*** Pourparlers avec un Monstre ***
Résumé général : Les paroles s'envolent dans les airs avant de mourir, le plus souvent, dans l'oubli. Pourtant, celles que l'on croit éphémères, volatiles, ou insignifiantes, s'immiscent à notre insu dans les méandres de l'esprit dont elles amorçent les inéluctables changements. Recueil d'OS retraçant l'évolution de Gaara du Désert au travers d'une tumultueuse relation. Même si cette fiction explore les liens unissant les individus, la romance n'est en aucun cas le fil rouge de ce récit. Z'êtes prévenus^^
Personnages IC, je fais tout pour.
Résumé de l'OS ci dessous : L'examen des Chûnins poursuit son cours dans la forêt de la Mort. Le trio de Suna en est sorti sans encombres, avec un temps record. Maintenant, ils font face à l'ennui en attendant la fin de l'épreuve. Cette inactivité combinée à l'appel constant du sang menace de plonger Gaara dans une folie meurtrière, dont pâtirait Temari et Kankurô. Ne vous méprenez pas ! Enterrer définitivement leurs chamailleries dans un cercueil de sable est son envie la plus intense. Mais l'examen impose des équipes de trois alors...
Crédits : Les personnages sont empruntés, pour mon seul plaisir (et le vôtre, j'espère), à l'univers de Naruto et appartiennent donc à leur créateur. La citation appartient à son auteur, qui est cité à la fin de chacune d'elle. Je rends à César ce qui appartient à César...
Les passages en italiques signalent les éléments du passé.
Enjoy !
Bête de Sable & Bouclier de Chair
« La haine est l'amour qui a sombré. »
Sören Kierkegaard
Deux jours. Deux jours que Gaara du Désert tournait en rond dans la tour centrale, en attendant la fin de la deuxième épreuve de l'examen des Chûnins. Assis sur un banc, un coude nonchalamment posé sur la calebasse reposant à ses côtés, il observait, d'un œil critique, Temari tempêtant sur Kankurō qui ne cessait de se plaindre à propos de l'ennui qui le rongeait. Leur babillage incessant exaspérait le maître du sable que cette inactivité ne rendait guère patient.
La tête rouge éprouvait le besoin impérieux de goûter au tumulte d'une bataille, de faire couler le sang d'une victime aux abois, d'avoir à sa merci une vie palpitante dans son poing. Le sable affamé réclamait son tribut de sang et habituellement, Gaara n'était guère récalcitrant à le lui fournir, car le shinobi jouissait du pouvoir meurtrier qu'il exerçait impitoyablement sur autrui. Mais risquer l'élimination de l'examen, et supprimer ainsi l'opportunité de tuer de puissants adversaires faute d'équipiers, ne cadrait guère avec ses ambitions assassines.
Pourtant, enterrer leurs chamailleries dans un cercueil sablonneux était une tentation à laquelle le Sunien aurait volontiers cédé. L'adolescent ferma un instant ses yeux cerclés d'ébène dans une vaine tentative pour s'isoler du monde extérieur... Finalement, il se leva tout en saisissant sa calebasse.
― Où tu vas comme ça ? demanda Kankurō en attrapant rudement l'épaule de Gaara par derrière alors qu'il s'apprêtait à sortir.
Le rouge au teint pâle détourna légèrement la tête pour voir du coin de l'œil son prétendu frère. Le marionnettiste, entièrement couvert de vêtements sombres et dominant Gaara d'une bonne tête, frémit légèrement en croisant ce regard aussi terne et glacial qu'un hiver sans fin.
― Je n'ai aucun compte à te rendre. Et je te conseille de me lâcher...
Le coutumier « sinon, je vais te tuer ! » ne fut pas formulé, mais la menace silencieuse fut parfaitement comprise. Le maître des pantins ainsi que la blonde qui s'était discrètement approchée d'eux se figèrent, ils savaient pertinemment de quoi Gaara du Désert était capable.
― Allons Gaara, tempéra Temari en arborant un sourire trop pâle et crispé pour être sincère, tu sais bien que nous devons rester ensemble... S'il te plaît !
