Pov Jim
J'adorais la vue de mon bureau. Ce n'était pas pour rien que je l'avais choisie… Si Mycroft déclenchait une guerre, j'étais certain d'en être averti sinon par mes taupes, au moins par la circulation. Excellent moyen de connaitre l'impact d'une action sur la capitale anglaise. Et justement en ce moment on aurait pu croire que quelqu'un avait donné un coup de pied dans la fourmilière… L'explosion avait bien eu lieu, et les gens savaient déjà… Noël était gâché dans l'esprit des petits et des grands… Parfait… J'adorais ce chaos, c'était distrayant…
_ Monsieur ?
Et ça c'était la confirmation dont je n'avais pas vraiment besoin. Mais bon, c'était toujours satisfaisant.
_ C'est fait ? Comment Sherlock a réagi ? Je suis sûr qu'il devait être furieux d'être arrivé trop tard…
Un coup d'œil jeté par-dessus mon épaule pour Moran, pas plus. Mon bras droit était d'un ennui mortel. Efficace, ça personne ne pouvait le nier, mais pas vraiment un bout en train.
_ A vrai dire, il est arrivé juste à temps Monsieur.
_ Pour regarder le bâtiment s'écrouler ? Encore plus rageant, ricanais-je.
Je secouais la tête, hilare. Avec un peu de chance les caméras de sécurité de notre Londres paranoïaque avaient capturé son expression. Quel délice ce serait de posséder cet enregistrement…
_ Il était dans le bâtiment quand la bombe a explosé, annonça Moran.
Mon amusement mourut aussitôt. Je me tendis comme un arc en me tournant vers mon homme de main. Mes veines dégueulaient la lave, mais il n'en avait pas l'air affecté, il ne pressentait pas le danger.
_ Répète-moi ça !tonnais-je.
_ Il était dans le bâtiment lors de l'explosion.
_ Pourquoi suis-je entouré d'incapables ?! Une seule fois je vous confie Sherlock et ça vous suffit pour tout foirer !
Mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine. Dans le bâtiment ? La bombe l'avait forcément soufflé tout entier, alors Sherlock… Sherlock ne savait pas quand la bombe allait exploser, alors il avait certainement pris le risque…
_ Dans quel état est-il ?m'enquis-je livide.
Cet abruti se serait bêtement vanté si l'explosion avait tué Sherlock, non ? Il pensait visiblement que l'objectif était de l'atteindre, donc il y verrait une possibilité de bonus. Quel crétin alors… Si j'avais voulu le tuer, j'aurais eu un milliard de possibilités ! Mais je le voulais en vie… Je le voulais sain et sauf…
_ Nous l'ignorons. Il n'a pas été dégagé des décombres pour le moment.
Que faisait-il là alors ?! Son travail l'attendait ailleurs ! Je me retins de loger une balle entre ses deux yeux. La rage meurtrière ne me servirait pas dans ce cas. Il me fallait du monde de disponible, et j'avais besoin d'un intermédiaire pour donner les ordres.
_ Je veux nos meilleurs hommes sur le terrain avec des tenues de sauveteurs, exigeais-je. Et que nos meilleurs médecins se tiennent prêts. Récupère une ambulance pour le prendre en charge et l'évacuer.
_ Bien monsieur.
Moran se retira pendant que je marchais de long en large dans mon bureau. J'abandonnais assez vite cette perte de temps. De toute façon ce n'était pas comme si j'allais réussir à travailler sans savoir ce qu'il en était. Je quittais mon bureau au pas de course pour aller me trouver une tenue de secouriste. Avec mes connaissances en architecture et en mathématiques, j'étais certainement la meilleure chance de survie de Sherlock. Il fallait que je me rende sur place, il fallait que je le retrouve.
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Le bâtiment était en piteux état, comme je l'avais prévu en bricolant ma bombe. Les secours s'agitaient bêtement sans estimer les dégâts faits à la structure. Evidemment qu'il y avait des experts pour évaluer la solidité du château de cartes écroulé, mais ils s'y prenaient mal.
La tenue de secouriste était lourde, et encombrante, mais nécessaire pour accéder aux ruines. Au moins personne ne me questionnait ainsi, donc je pouvais passer les cordons de sécurité. J'avais profité du temps du trajet pour visionner les enregistrements de toutes les caméras de surveillance du bâtiment avant l'explosion. Ainsi je pouvais estimer l'emplacement de Sherlock à un ou deux mètres de marge d'erreur. C'était justement dans cette zone que je filais droit. Le faux plafond s'était effondré, et l'endroit ne semblait pas intéressant, mais je savais que c'était là que nous devions creuser.
J'eus vite fait de donner les ordres –procédez avec précaution !-, et dans la minute qui suivit j'étais à genoux, déblayant frénétiquement mais doucement. Tout avait pris la couleur de la poussière avec ces gravas, mais au bout d'une poignée de minutes de travail je distinguais la forme d'un index.
