Finding Wizardland
Il est cynique, solitaire, désagréable. Il fuit. Elle est seule, marquée, désabusée. Elle se sent menacée. Au premier abord il n'est pas celui qu'il lui faut, mais si c'était lui le remède ? Et si c'était elle l'antidote ? Qu'ont-ils donc en commun ? Il est entré dans sa vie pour en disparaître aussitôt. Comment le retrouver dans un monde qu'elle ne connaît même pas ?
Chapitre
I : Des vins capiteux
Leslie tira sur sa cigarette et tapa nerveusement du pied. Elle expira longuement la fumée qui vint se mêler à la brume. L'instant d'après, un homme emmitouflé jusqu'au nez passa prestement devant l'abri-bus où Leslie était assise et lui lança un jovial « Joyeux Noël mademoiselle ! » Il n'attendit pas la réponse et s'éloigna aussitôt de son pas pressé. « Nan mais c'est qui cet ahuri ? » marmonna la jeune femme. Elle tira de nouveau sur sa cigarette d'un air boudeur. Noël. Chaque année c'était la même chose. Un vrai cauchemar. Rien que de penser à tous ces fanatiques qui se précipitaient dans les magasins pour s'arracher la dernière broutille stupide à la mode... Oh c'était sûr plus tard ses enfants - si elle en avait - recevraient des pralines, une orange et une peluche ou un jouet, point final. Il n'y aurait plus de table croulant sous les victuailles, ni de dîner se prolongeant pendant quatre ou cinq interminables heures. Enfin, quand elle disait qu'il n'y en aurait plus... il n'y en avait pas là non plus, il n'y en avait même jamais eu et Leslie passait Noël seule depuis des années. Néanmoins c'était certain : plus tard pas de bon petit Noël artificiel ! Juste de quoi faire croire aux enfants qu'ils l'avaient fêté et leur donner de quoi raconter à leurs copains d'école. Ils arriveraient même à passer pour des anticonformistes dès l'âge de cinq ans. Un rictus ironique s'étira brièvement sur ses lèvres.
Leslie se mit à taper des deux pieds d'un air impatient. Ce bus ne passerait-il donc jamais ? Cette longue attente mettait à rude épreuve ses nerfs déjà à fleur de peau. « Encore des idiots qui ne travaillent pas la veille de Noël. » Leslie se leva pour retourner vers des rues plus fréquentées et chercher un taxi qui aurait le bon sens de ne pas prendre de congé pour les fêtes. Les Pakistanais ne s'arrêtaient sûrement pas de travailler. Néanmoins, alors qu'elle marchait dans la ville désertée par les foules réunies en famille dans leurs chaudes demeures, Leslie eut de moins en moins envie de rentrer chez elle. Elle avait besoin de voir des gens qui, comme elle, n'avaient cure de ces fêtes insipides. Elle entra donc dans le premier pub ouvert qu'elle trouva.
-§-
Severus soupira et posa son livre. Depuis la mort de Dumbledore et la fin de la guerre, il ne se forçait plus à passer Noël avec les autres dans la Grande Salle. Quel en était l'intérêt ? Néanmoins, les regrets et les remords se faisaient toujours plus forts à la période des fêtes de fin d'année. Pourquoi d'ailleurs ? Toujours était-il que ce soir il ressentait le besoin de se trouver au milieu d'inconnus, il avait besoin de sentir qu'il y avait des gens sur cette Terre qui ne savaient pas quel être abjecte était Severus Snape. Il se changea, transplana à Londres et se mit à marcher au hasard dans les rues décorées de guirlandes lumineuses et de sapins. Chaque année le même massacre, des millions d'arbres coupés et laissés à l'agonie au nom de traditions stupides. Severus finit par se lasser de marcher ainsi sans but et entra dans un pub. Le pub était presque désert : quelques solitaires étaient attablés de-ci de-là et, au fond de la salle, un groupe de jeunes fêtaient Noël à leur façon, c'est-à-dire à grand renfort de boissons et de plaisanteries douteuses. Il demanda un verre de vin, s'installa à une table et sortit un petit livre de la poche de son manteau. Il ne releva la tête que lorsqu'il entendit la porte du pub s'ouvrir et le vent s'engouffrer dans la pièce. Une jeune femme d'environ trente ans se tenait sur le pas de la porte. Elle n'était pas très grande et assez menue, ses cheveux noirs attachés en une petite queue de cheval étaient clairsemés de flocons, son visage était rosi par le froid et le vent avait légèrement fait pleurer ses yeux myosotis. Elle était vêtue d'une jupe noire assez courte, de fortes bottines montantes, de collants plus qu'effilés et d'une veste de velours noir. Severus reporta son attention sur son livre alors que la jeune femme refermait après elle et s'avançait vers le comptoir. Elle commanda une bière brune et alla s'asseoir à la table voisine de celle de Severus.