Le maître du sable fronça des sourcils inexistants en déportant son regard contrarié sur son interlocutrice liée à lui par la génétique. Encore une fois, son aînée à l'éventail tentait de le raisonner en usant maladroitement d'une expression avenante, parvenant à peine à dissimuler la crainte morbide qu'il lui inspirait.
― Je n'ai pas besoin de vous dans mes jambes, affirma-t-il d'un ton péremptoire. Je serai de retour quand le moment sera venu.
Puis, Gaara disparut de la pièce dans une vrille sablonneuse.
― Raah ! Il n'écoutera jamais rien ce mioche ! râla Kankurō en se retournant vers sa sœur qui haussa les épaules dans l'impuissance.
Il marchait depuis plusieurs dizaines de minutes dans la lugubre forêt de la Mort sans croiser le chemin de quiconque. Mues par leur puissant instinct de préservation, les bêtes sauvages, pourtant redoutées par tous les postulants au grade de Chūnin, s'enfuyaient à son approche. Le bruit feutré de leur départ précipité résonnait faiblement à travers le bruissement des feuillages. Si le Démon de Suna n'avait pas cet irrépressible désir sanglant de tuer, il aurait probablement trouvé regrettable que ses précédents opposants, dont les fluides imprégnaient dorénavant chaque grain de sable de sa jarre, n'aient pas suivi l'exemple de la faune.
Le maître de sable arriva bientôt à une large rivière dont les faibles remous étincelaient sous la pâle lueur de la lune gibbeuse. Le rouge jeta un regard à la voûte céleste étoilée en s'attardant sur l'astre lunaire glissant lentement dans le ciel puis, il suivit la berge de galets, supposant en toute logique que certains ninjas camperaient à proximité du cours d'eau. Bientôt, il arriva sur un large espace dégagé où l'adolescent découvrit l'exactitude de son raisonnement : trois silhouettes étendues, à même le sol, à côtés des cendres d'un feu de camp. Des créatures inconscientes du danger qu'elles encouraient.
L'hôte de Shukaku s'approcha lentement du trio, le bruit de ses pas couvert par les ronflements d'un jeune ninja blond. A ses côtés, sommeillait un garçon qu'il reconnut immédiatement. Des vêtements sombres illuminés de blanc, une ténébreuse chevelure indisciplinée encadrant un visage laiteux où se lisait une souffrance rageusement contenue : Sasuke Uchiwa. Un sourire carnassier naquit sur ses lèvres fines dans la satisfaction d'avoir trouvé une cible sur laquelle il pourrait libérer toutes les frustrations de ces derniers jours...
Un mouvement à la gauche du prodige de Konoha le surprit. La tête carminée disparut prestement dans un tourbillon arénacé pour réapparaître dans l'obscurité des feuillages environnants. La fille aux cheveux roses de l'équipe sept s'assit en posant une main sur son ventre. La lune éclairait faiblement ses traits fins tordus dans une expression douloureuse. La fragrance familière du sang, mêlée à celle de l'humus forestier, fut portée par une légère brise jusqu'aux narines du shinobi, alors que la kunoichi vérifiait sur le sommeil de ses camarades.
La ninja se leva pour rejoindre péniblement le bord du cours d'eau qu'elle longea, le dos courbé, pour s'éloigner de deux centaines de mètres du campement. Trop faible à son goût, cette Genin ne l'intéressait pas, toutefois son comportement de conspiratrice l'intriguait, sans le surprendre pour autant.
Les hommes n'étaient que des égoïstes dont la prétendue loyauté s'envolait aux quatre vents dès que cela servait leurs intérêts personnels. Contrairement à eux, Gaara n'était pas hypocrite. Il était un monstre d'égoïsme ayant appris par la force des choses à se complaire dans la solitude, à ne vivre que pour lui-même et c'était avec une sinistre lucidité que le sanguinaire rouquin assumait ouvertement sa nature.
L'inconnue, qui ne l'était pas tant, ôta sa robe groseille et s'agenouilla sur les galets en émettant discrètement un gémissement plaintif. D'après ses mouvements fébriles étudiés avec minutie et l'odeur entêtante de l'hémoglobine fraîche, Gaara devina qu'elle était entrain de retirer un pansement imbibé de sang. Plissant le nez, la tête rouge huma l'air, en fantasmant sur la mort prochaine du prodige Uchiwa dans un déluge sablonneux mêlé de sang, de larmes et d'os broyés.
