Hier soir, j'ai rêvé d'Hannibal, du coup je me suis dit que j'allais finalement me lancer dans une fanfic sur cette merveilleuse série. Je ne sais absolument pas ce que ça donnera, mais j'espère que ça vous plaira =)

Nat'


- Will Graham et Hannibal Lecter.

Les deux noms résonnèrent, côte à côte, dans la salle de conférence pleine à craquer. Au moins quatre cents étudiants avaient dû s'entasser dans l'amphithéâtre de l'université de Virginie – plus que la capacité maximale de la salle – et pourtant, jamais le silence n'avait été si complet, si absolu, si oppressant. La tension semblait comparable à un arc électrique : la foudre allait tomber, à chaque mot, chaque parole de l'auditeur…

Debout seul au milieu de la scène, Jack Crawford luttait contre cette hystérie collective qui voulait s'emparer de lui, le pousser dans le piège de la fascination que ressentaient tous ces jeunes enquêteurs, lui aussi… Un seul coup d'œil aux photos étalées en grand sur l'écran d'affichage tua cette tentation. Aux côtés du brillant psychiatre auquel il avait accordé sa confiance pendant plus d'un an, il voyait à présent le visage de son collègue, limier, le meilleur profileur qu'il ait jamais connu, et son ami de longue date…

Will Graham s'était tenu à sa place, il n'y avait pas si longtemps que ça. Il avait donné des cours dans cette université, il avait détaillé les actes des plus odieux criminels des Etats-Unis devant une telle assemblée… Ce rôle d'enseignant et de consultant au FBI contribuait sans doute à la foule qui se massait dans l'amphithéâtre aujourd'hui. Le professeur, le profileur qui avait rejoint les criminels… Qui avait rejoint Hannibal Lecter.

Crawford évita le regard du docteur, sur la photo qui le fixait. Voir ces visages côte à côte hérissait en lui tout ce qu'il y avait de remords, d'incompréhension, de culpabilité et d'horreur… Will avait basculé. Après tout ce temps, après toutes les mises en garde dont il avait fait l'objet, après tout ce qu'il lui avait déjà fait subir, Jack n'avait pas écouté : il avait poussé Will une fois encore par-delà la ligne, et Will n'était pas revenu… Will s'était perdu, au-delà d'une frontière qu'il ne pourrait plus jamais franchir.

- Nous pouvons remercier le Tattler pour le surnom dont ils les ont affublés, poursuivit Jack, les mâchoires serrées en songeant à Freddie Lounds. « Les Amants Tueurs ».

Des murmures se firent entendre à ces mots, que Jack s'empressa de tempérer :

- Bien qu'il soit impossible d'affirmer quoi que ce soit sur leur relation actuelle. Au cours de leur travail de collaboration au FBI, Hannibal Lecter et Will Graham se sont pris d'une profonde amitié. Mais ce serait oublier qu'ils ont également, chacun à leur tour et à plusieurs reprises, tenté de s'assassiner.

- Monsieur ? intervint un des étudiants. Ils se sont quand même enfuis ensemble. Graham a aidé Lecter à s'échapper !

- Et Will Graham lui-même vous avait déjà fait part de son désir de s'échapper avec lui, renchérit une jeune fille.

- Désir qu'il tentait de réprimer, objecta Crawford.

- Apparemment sans succès.

Une rangée de rires parcourut la salle. Crawford, lui, ne riait pas. Quelque chose dans son regard ramena instantanément le silence dans l'auditoire :

- Avant de mourir, le docteur Du Maurier suggérait une relation amoureuse entre Hannibal Lecter et Will Graham, osa reprendre l'un des étudiants. Et à Florence, Lecter a même façonné le corps d'un homme pour lui donner la forme d'un cœur, un cœur offert à Graham, dans la chapelle dont ils avaient parlé ensemble lorsqu'ils projetaient de s'échapper !

- Je reconnais tous ces faits, jeune homme, je vous remercie, répondit Crawford d'un air las.

