Auteur :Temi-Chou

Titre :Tremplin Indigo !

Notes : Chers amis lecteurs de la Ligue, je ne veux pas vous décevoir. Et comme je ne veux pas que vous pensiez que j'ai totalement oublié que j'écris des fanfictions, je vous présente donc mon nouveau bébé, Tremplin Indigo, un UA qui, je l'espère, vous plaira comme la Ligue vous plaît.

Pour mes nouveaux lecteurs, bienvenue ! Approchez-vous, je ne mords pas.

Notes bis : Je dirais bien que cette fanfic est plus trash que La Ligue sur certains points (ma beta m'a envoyée me pendre. Fichtre.). Mais bon, je vais dire M, pour certaines scènes futures.

Notes ter : Les paroles en italiques sont des paroles en français.

Playlist du chapitre (il y en a peu, parce qu'en fait, je ne me souviens plus du tout avec quoi je l'ai écrit, ce chapitre...) :

Don't Forget Me, Red Hot Chili Peppers, By The Way.

Another Brick In The Wall, Pink Floyd, The Wall.

La Fille du Chat Noir, Matmatah, La Ouache.


I.

— Sacha, dépêche-toi, tu vas être en retard !

— Oui, m'man, je me dépêche !

Le jeune garçon de dix-huit ans, presque dix-neuf, soupira et se força à éteindre la télé, coupant ainsi son émission préférée et termina de lacer ses baskets. Il enleva sa souris, Pikachu, qui jouait sur sa casquette pour la remettre dans sa cage avec désespoir.

— Je ne peux pas t'emmener au travail, avec moi… Désolé, Pikachu.

La souris ne semblait pas plus perturbée que ça, puisqu'elle entra dans sa gamelle pour aller grignoter. Le jeune garçon soupira et attrapa sa casquette pour se regarder dans la glace. Ses cheveux noirs en bataille seraient dissimulés par sa casquette rouge et noire dont il ne se séparait que pour dormir, ses yeux marron étaient cerclés de cernes. Il avait passé sa nuit à écrire, comme toujours et n'avait que très peu dormi. Il examine rapidement ses vêtements. Sa veste était froissée, son tee-shirt était sale, tout comme son jean trop large pour lui. Tant pis, ça suffirait. Il allait travailler, pas à un rencard.

Attrapant ses clés de voiture sur le bureau, il referma la porte de sa chambre qui était en bazar perpétuel, pour parcourir les quelques mètres qui le séparaient des escaliers. Il les dévala, passa dans la cuisine pour embrasser sa mère.

— J'y vais, à ce soir !

Il sortit du petit pavillon de banlieue où il vivait seul avec sa mère et monta dans sa voiture, une vieille Ford usée jusqu'à la corde, qu'il avait depuis ses seize ans, âge légal pour avoir son permis aux États-Unis.

Il démarra et commença à rouler, allumant son autoradio, pour écouter du vieux rock des années 70. Chantant derrière son volant, il s'imaginait déjà sur le devant de la scène, à la place du chanteur de ce groupe qu'il vénérait.

Sa passion, c'était la musique, depuis toujours, depuis l'enfance. Sacha voulait devenir un artiste, un vrai. Un de ceux qui sont reconnus pour ce qu'ils font. Il se voyait avec son groupe de pop rock, les Pocket Monsters, devenir une icône pour toute une génération, il s'entendait déjà passer à la radio. Les filles seraient folles de lui, ses textes bouleverseraient des milliers de personnes, qui viendraient ensuite remplir des salles de concert.

Serrant le frein à main, coupant le contact sur le parking de l'école de musique, il sourit. Ce serait vraiment génial. Lorsqu'il atterrit de son rêve, il secoua la tête. Il ne fallait pas rêver, il n'était qu'un petit jeune de banlieue qui avait arrêté l'école en première année de lycée, n'ayant pas les moyens de prendre des cours de musique, avec comme seul atout l'héritage que lui avait laissé son père : une bonne connaissance du français parlé.

Sacha Ketchum rejoignit son poste d'agent d'entretien de l'école de musique de son quartier pourri.

À moins qu'un miracle ne se produise, Pocket Monsters resterait un rêve trop beau pour lui et rien de plus.


Courant dans les couloirs, sa basse sur le dos, une petite rousse aux yeux bleu-vert et aux longs cheveux roux, au style très masculin – elle était vêtue d'un pantalon large et informe noir qu'elle portait à mi fesses et des chaussures de skate aux lacets dépareillés de la même teinte, qui tranchaient avec le débardeur moulant jaune mettant ses petits seins en valeur – bouscula un professeur dans un couloir.

— Excusez-moi, lança-t-elle par–dessus son épaule.

Elle était en retard. Son professeur de micro finance les avait retenus et elle allait être en retard à son premier cours de basse de l'année. Septembre commençait à peine, elle entamait sa troisième année en cursus économie gestion à Harvard.

— Waters ! appela une voix.

La jeune fille s'arrêta de courir pour regarder d'où venait la voix et heurta la personne qui venait de l'interpeler. Il s'agissait de Rudy, le capitaine de l'équipe de football de l'université. Elle ne l'aimait pas du tout mais lui semblait vraiment s'être attaché à elle. Il lui montra les clés de son Audi TT et lui fit un clin d'œil.

— Je te dépose quelque part ?

— Certainement pas. Je suis déjà très en retard, laisse-moi passer.

Soupirant, l'immense garçon brun s'écarta de sa route et elle repartit. Elle avait changé d'école de musique parce que Violette, son aînée, la fliquait tout le temps. Elle aurait bien voulu faire de la musique son seul univers, elle avait été subjuguée par les solos de basse qu'on pouvait entendre et cet instrument était devenu son monde. Cependant, quelque chose avait fait qu'il en serait autrement et depuis, Violette n'avait de cesse de vouloir la forcer à cesser de perdre temps et argent avec la musique.

Sans les prévenir, elle avait donc quitté l'école de musique où son chauffeur l'amenait, pour grimper dans sa Mini et aller s'inscrire dans une petite école de quartier. Son premier cours d'harmonie de l'année avait lieu à dix-huit heures trente. Il était dix-huit heures et elle n'avait même pas fini de traverser le campus pour rejoindre sa voiture.

Y arrivant peu de temps après, elle mit le contact et alluma la radio. Sa chanson préférée du moment passait et elle s'accorda quelques secondes pour mimer le bassiste, d'un air passionné. Fermant les yeux, elle s'imaginait faisant partie des Red Hot Chili Peppers, son groupe favori, à la place du bassiste, Micheal Balzary, son idole. Quelques secondes, ce fut elle qui recevait les acclamations de la foule, c'était son image qu'on collectionnait dans les magazines et elle vivait enfin le rêve de sa vie.