― Qui est là ? Montrez-vous !
Le rouge étouffa un grognement en foudroyant la kunoichi du regard. Elle était faible, mais elle avait quand même perçu sa présence furtive. Comme les proies constamment traquées, la rose avait probablement développé son instinct, car il était évident que ce n'était pas grâce à ses misérables capacités de ninja qu'elle l'avait détecté. Sa défense automatique arénacée se déploya subitement devant son visage pour contrer le kunaï que cette Genin avait lancé avec une précision surprenante, malgré son camouflage dans les ténèbres nocturnes de la forêt. Démasqué, l'adolescent sortit de la pénombre avec la démarche assurée de ceux qui n'ont rien à craindre de la mort.
Debout et en garde, Sakura guettait avec une crainte non dissimulée le garçon émergeant lentement de l'ombre des feuillages. Peu à peu, la fleur de cerisier reconnut le shinobi de Suna que l'équipe sept avait rencontré avant l'examen des Chūnins. Il fallait avouer que ce type au visage inexpressif était difficile à oublier par l'aura menaçante émanant de sa personne comme si la Mort, elle-même, accompagnait ses pas, sans compter avec son apparence exotique. Des cheveux carmins en harmonie avec le kanji « Amour » ornant son front pâle, des cernes d'ébène faisant ressortir ses iris aussi clairs que l'eau d'un lagon, un visage pâle que des rondeurs enfantines persistantes n'adoucissaient pas et une grande jarre harnachée sur son dos... Aucun doute n'était possible.
Dans un déglutissement pénible, la fleur de cerisier identifia l'effrayant Sabaku no Gaara. Celui qui avait littéralement terrorisé son hargneux équipier peinturluré lors de leur rencontre précédente. L'adolescente se racla la gorge.
― Tu es Gaara, c'est ça ? Qu'est-ce que tu veux ?
Le shinobi avançait toujours dans sa direction dans un silence oppressant. C'était bien sa veine, songea la kunoichi en posant une main sur son flanc blessé. Son équipe commençait tout juste à se remettre des affrontements terribles consécutifs à leur rencontre avec les sbires d'Orochimaru et déjà, ils étaient de nouveau pris pour cible. Puis avec horreur, elle réalisa qu'après l'échec du trio d'Oto, le serpent avait probablement soudoyé des ninjas d'autres villages pour tuer Sasuke-kun ! Sa prise sur le kunaï qu'elle tenait de la main gauche se raffermit avant qu'elle ne crache :
― Toi aussi, tu es à la solde d'Orochimaru et tu veux affronter Sasuke-kun ?
Le regard fixe de Gaara se durcit et son front se plissa. Qui était cet Orochimaru que cette fille évoquait avec tant de colère et de dégoût ?
― Non.
Le jeune homme perçut le léger relâchement inconscient de la kunoichi, visiblement soulagée de sa réponse. Seul le clapotis de l'eau sur la berge résonnait alors qu'il arrivait à la hauteur de la rose.
― Je veux l'éliminer, ajouta-t-il.
La fleur de cerisier écarquilla les yeux d'effroi et tout son corps se tendit de nouveau. Ce garçon à la voix profonde malgré son jeune âge annonçait ça, si froidement... Si résolument.
« Maudit sois-tu, Naruto ! Quelle idée de s'endormir pendant ton tour de garde, bon sang ! Abruti ! » ragea-t-elle intérieurement en oubliant, avec hypocrisie, qu'elle se félicitait de l'insouciance du blond, il y avait encore quelques minutes.
Il avait plutôt intérêt de se réveiller, cet irresponsable ! Car devant Sakura, se dressait un tueur impitoyable dont le regard de glace et l'assurance trahissaient la nature assassine. La fleur de cerisier en était certaine, de même qu'elle était sûre d'être incapable de défendre ses amis face à lui. Elle prit une grande bouffée d'air et s'apprêtait à donner l'alerte quand une gerbe de sable jaillit de la calebasse, enserra son corps frêle et la bâillonna. Elle ne pouvait plus bouger !
― Ne crie pas, kunoichi, si tu ne veux pas subir le même sort que l'Uchiwa ! siffla-t-il entre ses dents.
