Mépris de la lune

« Ne demandez pas au Soleil pourquoi elle se couche »

Diana était bien jeune lorsque ses parents l'emmenèrent pour la première fois sur la grande place du mont Targon, pour la grande cérémonie donnée en l'honneur du Soleil. Toute la ville était là chaque Solari était venu avec sa famille. Diana écarquillait les yeux, émerveillée. L'or des murs étincelait sous la lumière de l'astre du jour, les reflets dorés illuminaient le centre de la place et sa grande cuve d'une douce lumière. Soudain, les trompettes sonnèrent et tous les regards se tournèrent vers l'entrée du grand temple d'où sortit bientôt une grande procession. Chaque prêtre tenant dans sa main une pierre précieuse.

« Regarde, Diana, ce sont les larmes du Soleil : les prêtres vont les déposer dans la grande cuve.

- Papa, je voulais savoir… Est-ce que la…

- Chut ! Regarde ! »

Hissée sur les épaules de son père, la jeune fille soupira et scruta avec attention les gemmes. Les prêtres s'avancèrent et vinrent se placer en cercle autour de la grande cuve. Lorsqu'ils furent tous en place, un homme coiffé d'une couronne dorée, dont les branches rappelaient les rayons solaires, pris la parole :

« Solaris ! Enfants du soleil ! En ce jour nous célébrons notre père, l'astre divin, rayonne et sa gloire nous inonde tous ! Nous lui rendons ses larmes, les larmes qu'il a daigné verser pour nous ! Nous les lui rendons et nous prions sa magnificence de nous éclairer encore et encore ! Que sa clarté inonde à jamais nos cœurs ! »

Une fois le discours terminé, les fidèles jetèrent leur présent au fond de la cuve. Lorsque la dernière gemme heurta le fond, une intense colonne de flammes s'éleva des entrailles du bassin vers le ciel. Quelques instants plus tard, les habitants découvrirent avec émerveillement que les pierres avaient disparues.

« Elles sont retournées auprès de leur père, notre maître à tous ! Longue vie au Soleil !

- Longue vie au Soleil ! » Reprirent en chœur les habitants.

Le grand-prêtre tourna les talons et commença à regagner le temple, Diana saisit l'occasion, bondit des épaules de son père et se fraya un chemin à travers la foule. Elle surgit finalement quelques pas derrière l'homme.

« Dites, est ce que la Lune est aussi puissante ? »

Le prêtre se figea. Il se retourna lentement et toisa l'insolente jeune fille d'un air furieux.

« Qu'as-tu dis ? La Lune ? »

Diana recula, effrayée. Deux des religieux la saisirent pas les bras. Leur chef s'avança et s'adressa à la foule.

« Contemplez cette impudente ! Elle ose remettre en cause la puissance du Soleil et nous parle de la Lune ! »

Il se tourna alors vers elle.

« Sache, petite andouille, que la Lune n'est qu'un vulgaire caillou qui flotte dans le ciel nocturne, n'osant approcher le jour.

- Mais pourtant le soir elle bril…

- Silence ! »

Le grand-prêtre la gifla, provoquant une marque rouge qui entacha la joue de la fille. Un homme réussit à émerger de la foule et se jeta à genoux.

« Pitié Excellence ! C'est ma fille, elle est jeune, je vous prie de pardonner son manque de civilité. »

Le religieux tourna son regard vers lui

« En conséquence de la bêtise de ta fille, je vous condamne, toi et ta famille, à vivre à l'écart de la ville. Vous ne devrez en aucun cas approcher la place centrale, participer aux fêtes et surtout... »

Il articula chacun de ses mots :

« Ne réapparaissez jamais devant moi ! »

Une fois sa sentence prononcée, il fit claquer sa tunique et regagna le temple, suivi par la cohorte de fidèle, la place se vida rapidement. Personne n'osait approcher les malheureux, de peur de partager leur peine. Diana se jeta dans les bras de son père, pleurant à chaudes larmes :

« Papa, je suis désolée, je voulais juste savoir, je ne voulais pas que nous…. »

Son père posa sa main sur sa bouche, avant de la serrer contre lui.

« Ne parle plus, il faut avertir ta mère et préparer nos affaires… »

Il se releva en silence et l'emmena par la main. Diana jeta un dernier regard au temple, un regard chargé du désir de revanche.

Le temps passa, les années avec lui. Diana grandissait et malgré le fait que sa famille fut forcée d'emménager loin des bourgs, que les autres habitants refusaient de leur parler ou de les fréquenter, elle retournait à la ville, évitant toujours le temple, passant le plus clair de son temps à la bibliothèque, cherchant des réponses à ses questions : qui était la Lune ? Quel était son pouvoir ?

