« Vous êtes sur 97.7, la meilleure radio du New Jersey. Ici Bob Stevens qui vous parle et vous accompagne tout long de votre matinée en vous souhaitant bon courage si vous êtes coincés dans les embouteillages. Et quoi de plus naturel que de débuter cette belle journée en écoutant notre idole nationale, qui rappelons le est né dans notre merveilleux état. Alors c'est sans plus attendre que je vous laisse apprécier « Fly me to the moon » interprété comme vous l'aurez reconnu par « the voice ». Il est 9H45 et je suis heureux d'être avec vous. »

House tâtonna du bout des doigts pour flanquer une bonne raclée à son radio réveil. Il réussit à frapper la table de chevet lorsque le téléphone se mit, lui aussi, à faire des siennes. Il décrocha fébrilement.

- Allô ?

- Il est exactement 9h50. Et je ne comprends toujours pas pourquoi vous n'êtes pas à l'emplacement où vous devriez être.

- Hum.

- J'ai une patiente sur les bras qui se plaint de douleurs intercostales et que nous avons mis sous respirateur artificiel parce qu'elle n'arrive pas à reprendre son souffle.

- Hum

- Je lui ai fait passer une radio des poumons mais mis a part un léger obscurcissement des bronches, il n'y a rien d'anormal.

- Hum.

- House, j'ai besoin de vous.

- Hum.

- Vous m'entendez ? J'ai vraiment besoin de vous !

Dans un effort qui lui parut démesuré, House parvint à faire taire Sinatra. Il prit le combiné et le cala contre l'oreiller.

- Moi aussi, j'ai besoin de vous.

- Hein ? S'étonna la voix à l'autre bout. Je vous parle d'une enfant de huit ans atteinte d'insuffisance respiratoire sans raison apparente ni antécédent.

- Et moi je vous parle d'une grippe carabinée.

Il y eut un blanc sur la ligne avant que la voix reprenne.

- Vous êtes malade ?

Non, il était en parfaite santé et prenait du bon temps en faisant une grasse matinée. Quelle question !

- Mes os sont en passe de se disloquer et ma fièvre affichait il y a une heure les 39 degrés. Vous en pensez quoi ?

- House, j'ai cette jeune fille sur les bras et je ne sais toujours pas quoi annoncer à ses parents pour les rassurer. Aidez moi ! Implora la voix.

Il chercha vainement dans son savoir.

- Une broncho-pneumonie ?

- Je lui ai injecté une substance à base de pénicilline en pensant que son état se calmerait mais la toux reste stationnaire et sa respiration défaillante.

House se retourna et fixa le plafond. Elle savait l'intéresser.

- L'athérosclérose alors ? C'est devenu célèbre dans notre pays.

- Je vous rappelle qu'elle n'a que huit ans ! Je vous signale que ce genre de symptôme n'est décelé que sur les personnes ayant atteint un certain âge et consommant une nourriture particulièrement grasse.

Il porta sa main à son front.

- C'était pour voir si vous suiviez, mentit House.

- Je ne suis pas là pour tester vos connaissances mais pour la soigner.

- Et moi j'essaye de vous trouver une pathologie sans connaître vraiment les symptômes, s'énerva-t-il.

Il y eut un nouveau blanc sur la ligne avant d'entendre un soupir.

- Excusez moi, House. Je m'emporte sans tenir compte de votre état de santé. Vous allez bien ?

Il était incapable du moindre geste et sa tête était prête à exploser comme un ballon de baudruche. Mais elle venait d'appuyer sur le seul centre d'intérêt capable de le faire réagir en toutes circonstances. Le jeu en était relativement simple. Soit la patiente était sauvée, soit elle mourrait. Existait-il dans la vie un stimuli plus excitant ?

- Ses parents fument-ils ?

- Je n'en sais rien, répondit la voix empreinte soudainement de doute.

- Eh bien, vous devriez, rétorqua-t-il. Et puisque votre compétence frôle la nullité, demandez à mon équipe de venir chez moi accompagnée de son dossier médical.

- Chez vous ? Mais vous n'êtes pas en état de…

- Vous avez raison, coupa House. Alors donnez les derniers sacrements à votre gamine et laissez moi me rendormir. Passez le bonjour à ses parents.

Il s'apprêta à raccrocher.

