Bon, alors jusqu'ici, j'ai publié quelques prologues de projets que j'aimerais continuer voire terminer. Là, on entre sur un autre type de prologue. Le prologue du projet qui me tient énormément à cœur. Dans le genre, ce projet est mon enfant, mon bébé, j'en ai accouché par césarienne de ce projet, j'ai une cicatrice à cause de projet, je change les couches de ce projet. Je l'aime. Vraiment. Beaucoup.

Il y en a un deuxième dans le même genre, mais qui arrivera pas tout de suite. Mais c'est une fiction qui me trotte dans la tête depuis 1846, alors avouez que ça fait longtemps quand même.

Ce prologue est quand même plutôt long, donc accrochez-vous. Pour ce prologue plus que pour les autres, j'aimerais vraiment avoir des retours, même si c'est négatif, donc hésitez pas, vraiment.

Harry Potter appartient à JKR.

Enjoy!


Prologue – Au commencement

–Il n'a pas dormi de la nuit. Quand un enfant comme lui ne dort pas, vous le savez aussi bien que moi, il se renferme encore plus sur lui-même. J'ai bien essayé de convaincre le chef de lui donner quelque chose pour l'aider à dormir, mais c'est interdit. Honnêtement, Miss Delacour, je ne sais plus quoi faire...

Gabrielle observa quelques instants son interlocutrice. C'était une interne en pédiatrie, d'origine indienne, certainement. Marla. C'est du moins ce que l'on pouvait conclure de son léger accent oriental, et de sa peau foncée. Une femme brillante et douce qui avait trouvé sa vocation dans la pédiatrie. Elle semblait préoccupée par ce cas. On avait pourtant bien dit aux internes qu'il était important pour leur bien-être de ne pas trop s'investir auprès d'un seul patient. Particulièrement ceux à qui on ne prête plus qu'une toute petite chance de survie. Si un médecin s'attachait à tous ses patients pour les voir mourir par la suite, il deviendrait fou à lier. De plus, c'était égoïste pour les autres patients. Mais on apprend toujours de ses erreurs. Des cas auxquels on ne peut rien. Des cas confrontés de trop près à la mort, et qui n'en réchapperaient pas. Celui de Gabrielle, pendant son internat, s'appelait Janis Garett. Une enfant de sept ans en phase terminale de la mucoviscidose. Elle avait vu cette petite fille dépérir peu à peu, et perdre son innocence au profit d'une morosité lui volant son âme d'enfant, jusqu'à poser l'ultime question : Est-ce que ça fait mal, la mort ?

Gabrielle avait suffoqué. Pendant des jours, à vrai dire. La pédiatrie n'était pas pour elle. Elle n'était pas assez forte pour être directement confrontée à la mort de nombreux enfants. C'était sa sœur, la forte. Pas elle. Le virage n'avait cependant pas été trop grand : De la pédiatrie, elle était passée à la pédopsychiatrie. Au moins, ils ne meurent pas.

Elle posa les yeux sur le dossier. Ce nom, elle le connaissait par cœur. Elle voyait tous les jours son père, qui travaillait trop, et sa mère, qui s'en voulait trop. C'était ridicule. Elle n'avait rien à voir avec l'état de son fils. Rien à voir. Mais que pouvait-elle lui dire d'autre, à part qu'elle n'y était pour rien ? Les parents choisissent de croire ce qu'ils veulent croire, qu'importe s'ils se font du mal à eux-mêmes.

–Très bien. Je vais prendre le relais. Le petit Thompson, dans la chambre 42 demande à vous voir. Il vous adore... glissa Gabrielle, un léger sourire aux lèvres, en envoyant un clin d'œil à son interlocutrice.

–Il adore m'embêter, oui, plaisanta l'interne, une petite peluche rose pâle dépassant de la poche de sa blouse.

Gabrielle se détourna, mais prit tout de même le temps de répondre à Marla en marchant à l'opposé.

–Que voulez-vous... il a un petit faible pour vous...

Elle entendit clairement un rire mélodieux lui répondre tandis qu'elle prenait à droite au bout du couloir. Les murs étaient colorés, l'hôpital Sainte Mangouste étant parti du principe que le service de pédiatrie se devait d'être plus accueillant encore que les autres services du bâtiment. Ça n'avait rien de stupide, et Gabrielle se plaisait à observer les petites mains que des enfants avaient peint en trempant doigts et paumes dans la peinture, puis en les déposant contre le mur.

Elle arriva enfin devant la bonne porte. Le service, bien que toujours en pédiatrie, n'était plus consacré aux enfants en soins intensifs, mais à ceux atteints de troubles mentaux. Certains, pourtant jeunes, étaient déjà atteints de schizophrénie, et on tentait alors de calmer leurs pulsions dès l'enfance. D'autres avaient été traumatisés à un moment donné de leur vie et s'étaient tout bonnement refermés sur eux-mêmes pour ne plus rien laisser entrer dans leur petit monde. Et ça n'était que deux exemples parmi des dizaines de cas.

Elle frappa à la porte, tout en sachant qu'elle n'obtiendrait aucune réponse. Au bout des dix secondes conventionnelles pour que le patient ne se mette pas à hurler, elle finit par ouvrir la porte. Elle ne put réprimer un sourire sur son visage quand elle vit le petit garçon tranquillement assis sur son lit, un cahier dans une main, un crayon dans l'autre. Encore une fois, il avait réussi à avoir la peinture bleue mise à disposition pendant les ateliers artistiques proposés par l'établissement, et s'en était mis plein les cheveux par la même occasion. Les rayons du soleil venaient délicatement se poser sur son visage qui paraissait concentré sur la tâche qu'il était en train d'accomplir.

–Bonjour Teddy.

Le petit Teddy ne la regarda même pas. Il était encore dans son monde. Un monde qu'il s'était créé de toute pièce dès son plus jeune âge, le bâtissant autour des chambres blanches d'hôpitaux dans lesquelles il avait vécu la quasi totalité de son existence, mais également autour des passages quotidiens de ses infirmières, de sa pédiatre, de sa pédopsychiatre, et de la cardio-chirurgienne qui venait lui rendre visite si régulièrement, leur donnant un rôle primordial dans la grande pièce de théâtre fantaisiste qu'il avait fait de sa vie. Une pièce dans laquelle ses parents étaient un roi et une reine, dans laquelle il était le prince devant tuer le dragon. Une pièce sur laquelle les rideaux ne devaient jamais se fermer. A quoi bon prendre conscience de ces murs blancs ? A quoi bon comprendre que cette longue cicatrice longiligne sur son petit torse n'était pas le fait d'un dragon plus fort qu'il n'y paraissait, mais bien d'une maladie cardiaque le suivant comme un boulet accroché à sa cheville depuis sa naissance, et nécessitant opération sur opération ?

Et pourtant, quelque part, Gabrielle était persuadée que Teddy Lupin l'écoutait, écoutait chaque mot qu'elle prononçait. Dans les moments où ses pensées étaient les plus sombres, elle était même sûre qu'il était le seul enfant de ce service à le faire.

–C'est les infirmières qui vont être contentes, quand elles vont encore te retrouver avec de la peinture dans les cheveux.

En faisant attention à ne surtout pas le toucher, elle vint s'asseoir à côté de lui. Ne pas le toucher était une règle, au même titre que ces dix secondes qu'ils devaient tous attendre avant d'entrer dans sa chambre. Il était le metteur en scène de cette pièce de théâtre, ainsi que son personnage principal. Or, tout geste non dicté par le metteur en scène mettait en péril toute la pièce. Il était celui qui instaurait le contact. Il était celui qui décidait si oui, ou non, un personnage devait entrer en scène.

Elle le couva d'un œil maternel, puis vint poser son dossier sur la table de chevet du petit garçon. Elle n'avait plus besoin de ce dossier depuis longtemps, maintenant. Et puis Teddy était un cas à part, quoi qu'on en dise.

–Tu devrais prendre du rose, la prochaine fois. Tu ressemblerais à ta maman.

Elle n'eut pour seule et unique réponse que le bruit du crayon de Teddy qui grattait frénétiquement sur son cahier.

–Je suis allée voir ma nièce, hier. Victoire. Tu sais, celle qui vient jouer avec toi, parfois. Elle dit que tu lui manques. Elle viendra bientôt te voir...

Cette fois, le rythme de crayon ralentit. C'était dans ce genre de moment qu'elle comprenait que Teddy l'écoutait. Une simple baisse de rythme, mais qui voulait tout dire.

Victoire, la princesse qu'il faut sauver du dragon.

– … mais il faut que tu dormes, Teddy. C'est bien, tu as recommencé à manger. Les infirmières me l'ont dit. Mais tu sais, dormir, c'est très important aussi.

Il cessa tout bonnement d'écrire sur son cahier, et se désintéressa de ce dernier, ainsi que de sa pédopsychiatre. Il marcha d'un pas rapide jusqu'à la boîte de jouets que sa mère mettait un point d'honneur à garnir un peu plus à chacune de ses nouvelles visites. Il y saisit une petite voiture, et la fit rouler le long de sa cuisse, alors assis en tailleur sur le sol.

Gabrielle posa un regard bienveillant sur le petit, et s'apprêta à s'en aller quand ses yeux tombèrent finalement sur le cahier fermé que l'enfant avait laissé derrière lui.

–Je peux regarder, Teddy ?

Le manque de réponse en était finalement une positive, et Gabrielle posa ses doigts sur la couverture. Au marqueur, une infirmière avait pris le temps d'écrire le nom du petit garçon, de peur qu'un autre ne le lui prenne, et que la crise n'en soit que bien plus forte.

Elle ouvrit la première page, et ses yeux s'écarquillèrent.

–Qu'est-ce que...

La phrase resta étouffée dans sa gorge. Sous ses yeux, les lignes du cahier étaient occupées de centaines de chiffres. Elle tourna les pages. Lentement d'abord, puis ses gestes se firent plus tremblants, plus frénétiques, jusqu'à ce qu'elle arrive finalement à la dernière page du cahier, et que son cœur fasse un bond dans sa poitrine.

Sur la face cartonnée du cahier, le visage de Gabrielle était dessiné avec une précision hors du commun, précision qu'un enfant de cinq ans ne pouvait pas avoir. Autour de son cou, un serpent était enroulé, la gueule ouverte, les yeux rouges, comme s'il pouvait à tout moment se jeter sur n'importe qui regardait ce dessin. Derrière son visage, il y avait trois silhouettes indistinctes, car trop petites. L'une semblait être féminine, elle n'aurait su dire quoi que ce soit sur les deux autres. Et tout en haut de la page, deux grandes ailes entièrement noires surplombaient le tout.

Elle releva précipitamment les yeux de son dessin, et ferma brusquement le cahier, son cœur battant trop vite à son goût. Elle tenta de reprendre son calme, pour ne pas alerter le petit quant à un éventuel état de panique de son médecin.

–Teddy ? Teddy, ça ne te dérange pas si je prends ton cahier ? Il est plein de toute manière. Je demanderai à une infirmière de t'en emmener un autre...

Le petit ne répondit pas, ne se retourna pas, continua de faire rouler sa petite voiture sur sa cuisse, dos à la pédopsychiatre. Elle était persuadée qu'il savait qu'elle était troublée. Pire, elle était certaine qu'il savait pourquoi elle l'était.

Elle se leva et quitta la pièce d'un bon pas, chamboulée. Alors qu'elle marchait dans le couloir, elle ouvrit à nouveau le cahier et crut défaillir. Elle n'avait pas vu les chiffres griffonnés sous le dessin quelques instants plus tôt, comme s'ils venaient tout juste d'apparaître.

Ils y étaient. Ils devaient forcément y être quelques secondes plus tôt. Tout ça était trop gros. Trop étrange.

Une simple suite de chiffre, trop banale, comparée au reste du dessin, pour être remarquée.

38534277212


–Putain, t'es qui toi ?

Elle ne l'entendrait pas, il le savait. Il l'avait à peine murmuré, les sourcils froncés face au peu de lumière qui parvenait à se frayer un chemin jusqu'à ses pupilles. Une sorte de grognement étouffé s'échappa de ses lèvres, alors qu'il poussait sur ses muscles pour se lever, auparavant allongé sur le ventre dans son lit très – peut-être trop douillet. Quand il parvint enfin à se mettre en position assise sur le bord de son lit king size, il resta deux, voire trois minutes immobile, les bras ballants, et les yeux rivés sur le mur du fond de sa chambre, tentant au mieux d'oublier son mal de tête. Mal de tête qui ne le mettrait de toute façon pas de mauvaise humeur, l'habitude ayant pris le pas sur une douleur trop lancinante. Le rituel matinal.

Après s'être étiré avec son manque de grâce habituel, il se leva, et donna un coup de pied dans la masse informe couchée à ses pieds, et recouverte d'une couverture. Ladite masse lui répondit par un grognement animal avant de replonger dans son mutisme ensommeillé.

Il contourna l'obstacle, et poussa un nouveau juron quand son pied frappa un cadavre de bouteille d'un whisky premier prix déniché à la va-vite dans une supérette 24/7 de Chinatown, cadavre qui vint s'échouer, quelques secondes plus tard, sous le lit du propriétaire des lieux, allant rejoindre tous ses colocataires. Il finit par rejoindre son but – les rideaux, pourtant situés à à peine trois mètres de son lit. C'est l'habituel ciel gris du mois de septembre à Washington qui vint dire bonjour à Zabini, ce matin-là, ne manquant pas de l'éblouir, et de le faire jurer une énième fois.

Il marcha prudemment pour ne pas se cogner dans une nouvelle bouteille jusqu'à sa table de chevet où il revêtit de suite sa si chérie montre, avant de redonner un coup de pied dans la masse à ses pieds.

Cette fois, la couverture se retira avec violence, et laissa apparaître deux yeux d'un gris orageux qui ne manquèrent pas de foudroyer Blaise du regard.

