I
Molly Hooper avait eu une longue et rude journée, enchaînant les autopsies. Un accident de la circulation avait tué sept personnes, trois d'entre elles étaient des enfants. Et, bien que cela fasse plusieurs années qu'elle soit pathologiste, elle ne s'habituerait jamais à devoir réaliser des autopsies d'enfants. Enfin quand elle était rentrée chez elle, espérant pouvoir se changer les idées, elle avait reçu cet appel. Il fallait que cette journée s'achève par cet appel catastrophique et par la fin de son amitié avec Sherlock Holmes. Cela la mettait au supplice. Comment avait-il pu jouer avec elle, après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble ?
Allongée en position fœtale sur son canapé, Molly ne savait pas depuis combien de temps, elle se trouvait dans cet état catatonique. Son portable vibra soudainement. Elle ne voulait plus répondre. Elle ne voulait plus être obligée d'affronter le monde. Elle voulait seulement qu'on l'oublie pour qu'elle puisse ramasser les miettes de son coeur pulvérisé. Mais le destin était décidé à la contrarier car ce fut son fixe qui sonna à son tour. D'instinct, sa main se referma sur le combinet téléphonique et l'amena à son oreille.
« Molly Hooper. »
« Salut Molly. » répondit une voix aussi atone que la sienne.
« Salut Béa. »
« Molly, je sais que ce n'est pas le bon moment, mais tu crois que je pourrais rester quelques jours chez toi ? Juste le temps que je prépare mon départ ? »
Molly se réveilla soudainement. Béatrice Holmes, la sœur cadette du célèbre détective, savait qu'elle était dans une mauvaise passe. Cela ne signifiait qu'une chose : elle avait assisté à l'échange téléphonique avec son frère. Molly se sentit de nouveau humiliée. Elle en avait assez !
« Tes frères ne peuvent pas s'occuper de toi ? Avec votre intelligence supérieure, vous ne pouvez pas vous débrouiller un peu ? » lança-t-elle acide.
Elle regretta immédiatement ses mots. Contrairement à ses frères, Béatrice n'avait jamais utilisé Molly. Elle était même toujours de son côté quand Sherlock dépassait les limites.
« Béa... »
« T'excuses pas Molly. Je comprends. »
« Non, Béa. Je ne voulais pas...Tu n'y es pour rien. C'est juste que...Sherlock... »
« Les Holmes sont allés trop loin pour revenir en arrière, Molly. Je sais. »
Molly fronça les sourcils en entendant le ton employé par Béatrice pour désigner les siens.
« Tu n'y es pour rien, Béa. » lui rappela-t-elle.
Elle entendit sa correspondante émettre un bruit étranglé qui lui rappela des sanglots.
« Béa ? Qu'est-ce qui se passe ? »
« Pas grand-chose, Molly. Pas grand-chose. Juste le fait que Sherlock vient de se souvenir qu'il avait une sœur, que Mycroft a caché cette sœur qui se révèle être une vraie psychopathe et que cette psychopathe a été la seule à pouvoir m'apprendre que j'ai été adoptée alors qu'elle ne me connaissait même pas. En somme, j'étais un bouche-trou. Donc, si tu veux dire que tu en as soupé des Holmes, je comprends et 'approuve à cent pour cent. »
Béatrice avait sorti sa diatribe d'une traite sans respirer. Molly l'entendait essayer de reprendre son souffle.
Toutes les deux s'étaient toujours très bien entendues. Béatrice était sa cadette de un an et celle de trois ans de Sherlock. Elle était venue vivre avec son frère et John un an après qu'eux-même aient emménagés, pour poursuivre ses études d'histoire de l'art et de muséographie. Bourreau de travail, elle ne participait jamais aux enquêtes de son frère sauf pour lui fournir des informations qui rentraient dans ses domaines de compétences. Molly l'avait rencontrée lorsqu'elle était venue à Baker Street apporter une mains humaine sectionnée. Sherlock étant absent, c'était Béatrice qui l'avait accueillie chez elle. Depuis, les deux femmes avaient noué une solide amitié. Molly avait toujours été étonnée de constater les relations affectives qui existaient entre Sherlock et sa sœur. Tout les deux n'étaient pas expansifs, mais il y avait toujours un mot ou une attention discrète qui prouvait que l'un et l'autre veillait sur leur frère ou leur sœur. Béatrice était plus discrète que son frère. Elle était brillante bien entendue, comme les autres membres de sa famille, mais elle ne faisait pas étalage de son intelligence comme Sherlock. Contrairement à lui, elle préférait apprendre plutôt que de démontrer. Elle avait le relationnel plus facile que son frère et bien souvent, elle essuyait les pots casés derrière lui, mais sans s'en plaindre. C'était une jeune femme calme et posée qui apaisait toujours les tensions. Béatrice appréciait Molly qui parvenait toujours à la faire sourire et à lui faire oublier un peu ses difficultés quand elle en avait et Molly aimait Béatrice pour son côté rassurant et apaisant. Mais aujourd'hui, il semblait bien que Béatrice avait besoin d'être rassurée et apaisée, quand bien même elle était le lien direct avec l'homme qui la faisait si cruellement souffrir.
« Tu veux en parler autour d'un chocolat ? » demanda Molly
Il y eut un nouveau soupir étranglé.
« A condition que tu vides toi aussi ton sac, qu'il y ait des muffins pommes-caramel et que mon...que Sherlock ne me trouve pas. » répondit-elle
Molly s'inquiéta de l'entendre dire ça. Béatrice n'avait jamais fui son frère, même quand cela pouvait la mettre en danger.
« Covent Garden, The Delaunay, 15 min ? » lui proposa-t-elle
« OK. » se contenta de répondre son amie avant de raccrocher.
Molly se leva, malgré sa peine. Finalement, elle ne pouvait pas échapper à l'univers des Holmes. Et comme le « je t'aime » de Sherlock, elle ne savait pas si cela lui était douloureux ou agréable.