L'indéchiffrable roux examina les émeraudes suppliantes de la rose au visage empourpré ― faute d'oxygène ― avant de la relâcher. Le corps mince chuta lourdement sur les galets avec un gémissement plaintif. La main posée sur son flanc couvert par un débardeur sombre était imbibée de sang, et excitait davantage l'esprit du Sable. Mais comment Gaara pourrait-il jouir de la mort de quelqu'un d'aussi pitoyable ? La tuer ne lui apporterait aucune satisfaction... Ce serait une hérésie.
― Nettoie ta blessure !
Surprise, Sakura hoqueta, avant de jauger le Sunien avec défiance. Il était évident qu'elle n'avait aucunement besoin de lui tourner le dos pour que Gaara l'élimine, si l'envie lui prenait... Mieux valait donc, éviter de contrarier ce shinobi dont la cruauté palpable viciait l'air comme un poison. Elle déposa son kunaï avec hésitation sur un galet. Lentement, la Haruno souleva son débardeur et nettoya sa plaie avec un linge propre, qu'elle trempa dans la rivière sous le regard sévère de l'olympien Gaara, qui gardait les bras croisés sur sa poitrine. Frémissante sous ce regard à l'intensité malsaine, la jeune fille se mordit la lèvre en concentrant son attention sur le nettoyage de sa blessure.
Ce Zaku du trio d'Oto avait bien visé. Malgré sa position défensive quand elle avait plongé sur le sbire d'Orochimaru, un kunaï avait percé sa garde pour se ficher droit dans les muscles intercostaux. Chaque mouvement respiratoire était un calvaire écartant les chairs sanguinolentes et retardant la cicatrisation. Malgré des soins réguliers, la plaie menaçait de s'infecter. Quelle poisse !
― Pou-Pourquoi veux-tu... Tuer Sasuke ? demanda-t-elle avec hésitation avant d'affirmer avec plus de conviction. Il ne t'a rien fait !
Gaara n'était guère loquace, mais il n'était pas le genre d'homme à fuir une question. Il ne fuyait devant rien, ni personne. Puisque cette fille n'était pas un adversaire valable, autant satisfaire sa curiosité et se repaître de la frayeur que le rouge ne manquerait pas de provoquer. D'un mouvement autoritaire de la main, le Sunien incita la rose à baisser le ton, avant de recroiser les bras sur sa poitrine.
― Je n'ai pas besoin de raison autre que de me permettre d'exister.
L'adolescente glapit d'indignation tout en évaluant la terrible portée de ces mots catégoriques. Le sérieux de ce garçon l'incitait à croire que ce n'était aucunement une plaisanterie de mauvais goût. Quel étrange coup du sort... Sakura venait tout juste de découvrir, grâce au dévouement de Lee, que son parcours de shinobi dépendrait de sa volonté à lutter pour ses proches. Et voilà qu'elle rencontrait une personne dont l'individualisme était à l'opposé de ses convictions fraîchement acquises.
Sakura était probablement loin d'être de taille et pourtant il fallait bien qu'elle tente quelque chose pour sauver Sasuke-kun, encore convalescent, des griffes de ce ninja. Il lui fallait gagner du temps en distrayant cet étrange adolescent en espérant que les garçons – en particulier Naruto, le seul d'entre eux à être parfaitement valide – se réveilleraient bientôt. Que pouvait-elle faire d'autre de toute façon ?
― Tu vis parce que tu voles celles des autres ? Mais... C'est monstrueux !
Un sourire carnassier naquit sur les lèvres de l'hôte de Shukaku en entendant le juste qualificatif de la Genin. Son géniteur l'avait créé dans le but d'éliminer tous les opposants de son village, dont la puissance avait décliné depuis une quinzaine d'années. Pour tous, Gaara avait toujours été l'arme ultime de Suna, le démon du sable... Le monstre ! Et il avait largement dépassé les attentes de son village.
― Je suis né « monstre » en débutant ma carrière de meurtrier en prenant la vie de celle qui m'a engendré, informa-t-il de sa sombre voix de baryton. Depuis, mon sable insatiable n'a eu de cesse de s'abreuver du sang de ceux que j'ai mené au trépas.