–Bouge, il est dix heures et quart.

Draco se redressa doucement mais totalement, et se frotta le visage d'une main fatiguée, qui vint bientôt couvrir sa bouche pour camoufler un bâillement. Quand il se leva enfin, alors que Blaise se grattait non sans grâce la fesse droite, il ne put que remarquer la présence indésirable dans la pièce. Couchée dans le lit de Blaise, une blonde dormait tranquillement, ne se retenant pas, bien sûr, de baver sur l'oreiller de son « hôte ».

–C'est qui elle ? demanda-t-il, sa voix rauque se mêlant parfaitement à son habituel ton cassant du matin.

–J'ai une tête à savoir qui c'est ? lui répondit son meilleur ami, sur le même ton.

–Elle est moche.

C'était court, concis. Bien loin des longues tirades humiliantes dans lesquelles excellait le blond lorsqu'il finissait pas se débarrasser des dernières bribes d'un sommeil abrutissant.

Blaise pencha légèrement la tête sur le côté pour pouvoir juger par lui-même. Et en effet, si ses traits étaient somme toute assez fins, son nez, lui, dépareillait totalement avec le reste de son visage. De plus, son maquillage ayant coulé durant la nuit ne lui rendait pas justice. Loin de là. Tout de même vexé dans son ego, Blaise ne put s'empêcher de répliquer.

–C'est toi qui as voulu faire ce pari débile. J'ai du faire avec ce que j'avais sous la main.

Sur ces mots, il se retourna vers son écran plasma et attrapa la guitare de son jeu Guitar Hero, puis entreprit de la réveiller en la gratifiant de quelques légers coups sur le flanc.

Quand ses paupières cessèrent enfin de papillonner et qu'elle découvrit l'auteur de son réveil, elle ne put empêcher un grand sourire de poindre sur son visage, se confrontant à un mur de la part de Blaise, tandis que Draco avait placé son centre d'attention sur le ciel gris de la ville, bien plus intéressant que ce qui se trouvait dans ce lit. Il savait ce qui allait suivre, et s'il fut une époque où il y prenait un plaisir sadique, il avait fini par se lasser.

Alors qu'elle allait ouvrir la bouche, Blaise la devança, lui offrant son plus beau regard noir.

–Écoute ma jolie. On va sortir prendre notre petit-déjeuner. Toi, pendant ce temps, tu vas gentiment te rhabiller, et quand on reviendra dans cette chambre, POUF ! il fit un grand geste circulaire avec ses bras, et feint un sourire émerveillé, toi, tu seras plus là. Tu vas t'en sortir ?

Trop choquée par le changement total de comportement de Blaise, elle ne réagit pas, et au moment où elle se décida à ouvrir la bouche pour répondre à cette attitude exécrable, la porte de la chambre claqua sur les deux jeunes hommes. Mais c'était avec Blaise Zabini qu'elle avait passé la nuit. Pas avec le prince charmant. Elle s'était laissée séduire en connaissance de cause, elle le payait maintenant. Pauvre fille.

La salle à manger était luxueuse, tout comme le reste de l'immense triplex, d'ailleurs. Le sol était recouvert d'un parquet blanc qui donnait sa luminosité à la pièce ainsi que son caractère épuré. Le reste de l'endroit était principalement constitué de bois, de verre et de plantes, pour une atmosphère naturelle. Seul le mur du fond de la pièce venait briser cet aspect, entièrement constitué de briques, et sur lequel avaient été placés les meubles de cuisine de Mrs Zabini. Bien qu'à proprement parler, Mrs Zabini ne faisait jamais elle-même la cuisine. D'une, parce qu'elle avait son propre cuisinier, et de deux, parce qu'elle n'était pratiquement jamais dans cet appartement, aussi grand soit-il, et pourtant décoré par ses propres soins.

Au milieu de la pièce, une table dont la structure était en bois blanc trônait fièrement, s'ajoutant au reste du décor clair de la pièce. Sur cette table, une jeune femme avait posé son bol de café, et foudroyaient du regard les deux amis à demi nus qui venaient tout juste d'arriver.

–Pas en cours ? demanda Blaise, simplement, ne se formalisant pas de ce regard noir.

La jeune fille avait le même teint métis que celui de Blaise. Les mêmes yeux, aussi, à première vue marrons, mais qui prenaient, à la lumière, une teinte entre leur marron d'origine et un rouge sang hypnotisant. Il fallait pourtant être proche pour remarquer un détail comme celui-là. Mais là n'étaient pas leurs seules similitudes. Ils avaient le même visage ovale, comme celui de Mrs Zabini, le même rire aérien sans retenue, le même sourire éclatant. Mais également les mêmes sautes d'humeur plus que surprenantes, la même fougue dans leurs colères, les mêmes regards glaçants. Et par dessus tout, le même dévouement pour leurs plus proches amis.

Elle ne répondit pas à sa question, alors que déjà les deux autres se dirigeaient vers la cuisine. Quand ils en revinrent – avec un cappuccino pour Zabini, et un bol de thé pour Malfoy, ils s'assirent face à elle, et ne se confrontèrent encore une fois qu'à un véritable bloc de glace.

–T'as tes règles ? lâcha Draco, toujours dans la brume.

Si son regard avait pu tuer, Draco serait à cet instant précis un homme mort. Plus que mort même. Mort, puis ressuscité, puis mort à nouveau. Et son cadavre aurait sans aucun doute été brûlé.

–Ou alors t'es enceinte... lâcha Blaise, pour soutenir son ami.

Il n'y eut aucune concertation, aucun regard. Pourtant, la seconde qui suivait, les voix des deux hommes retentirent en concert dans ce qui n'était pour eux qu'une petite taquinerie.

–Je plains le gosse.

Elle lâcha sa tartine d'un coup sec, et celle-ci se noya presque aussitôt dans le bol de café qui l'avait accueilli. L'espace de quelques secondes, elle sembla vouloir se calmer, les ongles de ses longs doigts fins venant frapper les uns après les autres la table en bois, dans un geste nerveux. Elle passa son autre main dans sa crinière bouclée dont les plus longs cheveux venaient reposer sur ses épaules, main qui vint finalement se poser sur sa nuque. Ses dents s'attelèrent finalement à mordre ses propres lèvres pleines, comme cherchant à former une barrière aux mots accusateurs qu'elle se retenait tant bien que mal de jeter aux visages des hommes qui lui faisaient face. Et puis elle releva les yeux sur eux, et la colère sourde qu'elle avait essayé de réprimer se fit plus forte à leur vue, et elle ne tenta plus de retenir son énervement.

–Écoute-moi bien, espèce de petit con... siffla-t-elle à l'intention de son frère qui esquissa dans la seconde un sourire amusé, tu peux baiser qui tu veux, quand tu veux, où tu veux, je m'en carre complètement. Mais la prochaine fois, ne prend pas une espèce de truie qui gueule comme si elle se faisait égorger.

Le ton était tranchant, les mots choisis violents, désobligeants et exagérés. Elle était vraiment en colère.

Le sourire de Blaise vacilla, tandis que celui de Malfoy s'agrandissait. Elle continua sans y faire attention.

–S'il n'y avait que ça, j'ai envie de dire, l'affaire était réglée en cinq minutes !

Blaise fronça les sourcils. Cinq minutes ? Cinq minutes ?! C'était vexant. Et le ricanement de Draco à côté de lui ne fit que le vexer un peu plus.

–Mais combien de fois ? Cinq fois dans la nuit ? T'es sérieux, Blaise ? Avec la moche qu'est sûrement en train de chialer dans ta chambre, parce que t'es qu'un connard égoïste sans la moindre once d'empathie ?

Comment est-ce qu'elle savait qu'elle était moche, déjà ? Comme si sa sœur lisait dans ses pensées, elle répondit à la question.

–Elle a jugé bon de se balader à poil complètement saoule en vantant tes mérites de, je cite : expert en ramonage, à des plantes. Quand elle m'a vu, elle a fait ce que je ne veux plus jamais revivre de la part de n'importe laquelle de tes conquêtes... Elle m'a roulé la pire pelle de toute ma vie. Elle m'a pratiquement léché le visage. Alors crois-moi, je l'ai vu de près. De très près, même.

Draco était hilare, cette fois, tandis que le visage de Blaise, lui, était totalement défait. Elle reporta alors son regard ainsi que ses humeurs destructrices sur le blond.

–Et toi...

Son rire se transforma en un simple sourire amusé, tandis qu'il haussait un sourcil dans l'attente de ce qu'elle pouvait bien lui reprocher.

–Que tu viennes dans ma chambre, c'est une chose.

Alors qu'il se faisait déjà foudroyer du regard par la fille Zabini, son sourire devint plus narquois encore lorsqu'il sentit le regard de Blaise le foudroyer à son tour, à la simple pensée de ce qu'aurait pu faire Malfoy avec sa sœur.

–Pas de problème, je comprends que la truie t'ait dérangé. Encore que, trois étages dans ce putain d'appartement, et il a fallu que tu viennes dans ma chambre. Soit, je respecte. Mais la prochaine fois, Malfoy, évite de te jeter dans le lit alors que je suis dedans. J'ai pas pu respirer pendant au moins une minute. Et si j'étais morte d'asphyxie, hein ? Ah oui, c'est clair, t'aurais eu l'air malin !

Elle poussa un énième juron et se dirigea vers l'escalier menant à l'étage des chambres des deux jeunes Zabini, abandonnant derrière elle son petit-déjeuner, et ne laissant le temps à aucun des deux jeunes hommes de se justifier. Ou de faire dans le sarcasme.

–Lisa... prononça Blaise, d'un ton faussement suppliant, sûrement dans l'optique de se faire pardonner sans avoir à y mettre trop d'efforts.

Pour toute réponse, il n'obtint que les injures de ladite Lisa à sa propre encontre, s'insultant elle-même de ne pas s'être fait violence pour dormir dans n'importe quelle autre pièce de l'appartement quitte à dormir à même le sol, ce qui, à coup sûr l'aurait empêcher de ne dormir en tout et pour tout que trois heures – encore que, dormir à même le sol, non bien sûr que non, elle ne se serait jamais endormie à même le sol, parce que merde, elle n'était pas ce crétin d'arrogant de blondasse de mes deux – Trois heures qui pouvaient amplement suffire à Blaise ou Draco, mais qui étaient loin de la contenter, elle.

Malfoy eut un petit rire amusé, tandis qu'un sourire en coin naissait sur le visage de Zabini.

–Elle exagère toujours beaucoup trop les faits quand elle est énervée, lâcha Blaise.


L'institut Poudlard était sans aucun doute unique en son genre dans le monde entier. Localisé dans la périphérie extrêmement cotée de Washington, il comprenait en tout et pour tout deux cents hectares de terres, soit deux kilomètres carrés pour contenir la totalité de ses bâtiments.

Accueillant les surdoués de tout le pays, et même les étudiants internationaux, cette école, dont le cursus était de sept années, comprenait un système unique : le système des maisons. Quatre maisons différentes, selon les spécialités des différents étudiants triés sur le volet.

Ainsi donc, la maison la plus demandée était sans aucun doute la maison des Poufsouffles, également appelés les Généraux. Comme ce deuxième nom l'indique, cette maison était composée d'étudiants se débrouillant à merveille dans tous les domaines enseignés dans une école normale. Seulement, leur niveau était autrement plus élevé : Le minimum requis de langues maîtrisées, par exemple, était de quatre. Les élèves de cette maison avaient un niveau de mathématique équivalant à celui d'un élève de fac dès leur quatrième année, et on considère, à ce jour, qu'un élève ayant bouclé cinq années de sciences à Poudlard dans la maison Poufsouffle avait le niveau nécessaire pour entrer sans problème dans une très bonne université de médecine, telle qu'Hopkins, par exemple.

Au contraire, la moins demandée, car la plus difficile à intégrer, était celle des Serdaigles, surnommés les Geeks par les autres élèves, affectueusement ou hostilement, au choix. Cette maison comprenait les génies de la robotique, de l'informatique et de la domotique. Ces élèves étaient de véritables innovateurs en leurs genres, pour la simple et très bonne raison que tout ce qu'ils voyaient était en tout et pour tout une série d'algorithmes, pour la plupart. Tous les inventeurs américains depuis le début du XVIIe siècle étaient passés par la case Serdaigle. Certains en y étant élèves, d'autres en y étant professeurs. Une chose était sûre : Cette école avait, depuis sa création quatre siècles plus tôt par quatre prêtres ayant donné leurs noms aux différentes maisons de l'institut, laissé une empreinte indélébile sur l'évolution de l'homme.

La troisième maison était celle des Gryffondors, également les Sportifs. Elle contenait les futurs plus grands sportifs du monde entier, et offrait une possibilité de formation dans soixante-treize sports différents. Cent soixante-douze médailles d'or obtenues aux Jeux Olympiques au cours du siècle dernier l'avaient été par d'anciens étudiants de Poudlard, et plus particulièrement de Gryffondor. Un sportif de Gryffondor était accepté partout et par tout le monde : Des plus grands clubs de football américains aux plus grands ballets de danse classique du monde, des plus grands entraîneurs de boxe à ceux de plongeons de haut vol.

Enfin, la toute dernière maison était celle des Serpentards, surnommés par tous les Artistes. Comme pour les sportifs, les domaines étaient très étendus. Réalisation, dessin, peinture, écriture aussi bien journalistique que fictive, musique, sculpture, mode, comédie, et bien d'autres domaines encore. C'est très souvent de cette maison que sortaient les futures stars, parfois éphémères, ou parfois adulées pour le restant de leurs jours. On considérait alors que 41% des diplômés de Serpentards finissaient au moins une fois en première page d'un magazine, quel qu'il soit, reconnu pour son talent, ou même par sa place importante dans la jet-set américaine et mondiale.