Du coin de l'oeil, Leslie considéra l'homme attablé à sa gauche. Il lisait un petit livre relié de cuir vieilli et usé qui suffit à intriguer la jeune femme. Assez grand, de longs cheveux noirs, des yeux sombres comme l'onyx, des lèvres fines et pâles qui semblaient constamment recourbées en un étrange sourire sarcastique et énigmatique. Leslie ne put s'empêcher de se trouver attirée, bien qu'elle ne l'aurait jamais qualifié de beau, ça non. Ses dents n'étaient pas parfaites et un peu jaunes, mais elle n'oserait jamais critiquer quelqu'un pour cela, étant donné sa propre consommation de café et de cigarettes. Il paraissait plutôt maigre, mais elle-même n'était pas une femme aux courbes un tant soit peu généreuses, donc là non plus elle n'oserait pas critiquer – et les hommes taillés comme des bûcherons n'avaient jamais été son genre. Quant à son nez, il était recourbé, mais cela importait si peu. Il ne l'était pas plus que celui d'un Trent Reznor ou d'un Adrien Brody. C'était plutôt cette aura... Leslie reporta son attention sur ses mains, des mains d'artiste pensa-t-elle – à présumer que les artistes aient nécessairement des mains spéciales. Peut-être des mains qu'un artiste aurait aimé étudier dans ce cas ? Elle enleva son écharpe prune et sa veste et but une gorgée de bière. Elle regarda autour d'elle et concéda que l'homme qui lisait était le seul être digne d'intérêt en ce lieu. Après quelques minutes, Leslie se pencha sans la moindre discrétion vers lui afin de regarder la couverture du livre.
- « Baudelaire ? Mon poète préféré. Vous le lisez en anglais ou en français ? »
- « Français. » répondit Severus sans lever le nez de son livre. Pourquoi avait-il répondu d'ailleurs ? Peut-être à cause de cette voix, ou peut-être tout simplement en raison de la surprise qu'il éprouvait toujours aux rares occasions où l'on semblait le considérer autrement qu'avec dégoût ou animosité.
- « Ah c'est bien. Je le lis toujours en français moi aussi. » D'un air absent, Leslie cita des vers de « L'Irréparable », ignorant que ce poème était celui auquel Severus s'identifiait le plus : « Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords, Qui vit, s'agite et se tortille, Et se nourrit de nous comme le ver des morts, Comme du chêne la chenille ? » Elle reprit : « En fait, je préfère lire les auteurs dans leur langue d'origine quand je le peux. » Le comble pour une « disons traductrice », pensa-t-elle.
Severus ne répondit pas, mais Leslie ne se laissa pas intimider :
- « Vous parlez français alors ? »
- « Mm. » acquiesça-t-il.
- « Vous êtes le seul que j'ai rencontré ici, enfin en dehors de mon travail, qui parle une autre langue que l'anglais. »
- « Vous en parlez d'autres vous ? » Severus pensait la refroidir, ne soupçonnant pas les facilités que Leslie avait dans ce domaine.
- « Je parle anglais, suédois, danois, français et allemand. »
- « Suédois et danois ? » Severus leva finalement le nez de son livre et regarda Leslie en face pour la première fois. Ses yeux étaient étonnamment bleus, ses cheveux si noirs et sa peau si pâle...
- « Oui, je suis suédoise. »
- « Je pensais les Suédoises blondes. » moqua-t-il, ne laissant rien paraître de l'admiration qu'il avait ressentie à son égard.
