Of Faith and Hope and Love
.
Résumé : Perdre un serviteur une première fois peut être considéré comme de la malchance ; le perdre deux fois ressemble à de la négligence. Sur la piste de Merlin, disparu dans les mines de Kemeray, Arthur va découvrir des décennies de secrets et de trahison. Mais l'apparition soudaine d'un bébé dragon blanc est de bon augure pour Albion, pour Merlin et Arthur, et pour le pays qu'ils construiront ensemble.
NdT : Cette fic est donc de versaphile, que vous trouverez sur ao3 (works/779253/ chapters/ 1467164). Un grand merci à elle pour me permettre de traduire ses fics ! Elle est vraiment géniale, et si vous le pouvez, n'hésitez pas à jeter un coup d'oeil sur ses autres fics ;D
Cette fic commence à la fin de l'épisode 4 de la saison 7. Sur ao3, vous trouverez les lien vers deux illustrations faites pour la fic en anglais (suivez les liens sur la page du chapitre 1 de la version anglaise, si ça vous intéresse ^^)
Cette fic fait donc 5 chapitres et 30 000 mots au total. Elle est déjà totalement traduite, je n'ai plus qu'à relire, donc je devrais pouvoir tenir un délai d'un chapitre par semaine ^^
N'hésitez pas à laisser une review, je les traduis pour l'auteur !
Bonne lecture ;D
PS : Foi, Espoir et Amour (Faith, Hope and Love) sont trois qualités citées dans la Bible (dans les Corinthiens, juste après la citation de début du chapitre), qui précise que des trois, l'amour est la plus puissante.
Chapitre 1
.
« Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu. »
1 Corinthiens, 13:12
— Nous devrions nous séparer, dit Merlin en cherchant un signe de Gaius dans les tunnels sombres.
La peur qui grandit en lui depuis que Gaius a disparu le submerge presque à présent. Il sait qu'Agravaine a tout manigancé, que Gaius est à la merci de Morgana et que peu de pitié subsiste en elle. Il essaie de toutes ses forces de ne pas imaginer le pire, parce qu'il ne croit pas que son cœur pourrait le supporter.
— Ouais, acquiesce Gwaine.
Il tend la torche devant lui pour illuminer tous les tunnels devant eux. Aucune direction ne semble particulièrement attirante, mais le minerai de fer les a menés là – sans parler du garde mort qui confirme qu'ils approchent de quelque chose.
— Gwaine, si tu le trouves, ne m'attends pas, dit Merlin avant de s'engouffrer dans le tunnel sombre.
Il y a tout juste assez de lumière pour l'empêcher de se cogner dans les murs. Il sursaute en voyant la lueur vacillante et orangée d'une torche, devant lui, et il se cache. Un autre garde passe et s'arrête assez longtemps pour que Merlin craigne d'avoir été vu, mais il finit par partir. Merlin ne perd pas de temps et se dépêche d'avancer.
Il atteint une grande salle qui semble avoir été exploitée par des mineurs peu de temps auparavant et qui se termine en cul-de-sac. Il se retourne et il a à peine le temps de comprendre que Morgana lui barre le passage avant qu'elle ne le projette dans les airs. Le souffle coupé, il atterrit au sol. S'il était sous les traits de Dragoon, il aurait pu se défendre, la projeter dans la pièce et entendre son corps heurter la pierre irrégulière. Mais il n'est pas Dragoon, il est Merlin, et à moins de vouloir la tuer, il ne peut pas la laisser voir sa magie.
Il sait qu'il devrait la tuer. Morgana a causé tant de morts. Elle a un traître à la cour d'Arthur, et qui sait ce qu'elle complote ? Mais il ne peut pas plus la tuer qu'il ne peut tuer Uther ou Agravaine. Pour Arthur, il les laissera vivre, et le sang versé sera sur ses mains. Que sont quelques morts de plus, à ce stade ?
Il ne pourra jamais avouer la vérité sur lui à Arthur. Pas après que sa tentative folle de sauver Uther ait permis à Morgana d'achever sa vengeance. Si Arthur découvre un jour la vérité, Merlin le perdra. Il a guidé Arthur jusqu'à la couronne, au trône et à la royauté pour laquelle il était fait, mais ce n'est qu'une raison de plus de ne pas abandonner maintenant. Arthur doit toujours construire Albion, et Merlin doit être là pour lui. À n'importe quel prix.
— Tu es une vraie épine dans le pied, toi, dit Morgana en s'avançant lentement vers lui tandis qu'il lutte pour respirer. Quand apprendras-tu à rester en dehors de ce que tu ne peux pas comprendre ?
Un poignard apparaît dans sa main et pendant un instant Merlin pense ça y est, ça y est, mais au lieu de s'enfoncer dans sa gorge, il plane devant lui. Il recule en rampant pour lui échapper et le poignard le pourchasse. Sous la faible lumière, sa pointe est tranchante et menaçante. Il heurte le mur et se fige tandis que le poignard attend patiemment l'ordre de frapper.
— C'est difficile, n'est-ce pas ? J'ai tant de façons douloureuses et différentes de me débarrasser enfin de toi.
— Peu importe ce que vous me faites, crache Merlin avec colère. Je veux savoir ce que vous avez fait à Gaius.
— Gaius a des informations utiles. Sur le sorcier Emrys.
Morgana sourit d'un air suffisant. Pendant un instant, Merlin peut voir le fantôme de la femme qu'elle était.
— S'il coopère, ses souffrances s'arrêteront. Sinon…
— Si vous l'avez blessé, l'avertit Merlin.
Il a un besoin ardent d'effacer ce sourire narquois, de la faire voler dans les airs et de voir le choc et l'horreur envahir son regard en même temps que la vérité la frapperait. Quoi qu'elle ait pu faire à Gaius, il veut qu'elle souffre deux fois, trois fois plus.
Morgana continue de jubiler et de se délecter des regards noirs de Merlin.
— Pourquoi discutons-nous de son destin quand il est temps de décider du tien ? Même si tu vas de toute façon finir par mourir seul dans ce trou perdu.
Un homme entre et Merlin comprend que c'est lui qui est passé devant lui dans les tunnels. Il tient une sorte de bâton. Merlin réalise avec un sursaut qu'il doit être un druide. Les druides… se sont-ils retournés contre lui ? Ils semblaient croire avec ferveur qu'il est leur Emrys. Il ne sait pas vraiment ce que cela signifie, pourtant, et il n'a rien fait pour embrasser cette destinée. Il n'est pas pris de court, puisqu'une moitié de lui est convaincue que les druides se trompent, mais son cœur sombre. Ils ont enfin compris, tous seuls, qu'il n'est le sauveur de personne.