La kunoichi ne put réprimer un rictus de dégoût horrifié, avant de se reprendre. Sa plaie était approximativement propre mais la fleur de cerisier s'abstint de s'attarder davantage. Bien que la pudeur, ou même la bienséance, soit le cadet de ses soucis actuels, elle n'appréciait guère d'être vue dans une tenue si révélatrice par cet étranger. Un débardeur et un caleçon faisaient un piètre rempart face à ces orbes transperçants. L'adolescente replaça un pansement propre sur blessure en répondant à son interlocuteur, sans oser croiser ses terrifiantes prunelles de glace :
― Si tu ne m'as pas tuée...
Elle hésita, le consulta très très brièvement du regard et poursuivit en constatant l'apparente placidité du rouge :
― J'imagine que c'est parce que plus les vies que tu prends te donnent du fil à retordre, plus elles acquièrent de la valeur à tes yeux et par conséquent, ton existence en est davantage affirmée...
Jusque là, son raisonnement était correct.
― Et c'est pour cette même raison que tu t'intéresses à Sasuke-kun, n'est-ce pas ?
La tête rouge acquiesça en l'observant alors qu'elle se levait pour renfiler sa qipao* écarlate. Gaara devait lui concéder une certaine vivacité d'esprit, et une lucidité exemplaire vis-à-vis d'elle-même, compensant un peu sa pitoyable faiblesse. Après un soupir, l'adolescente se retourna, dardant sur lui un surprenant regard brillant de détermination :
― Dans ce cas, tu n'as actuellement rien à faire ici ! proclama-t-elle hardiment. Il va te falloir attendre car Sasuke-kun n'est pas en état de se battre pour le moment !
Avec une vélocité furieuse, Gaara saisit la rose à la gorge et la souleva de sorte que la pointe de ses pieds effleuraient à peine le sol caillouteux.
― Parle-moi encore sur ce ton et ma jarre sera ton cercueil !
Dire que Sakura était terrifiée par cette explosion de colère brute était euphémisme. Elle tremblait comme feuille battue par un orage démentiel. Les changements d'humeur de ce garçon étaient complétement imprévisibles et d'une promptitude effrayante !
― Ne crois pas qu'être aussi misérable suffise à te mettre à l'abri de moi, poursuivit-il, ta langue est peut-être acérée mais ta faiblesse peut sérieusement compromettre ta survie. D'ailleurs, tu en as conscience puisque tu caches ta vulnérabilité à tes propres équipiers !
La kunoichi suffoquait à cause de la poigne de fer du ninja de Suna. Une force que ses deux mains ne parvenaient pas à desserrer.
― Je ne leur cache rien du tout ! protesta-t-elle d'une voix étranglée.
Malgré ses efforts, la granuleuse main étranglant Sakura restait inébranlable.
― Alors dis-moi pourquoi tu as veillé à ce que tes camarades soient profondément endormis pour soigner ta blessure... Si ce n'est pas parce que tu les considères comme une menace pour ta vie !
L'adolescente grimaçait en cherchant vainement à prendre une inspiration. Constatant son impossibilité de réponse, Gaara relâcha légèrement sa prise.
― Ça me paraît évident, non ? Je ne veux pas qu'ils s'inquiètent ! fulmina Sakura énervée par l'idiotie de cette question, ce traitement brutal... Et son impuissance à y faire face.
Pour l'invincible empli de haine, et ne se préoccupant que de sa propre personne, l'inquiétude était un mot vide de sens. Aussi, Gaara ne parvenait pas à justifier le refus de la rose à ce que ses compagnons la ressentent. Le front habituellement lisse du maître du sable se fronça dans la perplexité, avant qu'un tiraillement aigu au crâne vienne l'assaillir, accompagné de rafales d'images intenses issues des tréfonds de sa mémoire qui lui firent lâcher complétement le cou de la rose.
« L'amour est un sentiment bienveillant et affectueux que l'on éprouve envers les proches et les gens importants pour soi. »
Les mots de son oncle Yashamaru martelaient douloureusement son esprit. Des mots gravés au fer rouge dans sa mémoire par cet être que Gaara avait tant aimé, mais qui avait été le premier d'une longue liste d'assassins envoyés par son père, le Kazekage, pour l'éliminer. Les mots de ce traître ! Les doigts du maître du sable grognant dans l'agonie s'ancrèrent avec la force du désespoir dans sa chevelure de feu, sous le regard interloqué de l'unique témoin de ses tourments.