- « Oh les stéréotypes vous savez... En fait j'ai vécu en Suède, mais ma mère était française et mon père écossais. Et l'allemand et le danois, je les ai appris en plus, à l'école. Vous avez des origines françaises ? »
- « Non, j'ai appris le français pour moi. Mes parents étaient anglais. Mon père avait des origines allemandes, mais il n'y était pas attaché. »
- « Je trouve toujours dommage que les parents ne transmettent pas leurs origines et cultures à leurs enfants. Menfin, que voulez-vous attendre de leur part ? » La question de Leslie étant plutôt rhétorique, Severus n'y répondit pas. Il n'en pensa pas moins. Il y eut un instant de silence pendant lequel Severus reprit sa lecture et Leslie mordit songeusement sa lèvre inférieure. Elle finit par demander:
- « Dites, ça vous dérange si je m'installe avec vous ? »
Habituellement Severus aurait refusé, mais il avait bien envie d'un peu de compagnie féminine ce soir et si elle l'abordait en ce sens il serait bête de la rejeter. Il lui fit signe de s'asseoir en face de lui. Elle lui sourit, prit son sac et sa bière et s'assit.
- « Et ça vous dérangerait si je fumais ? »
- « Non du tout. »
Leslie prit un paquet de son sac, commença à sortir une cigarette, mais s'arrêta et la rangea.
- « Faisons comme si ça vous dérangeait, mm ? J'essaie d'arrêter voyez-vous. »
- « Oh. Dans ce cas... » Severus posa son livre. « Donnez-moi votre paquet. »
- « Quoi ? »
- « Oui donnez-le moi. Je vous le garde pour la soirée. Ça vous fera au moins une soirée d'abstinence. »
Leslie haussa les épaules et lui tendit le paquet. Severus le rangea dans sa poche.
- « Au fait, je m'appelle Leslie. Et vous ? »
- « Severin. » Note : Prononcez Severin à l'anglaise... D
- « Oh c'est un prénom qui se fait rare. J'aime les prénoms rares... En Scandinavie votre prénom donnerait Søren. Leslie chez les Écossais est monnaie courante. Et vous avez quel âge ? Si ce n'est pas trop indiscret... »
- « Non. 40 ans. Et vous ? » répliqua Severus, qui ne se souciait pas le moins du monde de cette stupide règle de bienséance qui voulait que l'on ne questionne jamais une femme sur son âge.
- « 33. L'âge idéal pour ressusciter paraît-il. Je devrais peut-être tenter ma chance. » Leslie sourit d'un air ironique.
- « Vous êtes croyante ? »
- « Je l'ai été... un peu, quand j'étais gamine, c'est dire. Après je crois bien que Dieu et moi nous sommes mutuellement oubliés. Vous êtes croyant vous ? J'espère ne pas vous avoir choqué... »
- « Je suis... disons un peu... mystique peut-être. Je crois à certaines choses, mais pas à ce que nous disent les religions. » Ces Moldus avec leurs religions...
- « Je vois. Vous croyez aux fantômes ? »
- « J... » Severus n'eut pas le temps de répondre car Leslie le coupa aussitôt, comme plongée dans ses pensées :
- « Je pense en avoir vu un une fois... mais je n'ai pas eu le temps de vérifier. » Elle rit. Severus aima son rire, il était discret et mélodieux, mais il eut l'impression que Leslie ne riait pas souvent. Ce rire paraissait presque étranger sur sa personne, comme si elle empruntait le rire de quelqu'un d'autre pour un instant. « Vous y croyez alors, vous, aux fantômes ? »
- « Oui, j'y crois. »
- « Vrai ? Vous en avez vus ? » s'anima-t-elle.
- « Il m'a semblé en voir à l'occasion. » Oh si elle savait...
- « Je crois aux esprits, ça oui, mais les fantômes je sais pas. J'ai besoin de pouvoir vérifier pour croire, donc comme j'ai pas pu vérifier... »
- « Vous avez pu vérifier pour les esprits ? » Severus haussa un sourcil et l'ombre d'un sourire vint jouer au coin de ses lèvres. Encore une Moldue qui s'était adonnée à de stupides séances de spiritisme ?
- « En quelque sorte oui. » Leslie n'en dit pas plus et Severus n'insista pas. « Vous ne fêtez pas Noël vous non plus on dirait. » dit-elle après un silence.