Peu de livres traitaient du sujet. L'ordre du Soleil détruisant les ouvrages jugés 'indigne de l'Astre', Diana refusait cependant de renoncer, poussant ses recherches toujours plus loin. La mort de son père, emporté un jour par la maladie, renforçait sa détermination. Désormais, elle voulait prouver à son peuple que la Lune était l'égale du Soleil. Une fois le soir venu, elle s'allongeait dans l'herbe et fixait le ciel nocturne, admirant constellations, étoiles, la vacuité et surtout l'astre de la nuit qui lui semblait chaque soir plus beau et mystérieux…

« Tu vas te tuer Diana, grondait sa mère. Ton père n'est pas mort en se disant que tu finirais ta vie à poursuivre des chimères !

- Ce ne sont pas des chimères Maman ! La Lune est réelle et son pouvoir l'est aussi, les prêtres pourront dire ce qu'ils veulent je sais que je suis proche du but ! Bientôt, je montrerai à tous que la Lune mérite autant d'attention que cette boule de feu géante ! »

La mère soupira et contempla le visage de sa fille. Elle posa ses mains sur ses joues.

« Pourquoi veux-tu autant que les autres reconnaissent la Lune ? »

Diana saisit les mains de sa mère dans les siennes.

« Je veux qu'on me reconnaisse moi aussi. Quand j'étais petite personne ne prêtait attention à mes histoires, mais aujourd'hui tous vont devoir admettre que j'avais raison.

- Cette illusion va te tuer…, souffla sa mère en s'éloignant d'elle. S'il te plaît, pense à ton pauvre père… »

Diana serra les poings et quitta la maison, fonçant à la bibliothèque. Les larmes coulaient sur ses joues sans qu'elle puisse les contrôler. Une fois à l'intérieur du bâtiment, elle se dirigea vers la section des livres antiques, persuadée que les réponses se trouvaient dans le passé. Une fois assise à sa table d'étude, elle s'effondra sur le bois, pleurant toutes les larmes de son corps. Peu à peu, la tristesse laissa place à la fureur. Diana se leva et se mit à frapper contre les étagères. Elle frappa tant, que ses mains lui firent mal frappant pour son père mort, frappant pour ses malheurs, frappant pour le mépris que lui lançaient les prêtres qu'elle croisait, frappant pour la Lune et pour elle. Soudain, elle perçut un craquement et s'arrêta net. Elle releva la tête et eut juste le temps de plonger avant qu'une étagère ne s'effondre, soulevant un épais nuage de fumée. Diana toussa et se releva avec difficulté. Elle contempla le mur où se trouvait jadis la structure un trou béant ouvrait sa gueule vers une salle plongée dans l'ombre.

« Une pièce secrète ! » jubila-t-elle intérieurement.

La jeune femme s'avança dans la brèche et fit quelque pas. La pièce était ronde. Seule une table et quelques chaises meublaient les lieux. Un coffre de bois retint néanmoins son attention. Elle s'approcha et ouvrit la boîte ; l'intérieur sentait fort le moisi mais son contenu l'émerveilla : un vieux livre relié de cuir avec un étrange symbole sur celui-ci. Il s'agissait d'une sorte de croissant qui soulignait une sphère, et une sorte de pierre en forme de croissant.

Diana emporta le tout et retourna chez elle. Une fois dans sa chambre, elle ouvrit le gros volume. L'écriture semblait antique et les lettres lui étaient inconnues. Mais, curieusement, lorsqu'elle posait ses yeux sur les caractères, les mots apparaissaient dans son esprit et, sans qu'elle comprenne pourquoi, les phrases se formaient d'elles-mêmes.

« An 456, cinquième nuit d'Aout :

Ce soir, après les récentes attaques des fanatiques, nous avons décidé de sceller les reliques et de quitter le temple. Nous quittons la terre et retournons parmi les étoiles, puisse sa majesté la Lune nous accueillir avec bonté. Nous prions néanmoins les cieux pour qu'un jour quelqu'un retrouve notre héritage et se serve de son pouvoir pour faire respecter l'ordre de la Lune… J'entends les tueurs d'astres arriver, je clos donc l'écriture de cet ouvrage avec cette prière : Que le sang des infidèles sèche à la lumière de leur idole factice ! »

Diana ferma le livre et poussa un cri de joie. Enfin ! Ses recherches portaient leurs fruits ! Elle souleva le tome au-dessus d'elle et se mit à sautiller. Cet écrit suffisait pour prouver la puissance de la Lune. Il suffisait pour prouver qu'elle avait toujours eu raison. Elle s'assit et réfléchit : plus, il lui en fallait plus. Elle prit sa décision : elle trouverait ces fameuses reliques et montrerait aux Solaris que la Lune était l'égale du Soleil.