C'était tout de même agréable tant que ça a duré. C'était agréable que quelqu'un sache qui il est, même s'ils pensaient qu'il était quelqu'un d'autre. Quelqu'un de mieux. Il est certain que Morgana leur a fait des promesses merveilleuses qu'elle n'a pas l'intention de réaliser. Même si leur Emrys les a déçus, les druides ne méritent pas de s'enrouler eux-mêmes une vipère autour du cou.
— La question est de savoir comment tu vas mourir, continue Morgana qui est en train de décider de la meilleure façon d'arracher la chair des os de Merlin. Ou, plus précisément, avec quelle intensité de douleur ?
Elle fait un signe de tête au druide.
— Alator. Voici Merlin.
Alator fixe son regard sur Merlin. Merlin réalise, surpris, que la seule raison d'enlever Gaius était de découvrir ce qu'il savait sur Emrys, et que Morgana travaille avec les druides, mais que ceux-ci… ne l'ont pas trahi ? Ce n'est pas une très grande consolation quand un poignard plane à quelques centimètres de son visage, mais peut-être y a-t-il encore de l'espoir. Peut-être peut-il implorer Alator et lui promettre de faire mieux à l'avenir, d'essayer plus fort de les aider s'ils l'assistent dans le sauvetage de Gaius.
— Ce n'est qu'un serviteur, continue Morgana, mais c'est le serviteur le plus pénible que j'ai jamais rencontré. Je suppose que votre temps avec Gaius a porté ses fruits ?
— Gaius m'a tout dit, dit Alator.
Merlin se prépare pour ce qui va suivre. Une fois que son secret sera éventé, il devra se battre, peut-être même tuer. Il ne le veut pas, mais il n'a pas le choix. Si Morgana découvre la vérité et parvient à s'enfuir, elle l'utilisera contre lui et il ne pourra plus veiller sur Arthur. Morgana aura alors gagné. Il est hors de question que Merlin le permette.
— Alors tu sais qui est Emrys ?
— En effet, dit Alator d'un ton solennel.
Il s'avance vers Merlin et s'accroupit. Merlin lui lance un regard empli de toute la colère qu'il ressent. S'il n'était pas assez bon pour eux, ils auraient pu se contenter de le laisser tranquille. Ils auraient pu le laisser dans les ombres, à protéger Arthur comme toujours. Ç'aurait pu suffire. De toute façon, c'est Arthur qui a une véritable destinée ; Merlin le sait à présent. Il n'est là que pour protéger Arthur sur son chemin.
— Non seulement je sais qui est Emrys, continue Alator en regardant Merlin droit dans les yeux, mais je sais exactement où il est.
— Alors dis-moi, dit Morgana.
Merlin déteste Emrys, il déteste l'homme qu'il ne sera jamais, et parce qu'il n'est pas suffisant Emrys va détruire tout ce qu'aime Merlin.
Alator se tourne vers Morgana et dit,
— Jamais.
Merlin est tellement ébahi et soulagé qu'il a à peine de temps de réagir avant qu'Alator ne pointe son bâton sur Morgana et la projette sur la roche avec un bruit douloureux. Son poignard tombe au sol et Merlin se remet sur ses pieds, sous le choc.
— Merlin, je suis Alator du Catha. Je suis honoré de pouvoir t'aider.
Catha ? se demande Merlin. Il n'est pas un druide, alors, ou bien un druide différent de ceux que connaît Merlin.
— Vous avez de la magie, l'accuse-t-il en essayant de comprendre ce qui s'est passé.
— Je comprends le fardeau que tu portes, explique Alator. Je l'ai supporté toute ma vie. J'ai été rejeté, persécuté, et parfois même chassé, dans chaque coin des cinq royaumes. Je te comprends. Tu n'es pas seul. De ce que Gaius m'a dit, je n'ai pas tes grands pouvoirs, Merlin, mais je partage tes espoirs. Car moi et mes semblables avons rêvé du monde que tu cherches à construire. Et nous donnerons nos vies avec joie pour t'aider.
Alator s'agenouille. Pour une fois, Merlin n'a pas l'impression d'être pris de haut pour son ignorance ou loué parce qu'une prophétie dit qu'il le mérite. Il a l'impression que quelqu'un le comprend, sait ce qu'il essaie de faire et souhaite vraiment l'aider. C'est si inattendu que Merlin n'a aucune idée de comment réagir, mais une vague de gratitude manque de le submerger.
Peut-être qu'il n'a pas à faire ça tout seul.
— Merci, dit-il enfin d'une voix étranglée par l'émotion. Je vous en prie, levez-vous, je ne… vous n'avez pas à faire ça.
Il prend une inspiration tremblante. La tête lui tourne ; sa vie a failli s'écrouler avant de redevenir stable en si peu de temps.
— Gaius, dit-il.
L'alarme a recommencé à résonner en lui maintenant qu'il réalise que même si Alator vient de décider de s'allier à Emrys, il a dû faire quelque chose d'horrible à Gaius pour lui faire avouer l'identité d'Emrys.
— Il est… dit Alator avant de se figer.
— Alator ? dit Merlin.
Il se recule vivement lorsqu'Alator s'effondre à terre, le poignard de Morgana enfoncé dans le dos. Morgana sourit largement en abaissant la main. Elle rit et rit encore en chancelant sur ses pieds.
— Nous nous rencontrons à nouveau, Emrys, ronronne Morgana.
Le nier serait inutile. Merlin se rue sur le bâton d'Alator et vise Morgana tout en se rappelant des mots d'Alator quand il l'avait utilisé. Mais Morgana s'y attend, cette fois, et elle évite l'éclair. Avant que Merlin ne puisse frapper à nouveau, elle l'envoie s'écraser contre le mur derrière lui. La douleur est aiguë et perçante.
Il doit l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Il doit sauver Gaius, sauver Gwaine, sauver Arthur. Il doit se relever, mais le monde se rétrécit, se rétrécit et il ne peut plus respirer. La dernière chose qu'il voit est le visage souriant de Morgana et sa main qui se tend vers lui, les doigts crispés comme des griffes.
— Il semble que j'ai mal jugé Gaius, dit Agravaine avec ce qui devrait sonner comme un regret sincère. Merlin avait raison depuis le début.
Ça ne sonne pas comme très sincère aux oreilles d'Arthur.
— Nous sommes chanceux de l'avoir retrouvé, dit-il laconiquement.
— En effet, acquiesce facilement Agravaine. Sans la ténacité de votre garçon, Gaius serait mort. Nous devons tous deux nous excuser devant Gaius et Merlin, mon seigneur.
