Chapitre I
La Rencontre.
Il ne savait pas quel heure était-il exactement, peut-être pas loin de 5h00 du matin. Ça faisait déjà plus quatre heures qu'il arpentait cette rue glaciale. Il préférait rester en mouvement, ainsi le froid devenait plus tolérable. Il frotta ses mains gelés pour les réchauffer un peu, et les enfonça dans les poches de sa vieille veste de laine qui ne tenait plus vraiment chaud. Il savait qu'il lui fallait un nouveau manteau ou une nouvelle veste. Ce n'était pas ce radin de Karl qui irait lui offrir une. Il était son souteneur. Comme lui, ils étaient une dizaine de garçon qui travaillait pour Karl. Tous des fugueurs, tous des laissés pour compte. Ce rat de Karl prélevait plus de 70% de ce qu'ils gagnaient dans la rue.
Son histoire n'était pas si différente des autres gamins qui finissent dans les rues. Ça commençait toujours de la même façon : une vie familiale chaotique. Très vite, il dût apprendre à se débrouiller seul.
À ses 9 ans, son père quitta le domicile familial sans se retourner. Depuis cette époque, il ne l'avait plus jamais revue. Sa pauvre mère atteint de schizophrénie arrêta de suivre son traitement. Elle sombra peu à peu dans une léthargie sévère, elle était incapable de s'occuper de son fils. Vers l'âge de 12 ans, les services sociaux furent contraints de le placer dans une famille d'accueil. À ses14 ans, il s'enfuit à Boston avec Karl James. Un type rencontré dans le parc où il aimait trainer après l'école. Karl avait su trouver les mots pour l'attirer dans ses filets. Il avait toute de suite vu qu'il était un gamin fragile souffrant d'un manque d'attention flagrant. Il désirait tellement croire qu'une personne s'intéressait réellement à lui. Pour s'assurer de sa complète sous mission, Karl l'avait rendu complètement accro à l'héroïne en un mois.
Aujourd'hui, à peine âgé de 16 ans, il était obligé de se geler les fesses sur ce bout de trottoir. Nuit après nuit, il se retrouvait ici à essayer d'attirer les vieux pervers dégoutant pour quelques que dollars. Au début, il avait tenté de se rebeller mais Karl s'était chargé de lui ôter toute envie de recommencer. Désormais, il n'avait nulle part où allé. Là ou ailleurs cela n'avait plus grand n'importance à ses yeux.
Il sortit de sa poche un papier roulé en boule qu'il avait arraché dans un magazine. Il la déplia et fixa la photo d'une veste noire tout en cuir doublé d'une fourrure synthétique. Cela faisait des semaines qu'il lorgnait dessus. Elle valait exactement 1400$ tout rond. Et depuis des semaines il prélevait plus que sa part sur l'argent qu'il gagnait en faisant des passes. Pour l'instant Karl ne s'était pas rendu compte du subterfuge. Il savait très bien ce qu'il risquait en le volant. Karl n'était pas un enfant de cœur. S'il se rendait compte qu'il gardait la moitié de l'argent pour lui, Karl lui défoncerait certainement la gueule, peut-être même qu'il irait jusqu'à le tuer, mais il voulait tellement cette veste. Il méritait cette veste. Il lui manquait quatre cent dollars pour avoir la somme nécessaire pour acheter la veste de ses rêves. Il sourit à cette idée. Il replia la photo et l'enfonça dans sa poche.
En longeant la rue, il vit une vieille berline s'arrêter de l'autre côté. Un garçon un peu plus jeune que lui descendit côté passager. Il avait un faux air de James Dean avec ses cheveux blond plaqué en arrière. Le garçon leva les yeux dans sa direction
« Spencer ? » Cria-t-il en mettant sa main en entonnoir. Il lui fit un signe de la main.
« Salut Brian ! » dit Spencer. L'autre jeune homme traversa la rue pour le rejoindre.
« Combien tu t'es fait ? » demanda Spencer. Il était curieux de savoir le montant des gains de Brian pour la soirée.
« Ah ! À peine 550$, et en plus le gros lard dégueulasse qui vient de s'en aller m'a donné seulement 70 $. Dire que j'ai dû lui faire un….beurk ! Je préfère ne pas y penser.»
