« Encore. »
« Mais, maître, je n'ai plus de force… »
« Encore te dis-je. Ne discute pas. »
La brune jeune fille de 16 ans avait les poings en sang, malgré les bandages, ses jambes tremblaient, mais son regard reprit sa détermination et son visage se ferma. Pour rien au monde, elle n'aurait voulu décevoir son maître, et sa protestation était déjà une faiblesse de trop. De rage, elle se mordit la lèvre, se remit en position, et attaqua de nouveau son adversaire, le disciple du chevalier de la 8ème maison.
Debout, les bras croisés sur le torse, la tête légèrement penchée et le regard bleu et perçant, son maître l'observait avec un léger sourire. Elle n'avait pas failli. Elle était comme lui au même âge. Mais n'avait pas la malchance d'avoir un sadique comme maître.
Un sadique ? Deathmask ne put s'empêcher de rire à cette pensée. Il y a encore quelques années, aucun de ses frères d'arme n'aurait voulu traverser sa maison, et encore moins sympathiser avec lui. Lui, l'assassin, le monstre, le psychopathe, le dingue du Sanctuaire, qui exhibait dans sa maison les têtes de ses victimes. Qui se drapait dans l'odeur méphitique qui en émanait. Lui, aussi, qui se martelait la tête contre ces murs infernaux, rongé par la douleur d'une vie atroce et le pressentiment du destin qui l'attendait. Mais ça, personne ne l'avait jamais su. Qui l'avait vu pleurer d'amertume, crever de solitude, sans même une bête pour lui prodiguer de l'affection… Il y avait bien eu Aphrodite, de temps à autre, mais il n'y avait guère de sentiments. Longtemps, il s'était convaincu que c'était pour les faibles, mais avait bien du admettre que sans ça, la vie ne valait pas la peine d'être vécue. Il avait fallu une guerre sainte et toute la compassion d'Athéna pour le racheter, ainsi… qu'un sursaut d'humanité, exhumé du plus profond de son cœur par… il ne savait guère quoi au juste. Peut-être par l'amour. Cet amour qu'il avait vu dans la colère du jeune chinois, et qui avait fini par le tuer. Ce jour-là, en mourant, Deathmask avait compris. Alors, quand il avait eu la possibilité de revenir et d'expier, il n'avait pas hésité.
Grâce à la prière d'Athéna auprès des dieux, ils avaient tous ressuscité. Mais la reconstruction n'avait pas été facile pour tous. Shura, Aphrodite, Milo et lui-même n'avaient pas été des modèles d'humanité exemplaires de leur vivant. Il suffit pourtant d'une entrevue avec la sage déesse, aussi pleine de compassion et d'amour qu'une mère, pour les rassurer, leur faire comprendre qu'elle les acceptait tels qu'ils étaient. Death se souvenait que Shura en avait pleuré de joie, comme un gosse. Sacré Espagnol. Sous ses côtés brutes, c'était bien l'un des plus fragiles. Aphrodite non plus n'avait pu cacher son soulagement, mais lui, Deathmask, se demandait ce que signifiait une telle gentillesse. De tout temps, le chevalier du Cancer était un monstre, le monstre d'Athéna. Comme un reflet de cette humanité extérieure qu'ils étaient sensés protéger, dans toute sa laideur et sa cruauté. Et pourtant, quel visage sculpté dans le marbre la Nature avait-elle donné à ce monstre-là… Il lui avait fallu du temps pour se faire de nouveau accepter par les autres, autrement qu'à coups de poings.
« Allez, du nerf ! »
Sa jeune disciple se battait bien, mais elle était encore trop naïve, et risquait de se faire surprendre. Polyeucte, le disciple de Milo, lui, n'hésitait pas, et il lui suffisait de porter encore quelques coups bien placés pour l'envoyer au tapis. Il ne voulait pas qu'elle échoue. Tant pour elle que pour lui.
« On dirait que Panorea a encore des progrès à faire », le nargua Milo.
Pour unique réponse, DM se contenta de serrer la mâchoire. Il avait mieux à faire…
Panorea… écoute-moi. Regarde bien, Polyeucte a un point faible : quand il avance le poing gauche, il découvre son cœur. C'est par là que tu dois frapper, sur le torse, tout droit.
Panorea ne bougeait plus, écoutait la voix de son maître. Elle le regarda furtivement, juste assez pour voir son regard la transpercer. Elle comprit. Mais ne le tue pas, tout de même ! Pas encore… lui dit-il en souriant.
Un fin sourire en coin sur les lèvres pleines de la jeune fille fit hausser un sourcil à son adversaire. Elle était épuisée, que pouvait-elle bien avoir encore en réserve ? Polyeucte hésita, Milo tempêtait :
« Alors ! Qu'est-ce que tu attends ? L'hésitation, c'est la mort Polyeucte ! Elle aurait déjà eu 20 fois le temps de t'achever là ! »
A peine eut-il fini sa phrase que son disciple s'écroulait au sol. Stupéfait, il eut juste le temps de voir Panorea achever sa course quelques pas derrière lui, encore en position d'attaque. Elle l'avait frappé au niveau du plexus solaire, évitant le cœur, mais à une vitesse telle qu'il n'avait rien vu venir. Une vitesse proche de celle d'un chevalier d'or.
Milo se précipita sur son disciple, pour vérifier qu'il n'était pas mortellement touché. Il était évanoui, mais respirait. Effaré, il regarda Panorea, qui regardait son maître en souriant. DM hocha la tête, et lui fit un clin d'œil. Milo comprit tout de suite qu'il l'avait aidée, le combat avait été déloyal.
« DM, on avait dit pas de télépathie… »
« Ce n'est pas moi qui ai fait hésiter ton disciple, ni qui ai propulsé la mienne… Elle s'est débrouillée toute seule, et a bien réussi. Je suis fier d'elle. »
Le cœur de Panorea battit à tout rompre, et toute l'assistance de l'arène murmura avec approbation. Maître et disciple se contemplèrent, et DM marcha vers elle :
« Tu t'es bien battue. C'est bien. »
« Merci maître, mais c'est grâce à vous. »
« Ce n'est pas moi qui ait compris et exécuté à toute vitesse », dit-il en souriant.
Elle eut un faible sourire, ferma les yeux et se mit à trembler...
« Panorea ! Qu'est-ce que…. »
L'attaque n'avait pas été sans conséquence pour elle non plus. Panorea avait rendu ses dernières forces, avant de s'évanouir elle aussi dans les bras de son maître.