La touche de son intonation est presque subtile, destinée à ce qu'Arthur oublie que c'est Agravaine qui est venu le trouver avec ses suspicions. Que c'est Agravaine qui a insisté pour interroger Gaius. Que c'est Agravaine qui a fouillé les appartements du médecin et qui a trouvé le livre compromettant, qui semble être une bien piètre preuve de trahison au vu de la condition de Gaius. Arthur n'a pas oublié la dernière fois que Gaius a été accusé de sorcellerie, et la découverte qu'Aredian avait falsifié les preuves pour justifier son accusation.
Même si c'est son oncle maternel, Arthur pourrait parfois jurer qu'Agravaine parle avec la voix de son père. Ses avertissements constants sur la trahison et la sorcellerie sortent de lui comme s'ils sortaient de la tombe, comme si son père le hantait par la bouche d'Agravaine.
Si Gaius n'avait pas disparu, Arthur aurait mis fin à la chasse aux sorcières d'Agravaine. Il sait que Gaius ne le trahirait jamais. Il le savait. Mais c'était si facile à oublier quand il était blessé par l'abandon de Gaius. Merlin était en larmes quand Gaius était parti sans laisser un mot, et c'était en grande partie ce qui a motivé la colère d'Arthur. Il était furieux que Gaius ait abandonné Merlin sans un mot, furieux que Gaius les ai trahi tous les deux sans même en donner la raison.
L'explication était simple depuis le début. Gaius est innocent. Et parmi tous ceux qui connaissaient le traité et la route secrète qu'ils comptaient emprunter à travers la Vallée des Rois Déchus – Arthur, Gaius et Agravaine – il n'y a plus qu'un seul traître.
Arthur lance un dernier regard à Gaius, encore inconscient, tandis que Guinevere lui essuie doucement le front, et il sort de la pièce. Il a besoin d'être seul avec ses pensées. Il doit décider de la marche à suivre.
— Merlin ! appelle-t-il.
Sa voix résonne dans le couloir. Gwaine lui a dit que Merlin était juste derrière eux quand ils sont revenus. Arthur s'attendait à ce qu'il erre près de Gaius avec Guinevere, et pourtant il ne le voit pas.
— Merlin ! appelle-t-il.
Il se demande pourquoi, même maintenant qu'il est roi, il doit constamment courir après son propre serviteur.
— Ah, Gwaine, bien, dit Arthur en le rattrapant dans les escaliers. Avez-vous vu Merlin ?
— Je pensais qu'il était avec vous, dit Gwaine, les sourcils froncés. Il devrait déjà être rentré.
— Peut-être est-il encore à la taverne, dit Arthur en sentant un début de migraine l'envahir.
Ces derniers temps, Merlin semble toujours être là-bas, surtout quand Arthur a le plus besoin de lui.
— La taverne ? demande Gwaine comme s'il était dérouté qu'Arthur imagine que ça puisse être possible.
— Oui, la taverne, dit Arthur avec impatience.
Il mime une chope de bière qu'il descend à grandes gorgées.
Gwaine le regarde comme s'il avait perdu l'esprit, et Arthur a l'impression que ce n'est pas impossible. Ensuite, Gwaine secoue la tête.
— Je n'aime pas ça. Je retourne à Kemeray.
Il se détourne et se dirige vers les escaliers, mais Arthur lui pose une main sur le bras pour l'arrêter.
— Attendez. C'est trop tard pour y aller à cheval ce soir. Si Merlin a été retardé, il aura certainement le bon sens de s'arrêter plutôt que de risquer de voyager de nuit.
— C'est la pleine lune, souligne Gwaine. Et Merlin n'a eu aucun problème pour chevaucher de nuit pour sauver Gaius.
— Et vous êtes chanceux, tous les deux, de ne pas vous être brisé la nuque, dit Arthur. Écoutez, sauver Gaius était une urgence. Merlin va sûrement bien.
— Nous n'en savons rien, dit Gwaine, les sourcils froncés.
Arthur voit les cernes sombres sous ses yeux, les légers frissonnements d'épuisement.
— Il est sûrement aussi fatigué que vous et a le bon sens de dormir. Ni lui ni vous n'avez dormi depuis deux jours, lui rappelle Arthur. Vous avez chevauché pendant des heures. Vous ne serez d'aucune aide à Merlin si vous dormez debout. Reposez-vous et nous partirons demain à l'aube.
— Mère poule, grommelle Gwaine.
Il lève les mains.
— D'accord, d'accord. Dès l'aube et pas une minute plus tard. Et ne pensez même pas à partir sans moi.
Arthur le regarde trébucher jusqu'à ses appartements. Il se dit qu'il n'y a aucune raison pour que la crainte ne lui serre le ventre. Aucune raison.
Merlin est réveillé en sursaut par de l'eau froide et une douleur dans les bras. Pendant un instant, il pense rêver – juste un autre cauchemar de la cabane de Morgana, avec le Fomorroh qui siffle et se tortille et se rapproche encore et encore pour s'enfouir en lui et…
Mais non. Non, c'est pire qu'un cauchemar.
— Bonjour, Emrys, sourit Morgana.
Elle se délecte de prononcer ce nom.
Merlin essaye de répondre mais réalise qu'il a été bâillonné, sans doute pour l'empêcher de lancer des sorts. Morgana ne sait pas que Merlin n'a pas besoin de parler pour utiliser sa magie, mais il décide de jouer le jeu, pour le moment. Il a appris qu'il vaut mieux examiner la situation avant d'agir.
Au moins, il n'a plus à s'inquiéter du Fomorroh.
— Ainsi, tu es ma perte, dit-elle.
Elle éclate d'un rire au tintement de folie qui s'achève en un grognement vicieux. Merlin n'a que le temps de voir ses yeux luire avant que la douleur ne fasse disparaître le monde qui l'entoure. Quand il revient à lui, il est mou et tremblant. Sa poitrine se soulève en quête d'air et Morgana est presque alanguie de plaisir.
— Quand je pense que tout ce temps, dit-elle en laissant s'écouler les mots sur sa langue, tu étais juste devant mon nez. Le tout-puissant Emrys, un serviteur pleurnichard.
Merlin lui lance un regard noir. Il aurait aimé pouvoir parler.
Morgana tourne lentement autour de lui en faisant courir un ongle sur son corps.
— Alator dit que tu as de grands pouvoirs. J'aurais dû savoir que tu cachais quelque chose. Autrement, comment aurais-tu pu m'arrêter ?
Quand elle se retrouve à nouveau devant lui, elle se fige et lui attrape le menton.
— Quel bon petit menteur tu fais. Je me demande ce qu'en penserait Arthur. Voudrais-tu que je lui raconte tous tes hauts faits ? Crois-tu qu'il serait fier de savoir ce que tu as fait avec ta magie ?
Merlin essaie de se libérer de sa prise, mais elle ne fait que la resserrer. Ses ongles s'enfoncent douloureusement dans sa peau.