Elle rassembla quelques affaires dans un sac de voyage, embarqua le livre et l'étrange pierre puis sortit sans bruit. Dehors, le jour se levait à peine.

Elle ouvrit rapidement le livre, certaine que l'emplacement du temple était indiqué une fois de plus l'écriture se traduisait d'elle-même.

« An 388, quatorzième nuit de janvier :

Aujourd'hui nous avons enfin trouvé le lieu : nous avons finalement repéré l'endroit où notre mère pose ses yeux à son clair. Nous avons décidé d'y ériger sa maison. Nous y mettrons nos corps et nos âmes. Sa demeure sera somptueuse, chacune de nos prières un hymne à sa gloire. Notre dévotion la rend fière, sa joie est notre réussite, sa déception notre échec. Nous honorerons sa puissance jusqu'à notre dernier souffle : jusqu'à ce que nos esprits éclairent le ciel à leurs tours.»

Diana rangea le volume et réfléchit l'endroit où elle pose ses yeux a son clair ? Qu'est-ce que ça pouvait bien signifier ? Elle se rappela soudain avoir consulté une carte du ciel nocturne lorsque le clair de lune apparaissait, l'astre se trouvait exactement au-dessus de la partie nord de la forêt. Résolue, elle se dirigea vers l'endroit en question.

Diana marchait depuis des heures, le soleil brillait haut dans le ciel à présent. Elle maudit sa lumière aveuglante et reprit sa marche, écartant les branches sur son chemin. Elle avait parcouru une grande distance mais le temple demeurait introuvable. Elle finit par s'asseoir et se mit à réfléchir.

« Diana, ma vieille, un endroit où la Lune pose son regard, son regard….. »

Bien sûr ! Un endroit où 'tombent' ses yeux, un lieu où des météorites s'était écrasées, les pupilles de Lune. Elle se frappa le front et se rappela une histoire qu'elle avait entendue plus jeune : son père lui avait raconté que des roches venues du ciel s'écrasaient souvent au sud de la ville, dans un endroit appelé la Crête Sinuante. Personne ne les avaient jamais vues de près, mais elles illuminaient le ciel nocturne et embrasaient la nuit dans un grondement en touchant terre.

Diana fouilla dans son sac et en sortie un plan qu'elle déplia avec soin. Elle repéra rapidement le lieu-dit et l'itinéraire à emprunter pour y arriver. Elle se remit en route et accéléra le pas, touchant au but. Le trajet lui prit une heure, mais en arrivant à la Crête elle comprit pourquoi personne n'était allé voir ces fameuses roches : une abrupte paroi de pierre d'une centaine de mètre s'élevait devant elle.

« La Crête Sinuante hein ! » grogna-t-elle.

Elle se résolut à grimper. Il fallait qu'elle parvienne en haut, que son rêve se réalise enfin. Diana s'accrocha à la paroi et commença son ascension les premiers mètres lui semblèrent faciles. Cependant arrivée à mi-parcours, elle sentit ses muscles souffrir. Elle transpirait, cherchant des prises. Certaines roches chutèrent sous ses pieds. Ses membres la faisaient de plus en plus souffrir, une douleur lancinante lui vrillait le dos. Elle s'accrocha néanmoins et poursuivit sa montée. Soudain la pierre qu'elle venait de saisir céda. Elle commença à chuter, son pouls s'accéléra : allait-elle mourir ainsi ? Sans avoir réussi à prouver ses dires ? Non ! Elle refusait ! Sa volonté reprit le dessus et elle se raccrocha à la paroi, écorchant sa peau et s'entaillant les membres. Souffrante, meurtrie, mais toujours vivante et déterminée, elle recommença son ascension, redoublant d'effort. Elle parvint finalement à se hisser au sommet.

Diana s'effondra sur le sol, haletante et épuisée. Son cœur battait à tout rompre, le sang battant dans ses tempes lui incendiait la tête. Elle s'assit pour reprendre son souffle mais, en relevant la tête, ce qu'elle aperçut lui coupa le souffle :

Un imposant bâtiment se dressait devant elle. Ses façades couvertes de lierre à quelques endroits semblaient tous de même solide d'une façon générale, le bâtiment tout entier semblait être dressé depuis des années sans pour autant souffrir de quelconques altérations.