La pensée des meurtres de Will et Lecter lui était déjà insupportable. Alors l'idée que des visions d'une autre nature lui parasitent l'esprit…

Rassemblant ses notes, Crawford changea d'image :

- Nous pouvons affirmer que le meurtre de Francis Dolarhyde était non prémédité, et, au moins au début, de la légitime défense. Il est la première victime que Graham et Lecter aient tuée ensemble. Ensuite, comme vous l'avez si justement fait remarquer, jeune homme, le meurtre de Bédélia Du Maurier représente une évolution. Le docteur Du Maurier a été retrouvée assise à une table, richement vêtue, dans son appartement parisien. Graham et Lecter l'ont droguée, maintenue en vie, et contrainte à ingérer petit à petit ses deux jambes et ses deux bras, ne laissant que le tronc et la tête. Il y a fort à supposer qu'au cours de ce petit rituel, qui aura duré plusieurs jours, Lecter et Graham aient également dîné de la chair du docteur Du Maurier. Ce meurtre, mis en scène, organisé, exécuté de sang-froid, élimine les derniers doutes qu'il était possible d'avoir au sujet de Will Graham. Nous savions déjà que Lecter était un tueur déterminé. Avec le meurtre du docteur Du Maurier, il devient évident que Graham a lui aussi consciemment embrassé ce choix.

Nouvelle diapositive :

- Depuis, pour ce que nous en savons, Lecter et Graham ont semé une série de cadavres en France et en Autriche. Lorsqu'ils tuent ensemble, leurs meurtres sont particulièrement élaborés : ils semblent avoir développé un intérêt certain pour la reproduction d'œuvres d'art… Intérêt que l'on connaissait déjà à Lecter. Lecter est sans aucun doute le plus actif des deux : il n'associe pas toujours Graham à ses meurtres, mais, lorsqu'ils tuent à deux, leurs mises en scène sont plus spectaculaires, plus grandioses, plus…

- Passionnelles ?

Crawford maudit l'étudiant qui venait d'exprimer ce que tous pensaient en eux-mêmes :

- Exactement, se força-t-il à répondre. C'est comme s'ils s'exaltaient l'un l'autre. Comme s'ils voulaient donner le meilleur d'eux-mêmes, s'impressionner, s'offrir des cadeaux, peut-être…

Tout le professionnalisme du monde ne parvint pas à lui faire continuer plus longtemps : Crawford changea de diapositive :

- Graham est le moins actif des deux, mais il lui arrive également de tuer seul. Lorsqu'il le fait, il s'en prend plus volontiers à des malfrats, des rebus de la société, comme une déformation de son précédent travail d'enquêteur.

- Graham aurait peut-être encore une conscience ? suggéra un étudiant.

- Oh, je suis sûr qu'il en a une. Lecter aussi en a une : elle n'a simplement pas les mêmes critères que la vôtre. Lecter tue ceux qui se mettent sur son chemin, mais aussi ceux qui l'exaspèrent. Ceux qui l'offensent, qu'il estime impolis ou indignes de vivre. Parfois, il tue également pour s'amuser, provoquer, et c'est là sa plus grande faiblesse : il ne peut lutter contre sa propre curiosité.

- Cette attitude lui aura rapporté Will Graham.

Crawford soupira d'agacement :

- Jamais Lecter n'a été aussi proche de se faire arrêter que lorsqu'il s'est montré curieux envers Will Graham. Notre seule erreur aura été de lui donner l'occasion de s'échapper.

- Alors vous voulez parier sur le fait qu'il reproduira cette faiblesse ?

Crawford secoua la tête :

- Avec Graham à ses côtés, j'en doute. Will Graham est un enquêteur entrainé, performant, sans doute meilleur que nous tous réunis dans cette salle. Il connait les procédures de la police, il connait les enquêteurs personnellement, il est capable de se mettre à notre place, de penser comme nous. Si Lecter s'engage dans une voie dangereuse, Graham le sentira et le protégera. Il est capable de prévoir la moindre de nos actions, trois coups à l'avance. De plus…

Crawford sentit tous les muscles de son cou se crisper, mais il devait le dire :

- A présent que Lecter a attiré Graham à lui, je doute qu'il ressente le besoin de « reproduire à nouveau la même faiblesse », comme vous dites… Il a eu ce qu'il voulait. Il a harcelé Graham pendant de longues années, et à présent, Graham l'a rejoint. Il a tout ce que sa curiosité pouvait désirer, et sans doute assez pour une vie entière. Le lien qui les unit est…

Crawford se frotta les yeux, conscients que tous, dans l'auditoire, restaient suspendus à ses lèvres :

- Le lien qui les unit est spécial, conclut-il. On ne le brisera pas, jamais.

La salle demeura silencieuse. Alors, levant la main, une étudiante demanda :

- Comment vous proposez-vous de les arrêter, dans ce cas ?

Crawford se força à prononcer les mots :

- On en capture un, dit-il, pour piéger l'autre.