Si, selon ses talents, un élève était placé dans telle ou telle maison, il lui était également possible de suivre un cursus croisé, bien que l'élève revendiquerait toujours son appartenance à sa maison principale, par pure fierté. Si un élève de Gryffondor était, par exemple, un as du baseball, mais parlait également quatre langues, il lui était possible de choisir de participer à certains cours des Poufsouffles, la politique de Poudlard étant avant tout de faire de leurs élèves les meilleurs en leur domaine, tout en leur offrant le plus de savoir possible en parallèle.

Certains cas pouvaient également porter à confusion. La danse avait notamment créé la polémique pendant de longues décennies. Il est possible de considérer la danse autant comme un sport que comme un art. C'est l'arrivée d'Albus Dumbledore à la direction de l'école qui sut régler le problème. La réponse était pourtant simple : offrir à l'élève ce dont il avait le plus besoin. Prenons le cas d'une danseuse de Gryffondor : Hermione Granger. Là où elle débordait d'émotions quand elle dansait, il restait cependant quelques failles techniques, à renforcer dans un milieu purement sportif tel que Gryffondor. Au contraire, Daphné Greengrass, danseuse à Serpentard, avait une technique meilleure que sa professeur de danse, pourtant autrefois danseuse vedette du Ballet de Paris. Seulement voilà : le manque d'émotion certain dans ses mouvements laissait indifférent n'importe qui pourtant très émotif à la base. Pour cela, elle avait été envoyée à Serpentard, le milieu de l'Art et de l'émotion. Mais paradoxalement, la maison dans laquelle les élèves laissaient le moins paraître leurs sentiments.

C'était sûrement ici que résidait la seule faille de Poudlard, au fond.


Draco et Blaise marchaient tranquillement en direction du bâtiment général, bâtiment où les cours que toutes les maisons partageaient étaient dispensés. Parmi eux, l'anglais, l'histoire géographie, les premières notions de droit et d'économie, ainsi que l'éducation civique, parce que le patriotisme, c'est cool.

Il était 10:58, et leur dernier cours de la matinée – anglais, démarrait d'ici à peu près cinq minutes.

Les cours avaient repris depuis trois jours exactement, et le fait qu'ils ne loupent que trois heures de cours après seulement trois jours était déjà un exploit, en soi. Il leur faudrait certainement trois semaines pour réussir à récupérer un rythme à peu près décent, qui pourrait leur permettre d'arriver à l'heure en cours, rythme qu'ils avaient perdu pendant leurs vacances d'été.

Une fille sortit du bâtiment vers lequel ils se dirigeaient, laissant derrière elle une immense façade de briques rouges, alors que l'aiguille de l'imposante horloge trônant au dessus de la porte se décalait délicatement vers la cinquante-neuvième minute. Elle tenait contre son oreille son téléphone portable et hurlait quelque chose que ni Draco ni Blaise ne comprit. Du portugais.

Quand elle raccrocha enfin, et que Blaise, ayant trouvé sa nouvelle proie, lui offrit son plus beau sourire, elle lui envoya un regard noir qui lui fit hausser un sourcil.

Blaise parlait couramment l'anglais et l'italien, et ce depuis sa naissance. Quelques notions assez solides d'espagnol lui permettaient de comprendre et d'être compris. Il n'était donc pas un génie des langues comme pouvait l'être sa sœur, par exemple. Mais après presque dix-huit ans à entendre sa jumelle interagir en six langues différentes avec des amies venues de toutes les régions du monde, il avait développé une oreille en ce qui concernait les accents, et ce, même quand la conversation se déroulait dans une langue qui lui était étrangère. Aucun accent, aussi infime soit-il, ne lui échappait.

C'est en partie ce qui lui permit de remarquer que transparaissait du portugais dans lequel s'exprimait la jeune femme, à peine audible, un léger accent russe.

Elle n'accorda pas plus de considération aux deux hommes, et se dirigea d'un bon pas vers le bâtiment des Poufsouffles.

–C'est qui ? demanda Blaise, en la suivant du regard.

–Ravi d'apprendre que ta queue a plus d'importance à tes yeux que les fréquentations de ta sœur. répondit Draco, dont le choix des mots trahissait l'exaspération, sans que son visage n'en fasse de même pour autant.

L'autre lui jeta un regard blasé.

–Tu connais pas l'inconvénient d'avoir une sœur à Poufsouffle. Que des amies étrangères avec des noms imprononçables. Je sais bien qu'elles traînent ensemble, j'ai juste pas retenu son nom. Et vu le potentiel aphrodisiaque qu'elle a quand elle est en colère, j'aurais peut-être du le faire...

Blaise continuait de l'observer, alors que sa silhouette disparaîtrait d'ici quelques secondes, quand elle entrerait dans le bâtiment par le biais d'une porte coulissante en verre encastrée dans un mur couvert de lierre.

–Et puis elles doivent pas être si proches que ça. Je l'ai jamais vue à la maison.

Draco, plus amusé qu'irrité par le comportement de Blaise, reprit sa marche, mains dans les poches, en direction du bâtiment dont la cloche sonnait la fin du troisième cours de la matinée. Il lui donna tout de même sa réponse.

–Dores Korianov.

Blaise arrêta d'observer le nouvel objet de ses convoitises et se mit à trottiner dans le but de rattraper Draco. Son nom lui donnait raison, étant clairement d'origine russe, ou du moins est-européenne.

–Ça sonne russe... exprima-t-il à haute voix, ne se formalisant pas du regard de Malfoy qui semblait le remercier sarcastiquement de lui dévoiler ce qui était évident.

–De ce que je sais, sa mère est brésilienne, son père russe.

Blaise hocha tranquillement la tête en signe de compréhension, tout en plongeant ses mains dans ses poches. C'était fréquent, à Poufsouffle. Cette maison était celle qui accueillait le plus d'étudiants étrangers, bien que suivie de près par Serdaigle et Gryffondor. Et bien souvent, faire la connaissance d'un étudiant de Poufsouffle, c'était faire la connaissance du fruit de l'union de deux personnes nées à deux endroits opposés du globe terrestre. Une des amies les plus proches de sa sœur était germano-japonaise, et portait l'un des noms les plus impossibles à retenir qu'il ait entendu de toute sa vie.

Amie qui avait eu la chance ou la malchance, selon le point de vue, de sortir l'espace de quelques semaines avec Draco Malfoy. Et elle avait le mérite d'être la seule de ses « conquêtes » passées avec qui il était resté en bons termes, et en qui il voyait un intérêt certain, et, même s'il ne l'avouerait pas, beaucoup de qualités.

Alors qu'ils entraient dans le hall d'entrée, Blaise se fit la réflexion que Draco avait quand même une fâcheuse tendance à sortir avec les membres du cercle d'amies de sa sœur, et il s'était toujours fait la promesse de ne pas ramasser les miettes du blond. Il tenta au mieux de se remémorer l'historique des conquêtes de Malfoy, mais il avait déjà du mal à se rappeler de son propre historique, alors comment était-il censé se rappeler la présence d'une certaine Dores Korianov dans le tableau de chasse de son meilleur ami ?

–Il s'est jamais rien passé. T'as le champ libre, lâcha Draco, comme lisant dans ses pensées.


Aurora Sinistra entra avec son dynamisme habituel dans la salle de classe, et posa violemment son sac sur la table qui lui servait de bureau, dans le but de faire taire l'assistance. Ce qui ne loupa pas, comme d'ordinaire.

Elle darda l'assemblé d'un regard sévère, puis posa ses yeux sur le premier fautif.

Draco Malfoy était assis à l'avant-dernier rang, juste à côté de Pansy, et derrière Théodore. Qui, l'un et l'autre dormaient profondément, sans que ça ne semble gêner Aurora. L'habitude couplée de l'abandon, sans doute. Il haussa un sourcil face au regard soutenu de sa professeur, ne songeant pas une seule seconde à baisser les yeux.

–Mr Malfoy, vous vous êtes finalement décidé à venir en cours ? demanda-t-elle, sans pour autant attendre de réponse.

–Apparemment, répondit simplement Draco, d'un ton neutre. Mais la professeur ne sut dire, en revanche, si ce qu'elle voyait dans son regard était de l'amusement ou du mépris.

Un regard qui ne fonctionnait de toute façon pas sur Mrs Sinistra. Il semblait que cette femme fût immunisée face aux élèves les plus charismatiques de l'école.

Elle détourna les yeux pour les poser sur Blaise, assis au dernier rang. Lui était nonchalamment appuyé contre le mur, les pieds sur la chaise de sa sœur (absente, puisqu'elle avait préféré prendre le bus plutôt que de se « traîner les deux pires boulets de monde dès le réveil ».), son sac toujours fermé sur sa table. La posture désinvolte de celui qui n'a pas l'intention de travailler et qui le revendique.

–Mr Zabini, c'est un honneur... dit-elle, sur le même ton sec, les yeux plus noirs que jamais, comme si toutes les femmes, en ce jour, s'étaient passées le mot pour envoyer oculairement chier le jeune Zabini.

–Mais non, Madame. C'est un honneur pour moi de pouvoir vous revoir à nouveau, lança Blaise,

un sourire séducteur plaqué sur le visage. La professeure leva les yeux au ciel, pensant que, oh non, Mr Zabini n'avait pas changé d'un cheveux depuis la dernière fois qu'elle avait eu la chance de le voir.

–Votre sœur va-t-elle aussi nous gratifier de sa présence ? demanda Aurora, s'informant plus que ne réprimandant ; Lisa Zabini était infiniment plus ponctuelle que son frère jumeau.

–Probablement pas, elle a ses règles.

Une partie de la classe ne put s'empêcher de ricaner, non pas pour la phrase que venait de prononcer Zabini, mais pour la joute verbale qui s'annonçait entre les jumeaux dès que Lisa arriverait, tandis que Mrs Sinistra soupirait d'affligement. Blaise reprit cependant.

–Enfin, vous connaissez, les problèmes féminins, tout ça...

–Je vois... souffla la professeur en sortant le texte de Shakespeare qu'ils étudiaient depuis trois jours. La porte s'ouvrit à cet instant précis, et laissa apparaître la deuxième Zabini, sous une marée de ricanements. Ricanements toujours purement anticipatifs.

–Entrez, entrez... souffla la professeure, d'ores et déjà fatiguée par sa journée, observant d'un œil morne le reste de la classe qui attendait, telles des charognes à l'affût d'un cadavre, la confrontation qui allait, qui devait inévitablement avoir lieu entre les Zabini.

Sous les rires de toute la classe, Lisa envoya un nouveau regard noir à son frère.

–Qu'est-ce que t'as dit, encore ? demanda-t-elle froidement, un air désabusé sur le visage.

–Moi ? demanda innocemment Blaise en posant ses mains sur son torse pour appuyer ses dires, mais j'ai rien dit du tout...

–Il a dit que t'avais tes règles ! cria Dean Thomas, pour jeter de l'huile sur le feu, alors que son voisin de classe, Seamus Finnigan, hochait vigoureusement la tête en signe d'approbation.

–Que d'humour en toi, Blaise. Tiens, Maman a appelé. Elle t'a pris un rendez-vous chez l'urologue, tu sais pour tes problèmes de...

–Miss Zabini, allez-vous asseoir, je vous pris, coupa Mrs Sinistra, un air sévère pour cacher au mieux un sourire sur le point de naître sur ses lèvres. Toutes ces bêtises avaient fini par la distraire, avec le temps, et elle ne cessait de se flageller mentalement à cause de cela, jugeant qu'il n'était pas approprié pour un professeur d'avoir ce genre de comportement face à une classe, aussi hilare soit cette classe à cet instant précis.

C'est au moment où elle sortait ses affaires de son sac que Blaise lui fit comprendre qu'il lui ferait payer très cher cette humiliation publique.

–Crois-moi, Blaise... Avec la nuit que tu m'as fait passé, j'ai pas fini de t'en faire baver... elle chuchota tout de même, pas le moins du monde impressionnée par les paroles de son frère.

Ainsi donc, le cours put enfin, au grand soulagement de la professeur, commencer, au rythme de l'analyse du Sonnet LV de Shakespeare, et dans une atmosphère emplie par le bruit des crayons qui grattaient le papier, par la respiration lourde des élèves qui dormaient dans une position feignant le travail, et les soupirs de ceux qui, sans arriver à dormir, s'ennuyaient assez pour lire pour la cinquantième fois l'étiquette de leurs stylos correcteurs. Ce fut le cas de Draco, entre autres, qui, délaissant une lecture qu'il connaissait à présent par cœur, s'était retourné vers Pansy – qui dormait, puis vers Théo, dont la position ne laissait que peu de doute sur l'activité – dormir, puis vers Blaise qui, je vous le donne en mille, dormait aussi.

Il n'avait aucune intention de lire ce sonnet, pour la simple et très bonne raison qu'il le connaissait déjà par cœur, et qu'il s'en était déjà fait sa propre interprétation bien des années plus tôt. Et c'était le cas pour chacun des cent cinquante-quatre sonnets composant le recueil. Il aimait les cours de littérature anglaise, mais il détestait qu'on cherche à lui apprendre ce qu'il savait déjà. C'était une simple perte de temps.

Et puis ce sonnet en particulier, il avait tendance à laisser une pointe d'amertume dans l'esprit de Draco. Et une boule dans sa gorge, aussi. Et pourtant, le voilà qui, sans baisser une seule fois les yeux sur sa feuille, se surprit à se réciter mentalement ledit sonnet comme un automatisme.

C'est dans mes vers que tu vivras : Dans mes yeux, dans leur feu.

C'était sur ces mots que le sonnet se clôturait. Il les connaissait ces mots, pour les avoir relu encore et encore. Depuis l'enfance, il les récitait comme un mantra. Son admiration pour Shakespeare n'avait jamais été feinte, bien qu'il se souvenait avoir voulu apprendre plusieurs de ces sonnets dans le seul but d'attirer l'attention de son père en premier lieu. De l'impressionner même, pourquoi pas ? En vain.