— Tout ce temps, dit-elle avec émerveillement. Et Arthur n'en a pas la moindre idée.
Merlin en a assez. Il doit terminer ça maintenant. Il doit tuer Morgana et rentrer à Camelot. Il regarde derrière Morgana et observe la pièce, pour essayer d'y trouver quelque chose d'utile. Le taudis n'a pas changé depuis la dernière fois qu'il s'y est trouvé, minable et rempli de pots et de jarres mal rangés. Il ne voit aucune arme, mais Morgana n'en aurait pas besoin. Il pouvait faire voler le lourd pot de fer dans la pièce et… son estomac se serre à cette pensée. Il ne peut pas s'y résoudre. Il ne peut pas la tuer. Pas tant qu'il pouvait encore voir en elle l'amie qu'elle avait été.
Que vous est-il arrivé, Morgana ? pense-t-il avec désespoir. Vous aviez un si bon cœur.
Mais Merlin sait ce qu'il lui arrivé. Il est arrivé. Il l'a regardé dans les yeux en lui donnant du poison, et l'a tenue dans les bras tandis qu'elle se mourait. Et même si Morgause lui a sauvé la vie, l'ancienne Morgana n'allait peut-être jamais revenir. Mais Merlin ne peut pas être responsable d'avoir détruit ce qui restait d'elle. Il a toujours de l'espoir ; il croit toujours qu'il reste quelque chose en elle à sauver.
Il n'a qu'à l'assommer assez longtemps pour pouvoir se libérer. Il ne sait pas ce qui est le plus prometteur : l'idée d'essayer de convaincre Morgana de garder son secret ou celle de dire la vérité à Arthur – qu'il est le sorcier qui a tué son père. Qui a empoisonné sa sœur et libéré le Grand Dragon. Si Morgana ne le tue pas, Arthur le fera sûrement.
Parfois, Merlin aurait aimé n'avoir jamais rencontré les Pendragon. Sa vie aurait été beaucoup plus simple.
— As-tu fait de lui ta marionnette ? roucoule Morgana.
Ses yeux brillent dans la pénombre.
— Depuis combien de temps lui murmures-tu tes volontés à l'oreille ?
Une pile de vêtements pliés est posée sur une des étagères. Merlin la soulève avec sa magie et elle s'envole vers Morgana. Les vêtements la bâillonnent et lui couvrent la tête. Elle trébuche, sous le choc, et essaie de tirer sur les vêtements, mais la magie de Merlin tient bon et elle ne peut pas prononcer de sort pour contre-attaquer. Merlin tourne son attention vers ses liens et la magie ouvre le nœud de son bâillon. Il repousse le tissu avec la langue et regarda les liens sur son poignet.
— Fæstnunga onlucan me ! ordonne-t-il.
Sa magie déferle mais les liens ne se défont pas.
— Min strengest miht hate þe tospringan !
Une douleur familière éclate dans ses poignets et descend jusqu'à ses bras. Il jure dans sa barbe, sous le choc. Elle a dû utiliser le même sort que Morgause lorsqu'elle l'a attaché et laissé dans la forêt, à la merci des Serkets.
— Hierste þæt íecen sóna ! crie Morgana.
Elle a dû se libérer quand qu'il ne la regardait pas – et Merlin hurle d'agonie tandis que la douleur s'intensifie.
— Je ne sais pas comment tu as fait ça, dit-elle en reprenant son souffle, mais je vais devoir raccourcir ta laisse à partir de maintenant.
Elle pose la main sur le front de Merlin et commence à parler. Il a l'impression d'être repoussé encore et encore, dans les ténèbres. Au moins, il n'y a pas de douleur là-bas.
Il se laisse sombrer.
— Vous devrez arrêter d'en faire une habitude, dit Guinevere.
Elle est inquiète et adorable dans la pâle lueur du matin, avec ses mains qui se tordent et son front plissé.
— Va dire ça à Merlin, dit Arthur.
Il saute sur son cheval. Gwaine est déjà sur le sien. Il semble fatigué mais il a dû réussir à dormir un peu. Gwaine est inquiet, Guinevere est inquiète, tout le monde est inquiet. Même Gaius est inquiet, ou du moins c'est ce que Guinevere lui a dit ; il s'est enfin réveillé mais il est encore faible. Arthur lui parlera quand il sera de retour, avec, de préférence, Merlin en travers de son cheval.
Si Merlin a décidé de passer la journée à cueillir des baies, Arthur va le traîner à Camelot, lui hurler dessus et le mettre au pilori pendant des jours. Ou bien lui hurler dessus, et le traîner ensuite à Camelot. Ou…
— Vous pourriez envoyer une patrouille. Vous n'avez pas à y aller vous-même, dit Guinevere.
Sa protestation est faible. Elle sait déjà ce qu'il va lui répondre.
Il lui répond quand même.
— Si. Merlin est sous ma responsabilité. C'est ma faute s'il est parti.
Et il ne fait pas confiance aux patrouilles. Elles ont cherché pendant un jour entier et n'ont pas trouvé Merlin la dernière fois qu'il a disparu, et il n'a fallu à Arthur que deux heures. C'est Arthur le plus expérimenté quand il est question de sauver Merlin. C'est logique qu'il y aille.
— Vous ne pouviez pas savoir, dit Guinevere en lui offrant le pardon.
— J'aurais dû, dit Arthur.
Il s'est réveillé encore plus furieux contre lui-même qu'il ne l'était la veille au soir. Voir le visage poli et servile de George n'a fait qu'empirer les choses.
Arthur est censé être roi. Il s'y est préparé tout sa vie, et maintenant que le temps est venu, maintenant qu'il siège sur le trône, il est complètement perdu. Morgana essaie toujours de le tuer, il a un traître à sa cour et il ne sait plus à qui faire confiance ou qui écouter, pas plus qu'il ne sait ce qu'il doit faire. Si Merlin était là, Arthur pourrait râler contre lui et lui parler jusqu'à ce que les choses commencent à faire sens. Mais sans lui…
L'absence de Merlin le ronge plus douloureusement que la famine.
Merlin n'aurait pas dû se tourner vers Gwaine pour l'aider. Il aurait dû venir voir Arthur. Ça s'est toujours passé ainsi entre eux, et l'arrivée de Gwaine n'a rien changé. Il semble qu'Arthur a enfin trouvé ce qui rend Merlin respectueux envers lui, ce qui lui fait garder ses distances comme les autres, et c'est sa couronne. Il n'aurait jamais pensé qu'être roi le ferait se sentir seul.
— Ne t'en fais pas, ma chérie, la rassure Gwaine. Je ramènerai cette altesse saine et sauve.