Soupirant et secouant la tête, elle démarra. Elle allait être en retard et ce n'était définitivement pas possible d'être en retard à son premier cours.

Ondine Waters, dix-neuf ans, soupira une nouvelle fois en quittant le parking de Harvard en s'exhortant au sérieux qu'attendaient ses sœurs.

Il fallait qu'elle soit lucide. Elle était condamnée à continuer ses études de gestion jusqu'à atteindre le niveau master, puis elle irait croupir dans un bureau à gérer la multinationale que son père lui avait laissée. S'il était encore là, il lui dirait de continuer la musique et l'aurait inscrite à Julliard, elle le savait. Cependant ils étaient morts dans un accident de voiture presque cinq ans auparavant, ne laissant à Ondine que cette basse, une Fender que ses parents avaient achetée à Michael Balzarypour une somme indécente et cette ultime volonté, celle la plaçant à la tête de la Waters.

Elle s'arrêta pour laisser un jeune homme passer en travers de la rue et mit le clignotant sur la droite.

Les rêves étaient beaux mais n'était que ça, des rêves. Elle serra le frein à mains, attrapa sa basse et sortit violemment, rayant sa portière sur une vieille Ford qui ressemblait plus à une épave qu'à une voiture en état de fonctionnement.

— Et merde. Je suis bonne pour passer chez le garagiste…

Secouant la tête, elle sortit un stylo et une de ses cartes de visite pour déposer un mot d'excuses sous les essuie-glaces de la Ford, puis elle courut à travers l'école. Avisant un agent d'entretien, un jeune homme qui devait avoir son âge, reconnaissable par cette espèce de combinaison bleue immonde, elle s'arrêta devant lui.

— Excusez-moi, mais est-ce que vous savez où est la classe du professeur Chen ?

— Ouais. Premier étage, deuxième porte à droite. Mais t'as encore cinq minutes avant qu'il ne commence, il est toujours en retard.

— Merci !

Sans attendre la réponse, elle repartit à courir. Elle ne voulait pas manquer une seule minute, même si le prof arrivait toujours en retard. Elle aimait tellement la musique !

Et pourtant, elle se savait condamnée à la vie ennuyeuse de PD-G de la Waters Corp.

Et à moins qu'un miracle ne se produise, les acclamations de la foule resteraient un rêve trop beau.


C'est ravie qu'elle sortit de son cours d'harmonie, deux heures plus tard. Elle sifflotait en sortant de l'école de musique. Le professeur Chen avait présenté l'ensemble du corps enseignant à sa classe et elle avait tout de suite repéré le professeur de basse, Jacky Léon, un grand brun avec un bandeau glissé sur son front, pour retenir ses cheveux mi-longs. Le professeur d'harmonie était un vieux machin portant des lunettes qui faisaient paraître ses yeux globuleux, mais ses cours étaient clairs, contrairement à ceux de son ancien professeur, dans l'autre école.

Elle était finalement encore plus ravie que prévu d'avoir changé d'école de musique. Le professeur Chen était resté pour l'observer et lui avait dit qu'elle avait un niveau excellent et qu'elle aurait même pu partir dans un cursus musical à l'université. Même si Ondine le savait déjà, ça lui avait bêtement fait plaisir.

C'est d'un pas guilleret qu'elle rejoignit sa voiture, sa basse sur le dos. Quand elle arriva au niveau de sa voiture, elle eut la surprise de voir un type mal fringué assis sur son capot, tenant la carte de visite qu'elle avait laissé sous les essuie-glaces.

— Dis donc, toi, t'es sur le capot de ma voiture, descends de là.

Le garçon se tourna vers elle et déchira la carte de visite pour lui en jeter les morceaux au visage.

— Hey ! protesta-t-elle vivement.

— J'ai horreur qu'on se foute de moi, sale gosse de riches.

— De… quoi ?

Le garçon descendit du capot de la Mini d'Ondine pour sortir les clés de sa Ford.

— Pas besoin de faire semblant avec moi. Je sais que ma caisse est pourrie, pas la peine de me le rappeler. Comme si t'en avais quelque chose à foutre de la rayer.

Il la bouscula en passant et fit le tour de sa voiture quand Ondine l'interpela.

— J'étais sincère ! s'écria-t-elle. En te disant que j'étais désolée d'avoir heurté ta voiture, j'étais sincère.

Il ne répondit pas et démarra en trombe, partant bien trop vite, par rapport à la vitesse autorisée. Ondine conclut que ce garçon était désagréable et elle n'avait pas hâte de le recroiser. Elle monta dans sa propre voiture, mettant les clés sur le contact et attachant sa ceinture de sécurité. Ce garçon lui avait cassé sa joie. Elle était pourtant prête à affronter Violette, qui allaient sûrement lui reprocher d'avoir faussé compagnie à leur chauffeur pour partir de son côté.

Mais Ondine était une dingue de voitures, de préférence Ferrari, Maserati et tous les constructeurs automobiles de grosses cylindrées dont le nom finissait par « i » et elle aimait conduire. Puis un chauffeur, c'était le meilleur moyen pour envoyer dans le visage de tout le monde qu'elle était riche et elle détestait ça, n'en déplaise à ce garçon du parking.

Elle monta le son de la musique, pour tenter de calmer la colère qu'elle sentait monter pour ce type qui l'avait à moitié agressée avec ses mots. Elle tourna sèchement et perdit un peu le contrôle de sa voiture, ce qui la fit s'arrêter sur le bord de la route. Elle était trop nerveuse pour conduire, là, et cette voiture n'était pas faite pour les conduites sportives. Ce n'était pas le moment pour se reprendre un carton.

Elle sortit sur le bas-côté et tira de la poche de son jeans noir un étui à cigarettes, qu'elle avait volé dans l'ancienne chambre de ses parents. Violette avait fait stocker dedans toutes les affaires de leurs parents décédés et en avait interdit l'accès à Ondine. Par goût de la provocation, elle était allée récupérer l'étui à cigarettes de son père, qu'elle avait longtemps gardé vide.

Allumant une cigarette, elle ferma les yeux et s'assit sur le capot, remarquant que le garçon du parking y avait laissé des traces de doigts. Recrachant la fumée, elle râla.

— Même pas capable de garder ses mains propres… Foutu imbécile !

Elle termina sa cigarette en chantonnant l'air de Don't Forget Me, sa chanson des Red Hot Chili Peppers préférée avant de se remettre en route vers chez elle.


— C'est moi !

Il claqua la porte et se débarrassa de ses chaussures dans l'entrée. La maison embaumait l'odeur du délicieux repas que sa mère lui avait concocté. Elle était une excellente cuisinière et arrivait à faire du bon avec du franchement médiocre. Souriant, il fila se mettre à table, sa mère se retournant vers lui.