« Je l'ai enfin trouvé, souffla-t-elle. Le temple de la Lune ! »

La joie de sa découverte lui redonna des forces. Elle se leva et s'engouffra à l'intérieur de la construction. Aucun meuble ne se trouvait sur le sol ou les murs seule la structure lui tenait compagnie. Elle avança lentement, scrutant chaque recoin avec attention. Diana arriva bientôt devant une imposante porte de pierre. Elle tenta de la pousser mais celle-ci resta immuable elle recula pour contempler l'obstacle et aperçut un léger creux au milieu du panneau : il avait la même forme que la pierre du coffre. Elle sortit rapidement le caillou qu'elle plaça dans la fente celui-ci s'y enfonça avec un léger *clic* puis la porte pivota, révélant un passage. La jeune femme s'y avança et, au bout de quelque pas, se trouva face à un autel sur lequel étaient posés une armure décorée et une étrange lame en croissant de lune. Tous deux portait le même symbole que la couverture du grimoire.

« Le symbole de la Lune » comprit Diana.

Elle revêtit l'armure et s'empara de l'arme. Un sentiment de satisfaction intense parcourut son corps : désormais, tous seraient forcés de la croire, tous devraient admettre le pouvoir de l'astre nocturne.

Sûre d'elle, elle regagna la ville, et se dirigea vers le temple. La nuit tombait. Les gens s'écartaient sur son passage, la dévisageant avec une curiosité mêlée de crainte. Elle pénétra dans le temple. Le grand-prêtre, assis sur un imposant fauteuil au couleur du soleil, se leva en l'apercevant :

« Regardez ! clama Diana. Contemplez cette lame, cette armure, elles prouvent toute les deux le pouvoir de la Lune. Vous êtes forcés d'admettre que j'avais raison à présent, le passé ressurgit et la vérité éclate ! »

Le grand prêtre la regarda, incrédule. Puis un air méprisant et furieux apparut sur son visage, le même que celui qu'il avait adressé à la jeune fille des années plus tôt.

« Misérable ! Où as-tu trouvé ces idoles impies ! Tu es allée trop loin, cette fois le Soleil ne te pardonnera pas ! Gardes, emparez-vous de cette hérétique ! Tuons-la au nom de notre père et de sa gloire !

Les cris du religieux avaient attirés tous les fidèles qui se rassemblaient à présent dans la salle. Les gardes s'approchèrent de Diana, armes en mains, prêts à la réduire en miette.

La jeune femme serra la lame et se mordit la lèvre inférieure. Cette fois, c'en était trop ! Sa fureur et son désespoir prirent le dessus sur sa soif de reconnaissance. Elle tourna la tête vers la porte, fixant le ciel nocturne. Elle leva soudain la lame et ferma les yeux. Un rayon lunaire traversa le vitrail au-dessus de l'entrée et illumina la jeune femme. Tout son être s'imprégnait de la puissance de la Lune. Les gardes reculèrent, effrayés par le phénomène. Diana rouvrit les yeux, une assurance mystique éclairant ses traits. Elle sourit et s'avança vers les hommes. Elle entama une ronde sinistre, déchiquetant, étripant chacun des hommes qui tentaient désespérément de s'enfuir. Elle ouvrit la bouche et se mit à chanter un hymne sanglant :

« Ne demandez pas au Soleil pourquoi elle se couche

Pourquoi elle cache sa lumière

Ou pourquoi son regard fuit l'escarmouche

Quand la nuit efface l'éphémère

Tandis qu'elle chantait, les prêtres tombaient les uns après les autres, envahit par la puissance de son idole. Diana les exterminait sans difficulté.

Le Soleil coupable tombe au silence

Quand le jour va se terrer

Une simple vérité dont elle ne prononce le sens

Sa lumière ne peut qu'aveugler et brûler

Une fois les prêtres morts, elle se dirigea vers leur chef. Celui-ci était paralysé par la peur.

Pas de pitié pour les coupables

Abattez leur Soleil menteur

D'un sang si noir dans la nocturne fable

Sur leurs visages pâlis par la peur

Une fois au niveau de l'homme, elle enfonça la lame dans son torse, le traversant de part en part. Elle rejeta l'arme en arrière, propulsant le corps du prêtre au milieu des autres. Elle se dirigea ensuite vers la sortie et s'éloigna du temple qui s'effondra sous la lumière des étoiles.

Lune cruelle, menez la fin

Plus jamais ne pointera le matin »