— Merci, messire Gwaine, dit Guinevere avec une petite révérence et un sourire. Je suis sûre que Merlin va bien.
— Ouais, dit Gwaine.
Il ne semble pas y croire, lui non plus.
Ils se mettent en route.
Quand ils arrivent à Kemeray, il est midi. La seule pensée dans l'esprit d'Arthur est la familiarité de voyager avec Gwaine à la poursuite de son serviteur imprévisible. En dépit des bavardages constants de Gwaine, l'air frais est exactement ce dont Arthur a besoin – bien que ce soit plutôt la possibilité d'échapper au château et aux tâches déplaisantes qui attendent son retour.
Même si Arthur est heureux d'avoir une excuse pour s'échapper, il échangerait son meilleur cheval contre la possibilité que Merlin sorte des bois en trébuchant, encore, sale et souriant. Il a espéré qu'ils rencontreraient Merlin à mi-chemin et découvriraient qu'il n'avait été que retardé, peut-être perdu dans le réseau de tunnels de la mine de fer. Arthur y est déjà allé plusieurs fois – la première fois alors qu'il n'était qu'un enfant – et sa première impression, celle d'un labyrinthe géant, ne l'a jamais quitté. Il peut facilement imaginer Merlin se perdre et passer des heures à retrouver la sortie, puis y passer la nuit parce qu'il fait trop sombre pour chevaucher.
Merlin va sûrement bien. Agravaine a dit que les ravisseurs étaient déjà partis quand ils étaient arrivés, tous les trois. Ce n'est pas comme la dernière dois, où Merlin avait été gravement blessé et qu'Arthur avait été forcé de l'abandonner entouré de mercenaires vicieux. Rien ne le force à presser le pas de son cheval.
Mais Agravaine peut avoir menti.
Ils atteignent la grotte et le cheval de Merlin n'est pas là. Arthur se souvient du rapport concernant le cheval disparu avec lequel Gaius était censé avoir fui. Il ne tombera pas deux fois dans le même piège. Ils allument leurs torches et entrent dans les grottes en suivant le chemin que Gwaine a vu prendre Merlin. Même à la lueur vacillante de leurs torches, Arthur peut voir les empreintes sur le sol sablonneux. Celles de Merlin s'enfoncent dans le tunnel sans en ressortir.
Ce n'est peut-être rien. La mine est un dédale et de nombreux chemins se croisent. Merlin est probablement sorti par un tunnel différent. Mais ils continuent tout de même à le suivre.
La lumière de leurs torches capture la forme d'un corps devant eux, et un pic de peur glacée vole le souffle d'Arthur. C'est une course entre lui et Gwaine pour y arriver le premier, mais ils réalisent avant de l'atteindre que le corps est bien trop large pour être celui de Merlin. Ils ralentissent et se rapprochent, prudents.
Ils ôtent le poignard de son dos et le retournent. C'est un homme à l'air sévère, chauve et tatoué. Il porte une robe et, même mort, il semble encore cérémonial. Son corps est froid.
— Tu le reconnais ? demande Arthur.
Gwaine secoue la tête.
— Il semble qu'il y ait eu un combat.
Il examine la pièce avec sa torche, imité par Arthur. La seule sortie est le tunnel d'où ils viennent, et les empreintes de pas leur racontent l'histoire d'un lutte entre trois personnes : Merlin, l'homme mort et… une femme.
— Merlin est entré en premier, dit Arthur en examinant le sol. Puis les deux autres sont arrivés. Merlin s'est replié là, et puis…
Il fronce les sourcils.
— Ce n'est pas Merlin qui l'a tué, réalise Gwaine. C'est l'autre.
Il rapproche le poignard de la lumière, puis le lance à Arthur pour qu'il l'examine. Ni lui ni Gwaine ne le reconnaît ; c'est juste un simple poignard. Il doit avoir été lancé avec force et précision pour tuer un homme si grand. Un lanceur de couteau aurait besoin de beaucoup de talent pour y parvenir, mais il serait plus facile d'utiliser la magie.
Les pas de Merlin continuent après le corps, et pendant un instant, Arthur a l'espoir que Merlin a peut-être trouvé une autre sortie. Mais les empreintes s'arrêtent brusquement, comme s'il avait été projeté dans les airs. Encore de la magie. Arthur ne peut plus nier l'évidence.
— Morgana, murmure-t-il.
Gwaine jure.
— Elle l'a pris, n'est-ce pas ? Je savais que j'aurais dû revenir pour lui.
— Pourquoi ne l'as-tu pas fait ? demande Arthur.
C'est étrange que Gwaine ait laissé derrière Merlin.
Gwaine hésite. Son expression est tour à tour honteuse et furieuse.
— Je savais qu'il mijotait quelque chose. Je le savais. Vérifier qu'il respirait, mon cul.
Il se frotte le visage et se tourne vers Arthur. Quand il reprend la parole, sa voix est pleine de regrets.
— Quand j'ai trouvé Agravaine avec Gaius, il avait un poignard sur sa gorge. Il a affirmé qu'il essayait d'aider, qu'il nous avait vu partir et nous avait suivis. Il a insisté pour que nous laissions Merlin derrière nous. Je n'aurais pas dû l'écouter, mais Gaius…
— Je sais, dit Arthur.
Il semble que leur sauvetage n'ait été qu'un échange de prisonnier. Si Gaius est une source d'informations tactiques sur Camelot, Merlin l'est deux fois plus, vu comment Arthur se plaint et se lamente devant lui chaque jour. Merlin ne parlerait jamais volontairement, mais de la magie est impliquée et Arthur craint qu'il n'ait pas le choix. Et c'est un problème moindre en comparaison de ce que Morgana pourrait lui faire en sachant la douleur que ça causerait à Arthur.
Les seules empreintes qui ressortent sont celles de Morgana, profondes dans le sol sablonneux à cause du poids de Merlin qu'elle portait. La piste prend le premier embranchement et après plusieurs tournants ils se retrouvent dans une autre grande salle.
— C'est là que je les ai trouvés, dit Gwaine. Elle a dû venir voir s'il avait terminé le travail.
Arthur hoche la tête. Il ne se fait pas assez confiance pour parler. Ils suivent les empreintes lourdes de Morgana jusqu'à la sortie, par où ils sont entrés. C'est évident que Morgana s'est enfuie à cheval en emportant Merlin, mais la piste se refroidit.
Ils chevauchent aussi vite qu'ils le peuvent, en parlant à peine sur le chemin du retour. Ils sont tous les deux accablés par la peur et leurs découvertes.