— Tu as passé une bonne journée, mon chéri ?

— Comme d'habitude. Il faut bien travailler mais c'est vraiment pas passionnant de nettoyer une école de musique.

— Il ne s'est rien passé d'inhabituel ?

Délia, sa mère, avait toujours été friande de potins. Elle aimait savoir ce qui arrivait à ses voisins ou ses connaissances, ou n'importe qui, même un inconnu. Elle collectionnait les magazines people et les séances bavardage chez le coiffeur, avec ses copines commères. Sacha se servit de ce délicieux repas avant d'en manger une bouchée.

— Chi, dit-il la bouche pleine, une nouvelle.

Il avala et reprit.

— Il y a une nouvelle élève. Une de ces connasses de riches, apparemment, elle avait une Mini Cooper flambant neuve.

Délia sourit à son fils avant de s'exclamer :

— J'en ai entendu parler… Tu devrais essayer de te faire ami avec cette fille. On raconte, dans le quartier, qu'elle étudie à Harvard. En plus, ce serait l'héritière de la Waters Corp., ajouta la mère de Sacha avec un regard appuyé.

— Et alors ?

Il leva les yeux sur sa mère et secoua la tête.

— Franchement, elle n'en vaut pas la peine. Elle est hautaine. J'aime pas les riches qui se font un malin plaisir de nous en mettre plein les yeux. Et quand bien même elle en vaudrait la peine, maman, réfléchis. Elle est à Havard, elle fait partie de l'élite. Tu sais bien que les classes sociales ne se mélangent pas, dans ce putain de pays de merde. Que veux-tu qu'elle fasse d'un raté comme moi ?

— Ne parle pas en français, tu sais très bien que je ne le parle pas, mon chéri.

Quittant la table, il passa devant sa mère et embrassa ses cheveux.

— Je sais, Maman. Je monte dans ma chambre, bonne soirée.

— Que vas-tu faire ?

— Je vais lire.

Il gravit les escaliers et entra dans sa chambre, ouvrant la cage de Pikachu, puis il alluma son ordinateur datant de Mathusalem. Se connectant à internet pour mettre de la musique française, il s'installa sur son lit et tendit la main sur son bureau, pour que sa petite souris blanche vienne dessus. La laissant courir, il attrapa un des livres que feu son père lui avait laissés. Il s'agissait de livres en français et Sacha ne comprenait pas tout, mais ça lui faisait passer le temps.

Il n'aimait pas le mardi. Le mardi, le professeur Chen finissait les cours très tard et Sacha n'avait pas le temps de pénétrer dans la salle de musique pour aller jouer de la batterie, instrument qu'il aimait par-dessus tout. Il ne se sentait pas bien dans sa peau quand il n'avait pas joué un peu. Et comme en plus cette fille l'avait énervé, il se sentait encore plus mal. Quand il avait lu le mot sur son pare-brise et vu la voiture, il s'était attendu à voir de ces petites filles riches en slim, blonde décolorée, avec la mèche lui tombant sur les yeux. Quelle n'avait pas été sa surprise en voyant cette jolie rousse débarquer devant lui !

Tout ce qu'il aimait chez une fille, elle l'avait. De l'allure, un style bien à elle – franchement, une ceinture Gucci avec un vieux pantalon défraichi et des chaussures certes neuves mais ne valant certainement pas des milliards, il fallait oser – de longs cheveux ondulés, roux, des petits seins. Tout ce qu'il aimait.

Au final, peut-être qu'elle était sincère avec ses excuses et qu'il devrait lui en présenter pour son comportement. Et peut-être que sa mère avait raison et qu'il devrait tenter de la draguer, pour se rapprocher du monde des riches.

Il ricana en attrapant Pikachu qui s'était glissé sous son tee-shirt. Il ne pourrait jamais séduire une fille pareille. Qu'il soit sérieux, cinq minutes. Il secoua la tête et se redressa, sa souris toujours dans sa main.

Le mieux était qu'il se remette à écrire. Qu'il persévère encore et encore. Avec le temps, il finirait par écrire correctement le français et ses textes ne lui seraient plus renvoyés. Il parlerait, éventuellement, à la fille, le lendemain. Pour s'excuser.

Il sursauta quand sa mère pénétra dans sa chambre, toute guillerette, tenant une tasse de thé pour lui. Elle n'avait toujours pas compris qu'il n'aimait pas ça.

— Tiens mon chéri, ton thé du soir. Au fait, tu te souviens de Régis Chen ?

Un peu que je me souviens de ce connard… Oui pourquoi ?

— Je viens d'apprendre par la voisine du professeur qu'il est rentré d'Oxford. Il s'ennuyait du pays alors il a demandé son transfert à Harvard.

— Génial, je suis ravi pour lui.

— Il ira loin ce petit. Pourquoi vous vous étiez disputés ?

Régis Chen était le petit-fils du professeur Chen, qui gérait l'école de musique dans laquelle il travaillait. Ils se connaissaient depuis le jardin d'enfant et avaient longtemps été de très bons amis mais s'étaient disputés, peu de temps avant la mort du père de Sacha.

Il ne répondit pas, sachant très bien que sa mère n'attendait aucune explication réelle. Elle avait juste envie de parler avec lui de son avenir et elle parlait toujours de Régis pour débuter. Toujours. Elle s'installa sur la chaise de bureau bancale et se tourna vers lui, avec un regard inquiet.

— Chéri… Tu ne vas quand même pas passer ta vie à nettoyer les sols de cette école de musique ?

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ? Je n'ai pas les moyens de prendre des cours par correspondance et il faut bien que je travaille si on veut vivre décemment.

Délia posa un regard doux sur son fils et il sut ce qu'elle allait dire.

— Non, pas question. On ne vend pas la maison. Je m'en fous, je passerai ma vie à nettoyer cette foutue école, mais il est hors de question qu'on vende la maison, c'est tout ce que Papa nous a laissé ! Le reste a été avalé dans ses dettes de jeu et son enterrement.

— Mais poussin, c'est peut-être la seule solution pour que tu puisses réaliser ton rêve.

Sacha regarda sa mère avec un sourire et secoua la tête.

— C'est hors de question. De toute façon, la maison est à moi, il te faut mon accord pour vendre. Et tu ne l'as pas.