C'était assez ironique, au fond, que parmi cent cinquante-quatre textes, le sonnet étudié soit celui qu'il chérissait à une époque le plus au monde, puis qu'il avait haï, plus tard. De l'amour et de la haine que lui inspirait ce sonnet, il ne restait plus maintenant qu'une profonde lassitude. Il lui renvoyait en pleine tête tout ce qui n'allait pas, n'avait jamais été, et n'irait sûrement jamais.

Dans mes yeux, dans leur feu.

C'était les mots gravés à l'intérieur de l'alliance de son père. A cela près qu'il les avait traduit en latin, un besoin primaire de faire miroiter à son entourage et au monde entier son intelligence hors du commun, le poussant à s'auto-glorifier, et ce jusque dans les moindres infimes détails. Cet homme était le roi du monde. C'était son opinion de lui-même, ce que tout le monde lui avait toujours fait croire. Ou ce qu'ils avaient toujours cru. Difficile de connaître la différence dans une famille aussi étroite d'esprit que la famille Malfoy. Mais était-ce seulement possible de se prendre pour autre chose que le roi du monde quand on était le secrétaire d'État des États-Unis, au fond ?

Draco faisait certes partie de ceux que l'on nommait les Artistes. En fait, pour l'ensemble de Poudlard, il était leur Prince. Mais il ne savait pas réellement si l'influence qu'il avait sur cette maison et sur l'ensemble de Poudlard venait de la haute position de son père, ou bien de lui-même, de son talent. Parce qu'il était talentueux, n'est-ce pas ? Il serait fâcheux que les Malfoy, encore une fois trop repliés sur eux-même, n'aient su différencier un roi d'un simple valet. Qu'il ne soit qu'une copie du père. Un faux roi, un brin médiocre, de ceux que l'on décapite.

Mais Draco, quoi qu'il en soit, avait cette sensibilité propre aux Serpentards. A neuf ans, il lisait les 154 sonnets de Shakespeare, et les comprenait. A treize ans, il les relisait, et en saisissait toutes les subtilités. Ces vers, il les avait aimé, admiré, vénéré. Quand ses doigts et son cerveau avait choisi Mozart pour maître et modèle, son cœur avait choisi Shakespeare. Il méprisait profondément les Poufsouffles, les généraux, la parfaite banalité. Mais il leur enviait bien une chose : avoir la chance de pouvoir lire Dante, Corneille, Goethe, Racine, Cervantès, Plutarque, ou Tchekhov dans leur langue d'origine. Il connaissait la moindre œuvre du maître de la littérature anglaise sur le bout des doigts, il aurait aimé connaître au mieux les maîtres des langues qu'il ne maîtrisait pas.

Oui, Draco Malfoy avait tout du bon prince des Serpentards, et sa culture, celle dont on parlait dans les couloirs de Poudlard comme on parle d'une blague, n'avait en fait rien d'un mythe.

Et Aurora Sinistra, malgré les copies volontairement ratées et bâclées que lui rendait Draco Malfoy, l'avait bien compris.

Mais le premier à l'avoir compris, c'était Albus Dumbledore. Au milieu de milliers de demandes de candidatures, le directeur de Poudlard avait pris le temps d'envoyer une lettre, une seule, invitant un enfant à rejoindre son école. Et cet enfant, c'était Draco Malfoy.

Sûrement était-il dieu plutôt que roi, au fond. Il était assez ironique de remarquer que là où Draco avait été invité, Lucius Malfoy avait été recalé.

Cette simple pensée aurait pu lui tirer un sourire, s'il ne sentait pas l'ennui s'emparer de tout son être petit à petit.

Il regarda l'horloge, et constata à regret que se morfondre ne lui avait fait perdre que cinq petites minutes. C'était toujours ça de pris.

Cet indéchiffrable air neutre toujours en place sur son visage, il entreprit d'observer le reste de la classe se faire royalement chier pour parer à son propre ennui.

Si on supprimait la demi-douzaine d'élèves qui dormaient profondément, il put voir Thomas et Finigann coller une affiche « Je suis un trou du cul » sur le dos de Goyle – endormi, et une autre affiche « J'ai une petite bite » sur celui de Crabbe – endormi lui aussi, tout en ricanant comme deux gamins. Loufoca semblait elle aussi en pleine contemplation de ses camarades de classe, et gardait son habituel air rêveur de chèvre sous acides. Potty et Weaslaid jouaient tranquillement au morpion, en devant supporter, toutes les trente secondes à peu près – Draco avait compté, n'ayant que ça à faire, les regards noirs de celle qui se trouvait devant eux, j'ai nommé Grangie.

Foutue Granger.

Il s'affala finalement contre le dossier de sa chaise, et entreprit de compter le nombre de carreaux au plafond, bien qu'il savait parfaitement qu'ils étaient en tout et pour tout cent soixante-et-onze – neuf sur la largeur, dix-neuf sur la longueur. Il les avait compté trop de fois pour ne pas s'en rappeler.


–Bien, commença Aurora Sinistra, en claquant ses mains pour signifier le fait que le cours était bientôt terminé, comme vous le savez, le but de cours généraux comme celui-ci, qui mélange les quatre maisons, est bien sûr l'entente inter-maison. C'est pour cela que j'ai décidé de vous faire faire par binômes un exposé à me rendre dans trois semaines.

Les protestations commencèrent tout de suite à s'élever dans la classe, protestations que la professeur sut faire taire d'un simple regard.

–Sortez vos agendas, voici le sujet : Dans quelles mesures la littérature anglophone a-t-elle su faire évoluer les mœurs du XVIe siècle à 1914 ?

Une nouvelle vague de soupirs s'éleva dans les rangs, mais cessa d'elle-même, les élèves ne voulant pas s'attirer les foudres de leur professeure.

–Voici les binômes : Mr Finnigan, vous serez avec Mr Goyle. Mr Thomas avec Mr Crabbe.

Les deux complices de Gryffondor se jetèrent à l'un et l'autre un regard plein de compassion, alors que les Serpentards, eux, dormaient toujours. Il était certain que Mrs Sinistra n'avait pas composé ces binômes avec l'aide du hasard.

–Miss Weasley, vous serez avec Miss Zabini, Mr Nott avec Miss Chang, Miss Rosier avec Mr Londubat, Mr Weasley avec Miss Parkinson...

–QUOI ?! hurla ladite Miss Parkinson, se réveillant enfin après une heure d'un sommeil profond.

–Un problème ? demanda la professeure, en levant un sourcil, geste qui voulait bien entendu dire Je vous mets au défi de me répondre. Oui mais. C'était bien Miss Parkinson qu'elle avait sous les yeux. La plus féline des Serpentards.

–Un peu qu'il y a un problème. Qu'on se le dise, j'ai rien contre les belettes, par contre, contre celle-ci en particulier...

–Si on en est aux comparaisons animales, commença Ron, qui ne comptait pas se laisser marcher sur les pieds, ta façon de regarder les gens de haut m'a souvent fait pensé à un pitbull. Manquerait plus que la bave au coin de la bouche...

–Marrant que tu dises ça, suffit que la belette passe entre les dents du Pitbull et... CRAC. Plus de belette.

Ils commencèrent une confrontation visuelle qui fatigua un peu plus Aurora.

–Vous n'avez pas votre mot à dire sur mes binômes, ce sera ainsi, et pas autrement. Soit vous vous entendez, et vous obtenez une bonne note, soit vous continuez de vous détester de cette façon on ne peut plus puérile, et ça sera un zéro.

J'en serai pas à mon premier, cracha Ron, désormais de mauvaise humeur.

–C'est vrai qu'on a rarement vu aussi stupide à Poudlard, contra Pansy, pour le simple plaisir de le voir devenir rouge de colère.

–Mr Malfoy avec Miss Lovegood, Miss Abbott avec Mr Pucey, Mr Zabini avec Miss Granger...

Mrs Sinistra, s'attendant à une quelconque remarque dudit Mr Zabini, s'arrêta, mais rien ne vint, ce qui la surprit assez pour la faire écarquiller les yeux.

–Mr Jordan avec Mr Goldstein, Miss Brown avec Mr Davies, Mr Harper avec Miss Bell, Mr Smith avec Mr Potter, Mr Wood avec Mr Flint, et enfin et bien... Miss Patil avec Miss Patil...

–Attendez, là je suis pas d'accord.

Il fallait bien que Blaise ouvre sa bouche à un moment ou à un autre. Sans prendre en considération le regard noir d'Aurora, il commença, à la manière d'un avocat, à plaider en sa propre faveur. Théâtralement, il se leva, et prit un air des plus convaincus.

–Voyez-vous... il est là un fait indéniable. Padma et Parvati Patil sont jumelles. Certes, me direz-vous. Mais elles ne sont pas dans la même maison. Et c'est vrai, je vous l'accorde. Mais dans ce cas, il me semble absolument injuste que moi, Blaise Zabini, de la maison Serpentard, et frère jumeau de Lisa Zabini, de la maison Poufsouffle, ne puisse faire cet exposé avec elle. Qu'on se le dise, je n'ai rien contre Granger. J'aurais même beaucoup plus de chance d'avoir une bonne note avec elle qu'avec ma débile de sœur...

–Débilité assez relative quand on voit le niveau qu'atteint la tienne, cracha sa sœur.

–Tais-toi, je parle. Alors je vous le demande, dans ce cas, pourquoi ne peut-on pas travailler ensemble ? Dans ce cas, pourquoi les Weasley ne peuvent pas travailler ensemble, bien qu'ils ne soient pas jumeaux à proprement parler, et tous les deux dans la même maison ? Voici toutes les incohérences de votre demande, Madame. Et c'est pourquoi vous devriez annuler ce travail, qui, je n'en doute pas, aurait pu nous apporter des éléments culturels importants, mais cependant pas assez face à l'injustice de cette tâche. Ce que vous faites, c'est nous habituer à ce genre d'injustices. Vous faites de nous des adolescents blasés, qui n'ont plus le goût de la bataille. Des adolescents qui ne veulent plus se battre pour leurs droits, et leur liberté. Des adolescents qui deviendront adultes, et ne se battront ni pour leur travail, ni pour leur femme, ni pour leurs enfants, parce qu'on leur aura inculqué l'abandon. Ainsi donc, quand nous serons au chômage, divorcés, coupés de nos enfants, et à la rue, parce que notre femme nous aura pompé tout notre argent à coup de pensions alimentaires, Mrs Sinistra, juste avant de nous coller une balle dans la tête parce que notre dealer d'héroïne se sera fait coffrer par les stups, nous nous dirons ceci : Tout est de la faute des sœurs Patil. J'ai terminé, Votre Honneur.

Sur ces mots, il se rassit, et fit comme si rien de cela ne s'était passé malgré les applaudissements et les sifflements approbateurs de Dean Thomas et Seamus Finnigan et les ricanements du reste de la classe, recommençant à dessiner un hamburger assez abstrait sur sa feuille de cours, à l'aide d'un crayon quatre couleurs, et de tous les fluos de sa sœur.

–Merci pour ce réquisitoire, Mr Zabini, bien que dénué d'arguments qui tiennent réellement la route.

C'est ce moment que choisit la sonnerie pour retentir. Alors que les chaises commençaient à frotter le sol, et les sacs à se remplir, la voix de Mrs Sinistra résonna au-dessus de tout ce bruit.

–Vous avez le choix du support, et tout binôme qui n'aura pas fait ce travail dans trois semaines écopera d'une sanction, ainsi que d'un zéro. Je vous souhaite un bon week-end. Oui oui, même à vous, Mr Zabini.


–Tu manges où ? demanda Blaise en se dirigeant vers sa voiture, à contre-courant d'une grande partie des élèves se dirigeant, eux, vers la Grande Salle.

–Ici. Théo et Pansy restent manger, répondit Draco, en passant une main dans ses cheveux, sous l'œil admiratif de quatre cinquième année.

–Ouais, c'est surtout une excuse pour pas rentrer chez toi, contra Blaise, en gratifiant d'un clin d'œil ce même groupe, qui se mit presque aussitôt à glousser.

–La ferme.

Blaise ricana, quand tant d'autres se seraient juste tu par peur de froisser le Prince.

–Viens à la maison. De toute façon, Pansy mange avec les Daring, et Théo... bah Théo reste Théo, il trouvera bien un groupe de filles à draguer et avec qui manger.

–Ça fait quasiment trois semaines que je squatte chez toi, Blaise.

–Squatter chez moi ou à Poudlard, ça revient un peu au même, sauf que c'est plus fun dans le premier cas.

Draco haussa les épaules, signe qu'il acceptait la proposition, alors qu'au loin, adossée contre la portière passager de la voiture de Blaise, se dessinait la silhouette de sa jumelle.

Arrivés à sa hauteur, elle continua de taper frénétiquement sur le clavier de son portable, jusqu'à entendre le bruit de déverrouillage automatique de la voiture de son frère.

–Bouge, c'est moi qui vais devant, lâcha Draco en arrivant face à elle.

–Dans tes rêves.

Si Lisa était la jumelle de Blaise, il semblait pourtant qu'entre eux s'était installé un rapport grand frère-petite sœur, comme si les vingt-deux minutes qui les séparaient étaient en fait plusieurs mois, voire plusieurs années. Blaise, bien que chamailleur avec elle, détestait profondément qu'un homme l'approche, et il s'était installé en lui un devoir de protection envers elle. Il était assez ironique de constater qu'il craignait que les prédateurs affamés qu'étaient les hommes à ses yeux aient le même comportement avec elle que le sien avec chaque femme dont il avait fait sa proie. Au fond, il était sa propre peur. Au contraire, connaissant Draco depuis l'école maternelle, Lisa pouvait aujourd'hui dire que ce même rapport s'était installé entre elle et le blond, mais sans ce besoin de protection. Draco, c'était un peu le grand frère qui, sans vous étouffer, passait son temps à vous embêter. De façon répétitive et très, très fatigante, mais quelque part attachante.