- « Je n'en vois pas l'intérêt. »
- « Pareil pour moi. Avant, cette fête me donnait le cafard, maintenant elle me donne la nausée. Allez savoir ce qui est mieux. » Elle but deux gorgées de bière. « Le pire c'est les gens qui ne comprennent pas comment on peut être seul un jour pareil. Surtout à mon âge ils me disent. Tous m'imaginent mariée et avec une ribambelle de marmots et ne comprennent pas comment il peut en être autrement. »
- « Je connais ça moi aussi. »
- « Mm... On a de la chance ou on n'en a pas, un point c'est tout. Moi j'en ai pas eu, c'est pas plus difficile à comprendre que ça. Des amis j'en ai pas ici, je suis arrivée à Londres récemment et ne connais personne, tous les hommes que j'ai rencontrés étaient des salauds et la famille n'en parlons pas. »
- « Vous devez avoir une belle opinion de la gent masculine. Pourquoi venir me parler alors ? »
- « Chassez le naturel, il revient au galop... Je suis ni lesbienne ni très amie avec les femmes. Et bon, il ne faut pas se leurrer : on a beau aimer être solitaire, on n'en est pas moins des humains, on finit toujours par rechercher un peu de compagnie, histoire de se sortir de son mutisme. Vous savez que j'ai fini par me parler toute seule ? Juste pour entendre une voix chez moi... Bon sang je sais pas pourquoi je vous dis ça, je passe pour une parfaite idiote... » Elle enfouit son visage dans ses mains, le temps d'une seconde.
- « Non pas du tout. Ce n'est pas pire que de parler à un chat. »
- « Oh vous parlez à votre chat ? »
- « Je n'ai pas de chat. »
- « Ah désolée, j'ai mal compris. » Leslie but une nouvelle gorgée. « Vous faites quoi dans la vie, Severin ? A part lire et boire du vin dans les pubs le soir de Noël ? »
- « Je suis professeur de chimie. »
- « Vrai ? J'aimais bien la chimie, enfin les TP. Parce que sinon les sciences et moi... Vous êtes doué en sciences alors ? »
- « Juste en chimie, je n'étais pas très bon en arithm...étique. Et je suis plutôt littéraire dans mes loisirs. »
- « A propos... vous êtes mystique, vous aimez Baudelaire, vous êtes assez... sombre si je peux me permettre. Vous êtes gothique ? »
- « Je ne pense pas... ça dépend de ce que vous qualifiez de gothique. » Sacrebleu, de quoi était-elle donc en train de lui parler ?
- « Eh bien, les gothiques aiment la beauté obscure et cachée des choses, le mystère, la tranquillité, les lieux reculés. En bref, ce que 95 des gens trouvent déprimant. »
- « On dirait bien que j'en suis un alors. Et vous ? »
- « Ça se pourrait bien... En fait je suis plus gothique que pas mal de personnes qui se disent gothiques, surtout des jeunes, mais je n'ai pas la prétention de me définir ou de me revendiquer une appartenance à un groupe. » C'était tellement plus complexe que cela, tellement individuel, personnel.
Severus termina son verre de vin et demanda :
- « Et vous, vous faites quoi dans la vie ? Vous venez d'arriver c'est ça ? »
- « Oui. J'ai fait des études de langues étrangères assez longues, puis j'ai travaillé plusieurs années dans une boîte de traduction à Stockholm. J'ai fini par m'en lasser et je suis venue chercher un travail d'interprète à Londres. »
- « Ça vous plaît ? »
- « Oh ça n'a rien de transcendant, mais ça se défend. Pour quelqu'un qui n'a jamais eu de vocation c'est pas si mal que ça. »
- « Je n'en ai jamais eue non plus. » Des ambitions oui, un domaine de prédilection bien sûr, mais une vocation pas réellement.
- « Qui voudrait être prof de son plein gré ? » rit Leslie. Severus se contenta d'un bref sourire, ce qui était néanmoins beaucoup dans son cas. « Vous enseignez où ? »
- « En Écosse. »
- « Oho ! A Edimbourg je présume. »
- « Oui c'est bien ça, à l'université. »
- « Un beau coin de pays... Et j'ai une question très indiscrète à laquelle vous avez le droit de ne pas répondre. »
Severus haussa un sourcil.
- « Êtes-vous artiste ? Vous avez des 'mains d'artistes', si je puis me permettre. »
- « Je crayonne un peu de temps en temps... mais c'est plutôt quand j'en ai besoin. » Pour dessiner une plante par exemple.
- « Oh c'est bien quand même... Moi je fais de la photo. Ce n'est pas perçu comme aussi noble que la peinture par exemple, mais ça me convient. C'est bien assez pour moi. »
Chacun garda le silence un moment. Puis Leslie reprit :
- « Dites... »
- « Mm ? »
- « Ce pub est sinistre, si on sortait d'ici ? »
- « Pourquoi pas oui. On étouffe là-dedans. »
- « Vous n'êtes pas frileux vous non plus ? »
- « Non. » Severus n'avait pas besoin de lui demander à quel point les Suédois supportaient bien le climat londonien, il n'y avait qu'à voir comment Leslie était habillée, avec sa jupe courte et sa simple veste. Elle avait tout de même une écharpe, mais ni gants ni bonnet et il doutait que ses chaussettes soient bien épaisses. Elle ne survivrait pas à l'été.
