De retour si vite?
Je me tenais à l'écart, près d'une entrée de pub. J'observais subtilement chaque main que je voyais depuis mon coin d'ombre, dans une sombre petite ruelle mal éclairée. L'obscurité de la nuit m'offrait un camouflage tout à fait correct pour ma mission.
Je cherchais l'homme aux quatre doigts. Je le soupçonnais, oh! que je le soupçonnais. À maintes reprises, j'avais remarqué une empreinte de main à laquelle il manquait un auriculaire sur les victimes. Une main gauche, plus précisément. Son propriétaire faisait sans nul doute partie de la secte.
Cette nouvelle secte qui n'affolait personne, amusait certains et intriguait la police. Celle-ci m'avait demandé de démasquer le chef de la société secrète. C'était à croire qu'ils étaient incapables d'être autonome. En plus, j'étais désormais seul à investiguer puisque Watson m'avait lâchement abandonné pour vivre sa vie avec Mary.
Ce brave garçon… Il ouvrait les portes nettement plus rapidement que moi et mon attirail d'outils et il avait le don de toujours arriver au bon moment lors d'une bataille. Excellent médecin, d'ailleurs. Ce qu'il lui manquait était mon sens de la déduction. Il en avait un, certes, mais pas aussi remarquable que le mien. Toutefois, il apprenait rapidement.
Un homme sortit enfin de la taverne et je constatai aussitôt qu'il lui manquait un doigt. Je réajustai mon manteau et enfonçai mon chapeau sur ma tête, puis je le suivis, à quelques mètres de distance. Mon attention était rivée sur lui, je ne le perdrais pas de vue.
Quelques fois, l'homme se tourna, mais il reprenait aussitôt sa route. Bientôt, je dus le suivre le plus discrètement possible pour ne pas qu'il remarquât ma présence : il avait emprunté un chemin peu fréquenté, pour ne pas dire désert.
Nous arrivâmes à un quai de débarquement pour les marchandises. L'emplacement était rempli de cargaisons qui y étaient arrivées pendant la journée. J'en profitai pour suivre l'homme en me cachant derrière les différentes boîtes.
Une fois suffisamment près de lui, j'établis un plan pour le rendre vulnérable. Je savais pertinemment qu'il était juste de l'autre côté de la boîte et je ne comprenais pas pourquoi il s'était immobilisé à cet endroit.
Dès que je sortis de ma cachette, trois hommes avaient remplacé celui que j'avais suivi.
- Hum. Ce n'est pas ce que j'avais prévu, commençai-je, mais je saurai m'y faire!
Je m'empressai de déstabiliser le premier homme avec un coup de pied dans les côtes. Il tomba en plein sur les deux autres. L'un d'eux se dégagea rapidement et se jeta sur moi avec un couteau. J'évitai ses attaques tout en tentant de le désarmer : sans succès. Le troisième homme me flanqua son poing à la figure ce qui m'étourdit quelques instants et il en profita pour m'en donner deux autres dans le ventre. Avant qu'il ne m'atteignît de nouveau au buste, je pris son bras et le tournai, faisant ainsi entendre un craquement sinistrement satisfaisant.
Nous échangeâmes encore quelques coups, puis je vis un énorme colosse qui venait vers nous. J'avais comme l'intuition qu'il ne venait pas m'aider. Les autres hommes me faisaient reculer et bientôt, nous arrivâmes dans un coin plus vide de l'entrepôt. Il n'y avait que les colonnes de métal rouillé qui soutenaient la toiture de ferraille.
Le géant me sépara de ses collègues et me cloua à la colonne la plus proche. Mes pieds ne touchaient plus le sol et l'immense gaillard m'écrasait la gorge avec son avant-bras. Je savais ce qu'il voulait faire et j'essayai donc de le frapper avec mes poings et mes pieds.
L'air manquait et le géant ne semblait même pas sentir les coups que je me forçais à lui assener. Je n'avais plus d'énergie. Le son semblait drôlement étouffé et ma vue était étrangement floue. Je vis apparaître sur le visage devant moi un affreux sourire de contentement.
Je crus entendre un cri, puis des coups. Je ne voyais rien, car un mur de graisse se tenait en face de moi. Les bruits continuèrent et l'horreur qui m'étranglait se mit à s'agiter en regardant derrière lui.
Je sentais que j'allais mourir. L'air n'arrivait pas à mes poumons. J'avais l'impression que ma tête allait exploser et que je n'allais pas tenir encore longtemps. Mes yeux se fermèrent malgré moi.
La mort allait m'envelopper lorsque j'entendis un bruit sourd et que je me sentis tomber. Aurais-je pu trépasser dans le calme au moins? Sûrement pas. Quelqu'un m'avait redressé et l'oxygène rentrait à flots dans mon organisme.
Je me mis à tousser, surpris qu'autant d'air puisse entrer par ma bouche, et je regardai autour de moi. Mon sauveur m'aida à respirer en me redressant correctement.