En un sens, si Draco Malfoy, connu dans tout le pays et même dans le monde entier depuis sa naissance, était fils unique, rien n'indiquait pourtant qu'il était seul. Il avait un frère et une sœur, Blaise et Lisa. Ça avait été évident dès leur première rencontre. Ça avait toujours été évident pour tous les gens qui les entouraient, mais il gardait sa fierté, une fierté froide, détachée et arrogante. Une fierté qui le rendait bien souvent aveugle à ce qui se trouvait sous ses yeux depuis les premières années de sa vie.

Il suffit à Draco d'amorcer un geste vers la taille de Lisa pour que celle-ci efface son air supérieur de son visage, et ne se replie à l'arrière de la voiture. Le monde avait-il seulement déjà connu plus chatouilleuse que Lisa Zabini ?

–Couillon, elle grommela en s'asseyant à l'arrière, consciente que Draco l'avait entendu.

–Faible, lui répondit-il avec un sourire en coin en la regardant dans le rétroviseur. Mais c'était bien la jeune Zabini qui se trouvait là, plus susceptible encore que son frère et sa mère réunis.

Bientôt, le moteur ronronna, et la voiture vint sortir du parking de l'école américaine, pour s'enfoncer dans le périphérique de Washington.

–T'as quoi cet après-midi ? demanda Blaise en regardant dans son rétroviseur avant de se mettre à doubler une voiture un peu trop lente à son goût, alors que son estomac faisait ses vocalises depuis plusieurs minutes, déjà.

–Piano, contrebasse, violon.

Zabini acquiesça tout en restant concentré sur la route.

–Tu finis à quelle heure du coup ? continua-t-il.

–16h30, normalement. Mais je dois travailler sur la compo de Pansy, pour le prochain gala.

Encore une fois, l'autre ne fit qu'acquiescer, et Draco se fit la réflexion que Blaise ne lui demandait jamais quels cours il avait, pour la simple et bonne raison que Blaise n'y connaissait absolument rien en musique. Oh, il était bien sûr un grand fan de rap, mais ne se serait jamais risqué à tenter l'aventure. Audacieux, certes, mais pas assez pour avoir le cran de penser ne serait-ce qu'une seule seconde qu'il pourrait avoir le talent nécessaire pour monter sur scène. Il était infiniment plus à l'aise derrière une caméra ou au dessus d'une planche à dessin.

–Pourquoi ? demanda finalement Draco.

Blaise lui jeta un bref regard blasé avant de reporter ses yeux sur la route.

–Me dis pas que t'as oublié ?

Draco haussa un sourcil. Non, rien ne lui revenait. Blaise soupira devant l'oubli de son meilleur ami.

–Le premier vendredi de l'année, Malfoy ! Tous les internes font le mur pour fêter le début d'année. Les externes aussi. Et cette année, c'est chez Chang.

Effectivement, il se pourrait que Draco ait oublié ce petit détail.

–Tu veux dire que les Chang vont laisser leur fille faire une fête chez eux ?

C'était tout bonnement impossible. Malfoy connaissait ce genre de familles, pour avoir vécu dans l'une d'entre elles. Psycho-rigides au possible, des parents poussant leurs enfants jusqu'à l'épuisement, leur interdisant tout ce que leurs amis font, les poussant par psychologie inversée à le faire en grande quantité, juste pour pouvoir braver l'interdit.

Un grand sourire éclaira le visage de Blaise.

–Son père part à une sorte de séminaire qui regroupe tous les ambassadeurs chinois du monde, et sa mère a dû partir quatre jours en Californie pour régler toute cette affaire avec ta tante.

Cette fois, l'espace d'une micro-seconde, Malfoy tiqua.

–Je savais pas que Chang représentait Bella...

–C'est parce qu'elle ne le fait pas. C'est ton autre tante, Andro-machin.

–Andromeda ?

–Ouais c'est ça. Je vais l'appeler Andie, ça sera plus simple. Mais t'es pas au courant ?

Draco hocha négativement la tête.

–Je sais que voir sa propre tête en première page d'un magasine people doit faire peur, mais tu devrais sérieusement t'informer, mon pote. T'es plus au courant de rien depuis un moment. Pour faire court, ta tante a fait un scandale à sa maison de production, parce qu'ils l'ont virée soit disant parce qu'elle se fait trop vieille. Si tu veux mon avis, ils ont fait une sérieuse erreur. Même Anna Wintour reconnaît qu'avec l'âge, elle devient de plus en plus belle. Ta tante, c'est comme du vin je te dis. Plus les années passent, meilleur c'est. Elle était déjà canon dans sa jeunesse, mais aujourd'hui, je te promets que je donnerai tout pour la sau...

–J'ai compris l'idée, le coupa Draco.

Il n'avait jamais vraiment connu sa tante. Elle était cette femme qui, à l'instar de Sirius Black, avait été écartée de la famille Black et dont il recevait quelques nouvelles par bribes une fois tous les deux ans. Il ne saurait dire la dernière fois qu'il l'avait vu en chair et en os. Il se rappelait seulement qu'elle était souriante et bienveillante, et il se souvenait de sa fille, Nymphadora. Une sorte de petite punk prodige du piano et aux cheveux roses, ayant eu la chance de naître avec ce que l'on appelle la « mémoire absolue », la capacité de se rappeler de tout ce qu'elle voyait, lisait, entendait. Poufsouffle n'avait pas connu de meilleur élément en un siècle. Elle, tout comme sa mère, s'en était sortie sans se servir du nom des Black. Aux dernières nouvelles, la punk était devenue une des plus grandes pianistes du monde, mariée à Remus Lupin, un haut gradé de la police de Washington, et se coltinait un gosse mal en point, un brin taré. C'était pas forcément la vie rêvée, mais c'était toujours mieux que ce dont il avait été témoin du côté de sa mère ou de son autre tante.

Un silence de plusieurs minutes s'installa, seulement couvert par le bruit du moteur, et la musique dans les écouteurs de Lisa, poussée à son maximum.

–Elle va se défoncer les tympans, commenta le deuxième Zabini.

Peut-être Draco aurait-il répondu à Blaise qu'il n'était pas son père face à cette surprotection dont il faisait preuve envers Lisa Zabini, s'il ne savait pas la susceptibilité dont pouvait faire preuve son meilleur ami à la simple mention du mot « père ». Plus que de la susceptibilité, c'était de l'amertume, de la rancune. Une colère sourde née d'un abandon dont il n'avait aucun souvenir, pour la simple et bonne raison qu'il n'était encore qu'un fœtus dans le ventre de sa mère quand son père avait choisi de s'en aller.

Alors Draco se contenta d'observer le paysage urbain qu'offrait le périphérique de Washington.


La maison des Chang était immense. Le bâtiment était d'ailleurs bien plus proche de ce que l'on pouvait appeler « villa » que « maison ». Ils avaient, à l'intérieur de cette villa, bien plus que ce dont ils avaient réellement besoin. Mais on ne mettait plus en doute depuis longtemps la richesse des Chang. Comment le faire quand l'un était l'ambassadeur chinois aux États-Unis, et l'autre une des avocates les plus renommées d'Amérique ? Personne n'avait jamais douté du fait que Cho Chang serait un grand nom de la prochaine génération américaine, cependant, personne n'avait non plus pensé qu'elle le serait dans la robotique.

Mais Cho Chang, en plus d'être une des meilleures élèves de Serdaigle, ou encore la petite amie du désormais célèbre et diplômé Cédric Diggory, était également connue pour son aptitude à ne pas se prendre au sérieux, et à faire la fête dès qu'elle en avait l'occasion. Chose très rare chez les Serdaigles. Elle n'avait, jusque là, jamais eu l'occasion de faire une fête chez elle, et l'absence de ses parents en était une très bonne, quand bien même ils ne savaient pas le moins du monde ce qui se passait chez eux dans leur dos.

Draco avait pris soin de ne pas trop s'approcher du bâtiment dans un premier temps, passant discrètement par la porte arrière qui menait directement aux cuisines, celle dont Blaise lui avait révélé l'existence une heure auparavant par message, pour pouvoir échapper aux paparazzi. Paparazzi attendant, devant la demeure des Chang, tels des charognes à l'affût du moindre cliché possibles de stars et futures stars de Poudlard.

Le volume de la musique était assourdissant, et même à l'extérieur, il lui semblait être à l'intérieur du bâtiment. En fin de compte, il entendait déjà la musique plusieurs centaines de mètres plus loin, depuis l'endroit où il s'était garé, ne trouvant pas de place plus proche. Une grande partie des invités était déjà arrivée. Il poussa sans ménagement un gryffondor sur le point de vomir, et entra de lui-même. Cependant, à peine posa-t-il un pied à l'intérieur qu'une furie aux longs cheveux ébène lui sautait dessus pour le prendre dans ses bras. Malgré le fait qu'ils aient été dans la même école primaire, et qu'ils se soient régulièrement croisés dans les couloirs de Poudlard depuis maintenant plus de six ans, Draco n'avait parlé qu'une ou deux fois à Cho Chang dans sa vie. Et ce lors de soirées particulièrement arrosées. C'est dire à quel point ces conversations étaient loin d'être constructives. Et la voilà qui le prenait dans ses bras comme s'ils étaient des amis de longue date. Pas timide pour un sou, la Chang. Il comprit tout de même rapidement que la jeune femme était sérieusement imbibée d'alcool, et sans doute d'autres substances plus ou moins légales.

Il se détacha d'elle alors qu'elle entrait dans un fou rire incontrôlable, et scanna la foule des yeux dans l'espoir d'y trouver un visage familier. Il n'aurait su dire le nombre d'invités présents, rien que dans le salon. Sans compter que l'étage semblait lui aussi occupé, tout comme la cuisine, et le jardin dans lequel se trouvait une immense piscine.

Il aperçut quelques personnes qu'il connaissait, parfois de nom, parfois de loin, mais aucun de ses amis proches. Les Greengrass étaient présentes, au même titre que les Patil, Brown, Thomas et Finnigan, ces derniers étant particulièrement éméchés à seulement – Draco regarda sa montre, 23:14. Il entrevit un grand nombre d'anciens, aussi, dont les jumeaux Weasley, les seuls Weasley qu'il ait un jour estimé, aujourd'hui devenus deux des meilleurs joueurs des Yankees de New York, et de toute la ligue de baseball américaine. Sans doute étaient-ils venus à cette soirée pour faire perdurer le trafic d'explosifs qu'ils avaient mis en place dès leur première année à Poudlard. Au final, une très grande partie des invités étaient soit des anciens, soit des septièmes années. Certains autres invités dérogeaient à la règle, notamment Lovegood, qui, à l'instar de Cho Chang, était une des seules Serdaigles qui participaient à toutes les fêtes possibles et imaginables, ou encore les Daring, un groupe de quatre sixièmes années de Serpentard, principalement connues pour être les choristes de Pansy Parkinson.

C'est quand il atteignit le bar qu'il les aperçut finalement, un rictus à mi-chemin entre le dégoût et l'exaspération se frayant un chemin sur son visage. Les Lionceaux. Tous assis dans un canapé au fond de la pièce, comme s'ils valaient mieux que quiconque se trouvant dans ce salon. Aucun ne manquait à l'appel. Ginny Weasley était en train d'engueuler un mec qui venait malencontreusement de lui marcher sur le pied, sous l'œil amusé de Potter. A côté d'eux, Weasley semblait dire quelque chose à l'oreille de Granger, assisse sur ses genoux, qui éclata de rire dans la seconde, rejetant ses boucles brunes en arrière, laissant apercevoir son long cou de danseuse, et ses dents blanches parfaitement alignées.

Granger. Foutue Granger.

Il se haïssait, Draco. Dans le fond, il savait bien que cette haine qu'il avait pour elle dès leur première année, autant que pour Weasmoche ou le Balafré, au fil des années s'était intensifiée pour elle, et uniquement pour elle, pour finalement devenir obsessionnelle. Il savait bien qu'il la regardait trop longtemps, trop souvent, qu'il ne devrait pas avoir remarqué tous les détails qui faisait sa personne, et qu'il lui arrivait parfois d'en faire l'inventaire pour s'endormir. Mais il savait aussi qu'il haïssait chacun de ces détails, qu'il voudrait la voir brûler toute entière, hurler et disparaître.

Autant qu'il voudrait l'entendre crier sous ses coups de reins.

Parce que Draco avait beau bafouer toutes les règles pour s'offrir un semblant de liberté, Hermione Granger était la personnification de la liberté. Dans ses mots, dans ses gestes, dans ses sourires, dans ses pleurs, dans chacune des règles qu'elle s'était imposée. Dans sa façon de danser. Elle était libre depuis toujours, quand lui avait toujours dû courir après une liberté qu'il n'aurait finalement jamais.

Sans doute n'était-ce pas elle qu'il voulait voir brûler au fond. Juste ses ailes.

–C'est incroyable qu'elle ne t'ait jamais remarqué la regarder comme un détraqué en six ans à Poudlard...

Malfoy détourna son regard vers Pansy et ses grands yeux verts. Pansy et son habituel sourire malicieux. Pansy qui avait toujours été aussi perdue, aussi enchaînée que lui.

–… Cette fille doit sérieusement être aveugle...

Nott était là aussi, derrière elle. Nott et Parkinson, c'était en quelque sorte une autre version de Malfoy et Zabini. Une version moins intimidante, et plus ouverte au monde. C'était sans doute ça. Un duo bien moins fermé sur lui-même que ne l'étaient Blaise et Draco.