Leslie sortit son porte-feuille, mais Severus lui dit :
- « Laissez-moi vous l'offrir. »
- « Oh... merci. »
Severus paya donc les boissons et ils sortirent. Leslie respira profondément.
- « J'aime la brume ! Vous savez Severin, grâce à vous je passe une bonne soirée. Une bonne soirée de Noël qui plus est. Vous ne seriez pas magicien ? »
- « Magicien ? Oh qui sait... » Oui, si elle savait...
Leslie lui sourit, ne pouvant relever le sous-entendu. Ils marchèrent en silence dans les rues, Leslie faisait juste un commentaire de temps en temps sur une maison, une rue, une atmosphère qu'elle captait. Soudain elle s'exclama :
- « Oh ! Cette église est enfin ouverte ! J'avais envie de la visiter depuis que je suis arrivée. On entre ? »
Severus acquiesça simplement et suivit Leslie à l'intérieur. Les yeux de la jeune femme scintillaient d'émerveillement, elle était transfigurée. Un tel amour de la beauté et du mystère brillait dans ses yeux... A cet instant Severus n'avait plus l'impression d'être avec une femme enfant, mais avec une femme mûre qui avait déjà vu beaucoup mais qui scrutait encore le monde tant qu'elle le pouvait. Elle semblait avide de beauté, comme si elle avait vu trop de laideur maculer ce monde. En ce qui le concernait, il n'avait jamais su se réconforter avec la beauté des choses, son regard avait toujours tout assombri et ce monde ne lui offrait donc aucun refuge. Cette fois pourtant, il ne fit pas que voir ce qu'il l'entourait, il regarda, scruta même. Leslie murmura, comme si elle craignait de briser le charme du moment :
- « Quel dommage que l'organiste ne soit pas là. Cet orgue est splendide ! Il doit... Severin ? Qu'est-ce que... »
Severus, qui se sentait étrangement spontané et pas tout à fait en phase avec son moi habituel, se dirigeait vers les escaliers qui menaient à l'orgue. Il se retourna et fit signe à Leslie de rester où elle était. Leslie obtempéra, intriguée. Severus prit place devant l'instrument et commença à jouer lentement. Il ne savait absolument pas jouer, mais s'amusa – oui s'amusa - à expérimenter et finalement le résultat ne fut même pas si mauvais. Ce n'était pas du Widor, mais ces notes n'allaient pas leur casser les oreilles pour autant, Leslie écouta donc attentivement. Les orgues lui donnaient toujours des frissons exquis et elle se moquait bien de la qualité du musicien. Pourtant, le charme fut rompu :
- « Hé vous ! Vous là-haut, qu'est-ce que vous faites ? Descendez de là tout de suite ! »
Severus se leva, descendit rapidement l'escalier, et Leslie et lui s'enfuirent en courant de l'église. Ils s'arrêtèrent deux rues plus loin et éclatèrent de rire. Severus n'avait pas rit véritablement depuis des années. Son dernier éclat de rire – bref cela va sans dire, mais non retenu et dénué d'amertume – remontait à... à... Non, il ne saurait dire. Lorsqu'elle fut calmée, Leslie lui dit:
- « Vous jouez de l'orgue ! Vous êtes musicien et vous ne me l'avez pas dit ! » Elle rit.
- « Moquez-vous. »
- « Plus sérieusement, c'était beau vous savez ? J'ai presque trouvé ça transcendant. » Elle rit à nouveau. « Et ça valait tous les concerts du monde, cette petite improvisation. Improvisation mal reçue d'ailleurs. C'est ce genre de moments dont on se souvient le mieux... ces petites choses auxquelles on ne s'attendait pas et qui nous surprennent. J'en ai rarement vécues, j'ai toujours eu l'impression que je pouvais deviner ce qui allait m'arriver, comme si j'étais le jouet du destin, que tout était déjà prévu et que je n'avais plus qu'à le subir. » Leslie se tut un moment. « Je ne sais pas ce que j'ai... je vous parle comme si...je vous connaissais depuis longtemps. Je ne parle jamais comme ça. Je m'ouvre trop... » finit-elle par murmurer.
- « J'ai passé une bonne soirée aussi grâce à vous. » lui avoua Severus.