« Qu'est-ce qu'il lui arrive ? Je n'ai jamais vu un visage aussi tordu de douleur... Il doit souffrir atrocement. » pensa la Genin.
Elle se mordit nerveusement la lèvre inférieure, se punissant inconsciemment de sa conduite prochaine. Ce ninja exhalait une cruauté terrifiante pourtant la kunoichi ne put réprimer un élan de compassion inavouable pour cet ennemi. Et puis, l'aider servirait peut-être ses intérêts. Qui sait ? La kunoichi sortit de sa sacoche une autre compresse qu'elle trempa dans l'onde paisible. Elle tordit le tissu avant de s'approcher prudemment de l'adolescent dont le grondement bestial lui donnait la chair de poule. La gorge de Sakura se noua et une suée glacée dégoulina le long de ses tempes quand sa main tremblante appliqua le linge sur le front tatoué.
L'hôte de Shukaku se figea de stupéfaction en sentant la fraîcheur bienfaisante sur sa peau. Médusé, il ouvrit les yeux pour observer la rose en face de lui. Il sentait l'acidité de sa peur suintant par les pores de sa chair, entendait le rythme chaotique de ses pulsations cardiaques, percevait l'intensité de son angoisse au travers de ses frissons... Pourtant, le regard déterminé de l'adolescente ne vacilla pas sous le sien.
― Dis-moi, gronda-t-il de sa voix profonde, la raison pour laquelle tu établis volontairement un contact pacifique avec une créature qui te terrifies.
Sakura réprima, de justesse, un mouvement de recul en croisant les turquoises brillantes de folie et injectées de sang. Le visage de Gaara crispé par la colère, la douleur, et l'incompréhension, son aura plus démentielle que jamais la convainquirent qu'un mensonge la condamnerait à mort dans la seconde. Elle avala péniblement sa salive avant de répondre d'une voix tremblante :
― Il faut croire que l'espoir que tu te ravises à propos de Sasuke-kun surpasse la peur que tu m'inspires...
Bien que sa sincérité palpable inspirait son respect, les raisonnements tordus de cette fille lui échappaient complètement... Elle faisait ça pour l'Uchiwa ? A ses risques et périls, l'adolescente tentait de l'amadouer par un acte « secourable » sans même chercher à s'en défendre. Et le pire, c'est que ça marchait ! Lui, l'impitoyable monstre de Suna était tenté d'accéder à sa requête, juste parce que cette fille le traitait différemment des autres. Juste parce que ses grands yeux, trop innocents pour être ceux d'un shinobi, étaient complétement dénués de toute forme de haine, malgré la menace qu'il représentait...
Sakura observa la disparition progressive de la lueur assassine dans les yeux de son interlocuteur, tout en songeant à sa discussion avec cet être mystérieux, dont le visage se vidait de toutes ses émotions douloureuses. La fleur de cerisier n'avait pas manqué son étonnement fugace, quand elle avait mentionné la raison de la dissimulation de sa blessure à ses amis. Le degré de sociabilité de la tête carminée devait être catastrophique pour qu'il n'ait pas percuté tout seul un concept aussi simple !
Le souvenir d'une discussion avec Sasuke-kun au sujet de Naruto s'imposa à son esprit. A l'époque, elle pensait que le blondinet était complètement inapte socialement, et que son comportement d'enquiquineur stupide et égoïste était lié à l'absence de parents pour l'éduquer. Son intransigeance avait été vertement réprimandée par cet autre orphelin qu'elle aimait tant.
« Oui, mais il est seul ! C'est bien plus difficile que de se faire sermonner de temps en temps... Franchement, Sakura tu m'énerves ! »
Les mots de rejet de Sasuke-kun avait fait douloureusement prendre conscience à la rose, qu'elle devait se montrer plus gentille avec le blond, qu'elle envoyait constamment dans les chardons. Ce garçon à la chevelure de feu était-il comme Naruto ? Était-ce parce qu'il était seul que le Sunien avait été décontenancé par ses paroles concernant les sentiments de ses coéquipiers ? Était-ce parce qu'il était livré à lui-même que le tatoué clamait ne vivre que pour le crime ? Parce qu'il n'avait personne pour qui s'inquiéter et réciproquement ? Parce qu'il n'avait personne à aimer ?