« Désolé. » dit Spencer en souriant. « Pour la soirée, j'ai réussi à me faire 700$, mais je donnerais que la moitié à Karl. Dit-il fièrement à Brian.
« T'es dingues ! » exclama Brian. « Il va te tuer s'il s'aperçoit que tu es en train de le doubler. »
« Moi, je trouve que c'est injuste qu'il nous prenne 75% de ce qu'on gagne. »
« Mon pauvre Spencer, la vie n'est jamais juste avec les gars comme nous. » Dit tristement Brian. Spencer savait que Brian avait raison.
Spencer trouvait que Brian était un garçon très mûr malgré ses 15 ans. Il était arrivé ici, il y a plus d'un an, jamais quiconque ne l'avait entendu parler de son passé. Spencer non plus ne l'avait jamais interrogé à ce sujet. Il avait estimé que cela ne le regardait pas. Si Brian avait voulu lui en parler, il l'aurait déjà fait. De toute façon, cela ne l'empêchait pas de l'apprécier énormément. Ils étaient devenus de très bons amis.
« On rentre, je suis trop fatigué. » Se plaignit Brian. Spencer acquiesça de la tête. Les deux jeunes prirent à pieds la direction du squat où Karl logeait tous ses garçons.
Ils traversèrent un terrain vague où quelque clochards et drogués avaient élu domicile avec leur vieille tente. Certains avaient même construit des petits abris en tôle et en carton.
« Au moins on dort en chaud contrairement à ceux-là. » Dit Brian en désignant dans un hochement de tête un groupe d'homme qui se réchauffait près d'un feu.
« On dort dans un taudis avec deux matelas miteux posés au sol ! » S'exclama Spencer. Brian haussa les épaules. « Mais tout de même on est au chaud. » Spencer secoua la tête.
Au même moment, il vit deux hommes qui n'avaient pas l'air du coin rejoindre le groupe d'homme près du feu. Il les observa un instant. L'un était blanc, brun, la quarantaine passé, il portait un long manteau noir et des gants en cuir. L'autre était plus jeune, un afro-américain, il portait une doudoune noir et un bonnet de la même couleur. Spencer trouvait ce dernier très beau.
« C'est deux-là ne ressemblent pas à des clodos ! » dit-il.
« C'est sans doute des travailleurs sociaux. » déclara Brian en les observant à son tour.
« J'en doute ! » s'exclama Spencer en secouant la tête. « Ils ont l'air de deux flics. » ajouta-t-il les yeux toujours rivés sur l'autre homme.
« Qu'est-ce que tu en sais ? » Dit Brian en rigolant.
« Je ne sais pas ! » dit Spencer. Comme s'il avait senti les regards qui pesaient sur lui, le plus jeune tourna la tête, et vit les deux adolescents. Spencer sentit son cœur s'accélérer, ses mains devenir toute moite. Le black quitta le groupe d'homme pour rejoindre les deux gamins.
« Qu'est-ce que vous faites là, tous les deux ? » Demanda-t-il d'une voix grave que Spencer trouva merveilleux.
« Ça se voit pas, on se balade dans le quartier. » ironisa Brian. Spencer resta silencieux incapable de dire un seul mot face à cet homme.
« Tu fais le malin, mais sache qu'en ce moment c'est très dangereux de se promener par ici pour deux ados comme vous. » expliqua-t-il au deux jeunes.
« Ne vous en faites pas monsieur le policier, on a toujours su se débrouiller seul. » Répondit Brian d'une voix effrontée.
« Nous ne sommes pas des policiers. » résonna une deuxième voix. L'autre homme brun avait rejoint son collègue. « Mais nous sommes plutôt du FBI. » ajouta-t-il en dévisageant les adolescents.
« Wow ! FBI. » Dit Brian en se moquant. Spencer baissa les yeux pour cacher son embarras. L'agent fronça les sourcils.
« Lui, c'est l'agent Morgan. » dit-il en désignant le plus jeune. « Moi, c'est l'agent Hotchner.» ajouta-t-il en montrant son badge.
« Qu'est-ce que deux agents du FBI viennent faire ici ? » Demanda Spencer après avoir rassembler tout son courage pour regarder les deux hommes. L'agent Hotchner sortit trois photos de la poche de son manteau.
« Est-ce que vous connaissez l'un d'eux ? » demanda-t-il. Les deux garçons jetèrent un œil sur les photos.