Quand ils atteignent Camelot, Arthur envoie immédiatement des patrouilles fouiller la forêt. Encore une fois, il est frappé par la familiarité de cet acte. Il se sent enfermé dans une sorte de cauchemar récurrent – perdre Merlin, le retrouver, puis le perdre à nouveau. Si Agravaine les a trahi dans la Vallée des Rois Déchus, il est probable que les mercenaires qui avaient emmené Merlin étaient des hommes de Morgana. Mais ça ne soulève que plus de questions, et toutes ne sont pas liées à Agravaine. Si Merlin a vu Morgana, pourquoi n'a-t-il rien dit ? Et plus important, comment a-t-il bien pu s'échapper.
Et s'il ne s'était pas échappé ? Et si… Non. Impossible. C'est absolument impossible que Merlin l'ait trahi. Mais Arthur n'arrive plus à faire confiance à son instinct. Il ne pensait pas que son oncle pouvait le trahir, et il a cru, même si ce n'était que brièvement, que Gaius l'a fait.
Et pourtant Merlin s'est conduit étrangement quand il est revenu. Il a passé deux jours entiers à la taverne ! Merlin a toujours été un peu bizarre, alors Arthur n'en a pas tiré de conclusions autre que c'était là la manière de Merlin de se remettre de ce qu'il s'était passé. Mais qu'est-ce qui s'était vraiment passé… ? Arthur était tellement soulagé de le retrouver qu'il n'a pas demandé de détails à Merlin. Il s'est contenté de son haussement d'épaules et de son 'je me suis échappé'. Il supposait que sa blessure n'avait pas été si grave, et que s'il avait tort, Gaius le lui aurait dit.
Ce qui le ramène à Gaius. Mais Gaius n'est pas le traître, il ne peut pas l'être. Même pour écarter les soupçons, se faire enlever et torturer presque à mort est démesuré. Et Merlin n'a pas non plus été kidnappé volontairement, les autres fois. Une allégresse presque frénétique s'empare d'Arthur à l'idée qu'ils sont tous les trois des traîtres, que toute sa cour est faite de traîtres, et qu'il doit frapper fort. Cette pente mène à la folie.
C'est le soir lorsqu'il se dirige enfin vers la tour du médecin. Gaius est assis près du feu, une couverture sur les jambes et un livre posé sur les genoux bien qu'il ne semble pas le lire. Arthur frappe contre la porte ouverte et Gaius, perdu dans ses pensées, sursaute.
— Oh, sire ! Entrez donc.
— Quelqu'un ne devrait-il pas être avec vous ? demande Arthur en regardant autour de lui.
— J'ai dit à Guinevere de rentrer dormir chez elle, dit Gaius.
Il ferme le livre et le met de côté. Sa main tremble et il la remet sous la couverture, sur ses genoux.
— Allez-vous bien ? demande Arthur.
Il tire une chaise et s'y assoit, une main posée sur le bras de Gaius. Gaius est toujours pâle et patraque. S'inquiéter pour Merlin ne doit pas aider.
Gaius hoche la tête.
— Y a-t-il des nouvelles ?
— Non, admet Arthur. Ils continueront de chercher. Nous le trouverons.
Gaius hoche à nouveau la tête. Il semble si inquiet que c'est la seule preuve dont a besoin Arthur. Immédiatement, il sait que c'est impossible que Gaius le trahisse. Une telle peur ne peut être feinte.
— J'ai commis une erreur, s'excuse Arthur.
Gaius cille et parvient à lui offrir un sourire triste.
— Je veille sur vous depuis que vous êtes un nourrisson, Arthur. Vous auriez dû savoir que je vous aime bien trop pour vous trahir.
Arthur baisse la tête, honteux. Seul Gaius peut donner l'impression à un roi qu'il n'est qu'un enfant. Fut un temps, Arthur passait la plus grande partie de son temps à jouer dans les quartiers de Gaius, fasciné par les couleurs, les odeurs et les textures étranges de l'art de guérisseur. C'était la brève idylle de l'enfance avant que ses devoirs ne le rattrapent et qu'il s'éloigne de lui. Mais Gaius l'aime toujours. Arthur l'a déçu en l'oubliant.
— Que voulait Morgana ? demande doucement Arthur.
— Des informations, dit Gaius. Sur vous, sur Camelot. Pour l'aider à détruire le royaume.
L'imprécision de ses réponses ennuie Arthur, mais Gaius est toujours comme ça. Il n'a jamais rencontré d'homme aussi prudent avec ses mots.
— Les a-t-elle obtenues ?
Gaius secoue la tête.
— Morgana n'a rien appris de moi.
— Merci, dit Arthur.
Il le pense. C'est clair que Gaius a tenu presque jusqu'à la fin.
— Mais une question me tourmente encore. Quand on vous a interrogé sur le sorcier qui a tué mon père… vous avez menti.
— En effet, sire.
Arthur essaie de dissimuler sa surprise.
— Vous l'admettez ?
— J'ai choisi de le protéger, explique Gaius. Je craignais que vous ne le débusquiez et l'exécutiez. C'eût été une erreur grave. Le sorcier n'a pas tué votre père. Uther était mourant. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour le sauver.
Arthur le regarde, avec un air de doute. Il l'a vu de ses propres yeux. Dragoon a utilisé sa magie, et l'instant d'après, son père était mort. Arthur ne pouvait voir aucune autre manière d'interpréter ce qui s'est passé.
— Sire, dit Gaius.
Une lueur dans son regard force Arthur à l'écouter attentivement.
— Dans ce grand royaume existe une variété immense de personnes aux diverses croyances. Je ne suis pas le seul à vouloir vous protéger. Beaucoup d'autres croient au monde que vous essayez de créer. Un jour vous le découvrirez, Arthur. Un jour, vous comprendrez tout ce qu'ils ont fait pour vous.
Arthur fixe Gaius en essayant d'assimiler ses mots. Il est clair que Gaius essaie de lui dire quelque chose d'important, quelque chose dont il ne peut pas parler. Peut-être que d'une certaine façon, Agravaine a raison. Gaius fréquente des sorciers comme Dragoon. Mais peut-il être vrai qu'ils sont des alliés et non des ennemis ?
Des sorciers qui aident Camelot ? Cela semble incroyablement improbable. Après des décennies de morts et de persécutions, comment pourrait-il rester la moindre once de bien dans ceux qui pratiquent la magie ? Arthur n'a jamais connu que l'amertume des sorciers, leur désir de vengeance et de causer une souffrance égale à la leur. Les druides font exceptions, silencieux et dissimulés à la lisière du royaume, vivant dans la peur des raids réguliers ordonnés par son père. Quelles que soient leurs souffrances, les druides n'ont jamais répliqué. Arthur a arrêté ces raids, sans faire de bruit, une fois roi.
Mais Dragoon n'est pas un druide. Et quand Arthur lui a demandé son aide, tout ce qu'il voulait était de pouvoir vivre en paix. D'être accepté et non plus chassé. Pourquoi aurait-il recherché un but aussi noble, pour le détruire en tuant un homme déjà mourant ?