Nott ne prêtait pas vraiment attention à ce que disait Parkinson. Il lançait des clins d'œil à toutes les filles qui passaient par là, recevant autant de sourires moqueurs que de sourires charmés en retour. C'était le jeu favori de Nott. Le fameux jeu du Combien de sourires je peux obtenir en une soirée ? Puis venait le jeu du Combien de filles je peux embrasser en une soirée ? Avant que l'on en arrive bien sûr au jeu du Avec combien de filles je peux coucher en une soirée ? Et pour ce dernier jeu, Parkinson était toujours dans le coup. A coups de « J'adore ta robe ! » « Tes chaussures sont magnifiques... » « Dis-donc, où est-ce que tu as acheté ton rouge-à-lèvres ? Il est fantastique. », elle finissait toujours par dire « Laisse-moi te présenter Théodore... »

–… Elle doit être myope. Une sorte de taupe humaine...

Il y avait bien longtemps que Draco avait essayé de nier les dires de Parkinson quant à sa façon de regarder Granger. Ou selon elle, quant à sa façon de dévorer Granger du regard. Maintenant, il se contentait de lui dire de la fermer.

–Ta gueule Parkinson.

Il lui prit la bière qu'elle tenait dans sa main et la vida d'une traite en se retournant, de façon à ne plus avoir Granger dans son angle de vue. Quand il la termina, il redonna la bouteille vide à Pansy.

Elle leva les yeux au ciel, puis tendit cette même bouteille à Théodore. A quelques mètres de là, un ancien Poufsouffle ne cessait de regarder Pansy, trop intimidé pour venir lui parler.

–Zabini te cherche. Il dit qu'il a une surprise pour toi. Il est un peu alcoolisé, dans le genre J'hésite entre être gentil ou méchant.

Draco eut un petit sourire en coin. Il connaissait bien ce Blaise là.

Alors qu'elle commençait à se diriger vers l'ancien Poufsouffle, elle se retourna quand même vers lui.

–Il m'a dit que c'était pour toi et rien que pour toi. Il l'a dit avec tellement de niaiserie dans la voix, ça dégoulinait de guimauve. Et puis il m'a dit de me casser, que j'étais pas invitée. Ce type est fou. Vous êtes fous...

Sur ce, elle repartit en direction de sa proie.


Après avoir croisé, avoir bu dans les verres et bouteilles, puis s'être débarrassé d'à peu près la moitié des élèves de septième année de Serpentard, ces vautours ne cherchant qu'à s'attirer ses faveurs pour attirer sur eux au moins un peu de la lumière du projecteur brillant constamment au dessus de la tête de Draco, il finit par apercevoir Blaise, assis dans un fauteuil en retrait, une blonde assise à califourchon sur ses genoux, fourrant allègrement sa langue dans la bouche de Zabini. Une main sur la nuque de la jeune fille, l'autre sur sa cuisse et remontant dangereusement vers une partie de son anatomie qui ne devrait pas être dévoilée en public, Blaise semblait apprécier avec grand soin ce que cette fille avait à lui offrir.

–Tu partages ? lâcha Draco un brin blasé devant le manque de pudeur de Zabini, mais un sourire narquois naissant tout de même sur son visage à mesure que le faciès de la blonde virait au cramoisi.

–Malfoy !

Zabini poussa sans ménagement la jeune fille, pour venir enlacer son meilleur ami.

–Draco ! Dray ! Chaton ! J'ai une surprise pour toi...

Il ne se formalisa pas de cette dernière appellation (même s'il comprenait maintenant ce qu'avait voulu dire Pansy par « dégouliner de guimauve »), et se laissa entraîner par Zabini, qui bousculait sans la moindre once de culpabilité toute personne se trouvant sur son passage, et décida subitement que le chemin le plus court serait celui par lequel il devrait séparer tous les couples en train de s'enlacer, de danser ou de s'embrasser, en s'attelant à passer entre les tourtereaux. Comme s'il avait oublié son but premier, la surprise de Malfoy, il décida finalement qu'il n'aurait atteint son objectif qu'une fois tous les couples séparés. Les uns après les autres, zigzaguant dans la foule, faisant des demi-tours, refaisant le même coup une seconde fois à certains couples, il continuait, tout en riant, de les séparer, Malfoy profitant des airs ahuris des victimes pour leur prendre leurs verres, les vider d'une traite, et les leur rendre.

Et puis ce fut au tour de Malfoy de décider que, vu que leurs copains étaient désormais trop occupés à gueuler sur Zabini, (du moins avant de savoir qui il était), il fallait qu'il profite de la situation, et que donc ce serait à lui de les embrasser, histoire qu'elles ne perdent pas la main durant ces quelques secondes d'inaction. L'immense salon, la cuisine, le jardin, les salles de bain, le premier étage, et même les chambres, chaque mètre carré de cette maison y était passé, témoin des rires de plus en plus hystériques des deux meilleurs amis. C'est après une petite demi-heure, après s'être fait insulter et menacer une bonne douzaine de fois, dont la plus effrayante restait tout de même la fois où il avaient eu le malheur de séparer Pansy et son poufsouffle, qu'ils atteignirent la porte d'entrée, et sortirent de la villa.

Et ils en sortirent tout bonnement morts de rire. Il y avait toujours ce moment où les instigateurs des menaces se rendaient compte de qui ils menaçaient. Ce moment de flottement où ils se demandaient s'ils devaient s'excuser, s'en aller, ou tenter, bien souvent en vain, de ne pas se dégonfler. C'était le meilleur moment. Le moment où Draco, à défaut de se sentir libre, se savait puissant. C'était déjà ça.

C'était ça, Draco et Blaise. Un joyeux duo de fouteurs de merde. Ils n'avaient jamais fini une soirée avec les autres, ils la finissaient toujours à deux, à picoler après être partis d'eux-même ou s'être fait virer d'une quelconque fête.

–Je pensais pas que ça te ferait autant marrer, lâcha Blaise après sa crise de rire, alors qu'ils se dirigeaient vers sa voiture, le rire du blond se calmant peu à peu derrière lui.

Il appuya sur le bouton de déverrouillage automatique de sa voiture et en ouvrit la porte arrière pour en ressortir un grand pack de bières et une bouteille de vodka.

–Qu'est-ce qui te rend aussi joyeux ? Le fait d'avoir bu avec la moitié des Serpentards ?

Blaise sortit un grand sac plastique plein de sa voiture, puis referma la portière, tandis que Draco attrapait la bouteille de vodka tout en attendant la suite, la sanction, l'accusation qui sortirait de la bouche de Zabini. C'était ça, un Zabini alcoolisé. Juste un mec excellant dans l'art du passif agressif. Un mec qui cherchait à crier son amour au monde, pour ensuite crier plus fort encore à quel point il le haïssait.

–Ou est-ce que c'est d'avoir vu que Granger n'était plus sur les genoux de la Belette ?

La froideur des regards qu'ils se mirent à se lancer à cet instant n'aurait jamais laissé deviné à un inconnu qu'ils puissent être meilleurs amis. Qu'ils puissent être frères. Toute trace de leur fou rire avait disparu. Juste l'infime partie conflictuelle de leur duo, celle qui ressurgissait de temps à autres, pendant quelques secondes, parfois minutes, avant de céder une nouvelle fois sa place à la partie fusionnelle.

–Moi je pense que c'est l'air de chien battu qu'avait Weasmoche. Tu sais comme moi qu'ils se sont engueulés, et tu t'en réjouis.

Zabini sembla attendre une réponse, n'importe quoi. Du déni, des insultes, de la froideur. Pourquoi pas un changement complet de sujet, même si Malfoy était loin d'être le genre d'homme à fuir une confrontation. Il n'eut que le silence glaçant de son vis-à-vis. Il l'observa retirer le bouchon de la bouteille qu'il lui avait pris précédemment pour en boire une gorgée, puis une deuxième sans le quitter une seule fois des yeux, comme le défiant de continuer son petit discours.

–Mais c'est pas une fille pour toi Malfoy. Les types comme nous détruisent tout ce qu'ils touchent, pas vrai ? Qu'est-ce que tu irais foutre avec une poupée de porcelaine ? Putain Draco, mais à quoi tu joues avec elle ?

Il y eut un silence que seule la musique atténuée par la distance qui les séparaient du bâtiment venait briser. Des yeux gris plongés dans l'obscurité du ciel, ciel lui-même troué de petites lumières.

–Pour quelle somme d'argent t'arracherais les ailes d'un papillon ? finit par demander Draco, continuant d'observer l'obscurité céleste, une voix rendue rauque par trop de rires et d'alcool.

Zabini ne répondit pas. Il n'était pas vraiment sûr d'avoir compris la question, même s'il avait plus ou moins saisi l'image.

–Moi je le ferais gratuitement, termina Draco, avant que son regard ne se pose à nouveau sur Blaise, et qu'un petit sourire presque enfantin ne naisse sur son visage.

Un silence de plusieurs secondes lui répondit à nouveau. Un silence durant lequel Blaise l'observa avec cet air qu'il n'avait jamais su comprendre, même après quinze ans à être collés l'un à l'autre. Et puis le rire de Zabini, encore. Aérien, et bien réel. Si, à cet instant précis, Draco avait du mettre un son sur le bonheur, ou plutôt sur la sincérité, il aurait choisi le rire de Blaise. C'était comme une évidence.

–T'es dangereux, Draco. T'es complètement taré, tu le sais ça ?

Tout en continuant à rire, il commença à marcher à l'opposé de la maison des Chang, se dirigeant vers un des immenses champs qui constituaient les alentours. C'était une jolie campagne. Des champs, des bois, des lacs parfois. C'était calme, c'était bien.

–T'es nocif. Un poison ambulant. Mais ça me va. Ça me va parce que moi, je donnerais tout mon argent, toutes mes économies pour couper les ailes d'un putain d'ange.

Deux petits cons narcissiques et arrogants. Voilà ce qu'ils représentaient pour l'ensemble du monde. Mais personne ne s'était jamais douté de toute la colère qu'ils avaient accumulé pour ce même monde, et de tout le mal qu'ils lui voulaient. Personne.

Blaise passa les barbelés sans mal malgré l'alcool, et commença à marcher dans l'herbe d'un champ avoisinant la maison des Chang, puis sembla enfin se rendre compte de l'absence de Malfoy à ses côtés.

–Tu viens ? dit-il après s'être retourné.

Alors Draco se laissa mener vers sa surprise. Vers ce quelque chose que lui avait préparé Zabini, sans qu'il ne sache en quelle occasion. Parce qu'il n'y aurait jamais que Zabini pour guider Malfoy, dans le fond.

Ils marchèrent près de dix minutes, dans un silence confortable qui leur était propre. Un silence seulement brisé par les bouteilles de bières s'entrechoquant à l'intérieur du pack dans la main de Zabini, et le sac plastique se froissant dans son autre main. Parfois, Blaise se mettait à chantonner, puis à siffler. Parfois il se mettait à hurler l'hymne national à tue-tête, bientôt accompagné de Draco. Puis ils s'arrêtaient, et le silence reprenait, apaisant. Un juron se faisait entendre de temps à autres, quand l'un ou l'autre avait failli tomber. Parfois, une question posée qui n'obtient aucune réponse. Comment un dragon peut-il être un reptile, un animal au sang froid, s'il crache du feu ? Ta gueule Zabini, on s'en fout.

C'est vrai qu'au fond, rien n'avait vraiment d'importance.

–Là, c'est bien.

Ils étaient bien loin de la villa, maintenant. Elle n'était plus qu'on point lumineux au loin, un point dont ils se serviraient quand ils voudraient rentrer, si jamais ils voulaient rentrer à un moment donné. L'endroit que Zabini avait choisi comme théâtre de sa surprise se trouvait à quelques dizaines de mètres d'un bois duquel il leur arrivait d'entendre le hululement d'une chouette, et le froissement de ses ailes. Ici, ils étaient loin de tout, sans en être totalement détachés. En parallèle du courant dominant, comme toujours.

Zabini posa la totalité de ce qu'il tenait dans ses mains au sol, tandis que Malfoy s'y asseyait sans grâce, observant ce que Blaise pouvait bien être en train de faire.

–On est quel jour Malfoy ?

Zabini ouvrit le pack de bières et en sortit deux. L'une qu'il jeta à son ami, et l'autre qu'il posa parterre, là où il s'assiérait plus tard.

–Le 3 septembre.

Malfoy ne put le voir dans l'obscurité, mais un sourire en coin avait pris place sur le visage de Blaise. Il sortit son paquet de clopes, et en proposa une à Malfoy.

–Je me doutais que cette date te dirait rien. C'est pas grave.

Malfoy saisit une des cigarettes, et attendit de savoir ce que cette date pouvait bien pouvoir signifier, jouant distraitement avec son briquet.

–Ça fait quinze ans qu'on s'est rencontrés. Quinze ans jour pour jour.

Quinze ans qu'on est inséparables.

–Tu te souviens ? lui demanda Zabini, ne doutant pas une seconde qu'il se souvenait de ce jour comme lui s'en souvenait. Ne pas se rappeler d'une date n'est pas bien important, tant que l'on se rappelle de ce qu'il s'y est passé.

Malfoy sourit pour lui-même avant de lui répondre.

–Je me souviens de ta tête de petit malin, alors que ta sœur avait l'air terrorisée. Qui aurait pensé qu'elle deviendrait une telle chieuse. Mais je crois que ce qui m'a le plus marqué, c'est la tête de la prof quand ta mère lui a parlé. Elle avait l'air choquée. J'avais jamais pensé que la vieille puisse montrer autre chose que de la froideur. Je la détestais, cette prof. Mais j'ai jamais su ce que ta mère lui avait dit.