« Aucun n'est un garçon de Ka... » Brian donna un coup de coude à Spencer l'empêchant de finir sa phrase. Brian lui fit les gros yeux. « Tais-toi ! » ordonna-t-il avec empressement.
«…je ne sais rien. » reprit rapidement Spencer en affichant un sourire confus.
« Si vous savez quelque chose, vous feriez mieux de nous le dire. » Conseilla l'agent Morgan. Spencer n'osa plus ouvrit la bouche.
« Pourquoi vous vous intéressez à ses garçons ? » Demanda Brian.
« Quelque chose de vraiment mal est arrivé à ses garçons, c'est pour cela que nous sommes là. » Déclara l'agent Morgan.
« Ne faites pas semblant de vous souciez des gars comme nous. » Brian avait un ton de reproche. « Tous les jours nous sommes dans les rues, et tous les jours on voit des trucs vraiment moche arriver à des gosses et tout le monde s'en fou. »
« Pas nous. » Répliqua Hotchner. « Si nous sommes là c'est parce que nous nous soucions réellement de ce qui est arrivé à ses gosses. » Spencer jeta un regard à Brian, puis il désigna du doigt la dernière photo.
« Lui, je l'ai vu deux trois fois dans le quartier, mais je ne connais pas son nom. » dit-il.
« C'est tout ce qu'on sait ! On vous le jure.» s'exclama Brian en tirant Spencer pour reprendre leur chemin.
« Attendez ! » Spencer se retourna et vit l'agent Morgan qui lui tendait une carte de visite. « Si vous avez des problèmes n'hésitez à m'appeler. Ok. » Spencer prit la carte, lorsque sa main a frôlé la sienne, son cœur s'arrêta presque.
« Soyez prudent ! » dit-il. Spencer lui fit un sourire en hochant la tête.
Les deux adolescents s'éloignèrent. Spencer jeta un coup d'œil derrière lui, il vit que les deux agents repartaient dans le sens opposé. Le garçon soupira car peut-être qu'il n'aura plus jamais l'occasion de revoir cet homme si beau.
« Tu as failli parler de Karl, mais tu cherches vraiment les ennuis. » gronda Brian en continuant à tirer Spencer.
« Je ne l'ai pas fait exprès, je suis désolé. »
« Spencer ! Depuis quelque temps tu n'arrêtes pas de défier Karl. Tu n'as rien retenu de la correction que tu as reçue la dernière fois. Le jeune homme regarda Spencer avec désolation.
« Tu as raison. » dit Spencer. Brian l'attrapa par les épaules et lui ébouriffa les cheveux.
« Qu'est-ce qui a pu arriver à ses trois garçons ? » Demanda-t-il. Spencer haussa les épaules pour signifier son ignorance.
« En tout cas les journaux n'en parlent pas. » ajouta-t-il. « Ce n'est pas la première fois que des gosses des rues disparaissent. » dit-il réaliste.
« Parlons d'autre chose. » dit Brian. « Tu crois que je ne t'ai pas vu baver devant ce type. »
« De quoi tu parles ? » dit Spencer en rougissant.
« Arrêtes ! Tu n'arrêtais pas de le fixer, ça en devenait gênant. »
« Mais il est si beau. » avoua Spencer avec une petite moue. Brian lui jeta un regard désapprobateur.
« T'as aucune chance avec ce genre de type. »
« Et Pourquoi ? » rétorqua Spencer.
« Je doute qu'il soit gay, et même s'il l'était, il ne doit certainement pas s'intéresser aux petits morveux de 16 ans. » dit-il en s'éclaffant.
« Mais rien ne m'interdit de rêver ? » dit Spencer à Brian.
« Non, tant que tu sais que c'est du domaine du fantasme, mon ami. » Pendant tout le trajet, Brian n'avait pas cessé de charrier Spencer à ce sujet.
Les deux adolescents arrivèrent devant un vieux motel délabré et à l'abondant dont les lettres M et T étaient tombées depuis longtemps. La peinture couleur pêche s'écaillait de toute part, mais les gens vivant dans cet endroit avaient réussi à avoir de l'électricité grâce à des branchements illégaux faite sur les poteaux publics.