Son regard dériva en direction du kanji « amour » gravé dans sa chair à demi dissimulé par le linge humide. Il s'appelait Gaara du Désert...
― Cet épithète n'est pas un hommage au sable... C'est une métaphore de la solitude noyant l'homme n'aimant que sa propre personne... murmura pensivement Sakura.
Le rouge écarquilla les yeux. Une gerbe sableuse jaillit de sa calebasse pour éloigner violemment de lui cette fille trop perspicace. Il rattrapa au vol le linge humide qu'elle maintenait sur son front, tandis que la rose atterrit rudement sur ses fesses, en fixant avec incompréhension le garçon dont la brutalité soudaine l'avait pris au dépourvu. Une fois de plus.
― Kunoichi ! Tu devrais vraiment apprendre à tenir ta langue !
Tétanisée, les yeux révulsés, la rose se tint coite sous le regard dur du garçon qui la dominait de toute sa hauteur. Dès son apparition, le ninja de Suna avait pris l'ascendant sur elle. Bien qu'il n'ait exécuté aucune des menaces proférées contre sa personne, Sakura n'était pas du genre à pousser sa chance, quitte à récolter de douloureuses crampes suite à son immobilisme forcé et inconfortable.
Gaara ne comprenait pas. Comment quelqu'un comme cette fille pouvait-elle lire à travers lui aussi aisément ? Le Genin savait que la rose était intelligente. Lors de l'épreuve écrite de l'examen, il avait remarqué qu'elle était l'une des rares personnes ayant rempli intégralement le questionnaire sans tricher. L'unique autre ninja ayant accompli cette performance étant la fille Hyūga, reconnaissable aux pupilles caractéristiques du clan renommé dont elle était issue. Mais le savoir théorique de son interlocutrice n'expliquait en rien l'apparente compréhension de sa personne. Cela le désappointait.
Gaara se sentait vulnérable, face à cette clairvoyance capable de décoder ses non-dits. Et s'il y avait bien une chose que l'implacable maître du sable haïssait par dessus tout, c'était de se sentir vulnérable !
Pourtant, l'hôte de Shukaku n'éprouvait pas le besoin de l'écraser avec son arme à la fluidité meurtrière parce qu'il s'était senti compris, et que cela lui apportait un certain « confort », une obscure satisfaction... Parce que, bizarrement, cette fille ne haïssait pas l'abomination du Sable.
Pour la première fois depuis longtemps, l'ultime guerrier de Suna était en proie à la confusion. Ses sentiments contradictoires le déchirait. La solitude, qui l'avait tant fait souffrir mais dont la familiarité avait le pouvoir d'apaiser ses esprits, lui était nécessaire. Il avait impérativement besoin d'être seul pour faire le point sur cette étrange rencontre. C'est pourquoi le monstre de Suna au visage impénétrable annonça sa sortie de la scène :
― Les examens sont loin d'être terminés. D'autres occasions se présenteront. Ce n'est qu'un sursis... Bientôt, j'éliminerai l'Uchiwa !
Sakura hoqueta de surprise en le voyant se détourner pour rejoindre les ténèbres de la forêt. La fleur de cerisier sauta sur ses pieds.
― Pourquoi cette subite complaisance ? demanda l'unique membre féminin de l'équipe sept sans chercher à dissimuler son étonnement.
La rose était inconsciente du chaos qu'elle venait de semer dans son esprit instable. Il fallait qu'il en reste ainsi !
― Comme tu l'as énoncé, répondit-il sans se retourner, ma victoire acquise face à un être en pleine possession de ses moyens raffermira davantage mon existence et le pouvoir que je peux exercer sur autrui...
Et parce que c'était actuellement la seule certitude la concernant, il ajouta catégoriquement en tournant légèrement la tête afin de croiser le regard de l'adolescente :
― Et ce jour là, si tu entraves mon chemin de quelque manière que ce soit, je te tuerais !
Gaara du Désert disparut dans un tourbillon de sable sans lui laisser le temps de rétorquer. Il l'avait avertie, la prochaine fois, l'implacable Gaara mettrait à exécution ses menaces. La tension nerveuse de Sakura se relâcha dans un soupir significatif. Marcher sur un terrain miné oratoire n'était pas un exercice dont l'émotive kunoichi était coutumière...