- « Vous... vous partez ? »
- « Ce serait peut-être mieux, non ? Si vous avez peur de... »
- « Non, non... je... c'est bête, mais j'aimerais tant faire confiance, juste une fois, juste une soirée. Ne rentrez pas déjà. S'il vous plaît. »
Severus n'arriva pas à refuser et une minute plus tard ils marchaient à nouveau côte-à-côte.
- « J'étais en train de me demander... » reprit Leslie. « Vous seriez d'accord pour venir chez moi ? Je voudrais vous montrer mes photos. J'ai envie de les montrer à vous. Je ne les montre pas tellement d'habitude, mais comme on a décidé de vivre cette soirée de manière originale, pourquoi pas. Ça vous dirait ? »
- « J'en serais flatté. » Flatté ? Pourquoi ? Oh Severus, tu files un mauvais coton ce soir...
- « Prenons un taxi alors. »
Severus, qui, dans un coin de sa tête, commençait à se demander ce qu'il faisait avec une Moldue, héla un taxi. Vingt minutes plus tard ils arrivaient devant l'immeuble où habitait Leslie. C'était une vieille bâtisse de pierre beige à l'air sobre, mais élégant. La jeune femme devait bien gagner sa vie. Ils montèrent deux étages et longèrent le couloir faiblement éclairé. Leslie s'arrêta devant la porte numéro 28 et sortit son trousseau de clés.
- « Bienvenue chez moi ! »
Severus accrocha son manteau et son pull dans l'entrée après que Leslie y ait suspendu veste et écharpe, et suivit la jeune femme jusqu'au salon.
- « Asseyez-vous ! Vous prendrez quelque chose ? J'ai de la bière – allemande, du whisky écossais, forcément, du cognac et de l'hypocras. »
- « De l'hypocras ? Vous vous y connaissez on dirait. »
- « Les Suédois s'y connaissent surtout en bière. » se moqua-t-elle. « Moi j'ai voulu voir au-delà... ou disons boire au-delà. Je vous en sers un verre alors ? »
- « Volontiers. »
Leslie remplit deux verres du précieux vin épicé et alla chercher un gros album photo.
- « C'est mon book. J'y mets mes photos préférées. Pas des photos souvenirs, des photos, disons... vraies ? » Elle ne savait jamais comment qualifier ces photos : des photos artistiques, des photos travaillées, des photos recherchées ?
Severus le parcourut attentivement et dut bien avouer que Leslie avait du talent. Il avait rarement vu des photos qui transmettaient autant les sensations que le photographe avait dû ressentir en prenant la photo. Ces photos vivaient et faisaient voyager. Elles vivaient même beaucoup plus que la plupart des photos animées des photographes sorciers. Lorsque Severus eut fini de regarder les photos, Leslie se leva.
- « Il fait chaud vous trouvez pas ? Mes radiateurs me posent problème. »
Elle soupira et retira son chemisier, ne se souciant guère du fait que son débardeur la couvrait très peu. Elle alla ensuite changer les réglages de tous les radiateurs de l'appartement. Elle se rassit dans le canapé et tous deux restèrent silencieux. Severus sentait qu'il était temps de partir, sinon il risquait de lui faire une proposition mal venue... Il ne se l'aurait pas avoué, mais il la respectait déjà trop pour cela. Il se leva.
- « Je vais rentrer je pense. J'ai passé... »
- « Oh non ne partez pas déjà ! » s'exclama impulsivement Leslie. « Enfin... vous devez avoir raison, je travaille demain et il fait déjà tard... » dit-elle, ne paraissant pas du tout convaincue. « Je me demandais juste... si on se reverrait... » Leslie se mordit la joue, trop tard elle l'avait dit. Severus lui sourit très légèrement, brièvement, puis s'éloigna vers le vestibule. Il remit son pull et son manteau et sortit. Leslie soupira. Un sourire, ou plutôt un demi-sourire. Ce n'était pas une réponse. Ni un oui, ni un non, ni un peut-être. Voilà qu'elle avait rencontré un homme qui ne semblait pas être un « salaud » et elle n'avait pas su lui montrer comme elle était intelligente et vive d'esprit. Elle avait dû paraître sotte et immature.