En s'approchant de leur chambre, les deux garçons virent que la porte était entrouverte. Ils s'approchèrent avec méfiance. Brian attrapa la poignée, et poussa doucement la porte. Ils furent étonné de trouver Karl assit confortablement sur le vieux fauteuil dans un coin de la petite chambre. Malgré son look de truands plein aux as, Karl approchait la cinquantaine. Il portait un bouc décoloré qui contrastait énormément avec ses cheveux brun mi- long. Spencer trouvait que cela lui faisait une tête bizarre.
« D'habitude lorsque tu viens chercher l'argent de la soirée, tu restes devant le motel. » murmura Spencer en baissant les yeux.
« Il faut bien changer les habitudes de temps en temps! » dit-il avec un sourire à la fois doux et terrifiant. Spencer sortie de sa poche des billets pliés en deux et les tendit à Karl. Il se mit immédiatement à les compter.
« Il y a exactement 350$. » S'empressa de dire Spencer.
« Où se trouve le reste ? » demanda Karl sur un ton étrangement calme.
« Tu sais la soirée n'a pas été très bonne. » se justifia Spencer. Karl secoua la tête en souriant, il se leva et s'approcha de Spencer qui frémir pendant un instant en voyant cette montagne s'approcher. Il faisait trois têtes de plus que le garçon.
« Tu dois vraiment me prendre pour un crétin ! » Dit-il avec un sourire menaçant. Spencer ne savait pas s'il devait commencer à courir ou rester et lui faire face. Soudain il reçut un violent coup de poing dans les côtes. Il s'écroula sous le poids de la douleur. Le gamin, au sol, se tordait dans tous les sens en toussant. Brian sous le choc s'agenouilla à ses côtés.
« Qu'est-ce qui te prend ? » Hurla Brian en fixant Karl d'un œil mauvais.
« Toi, restes en dehors de ça si tu veux pas recevoir une bonne correction. » le menaça Karl. Brian se tût aussitôt. Puis, Karl en profita pour fouiller les poches de Spencer. Il trouva rapidement le reste de l'argent.
« Je m'en doutais, p'tit salopard ! » Hurla-t-il en brandissant les billets. « Depuis combien de temps tu me voles, sale putain ! » Gronda-t-il. Il souleva le gamin par le bras. « Où est le reste de mon fric ? » Grommela-t-il.
« Je te jure que c'est la premier fois que je fais ça. » marmonna l'adolescent avec difficulté. Karl le poussa violemment. Il s'affala sur le vieux fauteuil, puis Karl commença à enlever sa grosse ceinture en cuir et l'enroula autour de sa main. Tous ses garçons avaient appris à craindre cette ceinture. Elle avait une grosse boucle en métal qui laissait d'énorme bleue sur la peau. Karl prenait son pied à les battre avec cette boucle en métal.
Spencer vit la ceinture fondre l'air à toute vitesse vers lui. Il essaya de protéger sa tête avec ses bras. Mais brusquement Brian se jeta sur Karl, tous deux tombèrent sur le vieux matelas.
« Sauve-toi Spencer !» cria Brian. D'un bond, Spencer se releva et fila aussi vite qui le pouvait sans se retourner. Le vent glacé lui fouettait le visage mais il continua à courir comme un fou dans la pénombre. Il s'arrêta une fois sûre d'être en sécurité malgré tout, son corps entier tremblait littéralement. Son cœur battait si fort qu'il pouvait l'entendre.
A cette heure si tardive, il n'y avait plus personne dans les rues. Spencer ne savait pas où aller. Il s'approcha d'un arrêt de bus. Il s'assit sur le banc. Il avait faim et froid et sans l'héroïne que lui fournissait Karl dans quelques heures il commencerait à ressentir les effets du manque. Spencer culpabilisait aussi car à cause de lui Brian allait avoir de sérieux ennuis.
À deux doigts de fondre en larme, Spencer décida de disparaitre quelques jours. Il allait travailler deux fois plus dure pour gagner plus d'argent pour Karl, ainsi il retournerait le voir et il le supplierait de lui pardonner. Et dire que tout ce qu'il voulait c'était une nouvelle veste et maintenant à cause de toute cette histoire, il n'avait plus d'endroit où dormir. C'était maintenant que Spencer comprenait ce qu'avait voulu dire Brian en parlant d'un endroit chaud où dormir, même si ce n'était qu'un taudis, il aurait tellement voulu y retourner. Les rues n'étaient pas sûres pour un adolescent de 16 ans.