Cela ne faisait que quelques minutes que Gaara était parti qu'une voix familière résonna dans le dos de la fleur de cerisier :
― Sakura... Que fais-tu debout à cette heure ?
La kunoichi se retourna vers l'irrésistible brun de son équipe, dont elle ne put affronter les pupilles d'obsidienne très longtemps. Sasuke était constamment harcelé depuis le début des examens et avec cette inquiétante marque apposée par Orochimaru, son compagnon avait déjà assez de soucis comme ça. Sakura n'aimait pas être obligée de mentir à cet être si précieux, cela la rendait nerveuse et elle tenta de dissimuler son trouble avec un sourire crispé.
― Sasuke-kun ? Je... J'ai fait un mauvais rêve et j'avais besoin de me rafraîchir un peu... Tu sais, Orochimaru et ses serpents...
― Hum... répondit-il en dardant sur elle un regard empli de suspicion.
Finalement, les mains du prodige glissèrent dans les poches de son bermuda immaculé. Une attitude coutumière qui lui donnait un air mi-indifférent, mi-renfrogné. Il jeta un bref regard sur Naruto dont les ronflements résonnaient fortement dans le calme de la nuit. Il demanda avec un sourire en coin :
― Quand tu t'es levée, Naruto dormait déjà, je parie ?
L'échange devait être écourté avant qu'il ne pose trop de questions.
― Oui, ria gauchement la fleur de cerisier avant d'annoncer dans un profond bâillement, il reste deux heures avant le lever du soleil, je retourne me coucher.
Après son départ, les pupilles ténébreuses du brun virèrent au rouge sang. Le Sharingan scrutait avec attention la direction fixée précédemment par son équipière. Il repéra des traces granuleuses et résiduelles de chakra éparpillées sur les galets, toutefois les faibles quantités ne lui permirent pas d'identifier leur origine. L'Uchiwa grogna de frustration avant d'apercevoir un morceau de tissu imprégné de sang gisant au sol près du lit de la rivière. Le prodige fronça les sourcils avec désapprobation, jeta un bref regard sur sa coéquipière qui s'allongeait et, sans mot dire, décida à prendre le tour de garde abandonné par cet idiot de Naruto.
Dès les premières lueurs de l'aube, l'hôte de Shukaku apparut soudainement dans une vrille de sable dans la grande salle de la tour, le lieu de rendez-vous à la fin de la seconde épreuve. Son apparition subite fit sursauter son frère et sa sœur qui se reprirent rapidement.
― Alors... Ta promenade s'est bien passée ? demanda Temari avec une crainte à peine dissimulée par l'éternel faux sourire qu'elle arborait quand elle s'adressait à lui.
Gaara acquiesça en se délestant de sa calebasse.
― Tu crois qu'il a encore fait un carnage ? chuchota Kankurō à l'oreille de la blonde.
Malgré le faible volume sonore Gaara entendit la question de son frère.
― Kankurō... Pourquoi poser une question à quelqu'un dont tu sais qu'il ignore la réponse ?
Mal à l'aise, le frère et la sœur se concertèrent d'un regard incertain.
― Heu... Puisque tu as entendu, alors répond ! tempêta le garçon aux peintures faciales.
― Le sable ne s'est pas abreuvé cette nuit, répondit-il en sortant un tissu pâle des replis de sa tenue.
Gaara s'adossa nonchalamment contre le mur de la pièce en fixant, pendant un court instant, la compresse encore humide. Ses paupières d'ébène s'abaissèrent avant qu'il ne poursuive sombrement :
― Le chemin de la bête jusqu'à sa proie fut entravé par un étrange bouclier...
L'hôte de Shukaku fit une pause. Ses équipiers s'apprêtaient à lui demander quelle arme était capable de neutraliser l'invincible Gaara, quand ses paupières se rouvrirent subitement pour dévoiler deux orbes turquoises injectés de sang. Un regard empreint de folie démoniaque.
― Un bouclier qui, la prochaine fois, sera brisé par la fureur de la bête insatisfaite !
*** Fin ***
Lexique :
Qipao : modèle de la robe chinoise de Sakura.
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