Délia hocha la tête et sortit sans un mot de plus, mais Sacha ne se faisait pas d'illusions. Elle reviendrait à la charge, pour tenter de l'avoir à l'usure. Peu importe, il ne se laisserait pas faire. Cette maison était celle que son grand-père et son père avaient construite de leurs mains en arrivant aux États-Unis. Il préférait encore aller lécher les pieds de Régis Chen à Harvard plutôt que de… Harvard… La jeune héritière qu'il avait incendiée tout à l'heure… Pourquoi pensait-il à cette fille ? Où était le rapport avec Régis ? Peu importe.


Un coup de klaxon la fit se retourner et Ondine sourit en voyant une Audi aux vitres teintées s'arrêter près d'elle. Elle reconnaissait la voiture d'Aurore Beaufort, sa meilleure amie. Fille d'un célèbre chirurgien français qui exerçait aux États-Unis et enseignait à Harvard, elle avait immigré à l'âge de huit ans. Parfaitement bilingue, jolie et très intelligente, Aurore comptait bien se faire un nom dans le domaine de la gestion, où elle étudiait avec Ondine. Elles s'étaient rencontrées au collège et chacune avait été séduite par l'autre. Elles ne s'étaient jamais lâchées, même si elles avaient évolué d'une façon différente.

La vitre arrière de la voiture se baissa et Aurore, une jolie brune aux immenses yeux bleus, qui conversait quand elle parlait un léger accent français qui faisait tout son charme. Accro aux minijupes, qu'elle portait quelle que soit la saison, passionnée par Dior et Chanel, Aurore rêvait d'exceller dans les cosmétiques. Sachant parfaitement qu'elle n'avait pas le talent d'un Yves Saint-Laurent, elle voulait briller dans la gestion du luxe, comme elle savait très bien le faire.

— On mange chez Beaucasse, ce midi ? J'ai réservé une table pour trois, là-bas.

Beaucasse était le restaurant étoilé où elles étaient habituées à se retrouver le midi, le week-end et même le soir, à présent qu'elles étaient en âge de faire des sorties. Ondine accepta et Aurore ouvrit la portière, pour que son amie puisse s'engouffrer dans la voiture. Elle fit claquer une bise sonore sur la joue de la brune, qui donna l'indication au chauffeur.

— C'est qui, le troisième ? demanda Ondine.

— Paul.

Ondine hocha la tête. Paul Jobbs, le fils cadet de Steve Jobbs fondateur et créateur d'Apple, faisait – étonnant n'est-ce pas ? – des études dans l'informatique. Paul était cynique et sans illusions, sans rêves et sans folie. Ondine ne l'aimait pas des masses, comme elle avait tendance à détester foncièrement, à quelques exceptions près, comme Aurore et Reggie, toute personne issue d'un milieu social très aisé. C'était, comme dirait le psychiatre de la Waters Corp., sans doute une façon de rejeter en bloc ce qu'elle-même était, sans arriver pour autant à se renier.

Le chauffeur mit du temps à redémarrer, laissant d'abord passer la voiture qui conduisait Drew Lowell sur le campus et Aurore observa la silhouette du jeune homme avant de tourner la tête vers Ondine.

— T'as encore fait enrager Violette, toi, d'après les rumeurs…

— Je me demande comment tu fais pour être si bien informée de ce qu'il se passe entre les murs de mon hôtel particulier…

— Tes employés ont la langue pendue, sourit Aurore. Raconte-moi tout.

— J'ai juste changé d'école de musique, c'est tout. Je me suis inscrite dans une petite école de quartier…

— Encore une de tes impulsions, ça…

— Même pas, nia Ondine. J'y pensais depuis un moment. Comprends-moi, chacune de mes fausses notes étaient répétées à Violette qui s'en servait pour me dire que la musique n'est pas faite pour une fille de mon statut social. Ça me soulait. Dans l'école du professeur Chen, je suis sûre que personne ne viendra me faire de réflexion. Enfin presque personne, ajouta-t-elle en repensant au type malpoli avec qui elle avait eu une altercation.

Aurore éclata de rire avant de faire claquer sa main sur la cuisse d'Ondine.

— Et Daisy, qu'est-ce qu'elle en dit ?

— Elle s'en fiche. Il n'y a que Violette qui soit si opposée à mon apprentissage de la musique.

— Moi, je te soutiens, Misty, tu le sais, n'est-ce pas ? La basse, ça a toujours été ta passion, d'aussi loin que je te connais. T'arracher ça, c'est ridicule, surtout que tu es bonne élève et que tu ne comptes pas te dérober aux obligations familiales. Violette a toujours été la plus bizarre de tes sœurs…

Ondine s'apprêta à répondre mais fut interrompue par la sonnerie du portable d'Aurore, qui l'attrapa dans son immense besace signée par Louis Vuitton, pour répondre. Elle échangea quelques mots avec son interlocuteur, qui, d'après ce que la rousse entendait, n'était autre que Paul. Aurore éclata d'un immense rire, attrapa un papier et un stylo dans son sac, nota une adresse et raccrocha, avant de regarder Ondine.

Mistinguette, je suis désolée… Mais Paul a demandé à Régis Chen de nous accompagner au restaurant. Il vient juste de revenir d'Angleterre et a besoin d'un guide sur le campus de Harvard.

— Ce sera sans moi, tu sais que je ne le supporte pas.

Le souvenir de ce type châtain, toujours trop prétentieux, dont les parents avaient fait fortune d'une façon inattendue et inexpliquée la fit grimacer. Ils avaient fait leur lycée ensemble et elle n'avait jamais pu le supporter, pas plus qu'elle ne pouvait voir Nina, la sœur aînée de cette famille parvenue.

— Arrêtez la voiture, lança-t-elle plus fort pour que le chauffeur l'entende.

Aurore posa une main sur son épaule, lui lançant un regard déçu.

— Oh non, viens, Paul voulait nous révéler un potin intéressant et très drôle. Il m'a filé une adresse, apparemment, il y a un truc à voir là-bas…

— On n'a qu'à s'y retrouver ce soir, d'accord ?

Aurore hocha la tête et tendit le papier où elle avait noté l'adresse à Ondine, avant de lui lancer, alors qu'elle s'apprêtait à claquer la portière :

— Je suis désolée Mistinguette, j'aurais bien voulu que tu sois là ce midi, ça fait un moment qu'on n'a pas déjeuné toutes les deux…

Ondine hocha la tête en souriant, lui faisant signe qu'elles s'appelaient, avant de se détourner pour retourner sur le campus. Elle se dirigea vers la bibliothèque, fouillant dans son sac pour vérifier qu'elle avait pensé à amener sa clé USB. Elle comptait bien profiter de ce déjeuner solitaire pour jeter un œil sur les conneries de ses sœurs avec la compagnie familiale.


— T'es encore sur le capot de ma voiture ?

