessus le mur, essayant vainement de voir ce qu'il me décrivait, tandis que j'imaginais la splendeur de ce qui était préparé. Il quitta mon côté un moment, et j'observai la plaine, apercevant enfin les mouvements à l'horizon comme ils devenaient peu à peu visibles à mes yeux humains. Le retour de Legolas me prit par surprise et je sursautai lorsqu'il effleura mon coude.

« Venez, » dit-il. « Nous chevaucheront ensemble. »

Il avait amené un superbe étalon blanc avec lui, que nous montâmes pour traverser les rues jusqu'à la plus basse des portes de la cité. Une fois arrivés, je le remerciai et sauta à bas du cheval, ignorant son léger froncement de sourcils. Je ne savais pas pourquoi je ne désirais pas être à ses côtés lorsque les Elfes arriveraient, mais je me glissai dans la foule en hâte pour rejoindre mon perchoir favori sur le mur. La foule se resserra autour de moi tandis que je contemplais la lente approche de la procession, les ombres s'allongeant comme le jour s'avançait. Le long convoi des Elfes avait fait halte au petit matin, et leur radiance avait illuminé la plaine.

Aragorn les avaient observés longtemps depuis la selle de son cheval, mais il avait fini par bondir à terre et courait à présent par les portes afin d'accueillir les deux Elfes qui conduisaient la procession. La ressemblance frappante de leurs traits les disaient jumeaux, et ils saluèrent Aragorn comme s'ils l'avaient connu de longue date. Derrière eux venaient deux Elfes de grandes tailles, l'un blond, l'autre brun et la mine sombre. Aragorn hocha la tête dans un signe de bienvenue, et leurs visages s'adoucirent comme ils le regardaient.

Derrière eux chevauchaient d'autres Elfes aux cheveux sombres, aux traits réguliers et pleins d'élégance, mais Aragorn les dépassa sans leur accorder la moindre attention, se dirigeant vers un autre couple. Des torches avaient été allumées, mais cela ne parut n'avoir guère de nécessité quand Aragorn se rendit au devant d'un couple d'Elfes à l'allure majestueuse montés sur deux chevaux blancs. Il s'inclina avec le plus grand respect, visiblement rempli d'admiration à leur encontre, et je plissai les yeux pour les mieux voir. Il tendit la main pour aider la femme-Elfe à descendre de cheval, et c'est en souriant qu'elle l'embrassa sur les deux joues. Son compagnon démonta également, et salua Aragorn avec une visible tendresse.

Aragorn s'entretint avec eux un moment, puis la femme se tourna pour désigner un point derrière elle. Je contemplai avec émerveillement les deux Elfes se rapprocher, glissant vers l'endroit d'où je me tenais. L'air paraissait littéralement vibrer autour d'eux. La femme se tourna dans ma direction et je me raidis, pénétrée du sentiment étrange qu'elle posait les yeux droit sur moi.

Elle était d'une incroyable beauté, ses cheveux d'argent tombant jusqu'à ses hanches, et bien que je ne pûs voir ses yeux, je sus qu'ils étaient bleus et perceraient sans heurt en moi. Durant un long moment ces yeux semblèrent rivés aux miens, puis elle se détourna lorsque le seigneur Elfe lui glissa un mot, son regard errant par-dessus les murs. J'avais fait un pas en arrière, mais je m'approchai à nouveau, incapable de détacher mon regard tandis qu'Aragorn marchait lentement au côté d'un Elfe de haute taille solidement bâti, aux cheveux d'un blond d'argent. J'eus la respiration bloquée dans la gorge en contemplant, fascinée, cette magnifique créature.

J'avais pensé Legolas beau, mais cet Elfe me coupa le souffle. Je fus stupéfaire de constater qu'il marchait avec une raideur innacoutumée pour quelqu'un de sa race, et cela me troubla l'esprit lorsque je réalisai pour quelle raison il devait en être ainsi. Aragorn passa un bras sous le coude de l'Elfe, qui avait légèrement chancelé, la frustration se lisant sur son visage d'une manière évidente, même depuis l'endroit où je me trouvais. Les murmures qui couraient autour de moi retinrent mon attention, et me révélèrent le nom de l'Elfe.

Haldir, Gardien des Frontières de la Lothlórien.

Ce nom, je l'avais maintes fois entendu tout récemment, alors que la nouvelle concernant l'arrivée des Elfes se répandait dans la cité. Beaucoup s'étaient demandés si il viendrait jamais, la rumeur de la profonde blessure reçue dans la bataille étant sur toutes les lèvres. Peut-être que les Hommes auraient tout de même emporté la victoire lors de la récente guerre de l'Anneau, mais l'arrivée des Elfes pour la bataille du Gouffre de Helm l'avait certainement assurée. Celui qui les avait menés, Haldir, avait été gravement blessé, et c'était très peu de temps auparavant qu'Aragorn avait découvert qu'il était toujours en vie.