- Watson? m'interloquai-je.
- C'est bien moi, affirma mon acolyte de toujours.
J'essayai de me relever, mais Watson me retint.
- Restez assis quelques instants, suggéra-t-il. Je dois admettre qu'ils ne vous ont pas manqué.
- Mais que faites-vous ici? N'êtes-vous pas censé être avec votre nouvelle épouse? À la campagne? voulus-je comprendre.
- C'est une longue histoire, soupira Watson. En fait, non. Elle est courte, mais je n'ai pas envie de la raconter.
- Eh bien, ça fait plaisir de vous revoir, lui assurai-je en me massant le cou.
Il me sourit, puis m'aida à me lever. Les trois hommes étaient étendus au sol ainsi que le colosse. Un tuyau pris dans les cargaisons les avait assommés.
Nous rentrâmes à nos appartements et nous allâmes directement au mien. Mon ami ne fut pas étonné de voir ma pièce aussi bordélique que d'habitude. Le chien alla se réfugier sous une chaise en me voyant.
- Qu'a-t-il encore subi, ce pauvre Gladstone? s'enquit Watson.
- Oh, rien de trop insupportable, le rassurai-je.
- Je me demandais si vous aviez transformé mon logement en salle de torture.
- Je n'y suis pas allé depuis que vous êtes parti, dis-je. Vous pouvez en reprendre possession.
- Merci.
- Mary, viendra-t-elle habiter avec vous? l'interrogeai-je.
- Comment vous êtes-vous retrouvé dans ce guet-apens? esquiva Watson.
Je l'observai avec un air fermé. Je me résignai cependant à répéter ma question.
- J'ai mis deux ou trois choses dans votre appartement, avouai-je. Elles méritent votre attention.
Je remarquai que je l'avais intrigué donc nous sortîmes de mon logis pour se rendre au sien, juste à côté. J'ouvris la porte et nous entrâmes. Je me faufilai jusqu'à l'ancien bureau de Watson. Celui-ci regardait la pièce avec découragement.
- Deux ou trois choses? répéta-t-il.
- Ça vient de me revenir à l'esprit que j'y en avais mis plus que cela en fin de compte, répliquai-je évasivement.
L'appartement ressemblait étrangement au mien désormais, si nous les comparions au niveau du désordre. Watson ouvrit la bouche en me pointant, mais il la referma lorsqu'il vit trois sacs mortuaires.
- Des corps ont été trouvés Watson, l'informai-je avec sérieux en observant ses réactions. Je suis presque sûr qu'ils ont été des cobayes.
- De quelle expérience auraient-ils été témoins? demanda le médecin en ouvrant un sac. Oh seigneur!
Il porta une main à son nez. Une odeur de putréfaction envahit la pièce. Watson ouvrit une fenêtre alors que j'ouvrais les autres sacs avec indifférence. Mon acolyte revint voir les victimes qui avaient toutes été égorgées.
- Des cobayes? s'étonna-t-il. Pourquoi donc? Il n'y a rien qui l'indique.
- Déduction Watson, déduction, répondis-je. Ils ont été tués puisqu'ils ne servaient plus. Sur leurs vêtements, j'ai trouvé des traces de substances hallucinogènes et ils sentent le somnifère à plein nez.
Watson leva un sourcil.
- Hypnose? suggéra-t-il.
- Exactement. La police m'a appelé pour que je leur rapporte le chef de la secte, commençai-je.
- Attendez! Qui a parlé de secte ici? me demanda mon ami.
- Je crois que c'est moi. Ces trois personnes, ici présentes, ont été assassinées par une organisation, sans aucun doute. L'homme la dirigeant veut contrôler la Terre entière grâce à sa technique d'hypnose, imaginez-vous donc! Un vrai fou…
Mon compagnon hocha de la tête et fixa l'un des corps. Nous gardâmes silence quelques instants, chacun de nous émettant sûrement des réflexions intérieures.
- Watson, l'interpellai-je doucement.
- Oui?
- J'adore les histoires, déclarai-je.
Il se redressa sans comprendre.
- Pardon?
- Courtes, longues, tristes, joyeuses, je les aime toute, continuai-je.
Je pris une chaise et m'y assis en le regardant. Watson comprit où je voulais en venir. Il me connaissait bien, je devais dire.
- Mary a reçu une lettre un jour avant le mariage disant qu'il y avait eu une erreur et que son précédant mari n'était pas mort à la guerre, expliqua Watson. Elle a encore des sentiments pour lui, je ne voulais pas être au milieu de cette histoire. Elle est partie le rejoindre.
- Vous m'en voyez désolé.
Il hocha de nouveau la tête.
- Donc, comme vous êtes de retour, commençai-je, je vous laisse ramasser votre ancien chez soi. Si vous trouvez quelque chose qui m'appartient, je viendrai le chercher demain!
Je sortis rapidement de la pièce et me précipitai à dans mon appartement alors que Watson criait mon nom.