Ondine était hallucinée. Elle avait repéré la Ford qu'elle avait éraflé la veille et s'en était éloignée un maximum sur le parking, pour ne pas avoir de soucis avec son propriétaire. Quand elle était ressortie de l'école, ses clés de voitures en main, elle avait retrouvé le garçon brun de la veille, avec une tenue d'agent d'entretien. Sans doute travaillait-il dans l'école.

— Ouais. Je voulais t'inviter à prendre un café, pour m'excuser de mon comportement d'hier.

— C'est une technique de drague minable. Dégage de là.

Sacha leva les yeux au ciel en se redressant. Il l'empêcha d'ouvrir la portière et constata avec satisfaction qu'il était plus grand qu'elle. Elle lui jeta un regard furieux.

— Dégage de là, répéta-t-elle, j'ai du travail.

— Comme si une gosse de riches comme toi pouvait savoir ce que c'est, travailler.

Le garçon grimaça avant de lui lancer un regard d'excuses.

— Pardon, c'est sorti tout seul.

Elle lui jeta un regard torve et ouvrit sa portière, le repoussant violemment, s'installant derrière son volant.

— Va crever, lui dit-elle avant de tourner les clés sur le contact et de refermer la portière.

Elle démarra en trombe, donna un coup de volant brutal et sortit du parking de l'école de musique. S'arrêtant plus loin à un feu, elle soupira d'énervement. Elle tenta de se sortir ce garçon vraiment désagréable de l'esprit pour se concentrer sur sa route. Elle avait étudié l'adresse que lui avait donnée Aurore le midi. Ce n'était pas très éloigné de son école de musique, mais suffisamment pour qu'elle prenne sa voiture.

Garant sa Mini Cooper devant un snack se trouvant à l'adresse, Ondine sortit de sa voiture pour examiner son capot. Une fois de plus, le malotru y avait laissé des traces de doigts sur le pour se calmer, elle verrouilla sa voiture avant de pénétrer dans le snack-bar.

Il s'agissait d'un endroit sombre et très mal éclairé, tout en longueur, exigu, qui sentait la poussière et la bière éventée, sans doute à cause de ce clochard endormi sur la table du fond, qui avait renversé sa boisson.

Deux personnes se trouvaient derrière le bar. Un jeune homme d'un mètre soixante-quinze environ, peut-être plus, brun, avec des yeux marron cachés derrière une paire de lunette en demi ovale, visiblement grand amateur de kaki, vu qu'il portait un pantalon et un tee-shirt dans cette teinte.

L'autre personne était une jeune femme très mince, ses longs cheveux châtains étaient attachés en deux couettes qui encadraient son visage et elle portait un bandeau sur les cheveux, du même rouge que son tee-shirt. La fille était jolie, elle avait un visage agréable qui donnait à Ondine envie de sourire. Rayonnante, la jeune serveuse la salua.

— Bonjour mademoiselle ! chantonna-t-elle d'un air guilleret.

Scrutant la salle des yeux, Ondine repéra Aurore. S'approchant de la table, Ondine glissa une main sur l'épaule de son amie qui retira ses écouteurs et se leva, afin de déposer un baiser sonore sur sa joue.

— Misty, tu es là ! T'as pas eu trop de mal à trouver ?

— Non, c'était assez simple, répondit la rousse en s'asseyant en face de son amie. Alors, tu as résolu le mystère de l'intérêt tout relatif de ce snack de banlieue ?

Elle se tut en voyant la serveuse s'approcher avec un sourire un peu moins éblouissant que lorsqu'Ondine était entrée. Ondine s'excusa et consulta rapidement la carte, demandant un cappuccino parce qu'elle ne savait pas quoi choisir. La serveuse hocha la tête et regarda Aurore, qui commanda un deuxième café noir. La jeune femme s'éloigna en récupérant le billet qu'Aurore lui tendait et Ondine reporta son attention sur son amie qui reprit la parole à voix basse.

— Tu vois cette fille ?

— Ouais, ben quoi ?

— C'est la petite amie de Lowell.

Ondine tourna la tête pour examiner la jeune serveuse avant de lui sourire.

— Ils doivent former un joli couple, répondit-elle en se souvenant de Drew Lowell.

C'était un type un peu bizarre, qu'on ne pouvait pas manquer sur le campus de Harvard. Les cheveux verts, le style un peu décalé et la moue moqueuse, des manies précieuses et un peu efféminées, des manières d'esthète en réalité, l'air perpétuellement dans son monde – que certains prenaient pour un air hautain – Lowell était un génie du droit, promis à une brillante carrière d'avocat. Il était en deuxième année, fils héritier du très célèbre cabinet Lowell réputé pour savoir défendre toutes les causes, même les plus désespérées, avec un brio qui leur avait valu une réputation d'enfer.

Aurore rejeta sa tête en arrière pour avoir un rire de gorge qui sonnait faux. Elle avait changé depuis qu'elle fréquentait un type de la haute société américaine un peu trop fier de ce qu'il est. Paul Jobbs avait une très mauvaise influence sur elle et Ondine grimaça.

— Elle est serveuse, insista-t-elle en baissant la voix une fois de plus. Elle n'a strictement rien à faire dans notre monde. Tu t'imagines un brillant avocat élever des enfants de cette souillon ? Tu m'écoutes ?

Effectivement, Ondine n'écoutait plus, la porte du snack-bar venant de s'ouvrir sur le malotru brun qui lui avait dégueulassé son capot. Elle se ratatina sur la banquette, le guetta du regard, faisant se retourner Aurore, pour vérifier où il s'installait afin de disparaître de son champ de vision. Son amie lui lança un regard inquisiteur.

— C'est qui ce type ?

— Un gros con de l'école de musique. J'ai pas vraiment envie de le voir là alors que je prends du bon temps avec ma meilleure amie. Ça gâcherait l'instant. Ne parlons pas de lui, ça va m'énerver. Pour changer de sujet – tu sais très bien que je ne partage pas ce point de vue de recherche de la reproduction sociale – tu as pris tes billets pour aller à L.A pour le concert exceptionnel des Red Hot du mois prochain ?

Aurore eut un sourire désolé et Ondine sentit ses épaules s'affaisser. Quel prétexte allait-elle trouver, cette fois ? La serveuse déposa les deux boissons devant elles.

— C'est pas trop tôt, commenta Aurore. Le service laisse à désirer.

La serveuse perdit son sourire avant d'en retrouver un faux. Ondine eut une grimace d'excuse. Sa meilleure amie lui faisait honte.

— Je vous prie de m'excuser, mademoiselle. La machine est longue à chauffer.

— Ça m'étonne même pas de cette vieille bicoque.

— Je vous remercie, commenta Ondine pour atténuer les propos outrageux de son amie, ça a l'air délicieux.