— J'espère que vous avez raison, finit par dire Arthur. Cette journée a été très longue. Reposez-vous. Dès que j'aurais des nouvelles de Merlin, je vous les communiquerai.
— Merci, sire, dit Gaius.
Arthur lui souhaite bonne nuit.
Arthur ne parvient pas à se reposer. Son esprit tourne en rond toute la nuit en pensant à Agravaine et à Gaius, à son père et à Dragoon et surtout à Merlin. Il pense sans cesse à des choses qu'il voudrait dire à Merlin et ouvre la bouche pour l'appeler. Et il s'arrête, parce que Merlin n'est pas là.
Chaque fois qu'il finit par sombrer, il pense à Merlin et se réveille en sursaut. Il est hanté par son absence, par son fantôme : par son impatience affectueuse quand Arthur est lent à se lever ; par le toucher habile de ses mains lorsqu'il habille Arthur pour son entraînement ; par son profil – son sourire timide, son visage à moitié tourné, ses cils sombres qui lui ombragent la joue.
Son sommeil est harcelé par des rêves de trahison, de Morgana et d'Agravaine, et de son père qui l'attaque avec des couteaux, et de Merlin qui se jette devant lui pour lui servir de bouclier. Il rêve de Merlin qui meurt dans ses bras, se vidant de son sang, murmurant ses derniers mots. Arthur ne peut pas les entendre et il se penche de plus en plus près, en suppliant Merlin de tenir encore un peu plus longtemps, de le dire une dernière fois pour que Arthur puisse l'entendre. Qu'il entendra cette fois, il le promet, s'il te plaît.
Il se réveille à la pointe de l'aube. Il a froid ; il a rejeté ses couvertures pendant la nuit. Il s'habille rapidement et sort de sa chambre, déterminé à ce qu'ils trouvent Merlin aujourd'hui, que ce soit le jour où ils le ramèneront à la maison.
Lorsque le soir tombe, il n'y a toujours aucune nouvelles. Arthur se sent las et accablé. Il se frotte les yeux et écarte les papiers devant lui. Les devoirs d'un roi sont sans fin, d'autant plus qu'il n'a pas Merlin pour faire les préparatifs, écrire ses discours, et, en fait, travailler plus qu'Arthur n'aime l'admettre. Comment trouve-t-il le temps de tout faire ? Merlin semble effectuer le travail de trois hommes : un serviteur, un apprenti et un roi.
— J'ai bien peur qu'il soit temps d'abandonner, dit Agravaine.
Il parle comme si ça le blessait de suggérer une telle chose, mais Arthur peut facilement voir sa fausseté à présent. Agravaine ne connaît qu'à peine Merlin, et il va trop loin pour essayer de dissimuler sa culpabilité. Il serait plus crédible en étant indifférent.
Arthur reste silencieux et Agravaine continue.
— Je sais qu'il vous est important, mais le garçon est sûrement mort à l'heure qu'il est. C'est gâcher des ressources…
Arthur lève la main pour le faire taire.
— Ils le chercheront jusqu'à le trouver. Je ne veux plus entendre un mot sur ce sujet.
— Très bien, dit Agravaine sans cacher son déplaisir.
Arthur croise les mains et regarde l'homme qui lui fait face. Son oncle. Quand il a douté d'Agravaine avant, son oncle lui a dit qu'il ne le trahirait jamais parce qu'Arthur est tout ce qui reste d'Ygraine. Pourtant, si c'est vrai, il est évident que le sang n'est pas une raison suffisante d'être loyal. Pourquoi s'allier avec Morgana ? Arthur est reste perplexe et il sait qu'il a besoin de plus qu'un simple doute. Il a besoin d'une preuve qu'Agravaine est le traître.
Le moment est parfait. Ils sont seuls dans la pièce.
— Mon oncle, dit Arthur en prenant un ton conciliant. Je voudrais vous demander un conseil.
Agravaine se penche en avant.
— Bien sûr. Je vous aiderai du mieux que je le peux.
— Vous savez que mon père a amassé de nombreux objets magiques durant ces dernières années.
Agravaine hoche la tête. Arthur se penche vers lui en baissant la voix.
— Mon père ne voulait que les garder loin des mains des sorciers. Mais certains de ces objets pourraient être des armes utilisables sans magie. Il m'est apparu qu'ils pourraient être utiles contre Morgana.
— C'est un pari très risqué, Arthur, l'avertit Agravaine.
Un intérêt affûté s'est éveillé dans ses yeux.
— Mais nécessaire, dit Arthur. Camelot ne peut se défendre contre la magie. Demain, je compte emmener mes chevaliers les plus loyaux dans la chambre forte pour y faire l'inventaire et voir ce qui pourrait nous être utile.
— Si vous pensez que c'est pour le mieux, dit Agravaine avec prudence. Votre père disait toujours qu'il suffit d'un seul sort pour que la corruption prenne racine.
— Alors je trouverai un artefact qui ne nécessite aucun sort. Morgana ne doit pas reprendre cette ville.
Arthur a un sourire méprisant en disant son nom et il voit la colère qui en résulte et qu'Agravaine ne parvient pas à cacher.
Quelqu'un frappe à la porte et Guinevere entre, avec un dîner simple.
— Comme vous l'avez demandé, sire, dit-elle.
Elle incline la tête poliment en les servant. Elle regarde Agravaine de travers, et Arthur la connaît assez pour voir qu'elle n'apprécie pas son oncle. Guinevere a toujours su bien juger les gens.
Ils mangent ensemble et Arthur montre de plus en plus son épuisement. Il boit une coupe de vin en plus, et même s'il est assez coupé d'eau pour ne pas l'intoxiquer, il fait semblant d'être dans les vapes. Il bâille plusieurs fois avant qu'Agravaine ne morde à l'hameçon.
— Vous devez vous reposer, sire, dit Agravaine avec un sourire obséquieux. Vous n'avez pas bien dormi depuis des jours.
— Je sais, admet Arthur en se frottant le visage. J'ai demandé à Gaius de me donner une de ses potions de sommeil. Si elle ne fonctionne pas, rien ne le fera.
— Tout ira mieux après une bonne nuit de repos, lui assure Agravaine.
— Mm.
Arthur se lève et s'étire, crispé après être resté autant assis. Il aurait préféré chevaucher et se battre plutôt que de rester sur une chaise toute la journée. Quand Merlin sera de retour, il le fera trouver une meilleure façon de gérer son emploi du temps. Quand il sera de retour, pense-t-il avec férocité.