Parfois, quand il n'avait rien d'autre à faire, il arrivait à Malfoy d'imaginer ce que Mrs Zabini, l'extravertie et haute-en-couleurs Mrs Zabini, avait bien pu dire à cette vieille femme grisâtre. Elle était devenue un tel mythe à ses yeux que ses scénarii les plus fous ne lui semblaient pas assez tirés par les cheveux pour coller à l'image qu'il avait de la mère de Blaise.

L'autre eut un petit rire aérien, et bref.

–Sans doute un truc du genre : Désolée, je sais que la rentrée était il y a deux jours, mais j'avais oublié que mes enfants étaient censés aller à l'école. Vous savez, apprendre des trucs, tout ça.

Ils avaient tous les deux un sourire presque nostalgique sur le visage. C'était le temps de l'enfance insouciante. Le temps où Blaise voyait encore sa si chérie mère tous les jours, le temps où celle de Draco, qui était alors plus qu'un mythe à ses yeux, mais une déesse, venait le chercher à l'école une pâtisserie à la main. Le temps où elle sortait encore du manoir Malfoy. Le temps où elle n'avait pas encore été condamnée à y rester éternellement.

–Et toi Malfoy, en à peine deux jours, t'étais déjà devenu le roi de la cour de récré. Tu étais le roi, et tous les autres étaient tes sujets. Le petit arrogant par excellence. Quand j'ai parlé de toi à ma mère, le soir de mon premier jour, je me souviens exactement de ce qu'elle m'a dit, parce que c'est après ça que je me suis dit que toi et moi, ça devait durer. Je veux dire, j'avais trois ans, mec. J'avais trois ans, et c'était déjà évident pour moi. C'est pas normal de savoir avec qui on va passer le restant de ses jours à trois ans. C'est pas normal. D'ailleurs, c'est pas normal d'avoir raison à trois ans. Encore maintenant, je t'accorde beaucoup plus d'importance qu'aux filles. A trois ans c'est normal, on est pas intéressé par ça. Mais je crois qu'encore aujourd'hui, j'aurais préféré rester puceau toute mon existence plutôt que de pas te rencontrer.

Il y eut un silence. Un léger silence pendant lequel Blaise sembla prendre en considération le poids des mots qu'il venait de prononcer. Il eut une petite grimace, et puis d'un mouvement de la main, il balaya ses paroles, ne leur accordant pas plus d'importance, pour finalement revenir à ce qu'il voulait dire en premier lieu.

–Elle m'a dit que tu étais un mignon petit con, et une magnifique petite tête-à-claques.

Malfoy eut un rire spontané, un de ceux qu'il n'avait qu'avec Blaise. Ça avait toujours été l'avis de la quasi-totalité des gens qui l'entouraient, depuis tout petit. Sa mère elle-même l'appelait « mon adorable petit démon ».

Les souvenirs refaisant surface les uns après les autres, il fit mine d'être offensé par ces mots, et contra.

–Tu rigoles, c'est toi qui as enfoncé la tête de Pucey dans le bac à sable dès ton premier jour ! J'ai du jouer de mes relations pour qu'il aille pas cafter...

–Quelles relations Malfoy, on avait trois ans !

–T'as pas l'air de te rendre compte que j'étais à la tête d'une véritable mafia, à cette époque. J'ai sauvé ta peau mon pote.

Blaise rit une nouvelle fois, se retournant vers le sac plastique qu'il avait laissé au sol. Draco comprit que c'est dans ce sac que se trouvait sa surprise. Un grand sac plastique blanc et vierge, déformé de l'intérieur par ce qu'il contenait.

–Hey, Malfoy ?

–Quoi ?

Toute trace de rire avait disparu, et il n'y avait plus sur le visage de Zabini que de la mélancolie, et du doute. Blaise sembla hésitant pendant quelques secondes, puis finit par se lancer.

–Tu crois... Je sais que ça sonne stupide mais... Est-ce que tu crois aux âmes sœurs ?

L'autre haussa un sourcil.

–Âmes sœurs ?

–Ouais... Pas dans le genre Tu es mon âme sœur, veux-tu m'épouser, mais...

Draco coupa court aux paroles de Blaise, qui, bien loin de l'éloquence facile avec laquelle il s'exprimait en temps normal, ramait magistralement pour mettre des mots sur ce qu'il tentait d'extérioriser.

–Ouais. Ouais j'y crois.

Blaise eut un sourire presque naïf sur le visage. D'une sincérité rare chez lui. Pas pour Malfoy, certes, mais Zabini, pour les autres, c'était juste un masque d'hypocrisie.

Et puis c'était tout. Il n'allait pas développer. Il n'allait pas dire à Draco ce que l'un et l'autre savaient déjà. Il n'allait pas lui dire qu'il considérait qu'il était son âme sœur. La seule personne à le comprendre vraiment. La seule personne à penser comme il le faisait, à agir, à parler, à hurler comme il le faisait. A aimer vachement, à haïr passionnément. Construire, détruire, chanter, rire, cacher, trahir.

Peut-être même qu'un de ces jours, ils crèveraient de la même manière.

Il l'aimait comme un frère, il l'aimait autant que Lisa. Il faisait partie de ces trois personnes autour desquelles son monde gravitait. Il y avait eu sa mère, il y avait eu Lisa. Et puis un certain trois septembre, Draco Malfoy était entré dans sa vie pour ne plus jamais en sortir. Et parce qu'il lui faisait assez confiance pour le placer au centre de sa vie, il savait que c'était réciproque. Ils étaient bien trop identiques pour que ça puisse être le contraire.

–Je reviens ! lança-t-il en attrapant le sac plastique, puis s'éloigna une cinquantaine de mètres plus loin.

Malfoy alluma sa clope, en jouant distraitement avec le bouchon de la bouteille de vodka, tout en observant Blaise répartir le contenu du sac blanc sur le sol de façon méthodique, suivant probablement un plan dessiné sur la feuille de papier qu'il tenait précieusement dans sa main gauche. Draco n'arrivait pas à voir ce que c'était à cause de l'obscurité, mais il avait sa petite idée. Et cette idée se confirma quand il le vit revenir en déroulant derrière lui une ficelle. Ou, plus précisément, une mèche.

Blaise Zabini était très certainement un des clients les plus réguliers des jumeaux Weasley.

–On en a pour sept minutes, avec ça, commenta Blaise, en allumant la mèche, qui, lentement mais sûrement, commença à se consumer.

–Combien t'as payé ça ?

–J'ai rien payé. C'est ce qu'ils t'offrent quand tu finis ta troisième carte de fidélité.

Le client le plus régulier des jumeaux Weasley.

–Ce feu d'artifices, c'est le souvenir qu'on aura de nos quinze ans à être collés l'un à l'autre. Mais tu sais que c'est un symbole. Il n'y aura jamais personne d'autre que nous-même pour faire péter un feu d'artifice en notre honneur comme il n'y aura jamais personne d'autres que nous pour savoir qu'on est les rois de ce monde.

Il avait dit cela en ouvrant grand ses bras et en tournant sur lui même, comme si lui, si petit, pouvait par ce simple geste désigner le monde entier. Blaise avait toujours été très théâtral, particularité qu'il tenait de sa mère. Très dramatique aussi. Et Draco ne pouvait pas nier qu'en quinze ans, il avait sans doute un peu déteint sur lui.

Draco le connaissait par cœur, ce discours. Les mots, les tournures de phrases, le ton employé, tout changeait d'une fois sur l'autre, car après tout, il ne l'avait jamais couché sur papier, mais l'idée était toujours la même. Ils avaient treize ans quand ils s'étaient autoproclamés rois du monde. Ils avaient treize quand tous leurs rêves n'étaient plus devenus à leurs yeux que des désillusions.

–Et eux, ils le savent pas, parce qu'ils sont stupides... continua Blaise en pointant la villa des Chang pour désigner le reste du monde, mais nous on sait. Nous on sait qu'on a rien à envier à ces montons. Ils rivalisent pas. On pisse sur le monde. On baise le monde. Et on le fait parce qu'il nous appartient, parce qu'il est à nous, entièrement et incontestablement à nous. Parce que leurs règles, leurs morales, leurs chaînes, elles ne s'appliquent pas à nous. On écrase ce monde hypocrite assis sur le trône du pouvoir et de l'argent. Regarde-nous, on leur marche déjà dessus, et pourtant, c'est eux qui s'excusent...

C'était devenu plus qu'une promesse. C'était devenu une liturgie, un requiem. C'était ce qu'il se répétaient inlassablement depuis des années juste pour garder un peu d'espoir, juste pour croire un tout petit peu en l'avenir. Pour espérer qu'ils arrêteraient peut-être un jour de se sentir si petits pour devenir grands.

Blaise fit apparaître une flamme du bout de son briquet et en alluma sa cigarette, la mèche qu'il avait précédemment allumé se rapprochant de plus en plus de son objectif, alors que Malfoy récitait sans réciter, parce que leurs mots changeait avec eux, le dernier verset de leur bible.

–On ne tentera jamais le diable. On ne vérifiera jamais si ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Mais nous on sait. On sait que ce qu'on écrasera ne pourra jamais nous rendre plus faibles.

Et boum.

Les jumeaux, encore une fois, s'étaient appliqués. Une rosace verte et argent était apparue à la fin des mots de Draco. Timing parfait. Il n'y avait plus de doute quant au fait que ce feu d'artifice avait été créé pour Blaise, et qu'il devait sans aucun doute être le premier à terminer trois cartes de fidélité. Et quoi qu'on en dise, il semblait que les Weasley, pourtant considérés comme deux des meilleurs joueurs de la ligue, étaient bien plus doués en matière d'explosifs ou en tant qu'artificiers qu'en matière de Home Run.

Blaise, lui, s'était jeté à côté de Draco, là où il avait précédemment posé sa bière, un air émerveillé emprunté à un gamin sur le visage.

–Je te lâcherai jamais Draco. Je te collerai toujours comme une putain de sangsue, j'espère que t'as bien compris ça. Tu pourras jamais te débarrasser de moi.

–Je sais.

Alors ils restèrent là, pendant sept minutes, comme des gamins, à regarder ce feu d'artifice tiré rien que pour eux. Du bleu, du vert, du rouge. Du gros, du petit. Du bruit, du silence. La cendre encore chaude qui retombe. De l'or, de l'argent, du brillant. Du silence, le rire de Zabini. Il claque dans l'air lui aussi, résonne, retombe toujours chaud. Sept minutes d'un bonheur imbibé d'alcool et d'euphorie, d'un sentiment de toute-puissance, et d'une naïveté enfantine. Sept minutes, et puis ils retombent, se couchent à terre et regardent les étoiles. Ils boivent, ils fument, ils refont le monde. Ils boivent, ils fument, ils rient encore. Une, deux, trois heures. Boivent, fument, débattent. Sur la vie, sur la mort, sur l'amitié, sur l'amour. Sur ce dragon qui ne peut pas avoir le sang froid s'il crache du feu. Foutues légendes à la con. Et puis les vampires, c'était juste des cannibales avec des dents plus longues que la norme, Jésus un taré persuadé d'entendre la voix de Dieu et qui a décidé de s'autoproclamer son fils. Même le Père Noël. Juste un vieillard pédophile qui aime le rouge. C'est pas joli de mentir à des gamins. C'est pas joli parce que qu'est-ce qui empêche un gamin de mentir si ses parents le font ? Tous des menteurs. Société de menteurs. C'est dans leurs gênes. On est différents. Pas vrai ?

–Faut que j'aille pisser.

Malfoy se leva difficilement, mais finit par y parvenir sous le rire moqueur de son meilleur ami. Il commença à marcher, ou du moins tituber vers le bois, mains dans les poches, yeux dilatés. Il évita de justesse un arbre en entrant dans le bois et eut un petit rire spontané. Il s'entendit rire, et ce simple petit son lui indiqua qu'il y avait longtemps qu'il n'était plus dans son état normal. Draco ne riait jamais seul. Il continua pourtant de rire en levant les yeux droit devant lui.

Et son rire disparut.

–C'est quoi, ça ? murmura-t-il pour lui-même.

Il n'était pas sûr de ce qu'il était en train de voir, parce que cette simple vision lui semblait irréelle. Il pensa d'abord que l'alcool lui faisait voir des choses qu'il n'était pas censé voir. Qu'ils n'avaient pas fumé que du tabac. Alors il se détourna pour faire ce qu'il était venu faire en premier lieu. Pisser. Mais quand il eut terminé et qu'il se retourna à nouveau, c'était toujours là, en face de lui. Et il eut beau cligner des yeux à plusieurs reprises, se les frotter, baisser la tête sur le côté, pour finalement la secouer, c'était toujours là.

Au fond du bois, il apercevait distinctement une lueur violette, tirant sur le lilas. Une lueur étendue sur plusieurs mètres, comme si une parcelle de ce bois était éclairée de petits projecteurs violets. Mais qu'est-ce qu'il en savait, au fond ? Tout ce qu'il voyait, c'était une ligne lumineuse violette derrière des dizaines d'arbres. Il n'y avait pas de bruits, rien qui pourrait confirmer l'hypothèse selon laquelle quelqu'un avait décidé de camper ici en installant autour de lui des lumières, disons les choses comme elles lui venaient, un brin flippantes. Et puis quel genre de personne s'éclaire avec des lumières violettes, d'abord ?

–Zabini ! appela-t-il, sa voix ne trahissant aucune émotion.

Il entendit le grognement d'une personne qui tente de se lever, puis le bruit sourd d'un corps qui tombe à terre accompagné d'un juron. Au bout de quelques secondes, Blaise sembla avoir enfin réussi à se lever.

–Quoi, t'es trop bourré pour pisser tout seul ?! entendit-il en retour.

C'était assez ironique venant du mec « trop bourré » pour réussir à se lever sans tomber. Il aurait peut-être souri, en temps normal.

–Ramène-toi !