Elle trempa ses lèvres dans la boisson, léchant la moustache qu'elle déposa autour de ses lèvres avant de hausser les sourcils, surprise, pendant que la serveuse rendait la monnaie à Aurore.

— Et ça l'est, continua Ondine en levant des yeux pétillants de plaisir vers la jeune fille. C'est une recette particulière ?

— Secret de famille depuis six générations, répondit la serveuse avec un clin d'œil amical en direction d'Ondine avant de se retourner vers une voix qui hurlait.

— FLOOOOO !

C'était la voix du malotru. Ondine se tassa un peu plus sur sa chaise et « Flo », la serveuse, lui jeta un regard surpris avant de se tourner une fois de plus vers la voix.

— Laisse-moi tranquille, je suis avec des clientes, là. Demande à Max de te servir.

— Moi aussi, je suis client. Et en plus, je suis fidèle, je te laisse un quart de ma paye chaque mois.

— Tes pourboires ne sont pas assez gros, espèce de radin, plaisanta Flo avant de lancer un sourire d'excuse à Ondine, ignorant totalement Aurore.

Elle repartit et Ondine guetta les bruits, ignorant les excuses d'Aurore qui se défilait encore pour aller voir les Red Hot Chili Peppers, alors qu'elle lui avait promis. Il y eut un bruit de course, de glissade et un profond éclat de rire – le malotru, sans doute. Résistant à l'envie de regarder ce qu'il se passait dans la salle, Ondine ignora le pincement qu'elle avait au cœur en entendant ce rire qui partait de l'âme. Combien de temps s'était écoulé sans qu'elle ne rie comme ça ?

— … ul tient absolument à ce qu'on parte à Tokyo. Ensuite il veut qu'on aille en un peu en Suisse avant d'aller se perdre au Kenya. Je vais passer les trois quarts de mes vacances dans son jet…

— Et qu'est-ce que vous allez faire dans tous ces pays, pardieu ?

Aurore n'eut pas le temps de répondre qu'un éclat de voix en provenance du bar les fit toutes deux se lever. Ondine vit le malotru, qui répondait visiblement au nom de Sacha être retenu de justesse par le type du bar, Max sans doute, pour ne pas se jeter à la gorge de… Ondine grogna. Régis Chen.

— Ben qu'est-ce que tu as ? demanda Aurore.

— Un chat dans la gorge.

Aurore leva les yeux au ciel. Elle avait espéré qu'Ondine saurait mettre ses préjugés de côté pour apprécier Régis. Il était super sympa, quand on prenait le temps de le connaître, il ne ressemblait pas du tout à sa sœur et elle s'était très bien amusée avec lui et Paul, le midi. Elle le héla :

— Hey ! Régis, arrête de taquiner les petites gens, viens t'installer à notre table !

— Je suis obligée de rester ? grommela Ondine alors que Régis contournait Sacha pour les rejoindre.

Il poussa Ondine sur la banquette où elle était avant de mettre un bras derrière son épaule. Elle leva les yeux au ciel et, les ramenant vers Aurore, accrocha le regard du malotru nommé Sacha, qui avait une moue dégoûtée peinte sur le visage, tandis que Flo la serveuse semblait presque déçue. Ondine retira le bras de Régis de son épaule avant de lui lancer :

— Dis donc, Chen, on n'a pas élevé des poneys ensemble, ne te permets pas ce genre de familiarité, s'il te plaît.

— Waters, tu sais très bien qu'on est destinés à conclure une alliance… Autant que tu l'aies au doigt.

— Et supporter toute ma vie que tu me touches ?

Ondine se leva, contourna Régis et lança un regard très énervé à Aurore qui se recroquevilla sur sa banquette. Visiblement, Ondine n'avait pas envie de sympathiser avec Régis Chen. Mais alors, pas du tout.

— Franchement, je crois que j'aimerais mieux me prendre la bite d'un cheval dans le cul.

Régis et Aurore eurent une moue dégoûtée, tant pour l'image que pour le langage peu châtié.

Les ignorant, la rousse attrapa sa tasse et alla s'installer au bar, où Flo l'accueillit avec beaucoup de plaisir. Elle lui tendit une main amicale :

— Je m'appelle Flora.

— Ondine.

— Le brun de mon côté du bar, c'est mon frère Max – Ondine serra la main de Max en souriant – et de l'autre c'est Sacha.

— On a déjà fait connaissance, répondit Ondine sans même tendre une main vers Sacha.

Elle soupira une nouvelle fois.

— Cette journée est vraiment pourrie, si on oublie ton super cappuccino.

— Il te plaît tant que ça ? s'étonna Flora en finissant d'essuyer un verre qu'elle rangea sous le comptoir.

— Oh que oui. Le cuisinier ne le fait pas aussi bien, chez moi.

— Le cuisinier ? Tu as un cuisinier ? Tes parents sont restaurateurs ?

Régis, qui repassa, sortant du café en compagnie d'Aurore, ricana.

— Je ne pense pas, non. Certains d'entre nous ont plus de classe que ça.

— Tu ne parles pas de toi, quand même ? ironisa Ondine. Si c'est le cas, nous n'avons pas la même définition de la classe, parvenu.

Chen se tendit sous l'insulte et jeta un regard mauvais à Sacha.

— Préférer se ranger du côté des pouilleux dans son genre plutôt que celui de ton fiancé, c'est une hérésie, Waters.

— Mon quoi ?

— T'es pas au courant ? Nos fiançailles vont être signées. Tu m'appartiens déjà, toi, ta fortune et ton empire.

Ondine blanchit et se leva d'un bond, désignant l'entrée d'un geste impérieux et autoritaire.

— Casse-toi, Chen. Vite. Sinon c'est moi qui te sors. Et oublie ce mariage, il n'aura jamais lieu. Jamais.

Régis ricana froidement et se détourna faisant un geste vague et franchissant la porte, Aurore sur les talons. Toujours aussi blanche, Ondine dégaina son téléphone portable avant de composer un numéro de façon fébrile. Elle ne se présenta même pas et aboya dans le combiné :

— Je viens de croiser Chen. Explications. Maintenant.

Elle laissa passer un long moment durant lequel Sacha et Flora se regardèrent, visiblement mal à l'aise pour elle.

Quand Sacha avait reconnu la gosse de riches de l'école de musique, assise à la table avec Chen, elle avait fait un plongeon dans son estime déjà pas très haute. Cependant il devait bien reconnaître qu'il la plaignait de se retrouver mariée de force à ce connard fini, le confortant davantage dans l'image qu'il avait des riches. Il tenta de vider sa tasse de chocolat chaud sans prêter attention à la dispute qu'engageait la gosse de riche – Ondine, drôle de prénom, mais joli. Il lui allait bien. – mais ne put s'empêcher d'écouter la conversation, en tapotant sur le comptoir le rythme de la chanson qui passait. Ondine insultait sa sœur de tout son souffle d'avoir appris une telle chose de cette façon, lui promettait mille et une tortures, toutes plus cruelles et imagées que les autres et Sacha ne doutait pas qu'elle était capable de mettre ses menaces à exécution.