-§-
Quelques jours plus tard, Leslie rentra lasse et préoccupée du travail. Elle posa ses affaires dans le vestibule et se laissa tomber sur son canapé. Elle ne s'expliquait pas cette lassitude, ni pourquoi elle se sentait si vulnérable. Elle s'étendit dans le sofa moelleux et laissa ses pensées vagabonder. Peut-être parce qu'elle était déçue... Severin n'avait pas donné signe de vie et, oui, elle était déçue : elle avait pensé que cette fois ce serait différent. Oh ça avait été différent, elle avait vraiment passé une bonne soirée et lui n'avait pas cherché à profiter d'elle... mais elle pensait que cette fois ils auraient pu construire quelque chose, au moins un petit quelque chose. Et pour la première fois elle s'était sentie respectée. Et encore, elle ne savait pas ce que cela pouvait représenter que de gagner le respect de Severus Snape.
Leslie alluma une cigarette. Elle avait renoncé à arrêter. Ah Severin avait gardé un autre de ses paquets, tant pis. Elle fuma lentement sa cigarette, pensant encore et encore à cette soirée si peu ordinaire, cette soirée où elle avait cru qu'elle avait rencontré quelqu'un de bien. Elle se redressa brutalement. C'était ça ! Il était trop bien pour elle, elle ne pouvait avoir d'intérêt à ses yeux. Leslie se laissa lourdement retomber dans le canapé. Elle pouvait voir sa vie se profiler à l'horizon, morne et esseulée, et rien, rien, ne viendrait changer cet état de choses.
Leslie alla prendre le livre qu'elle venait d'emprunter à la bibliothèque et s'installa de nouveau dans le canapé pour s'occuper. Un peu plus tard dans la soirée, on frappa à sa porte. Le cœur de Leslie fit un bond vertigineux dans sa poitrine. Elle se redressa et posa le livre sur la table basse, manquant de renverser le cendrier. Elle remit ses cheveux en ordre et alla ouvrir. Elle resta presque bouche-bée un instant. Finalement elle retrouva l'usage de la parole.
- « Severin ? Ça alors, je ne pensais pas vous revoir... Entrez. »
- « Pourquoi ne pas me revoir ? » Il entra et accrocha son manteau lorsque Leslie lui indiqua de s'en délester.
- « Eh bien, vous n'avez pas vraiment répondu à ma question l'autre soir et... »
- « Ah je vois. Souvent je pense avoir été assez explicite et il s'avère que non. » mentit Severus. Il était de ces gens qui savaient se faire comprendre par un regard, une attitude. La vérité est que l'autre soir il n'avait pas su quoi répondre.
- « Ce sourire voulait donc dire oui ? »
- « Oui... mais j'admets que vous ne pouviez pas deviner. Vous savez, je... » Mais à cet instant, Leslie vint déposer ses lèvres sur les siennes. Severus ne répondit pas à son baiser et elle fit aussitôt un pas en arrière, horrifiée.
- « Par Thor ! J'ai perdu la tête. Oh Severin, je n'aurais pas dû... » Mais Severus l'amena contre lui et l'embrassa à son tour. Leslie, rassurée et le cœur débordant de joie, lui rendit son baiser et enlaça son cou de ses bras. Lorsque leur baiser prit fin, Severus se défit doucement d'elle. Il se retourna vers le porte-manteau et retira son pull, il semblait faire encore trop chaud chez Leslie.
- « Oh vous pourrez peut-être jeter un coup d'œil à mes radiateurs tout à l'heure, si vous vous y connaissez plus que moi. Je suis sûre qu'ils ont un problème. »
Severus accrocha son pull et se retourna vers Leslie.
- « Nom d'une Walkery ! Avec un tatouage pareil si vous me dites que vous n'êtes pas du tout gothique je ne vous croirais pas. » s'exclama Leslie. Severus avait des manches plus courtes cette fois et l'on pouvait voir la Marque des Ténèbres sur son avant-bras gauche. Il se contenta d'un faible sourire. « Il a dû être plutôt douloureux. » observa Leslie.
- « Je ne m'en souviens plus trop. » mentit-il.
- « Vous l'avez fait à quel âge ? »
- « J'avais 17 ans. »
- « Eh bien eh bien. Impressionnant. Alors Severin, je vous sers un verre ? »
- « Je prendrai volontiers un whisky. »
- « Va pour un whisky ! » s'exclama joyeusement Leslie.
Elle remplit deux verres et ils s'assirent sur le canapé comme il y a quelques soirs de cela.
- « Hey ! » s'exclama-t-elle de nouveau. « Severin ! Ca me fait penser que je n'ai pas écouté Siouxsie and the Banshees depuis longtemps. » Un membre du groupe s'appelait Steven Severin.