Il prend congé et se dirige vers ses appartements, mais dès qu'il est à une distance suffisante d'Agravaine, il se retourne vivement. Il trouve ses chevaliers avachis ensemble, autour de leur dîner et sirotant une bière. Ils ont dû chercher toute la journée et ils semblent démoralisés.
Dès qu'ils le voient, ils se redressent, immédiatement en alerte.
— Y a-t-il des nouvelles ? demande Leon.
Arthur pose un doigt sur ses lèvres et ferme la porte derrière lui.
— J'ai besoin de votre aide, dit-il.
Ils se penchent pour l'écouter.
Au moins, prétendre d'être endormi est plus facile que de dormir. Arthur est allongé, immobile, la respiration lente et l'esprit focalisé sur son plan. Il ne s'est pas autant détendu de la semaine.
La porte s'ouvre sans bruit grâce aux gonds huilés, et une lumière faible entre dans la pièce depuis le couloir. Arthur garde les yeux fermés et écoute les bruissements de tissus et la respiration d'Agravaine tandis que l'homme s'introduit à l'intérieur. Arthur s'étire dans son faux sommeil, et Agravaine se fige et attend qu'il s'immobilise.
Arthur entend le léger tintement du métal lorsqu'Agravaine trouve la clé de la chambre forte. Il attend qu'Agravaine ressorte, puis enfile une chemise et le suit. Il le file tandis qu'Agravaine descend à la chambre forte, en évitant deux gardes en patrouille. Arthur fait de même.
Arthur veut qu'aucun doute ne soit permis. Il veut qu'Agravaine soit pris la main dans le sac. Il attend qu'Agravaine ouvre la salle et s'y glisse, il attend qu'il fouille dans les ténèbres pour trouver ce qu'il pense pouvoir aider Morgana, quoi que ça puisse être. Et puis Arthur entre dans la salle et bloque la sortie.
— Mon oncle, dit Arthur d'une voix forte.
Agravaine manque de sauter au plafond. Il se tourne vers Arthur. Son expression vacille entre le mépris et l'apaisement, comme s'il ne parvenait pas à décider s'il pouvait s'en sortir par de belles paroles. Et puis les chevaliers sortent des ombres de la salle, les épées dégainées, et le mépris gagne.
— Vous êtes en état d'arrestation pour trahison envers la couronne, dit calmement Arthur.
Agravaine les regarde avec dégoût.
— Vous ne pouvez l'arrêter, gronde-t-il.
— Ce ne sont plus vos affaires, lui dit Arthur. Tout ce que je veux de vous, c'est une réponse. Pourquoi ? Pourquoi m'avoir trahi ?
Agravaine rit. C'est un son affreux.
— Pourquoi un DuBois voudrait se venger d'un Pendragon ? Savez-vous ce qu'a fait votre père à ma famille ? Il les a tués. Ma sœur, mon frère, abattus par sa main.
— Votre famille ? demande Arthur en ignorant l'accusation – pour l'instant. Que suis-je pour vous ?
— Vous êtes le fils d'Uther, crache Agravaine. C'est tout ce que vous êtes.
Arthur secoue la tête.
— Alors vous me trahissez pour vous allier à la fille d'Uther ?
Agravaine blêmit, mais il repousse ce qu'il a pu ressentir d'un sourire.
— Elle n'est pas plus la fille d'Uther que vous n'êtes le fils d'Ygraine. Vous avez tous les deux renié votre sang.
— Comment vous ai-je renié ? crie Arthur, furieux. Je vous ai accueilli les bras ouverts. Je vous faisais confiance !
— Vous avez eu le choix entre votre mère et Uther. Et vous avez choisi Uther.
— De quoi parlez-vous ?
Agravaine rit.
— L'avez-vous renié à ce point ? Ne vous souvenez-vous-même pas du présent que vous a fait Morgause ?
— Morgause ? souffle Arthur. Qu'est-ce que… Elle mentait. C'était une ruse pour… (Qu'avait dit Merlin ?) … me retourner contre mon père. Pour détruire le royaume.
— Vous vous trompez. J'ai abandonné la possibilité de voir ma sœur bien aimée une dernière fois, dans l'espoir qu'il n'était pas trop tard pour vous. Que vous n'aviez pas été entièrement corrompu par les mensonges d'Uther. Mais mon sacrifice a été vain, et vous me l'avez volée une deuxième fois.
Arthur halète, stupéfait.
— Vous êtes le fils de votre père, déclare Agravaine avec irrévocabilité. Vous êtes corrompu par sa haine. Morgana ramènera la magie à Camelot, et personne ne se souviendra de votre nom.
C'est trop à supporter. Arthur meurt d'envie d'abattre Agravaine, d'effacer pour toujours ce sourire suffisant de son visage. Mais il ne le peut pas.
— Jetez-le aux cachots, ordonne-t-il d'une voix rauque avant de s'éloigner.
Quand Merlin se réveillé, il a mal partout. Il est sur un cheval et chaque pas lui apporte un éclair de douleur. Il est attaché et il voit ses poignets liés osciller devant lui, au-dessus du sol mouvant.
Ils voyagent. C'est de mauvais augure.
Il n'aurait jamais dû se retenir. Il aurait dû arrêter Morgana avec tous les moyens à sa disposition. Il aurait pu briser le sort de restriction s'il avait eu un peu plus de temps. Il cherche sa magie, mais elle est très loin, assombrie par la douleur. Morgana lui a fait quelque chose.
Il a besoin d'aide, et il a en besoin maintenant. Elle n'a pas pris la peine de le bâillonner, en croyant que ce qu'elle lui a fait est suffisant pour retenir sa magie, verbale ou non. Mais il a un atout de plus dans sa manche.
— O drakon, dit-il d'une voix éraillée mais renforcée par les nuances profondes de la langue des dragons. E male so ftengometta tesd'hup'anankes !
— Quoi ? Impossible! halète Morgana.
Elle les arrête si rapidement que Merlin tombe presque du cheval. Puis elle rit.
— Tu es plein de surprises, Seigneur des Dragons. Mais appelle autant que tu le veux. Il n'y a plus de dragons.
Merlin a un rire faible.
— C'est ce que vous pensez. Attendez de voir. Kilgharrah ne vous a jamais aimé, la nargue-t-il.
Il ne le regrette que légèrement quand elle envoie une autre vague de douleur virulente dans ses nerfs.
— J'ai des plans pour toi, Emrys, l'avertit-elle. Et rien, pas même ton dragon apprivoisé, ne va m'arrêter.
Sa main se pose sur lui et il la sent le repousser dans les ténèbres. Il lutte pour rester éveiller, mais c'est inutile. Il espère que Kilgarrah va bientôt arriver, qu'il va les trouver à temps. Il entend Morgana psalmodier, de plus en plus fort, puis il n'entend plus rien du tout.