- Très bien, très bien, s'interposa-t-elle. Je vous les envois.

Une vague de frissons le contraignit à rabattre sa couette au dessus de sa tête.

- Non.

- Mais…

- Je veux que Cameron et Chase passent d'abord chez les parents pour prendre des photos et fouiller un peu partout.

- Des photos ?

Il tenta de se mettre en position fœtale mais les courbatures lui conseillèrent de rester comme il était. Et ça n'allait pas s'améliorer s'il ne prenait aucun médicament pour se soigner.

- Oui, j'ai décidé de me constituer un album de toutes les maisons et appartements que l'on visite. Ça peut me donner des idées de déco le jour où l'envie me prendra de refaire le mien.

- House…

Il l'entendit soupirer d'impatience avant qu'une quinte de toux vienne masquer la suite de sa phrase.

- Faites ce que je vous dis si vous tenez tant à sauver ce rejeton. Et qu'ils amènent mon tableau avec eux.

- Et Foreman ?

House ferma les yeux. Il avait l'impression qu'il n'arriverait jamais plus à les rouvrir tant ses paupières lui paraissaient lourdes.

- Il sera notre agent de liaison. Un peu notre boy à tout faire auprès de la patiente.

- Autre chose ?

Il entreprit la seule tâche qui lui semblait impossible à réaliser. Il allait se lever. Emmitouflé dans sa couette, il s'assit sur le rebord du lit. La pièce eut du mal à se stabiliser avant que les objets ne reviennent à peu près à leur place. Atteindre la cuisine par ce froid hivernal allait être une véritable expédition. Il chancela jusqu'au chambranle de la porte et marqua un premier temps d'arrêt. Il était frigorifié.

- Je suis en train de mourir et vous vous en foutez, gémit-il.

Il continua sa progression en bravant tous les obstacles du couloir pour s'arrêter au deuxième camp de base, face à son salon.

- Vous n'exagérez pas un peu ?

Il venait d'accomplir une prouesse digne des plus grandes traversées polaires et elle trouvait qu'il en faisait trop ? Même Mike Horn aurait été incapable d'aller aussi loin. Ses pieds sur le carrelage vinrent couronner le tout. Il affrontait la banquise à présent. Il n'avait pas pensé à mettre ses chaussons et une lame de froid le paralysa.

- Je suis gelé, Cuddy.

- Vous vous soignez au moins ?

- Pas encore, grelotta House.

- Vous n'êtes pas raisonnable. Restez bien au chaud dans votre lit et je donne à Cameron de quoi vous soulager.

- Hum. Wilson a le double de mes clefs. Donnez leur pour qu'ils puissent entrer.

- Je vous rappelle en fin de matinée pour faire un premier bilan de santé… de tout le monde.

- C'est ça, dit-il en raccrochant.

Toujours drapé de la tête aux pieds dans sa couette, il s'avança vers la cafetière. Il remplit en entier son mug à l'effigie des Monster Trucks et le passa au micro-onde. Il fouilla dans quelques tiroirs et réussit à mettre la main sur ce qu'il cherchait. Il s'installa sur la table de sa cuisine en prenant soin de rabattre sa capuche afin de se protéger de l'air glacial. Il voyait pourtant le soleil filtrer au travers de sa fenêtre. La journée d'hier avait atteint un pic de trente degrés et celle-ci prenait le même chemin. Le mois de mai promettait d'être radieux. Il eut à nouveau une crise de tremblements. En antarctique, le mois de mai n'est jamais radieux. Il but quelques gorgées de café qui eurent pour effet de lui brûler la trachée sans provoquer un réel réchauffement intérieur. T'en tiens une bonne ! Et tu ne vas pas t'arranger si tu fais ça. De son pouce, il ôta l'opercule du tube. Il n'avait pas vraiment le choix. Dans son état, seul le sommeil était réparateur. Un luxe qu'il ne pouvait pas s'offrir. Il versa un premier cachet effervescent dans son café. La journée risque d'être longue. La teinte noir commençait à virer au bordeaux lorsqu'il jeta un second puis un troisième cachet. Il regarda sa mixture pétillée et finit par se décider à l'avaler d'une traite. Il grimaça et faillit bien régurgiter le tout sur sa couette. Il serra les dents en se promettant de ne plus jamais retenter cette expérience.