- « Je ne connais pas... » Ces mots ne franchissaient pas souvent les lèvres pâles de Severus Snape.
- « Oh attendez ! » Leslie se leva et se dirigea vers sa tour de CDs. Elle en prit un et le mit dans sa chaîne et appuya sur lecture aléatoire. « Aha Nicotine Stain, ça c'est pour moi, pauvre droguée que je suis. »
- « J'ai toujours votre paquet... »
- « Jetez-le alors ! Ce soir je me sens la force d'arrêter. »
Leslie chanta le premier couplet de la chanson et Severus se sentit parcouru d'un étrange frisson. Sa voix n'était pas spécialement belle, ni forte, ni réellement posée, mais son timbre plut à Severus, sans qu'il ne puisse dire pourquoi.
It's
just a habit
when I reach to the packet
for my last
cigarette
until the day breaks
and then my hand shakes
but
it it's just driving me insane
when the smoke gets in my brain
I
can't resist it
- « Un jour je ne ressentirai plus ça ! Je suis sûre que je serai sevrée. Tout du moins je veux y croire. Vous aimez cette musique ou je coupe ? »
Severus devait bien avouer que quelque chose dans cette musique lui plaisait.
- « Laissez, j'aime faire des découvertes. Je n'écoute pas beaucoup de musique, alors ça ne me fait pas de mal. »
Leslie lui sourit et se blottit légèrement contre lui. Elle joua un instant avec ses mains, qui la laissaient toujours admirative. Oh ces mains qu'il avait posées sur sa taille. Leslie déposa alors lentement un baiser dans son cou. Severus se tourna vers elle et caressa sa nuque. Leslie se sentit frissonner. Severus fit glisser ses mains fines le long de son cou, de son dos, jusqu'à sa taille. Il l'amena à basculer et Leslie s'allongea doucement. Il se pencha vers elle pour embrasser sa gorge, si pâle, si belle...
Leslie sourit et ouvrit les yeux. Son sourire s'effaça néanmoins aussitôt et elle se redressa brutalement.
- « Non... » murmura-t-elle d'une voix étranglée. « Non pas lui... » Leslie se rhabilla en toute hâte et alla regarder dans toutes les pièces de l'appartement. Il était parti le lâche. Elle se laissa tomber sur le canapé et vit alors un message posé sur la table basse. Elle le prit et lut ces quelques mots rédigés en une écriture anguleuse et soignée : « Je devais prendre mon train pour Edimbourg très tôt. Je n'ai pas voulu vous réveiller. Severin. » Il n'avait pas voulu la réveiller, hin ? Il avait fui oui ! Il aurait été trop difficile de lui mentir en face. Il n'était venu que pour ça et elle s'était fait avoir. Elle se sentait comme si elle vivait la chanson 'Carcass' de Siouxsie ; mais elle n'était pas une femme facile, non ! elle avait son honneur. Il ne lui fut néanmoins d'aucun secours. Et quel homme partait en réparant le chauffage mais sans dire au revoir ? Leslie se recroquevilla et fondit en larmes. Elle pleura amèrement, mais ne s'autorisa pas à pleurer longtemps. Elle avait eu confiance en lui, elle avait espéré... et à nouveau on s'était servi d'elle, à nouveau on l'abandonnait. Pourquoi, pourquoi les hommes ne l'aimaient-ils pas ? Ne pouvait-elle pas être aimée comme les autres ? A quoi bon être jolie si on ne peut pas être aimée ? Son charme devenait alors une malédiction.
Après quelques jours, la colère finit par succéder à l'abattement. Leslie trouva le numéro de l'université d'Edimbourg et appela aussitôt le standard.
- « Bonjour, je cherche un professeur de chimie dont le prénom est Severin. C'est bête, mais je n'arrive pas à remettre la main sur son nom de famille... »
- « Ah ? Ça ne me dit rien... Attendez un instant. » La secrétaire consulta la liste du personnel et reprit le combiné. « Nous n'avons aucun Severin travaillant à l'université, à aucun poste. »
- « Oh... Bien, je vous remercie. »
Il lui avait menti dès le début, dès le début ! Elle ne pouvait y croire, elle avait tellement voulu que... oh et puis à quoi bon se torturer avec cela ? Il n'était pas le premier à lui avoir menti... Ils l'avaient tous fait souffrir d'une façon ou d'une autre et elle avait déjà connu pire déception.