Il tourna la tête vers elle et admira sa chute de rein, dévoilée par ses mouvements énervés, remontant le long du dos et dévorant presque sans retenue les épaules nouées par la tension, qui faisait rouler ses muscles sous le tee-shirt moulant orange vif qu'elle portait, rappelant ses cheveux roux qui tombaient en cascade le long de son dos. Il secoua la tête quand il l'entendit raccrocher. Certes elle était jolie, mais elle restait une gosse de riches imbue d'elle-même. Elle avait quand même envoyé chier Régis, sa meilleure amie et sa sœur sans hésiter une seule seconde. Elle se rassit et Flora lui servit un autre cappuccino, voyant que la tasse de l'héritière était vide.

— C'est pour moi, commenta la serveuse devant l'air surpris d'Ondine. T'as l'air d'en avoir sacrément besoin. Je te proposerai bien un shooter de vodka pour te remettre de l'affreuse nouvelle, mais j'ai pas le droit de servir d'alcool fort avant vingt heures.

— C'est vrai que j'en ai besoin, remercia Ondine. La réputation de Chen le précède à ce que j'ai pu voir, ajouta-t-elle sans jeter un regard à Sacha alors qu'elle parlait de son altercation à lui.

Ce dernier se tourna franchement vers l'héritière en s'appuyant sur le comptoir.

— On a grandi ensemble, tous les quatre. Il a peut-être oublié d'où il venait, trop aveuglé par de la thune superflue, mais c'est pas le cas de tout le monde.

Il se leva, déposa l'appoint pour ce qu'il avait consommé et sortit, sans plus de considération pour l'héritière qui se sentit vexée. Elle attendit que la porte claque avant de se tourner vers Flora, portant à ses lèvres la tasse de cappuccino.

— Il est toujours comme ça ou c'est juste parce que c'est moi ?

— C'est juste parce que c'est toi, trancha Flora sans prendre de gants. Depuis Régis Chen, il a du mal avec les gens friqués. Faut pas t'en faire, ça lui passera.

— Tu parles, commenta Max avec un ricanement, depuis le temps, il devrait s'en être remis.

— Il a été trahi par celui qu'il pensait être son meilleur ami, réagit Flora en se tournant vers son frère, c'est normal qu'il ait du mal à digérer.

— Meilleurs amis ? Chen et le malotru ? Je peux pas y croire.

— Et pourtant, raconta Flora en revenant vers Ondine, c'est la vérité. Ces deux-là, il y a encore dix ans, étaient comme cul et chemise. Jamais l'un sans l'autre, toujours à faire des conneries ensemble. Ils avaient plein de projets, ils voulaient acheter un vieux van, le retaper et partir, traverser le pays, faire des petits boulots pour se nourrir, quitter les États-Unis pour s'installer en France. Puis un jour, ils ont arrêté de se parler. Simplement. C'était peu de temps avant la mort du père de Sacha. Le pauvre, tout lui est tombé dessus en même temps.

Flora se tut, perdue dans ses pensées et Ondine analysa la situation. Peut-être avait-elle mal jugé ce type. Elle le revit déchirer sa carte, lui lancer au visage et lui parler de cette façon si agressive et décida que non. Flora changea totalement de sujet en demandant :

— Et sinon, à part fiancée de Régis Chen, paix à ton âme, tu fais quoi dans la vie ? Je suis curieuse… dit-elle en guise d'excuses.

— Je suis étudiante, sourit Ondine. À Harvard.

— Oh, je connais quelqu'un à Harvard, s'émut Flora d'un air tendre et amoureux.

— Drew Lowell… c'est Aurore, la fille qui était avec moi, qui m'a dit que vous sortiez ensemble, compléta Ondine en voyant l'air surpris de Flora.

La serveuse se détourna, jetant son torchon sur son épaule, déplaçant des assiettes dans un geste totalement inutile, visiblement destiné à masquer sa gêne.

— Tu dois sûrement penser, comme tous les riches, qu'il ferait mieux de me quitter et de me laisser dans mon snack…

— Pas du tout, contredit Ondine. Je m'en fiche complètement de tout ça. Je croise régulièrement Lowell dans les couloirs et il n'a jamais eu l'air aussi heureux de vivre, si on peut dire que ce type ait l'air heureux, que depuis la rentrée. Je suppose que ta rencontre avec lui y est pour quelque chose.

Se tournant vivement vers elle, Flora eut un immense sourire soulagé. Elle contourna le bar et vint s'installer sur le tabouret juste à côté de celui d'Ondine.

— C'est rare qu'une riche pense comme ça !

— Tu sais… Tu es la première à qui je le dis, mais je crois que je suis en train de tomber amoureuse d'un jeune sans-le-sou. Je ne peux pas juger.

— Ah oui ? Qui ça ?

Ondine se déroba au regard de Flora en rougissant. Elle expliqua longuement combien elle admirait Jacky Léon, l'assistant du professeur Chen, combien elle le trouvait mignon et attirant, à quel point il avait du talent. Elle était intarissable et les deux jeunes femmes discutèrent un long moment de garçons. Flora décrivait amoureusement chaque trait du caractère de Drew, Ondine racontait combien elle aimerait être une basse quand elle voyait les doigts agiles et doués de Jacky courir sur le manche de la sienne.

Quand elles relevèrent la tête, il était minuit passé et Ondine décréta qu'il fallait qu'elle rentre chez elle.

Elle laissa un gros billet sur le comptoir, disant qu'elle comptait bien devenir une habituée laissant de gros pourboires et promit de revenir dès le lendemain. Claquant la portière de sa voiture, elle soupira en allumant l'autoradio. Flora était vraiment quelqu'un de sympathique. Et Max était très intelligent, il méritait de faire de longues et grandes études. Dommage qu'il n'ait pas pu avoir sa bourse. Réfléchissant à une solution pour financer les études de Max sans qu'il pense qu'elle lui faisait la charité, Ondine réalisa que son seul problème, dans cet établissement très sympathique, était le malotru. Bien que Flora ait dit beaucoup de bien sur lui, elle restait fixée sur sa première image.