Mais il avait un mauvais pressentiment, sur ce coup. C'était là, au fond de ses entrailles. Le sentiment que ce qu'il avait sous les yeux était loin d'être normal. Le sentiment que lui ainsi que Zabini n'avaient rien à faire ici en premier lieu. Et pourtant, cette lumière, il ne la quittait pas des yeux. Et s'il avait arrêté de se mentir à un moment donné, pensant qu'il devait forcément y avoir une explication logique à tout cela, il aurait sans doute remarqué qu'il se sentait indéniablement attiré par cette lueur.

Il dut attendre une bonne minute avant que Zabini n'arrive à sa hauteur, s'appuyant lourdement contre l'arbre le plus proche.

–Quoi ?

Il avait le ton de la personne qui ne demandait qu'une bonne raison pour l'effort qu'elle vient d'accomplir. Il savait que Zabini ne regardait pas dans la bonne direction, auquel cas il n'aurait pas posé cette question.

–Regarde, répondit-il en accompagnant sa réponse d'un léger geste du menton en direction de la ligne lumineuse.

Il se passa une seconde, puis deux. Puis Zabini se frotta vigoureusement les yeux. Et puis finalement...

–C'est quoi, ça ? murmura-t-il à son tour.

Malfoy ne répondit pas, laissant les pensées qu'il avait eu précédemment se frayer un chemin dans l'esprit de Zabini, le menant à la même conclusion. Il devait y avoir une explication logique. Et la manière la plus simple, et la plus rapide de le savoir, c'était sans aucun doute d'aller voir par eux-mêmes.

–On va voir ? lâcha Zabini après une ou deux minutes de silence, alors qu'il commençait déjà à marcher vers l'objet de leur perplexité, sans s'en apercevoir.

Malfoy se surprit à le suivre sans qu'il ne s'en soit ne serait-ce que rendu compte. Et pourtant, il n'arrivait pas à rattacher ses mouvements qui lui échappaient à ce qui se trouvait sous ses yeux. Il continuait de rejeter la faute sur l'alcool, quand bien même sa démarche était devenue bien plus équilibrée que quelques minutes auparavant. Tout comme celle de Zabini. Le temps qui s'était écoulé n'était pourtant pas suffisant pour qu'ils aient pu cuver. Et ses pensées jusque là emmêlées par la drogue ne se concentraient plus que sur un seul point, cette source de lumière, sans qu'il n'ait à produire le moindre effort pour se concentrer. Ils ne parlaient pas. Ils continuaient de nier le véritable besoin de savoir ce qu'était cette lumière. Parce que oui, ce qui n'était alors qu'une simple attraction avait muté pour devenir besoin, et sans qu'ils ne s'en soient rendus compte, leurs pas s'étaient faits plus espacés et plus rapides.

Avaient-ils seulement remarqué qu'ils étaient en train de courir, à présent ?

Et bientôt, ils arrivèrent sur place. Ils ne prirent pas conscience de leurs respiration anarchiques, de leurs jambes fatiguées. La seule chose qui comptait à cet instant, c'était ce qui se trouvait sous leurs yeux.

Une source. C'était une source d'eau. Des rochers entouraient l'endroit, et ces mêmes rochers étaient entourés d'arbres. C'était des rochers escarpés, qui devaient atteindre quatre, cinq mètres tout au plus. Pas assez hauts pour être vus depuis l'extérieur du bois.

Mais le plus étrange, le plus incroyable, c'était sans doute le fait que la lumière venait de l'eau, mais qu'il n'y avait rien dans cette eau pouvant produire de la lumière. L'eau produisait cette lumière violacée qui se reflétait contre les rochers d'elle-même.

Malfoy entendit Blaise déglutir. Alors, où était-elle cette explication logique, qu'ils avaient cherché ? Que faisaient-ils maintenant ? Étaient-ils censés faire demi-tour et faire comme s'il n'avaient rien vu ? Ou bien devaient-ils ramener le plus de monde possible ici pour qu'ils voient par eux-mêmes, et pour être assurés quant au bon fonctionnement de leurs esprits ?

Ils étaient à une dizaine de mètres du bord de l'eau, bien qu'il ne leur fut pas possible de le voir, ce bord, à proprement parler. Il y avait comme un renfoncement dans la terre, comme si le sol avait été déchiré pour placer cette source à cet endroit précis.

–Il y a quelque chose dans l'eau.

En regardant de plus prêt, Draco remarqua ce qu'avait remarqué Zabini. L'angle de sa vue ne lui permettait pas de voir ce quelque chose entièrement, et il ne pouvait pas dire ce que c'était, le liquide lumineux en déformant l'image en se mouvant au dessus de lui. Mais plus ses pas le rapprochaient du bord, plus l'esprit de Draco lui criait que ce quelque chose était en fait un quelqu'un.

Blaise avançait quelques pas devant lui, et Malfoy savait qu'il avait cette même pensée en tête. Quand il le vit atteindre le bord, et sa figure se décomposer comme il ne l'avait jamais vu auparavant, il sut que quelque chose n'allait pas.

–Putain... Putain... Putain ! Malfoy, c'est elle ! Dans l'eau, c'est Granger !

Il avait entendu ce nom au moment même où il l'avait reconnue. Couchée au fond de la source, une cinquantaine de centimètres d'eau au-dessus d'elle, la limpidité du liquide qui la recouvrait ne laissait que peu de doute quant à son identité. La seule chose qui bougeait encore sur son corps, c'était ses cheveux, se mouvant au gré du courant de l'eau. Elle avait la position d'un mort dans son cercueil, allongée sur le dos, ses deux mains jointes sur le ventre. Mais le plus troublant, et le plus choquant, c'était ses yeux grands ouverts. Elle était morte. Elle était morte et Draco sentit la bile remonter son œsophage, les larmes embuer ses yeux, et une envie de mourir s'éprendre de lui tout entier. Parce que Granger était morte, et que tout ça n'avait aucune sens. Elle était... Elle était morte... Morte.

C'est Zabini qui réagit le premier après que le temps s'est suspendu pendant quelques toutes petites secondes. C'est Zabini qui se jeta dans l'eau pour la sortir de là. Parce que non, non bien sûr que non, ils ne pouvaient pas la laisser là, et même si elle avait l'air morte, peut-être qu'il y avait encore une chance, peut-être qu'elle avait encore une chance.

Mais ils auraient du savoir dès le début qu'ici, les choses échappaient à toute logique.

Parce qu'à la seconde où son pied entra dans l'eau, Blaise se sentit attiré tout entier vers le fond. Ses pieds furent rudement tirés, puis ses genoux, le faisant ployer sous le poids d'une force invisible. Il n'y avait rien, pas d'assaillants visibles, ni dans l'eau, ni à l'extérieur. Alors Blaise fut pris de panique, et se mit à hurler comme il n'avait jamais hurlé, attrapant la main de son meilleur ami, la seule personne qui pouvait lui sauver la vie.

Et, trop absorbé dans sa panique, il ne remarquait pas ce qui se jouait autour de lui. Ce que Draco, au contraire, voyait. L'eau s'était tout d'abord agitée de façon tous sauf naturelle, et elle remontait maintenant le long du corps de Blaise pour le faire ployer.

C'était fou, impossible. Mais c'était là, sous ses yeux. L'eau avait sa propre volonté.

–Me lâche pas Draco, je t'en supplie me lâche pas ! hurla Blaise, des sanglots dans la voix, tandis que Draco resserrait sa prise sur la main de Zabini, son autre bras venant faire le tour de l'arbre le plus proche pour pouvoir garder l'équilibre.

De temps à autres, entre ses sanglots désespérés, tout en regardant l'eau se mouvoir autour de lui, Blaise disait à mi-voix qu'il ne voulait pas mourir. Pas maintenant. Puis il pensait, à mi-voix, encore. Il s'excusait. Auprès de l'univers tout entier, pour l'avoir haï. Auprès d'un dieu, n'importe lequel, auquel il n'avait jamais cru.

Il lui semblait que son corps allait se disloquer sous la force et la puissance de cette entité invisible.

Draco aurait voulu lui dire qu'il ne le lâcherait pas, jamais. Mais il sentait l'écorce de l'arbre s'enfoncer dans sa chair, et la déchirer à mesure qu'il était, lui aussi, tiré vers l'eau.

–Draco...

Le ton était suppliant, mais le regard avait changé. Il avait les yeux fixés sur la main de Malfoy agrippée à l'arbre, en train de lentement lâcher sa prise. Plutôt mourir seul que de l'emporter avec lui. Alors Blaise avait lâché la main de Draco, qui devait à présent redoubler d'effort pour réussir à s'accrocher à lui et qui ne comprenait pas pourquoi le regard de Blaise avait changé, pourquoi il avait l'air résigné, comme s'il avait réalisé qu'il n'en réchapperait pas. Comme si cette supplication dans sa voix n'était plus là pour lui demander de le maintenir en vie, mais pour lui demander de le laisser partir.

Et ce qui entaillait au début l'intérieur du coude de Draco entaillait à présent son poignet. Il n'aurait maintenant plus de prise, il le savait. Il ne pourrait pas sauver Blaise, et il tomberait dans l'eau à sa suite. Alors il dit les mots qu'il avait en tête sans y penser une seule seconde. Sans se demander s'il devait les prononcer ou pas, sans essayer d'avoir l'air froid, sans ne faire que sous-entendre ce qu'il voulait vraiment dire. Cette fois-là, il fut l'homme le plus sincère du monde.

–Je suis désolé, avait-il dit en pleurant.

Ce qui suivit ne dura qu'une micro-seconde, mais sembla durer une éternité aux yeux de Draco. Le moment où Blaise lui avait souri. Ce moment précis où il avait lu dans les yeux de Blaise que ce n'était pas grave. Qu'on ne pouvait pas toujours sauver ce qui nous était cher. Et cette douleur sourde dans ses entrailles. Sourde, et qui pourtant hurlait.

Mais c'était trop tard. Il était trop tard quand Draco avait prononcé ces mots, quand Blaise avait fait passer son message, quand Draco avait compris, quand leurs mains s'étaient lâchées. Juste une question de secondes, mais des secondes assassines. Il avait déjà perdu l'équilibre, il était déjà en train de basculer. Et c'est quand Blaise se sentit écrasé au fond de la source que Draco y tomba tout entier.

Il essaya. Il essaya vraiment de ne pas mourir, et dire l'inverse serait faire preuve de mauvaise foi. Il essaya aussi fort qu'il le pouvait. Il avait tiré sur chacun de ses membres, prêt à laisser certains d'entre eux derrière lui, si cela pouvait lui permettre de rester en vie. De ne pas couler, de ne pas sombrer. S'accrochant à ce qu'il pouvait, n'importe quoi. Il aurait saisi la main de n'importe qui. Il aurait saisi la main de l'être le plus infâme de l'univers. Il aurait même saisi la main de son père.

Du moins au début. Avant. Avant qu'il ne voit Blaise allongé comme l'était Granger, à côté de lui. Les yeux grands ouverts, mais vides, si vides. Voilés du rideau cruel et mesquin de la mort. Alors il lâcha les ronces qu'il enserrait dans ses mains pour garder une prise sur la terre, pour ne pas sombrer dans l'eau. Il lâcha le peu d'espoir qu'il avait. Un espoir épineux qui avait déchiré sa peau. Un espoir qui avait lieu d'être si Blaise parvenait à remonter à la surface, s'il parvenait à reprendre sa respiration. Mais Blaise était mort, alors à quoi bon se raccrocher avec tant de force à la vie ?

Il tomba à genoux, les yeux rivés vers le ciel étoilé. Il avait aimé sa mère, aimé Blaise, aimé la musique. Il mourrait pour Blaise, en pensant à sa mère, le souvenir des première notes dissonantes qu'il ait jamais joué au piano se greffant sur l'image gracieuse de sa mère en train de danser. S'il avait un jour accordé un intérêt à la beauté, alors il pouvait au moins dire que sa mort était belle. Mort sous un ciel étoilé, aux côtés de son meilleur ami, dans une source magique. C'était ridicule, mais ça restait joli. C'était pathétique, mais ça avait le côté tragique d'une pièce de Shakespeare. C'était beau, c'était tout ce qu'il avait jamais demandé. Une belle fin pour une vie vaine.

Des cordes d'eau montèrent jusqu'à son cou en l'entourant, l'empêchant de bouger, d'agir, de se défendre. L'empêchant de faire ce qu'il n'avait plus le cœur à faire. Agrippant son cou, la source l'attira en son cœur.

Ses pensées se firent de plus en plus lointaines, et sa vision ne fut plus que néant.

Il n'entendait plus que son cœur battre de plus en plus lentement.

Il n'avait pas vu sa vie défiler devant ses yeux. Il n'avait pas vu de lumière, de tunnel, ou d'ange.

Mais quand son cœur avait cessé de battre, Draco Malfoy l'avait senti l'enserrer tout entier. La mort.

« Les hommes doivent souffrir leur départ comme leur venue ici-bas le tout est d'être prêt. » – Shakespeare


Voilà ! Comme je le disais, cette fiction, c'est vraiment mon bébé (enfin un de mes deux bébés), et c'est vraiment pour celle-ci en priorité que j'ai commencé à publier tous ces prologues. Si vous deviez me donner un seul avis sur un seul prologue, alors s'il vous plaît, faites que ce soit celui-ci. (Bon après, les gars, si vous voulez me rincer de reviews, je dis pas non, qu'on soit bien clairs.)

Donc Draco et Blaise sont deux petits cons arrogants et quand même pas mal sexistes en y pensant bien. Et maintenant ils sont morts, mdr. Fin de l'histoire. Haha. Ouais non. Y a une suite, c'était une blague. Enfin bref, dites moi.

Caressez vos chiens pour moi.

Allez, bisous.

Et comme le dit si bien Tyler, the Creator : Je devrais recevoir un putain de trophée juste parce que je suis moi.