_ Il est là !criais-je.
Mes hommes se resserrèrent autour de la silhouette qu'on pouvait imaginer et après un regard noir de ma part ils firent encore plus attention en soulevant les débris. Le visage de Sherlock m'apparut bientôt, couvert de sang et de poussière. Il avait pris un sérieux coup sur le crâne. Mais ce n'était pas le plus préoccupant. Il ne respirait pas…
Mon cœur battant pour deux, je me jetais sur lui pour le secouer, totalement oublieux des consignes concernant ce genre de traumatismes : surtout ne jamais bouger la colonne vertébrale quand il y a un risque. Mais entre la paralysie et la mort j'avais fait mon choix !
_ Allez, un effort Sherlock !l'exhortais-je.
Plutôt que de céder à la panique –ou à la fureur, comme mes hommes le redoutaient puisqu'ils s'étaient éloignés comme s'il ne restait plus rien à faire pour le sauver-, je vérifiais son pouls. Faible, mais oui, il y avait un pouls. Un arrêt respiratoire entrainait un arrêt cardiaque, naturellement, et ne pas oxygéner le cerveau c'était automatique provoquer une nécrose de certaines aires. Même minime, c'était un gâchis pour Sherlock.
Je me mis énergiquement à pratiquer un bouche à bouche à Sherlock. Il devait vivre ! Nous n'avions pas fini notre histoire !
_ Tu peux pas m'faire ça…, marmonnais-je entre deux expirations.
Je m'acharnais encore plus à mesure que les minutes passaient. Nous n'avions pas beaucoup de temps, il fallait qu'il reprenne le réflexe de respirer bon sang ! Une côte, ou peut-être deux, céda sous mon zèle désespéré, mais après cette longue agonie j'eus le bonheur de le voir prendre le relai.
_ Il respire !soufflais-je soulagé.
Méfiant, je le surveillais quand même pendant les secondes suivantes, mais tout avait l'air normal. Me voyant essoufflé, Moran me tendit une bouteille d'eau. Je m'en saisissais, mais pour la verser sur le visage de Sherlock. Ma main ne fut pas un renfort inutile pour libérer sa peau du sang et de la poussière qui l'avaient asphyxiée. Sherlock était toujours inconscient, et maintenant que je pouvais évaluer la plaie pour ce qu'elle était vraiment, je comprenais pourquoi. Le coup était vraiment méchant… Il allait devoir passer un scan crânien. Impossible qu'il s'en sorte sans au moins une commotion.
_ Et maintenant ?me questionna Moran.
_ Et maintenant on rentre, énonçais-je comme une évidence.
N'était-ce pas une malédiction de travailler avec des personnes aussi lentes ? Mes mains tremblaient, seule raison pour laquelle je renonçais à porter Sherlock ou à aider à le hisser sur un brancard. Mes hommes n'avaient pas de cervelles, ils pouvaient bien utiliser leurs muscles au moins !
Je sortis penaud du site, regardant vaguement les cadavres sur mon passage, ou les victimes affolées mais bien portantes. Tout ça m'indifférait. C'était certainement de l'hypocrisie. Quelques minutes plus tôt j'étais à leur place presque, m'inquiétant pour un être cher, et maintenant je les méprisais pour la bassesse de leurs sentiments, pour la panique qu'ils exprimaient librement, mais moi j'étais presque rassuré pour Sherlock. Je l'avais retrouvé et sorti de cette ruine.
Les sirènes des ambulances hurlaient dans nos oreilles, donnant à cette scène un air encore plus chaotique. Ce n'était pas très logique quand on y pensait. Ce son attisait la panique. Mais dans un sens… Quand il fallait s'ouvrir une voie pour un petit boulot… Je regardais justement une ambulance partir. Les gens s'écartaient. Il y avait un respect culturel de l'urgence, personne ne s'amusait à la freiner… Il me fallait une ambulance… Ou du moins je voulais m'amuser à en utiliser une au moins une fois pour une mission… Et dévoiler le plan pour faire naitre chez la populace un sentiment de méfiance et de crainte permanente…
_ Vous voulez un suivi du détective ?
Moran m'interrompait dans mes pensées, si bien que j'avais du mal à comprendre de quoi il parlait. Habitué à ce genre de balourdises, il s'expliqua.
_ Sherlock vient de partir dans cette ambulance monsieur…
L'ambulance que j'avais regardé partir… Ce n'était pas comme si nous étions venus équipés pour tromper les secours ! Nous avions notre propre ambulance, justement pour évacuer Sherlock ! Je ne pouvais pas faire une scène, pas ici, mais des têtes allaient tomber… Beaucoup de têtes… Autant d'erreurs dans la même journée ?! Je n'allais pas tolérer ça !
_ Trouve-moi dans quel hôpital il va, sifflais-je rageusement.