Quand Sacha passa la porte du snack où travaillaient Flora et Max, son premier réflexe fut de grogner. Et ça n'avait rien à voir avec la douleur de son corps meurtri après le passage à tabac qu'il avait subi. Il s'était fait coincer à la sortie de chez lui, par deux ou trois types qui cherchaient Flora. Comme il avait refusé de dire où elle était, ils avaient conclu que ce serait plus douloureux pour la jeune femme de voir son ami payer à sa place l'erreur qu'elle avait fait de ne pas rester à la sienne.

Rester à sa place. Il s'agissait d'une chose primordiale quand on était, comme Sacha et Flora, des gens pauvres, sans trop d'histoires. Ils avaient évidemment leurs lots de taches noires dans leurs passés. Mais rien qui ne puisse trop attirer l'attention sur eux. Son amie, en sortant avec Drew, ce futur avocat trop riche pour être honnête, avait fait une erreur.

Sacha avait encaissé les coups sans les rendre, sachant très bien que s'il répliquait, ses agresseurs iraient s'en prendre à Flora, voire à Max, ce garçon si fragile. Lui, il pouvait porter ça sur ses épaules et de toute façon, il n'avait plus rien à perdre.

S'il grogna en franchissant la porte vitrée du snack, c'est parce qu'assise au comptoir se trouvait la gosse de riches de l'école de musique, devant une tasse de cappuccino, en pleine conversation avec Flora.

Sacha observa la rousse et se sentit bizarre en l'entendant rire. Il ne se pencha pas davantage sur cette sensation, son épaule le lançant douloureusement à ce moment-là. Sans doute était-ce un avertissement pour la douleur, cette sensation bizarre. Flora releva la tête de son comptoir et son rire resta figé dans sa gorge. Elle blanchit et posa son torchon sur le comptoir qu'elle contourna, les yeux fixés sur Sacha, pour s'approcher de lui à une vitesse phénoménale. Elle s'arrêta à quelques centimètres de lui pour examiner son visage qui prenait par endroits une teinte violacée et lui jeta :

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Rien d'important, éluda-t-il en tentant de la repousser.

Elle ne se laissa pas faire, se dégageant des mains de son ami pour insister.

— QUE S'EST-IL PASSÉ ?

Son cri alerta Max et Ondine qui tournèrent la tête vers lui. Le jeune garçon se précipita vers son ami à son tour, pour le tirer par le bras et l'installer sur la banquette à côté, tandis que les deux frère et sœur s'installaient à table avec lui. Ondine s'approcha mais resta en retrait, elle continuait à ne pas aimer ce garçon qu'elle n'avait pas vu depuis plus de trois semaines, la première fois qu'elle était venue ici. Il tourna son visage tuméfié vers elle et lui jeta un regard assassin avant de reporter ses yeux sur ses amis.

— Ne vous inquiétez pas, rien de grave.

— Menteur, réagit Max en appuyant sur son épaule qui le faisait souffrir.

— Aïe ! cria Sacha. Bon, d'accord, je me suis fait tabasser.

— Quelqu'un n'aura pas pu supporter que tu sois agressif et insultant sans raison, intervint Ondine en examinant ses ongles d'un air innocent.

— Rien à voir avec ma façon d'être avec les sales gosses de riches, pétasse pourrie gâtée.

Je parle français ducon alors fais gaffe à ce que tu me dis.

Sacha ignora la réplique pour se tourner vers Flora.

— Tu veux savoir ce qu'il s'est passé ? Vraiment ?

Il désigna Ondine d'un doigt vraiment accusateur avant de se redresser tant bien que mal, chancelant un peu sous la colère.

— C'est à cause de gens comme elle, tout ça !

— Tu essayes de me dire que… commença Flora en écarquillant les yeux d'horreur, sentant des larmes monter.

Elle se détourna, les épaules secouées de sanglots, et Ondine fusilla Sacha du regard avant de s'installer près d'elle pour la consoler, passant une main dans son dos. L'héritière fixa le malotru d'un air agressif :

— Pourquoi est-ce que tu la fais pleurer ?

— Parce qu'il est grand temps qu'elle se rende compte que son histoire avec Drew ne causera que des problèmes. J'aime beaucoup ce garçon, mais il faut qu'elle sache rester à sa place, c'est-à-dire qu'elle se contente de l'union que ses parents ont prévu pour elle.

— Plutôt crever que de t'épouser, Sacha.

Il leva les yeux au ciel avec un sourire.

— Comment il a dit ça l'autre jour ? J'ai trouvé que c'était vachement classe, pour une phrase sortant de la bouche de Régis… Ah oui… « Tu m'appartiens déjà, toi, ta fortune et ton empire »…

Voyant qu'il était le seul à rire du concentré de clichés de cette phrase, il secoua la tête, reprochant aux trois autres leur manque d'humour, avant reporter son regard sur Flora.

— Il faut que tu mettes fin à cette histoire. Ou au moins que tu te caches. Quand ils se lasseront de me taper dessus, ils s'en prendront à Max. Et ils termineront par tes parents.

— Alors je dois renoncer à l'amour ? Sous prétexte que des gens du quartier ne sont pas d'accord pour qu'on s'aime entre classes sociales différentes ?

Sacha baissa la tête, ses épaules secouées d'un fou rire. Il releva la tête, essuya une larme de rire qui roulait sur sa joue.

— Si c'était des gens du quartier, j'aurais une balle dans la tête et mon cadavre serait dans cinq poubelles différentes. C'étaient un petit groupe de gosses de riches.

— Qui ?

La voix d'Ondine trancha net dans le silence qui s'était installé dans la salle du snack après la révélation de Sacha. Son poing s'abattit sur la table et le blessé put voir ses jointures trembler de colère. Relevant la tête, son cœur fit un bond dans sa poitrine. L'héritière était vraiment belle quand ses yeux flamboyaient de rage, ses lèvres tremblant convulsivement, son visage figé dans une moue respirant la divinité punitive de Thor. Elle était vraiment belle quand elle était en colère.

— Tu ne pourras rien faire, vu ta carrure.

— Laisse-moi gérer les gens de mon monde et reste dans le tien, répliqua-t-elle avec une froideur extrême. Donne-moi des noms. Des têtes vont tomber. Personne ne menace la seule personne capable de faire un cappuccino aussi génial, ni même un de ses amis. Personne.

N'osant même pas déglutir sous la voix polaire de l'héritière, Sacha décrit les gosses de riches qui l'avaient tabassé et Ondine attrapa son téléphone dernier cri pour noter les noms. Elle se promit de leur faire payer ça au prix fort. Plus jamais elle ne voulait voir Flora, son petit rayon de soleil dont le sourire donnait envie de sourire, plus jamais elle ne voulait la voir pleurer. Et tant pis si pour ça, elle devait protéger l'immonde malotru qui lui servait de meilleur ami.


Voilà ! Alors, verdict ?