Je ramenai mon regard à la plaine, cherchant avec frénésie l'Elfe blessé, et je vis qu'Aragorn et lui s'étaient séparés, et qu'Aragorn avait atteint la queue de la procession et marchait à présent en compagnie des deux derniers Elfes. L'un d'eux, un siegneur de noble prestance aux cheveux sombres, était assis très droit sur sa selle et portait un long sceptre. A côté de lui, montée sur un petit palefroi de couleur grise, se tenait une très belle jeune femme.

Je sus à l'instant qu'elle devait être la bien-aimée d'Aragorn, car je pouvais voir depuis mon promontoire la manière dont ils souriaient l'un à l'autre. Les convenances furent cependant observées ; le seigneur Elfe démonta, s'inclina légèrement devant Aragorn, et lui tendit le sceptre. Il aida ensuite sa fille à descendre de cheval et, la mettant cérémonieusement dans celle d'Aragorn, lui accorda officiellement la main d'Arwen Étoile-du- Soir.

Cependant que le Roi conduisait sa désormais promise jusqu'aux portes de la Cité Blanche, je me mis une nouvelle fois à la recherche de l'Elfe blessé, Haldir. Je le trouvai enfin, et observai la façon dont il s'appuyait à un autre Elfe qui lui ressemblait assez pour être son frère. Du côté opposé, il y avait un autre Elfe, peut-être un second frère, qui aidait aussi à le tenir debout. Je sentis ma poitrine se serrer d'étrange manière en regardant la façon dont Haldir s'efforçait de se tenir droit, repoussant les mains qui s'offraient en aide en dépit de sa douleur évidente. Ses traits remarquables étaient tendus et contractés, laissant transparaître la profondeur d'une souffrance que je pouvais à peine imaginer.

Puis les trois Elfes échappèrent à ma vue, et je m'adossai au mur en proie à des émotions divers et au plus grand désarroi, mon coeur battant à une allure folle. L'image de l'Elfe blessé mais si fier, ses cheveux blonds brillant jusqu'à sa taille à la lumière des torches, paraissait irrévocablement gravée par le feu dans mon esprit. Sans savoir pourquoi, j'eus la certitude que mon attente avait pris fin. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?

Cette nuit-même Aragorn prit pour femme la belle Elfe qui avait depuis longtemps gagné son coeur. En les voyant ensuite chevaucher par les rues puor se mêler à leur peuple, je m'appuyai avec mélancolie contre la pierre froide d'un mur proche, leur souhaitant en silence le bonheur, et priant pour qu'ils le connaissent. Le Roi se traça un lent chemin à travers les rues illuminées par des torches, ses yeux allant du visage de sa jeune épouse à la foule en liesse. Je souris lorsqu'il m'aperçut, puis je remarquai la façon dont son sourire s'éteignit et ses yeux soutinrent mon regard.

Immédiatement, je sus pourquoi.

Je commençai à rebrousser chemin, mais il avait déjà sauté de cheval et se frayait un chemin vers moi, l'Elfe qui était devenue sa femme me regardant d'une manière curieuse. Je me préparai à ce qui allait suivre, sachant ce qu'il s'apprêtait à dire, ce qu'il demanderait.

« Vous l'avez vu, » dit Aragorn, d'une voix basse et pressante.

J'acquiesçai sans mot dire. Il n'y avait pas lieu de demander de qui il parlait.

Il me regarda, observant mon expression fermée. « Pouvez-vous l'aider ? Même des mois après la bataille, il endure encore une grande souffrance. La magie des Elfes s'est révélée impuissante à le soigner tout à fait. »

« C'est ce que j'ai vu, » chuchotai-je, les lèvres desséchées par l'appréhension.

Il me fixa durant un long moment. « Essaierez-vous de l'aider ? » demanda- t-il de nouveau, sachant parfaitement le prix que cela me coûterait. « Si vous ne le faites pas, il va vivre dans cette douleur pour l'éternité. »

Haldir n'était pas malade, mais blessé, lui dis-je, et sa blessure était grave. Je craignais de tenter quoi que ce fût, car j'ignorais si mes capacités n'allaient pas contrer ce que les Elfes avaient déjà accompli. Que se passerait-il si je le rendais plus souffrant encore ? Je savais que mon visage était pâle comme je parlais, car en vérité mon désir de guérir cet Elfe avait déjà passé les limites de la raison. Et cependant, allant de pair avec ce désir, mes doutes avaient de nouveau fait leur apparition.

Aragorn me regarda fixement, paraissant sur le point de me répliquer.

Avant qu'il pût ouvrir la bouche, je me détournai et m'enfuis, sachant que j'avais besoin de davantage de temps pour y réfléchir. J'avais soigné beaucoup de personnes, mais jamais encore je n'avais touché d'Elfe. Oserai- je m'y risquer ? Comment accepterai-je de me regarder en face si je n'essayais pas ? Et qu'arriverait-il si je faisais une telle chose ?