Chapitre 1 : Le soleil décroît

C'était une fin d'après-midi. Hermione aurait souhaité que le soleil n'en finisse jamais de décroître, d'inonder la pièce de cette chaude lueur dans laquelle les choses étaient figées, vivantes, une fois pour toutes. Dans cette lumière-là, on était protégé. Dans cette lumière-là, on restait en vie.
Harry se tenait recroquevillé sur le lit. Son profil était celui d'un oiseau. Au fil de semaines, son corps avait minci, maigri, s'était débarrassé de ce qui l'encombrait. Il n'était plus que roues et poulies. Rien ne devait plus empêcher son élévation. Et quand elle le regardait, perdu, lové entre les draps, elle n'arrivait plus à croire qu'il ait pu être le plus grand sorcier de son temps.

Ils n'avaient su ce qui se passait que très tard. Harry avait toujours vécu sur le fil, il était fait comme ça, à plaisanter sur ses ennuis de santé, à jongler avec sa vie. Longtemps, il n'avait rien dit. Hermione était persuadée que dès l'apparition des premiers symptômes jusqu'à l'approche imminente de sa fin, il n'avait rien voulu savoir, rien voulu connaître. Irresponsable jusqu'au bout. Une visite par an chez les Médicomages, au lieu d'aller faire des courses de voitures volantes ? Très peu pour lui. Et maintenant, voilà où il en était. Incapable de parler, d'ouvrir les yeux ou de la reconnaître. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, et les ferma très fort pour ne pas les voir couler. Si au moins elle avait pu être avec les autres. Mais là aussi, c'était trop demander. Depuis que l'hôpital Sainte Mangouste avait déclaré forfait, Ginny se calfeutrait chez elle. Les rares fois où Hermione était venue lui rendre visite, elle ne lui avait même pas ouvert. Derrière la porte, on entendait un jazz mélancolique. Ginny écoutait et réécoutait en boucle la chanson des Bizarr'sisters sur laquelle elle et Harry s'étaient embrassés pour la première fois.

Neville et Luna, eux, s'étaient enfin déclarés leur amour, après dix ans d'approches timides et de regards en coin. Ils étaient partis en lune de miel sur Mars, grâce à une offre promotionnelle spéciale d'une agence moldue, la NASA. Ils y étaient déjà depuis un bon bout de temps. Apparemment, ils s'y plaisaient. De temps à autre, Hermione recevait une carte de leur part par fusée postale.

Quant à Ron… Ron… Elle aimait mieux ne pas y penser pour l'instant. Ron avait tout détruit. Ron avait tout cassé. Elle serra les poings et baissa les yeux sur le bouquet de fleurs qu'elle avait apporté la dernière fois. Personne n'avait pris la peine de changer l'eau, et les tulipes pendaient tristement. Elle s'approcha du vase.

« Renovio ! », ordonna-t-elle, et l'eau se remplaça immédiatement.
« Qu'est ce que vous faites ? » demanda soudain une voix derrière elle.
Hermione se retourna en sursautant. Une infirmière se tenait dans l'encadrure de la porte, et la dévisageait d'un air soupçonneux.
« Rien, je…enfin, je…je prenais soin de mon ami », bafouilla-t-elle, et en rougissant, elle sentit le regard de l'infirmière se faire encore plus scrutateur.
« Vous ne lui avez pas fait des trucs comme ils disent à la télé, hein ? Des trucs de sorciers ? Vous savez que c'est interdit, ça, hein ! »
Elle croisa ses bras sur sa poitrine.
« Je ne veux pas d'ennuis, moi, ici ! Vous savez qu'il est très malade, hein, votre ami ! Même qu'il n'en a plus pour longtemps ! Ce n'est pas le moment de lui faire des trucs bizarres ! »
« Non, non, » bafouilla Hermione, « Je vous jure que je ne faisais rien ! »
L'infirmière s'approcha d'elle.
« De toute façon », éructa-t-elle, « il est temps que vous partiez. »
« Mais, je…je viens juste d'arriver ! » s'exclama Hermione.
A cet instant, Harry se mit à tousser dans son sommeil. C'était une toux rauque, grave, qui venait du fond de sa poitrine. L'infirmière se précipita.
« Allez-vous en ! »
A contrecœur, Hermione ramassa ses affaires et tourna les talons.

Quand à Sainte Mangouste, les médicomages avaient dit à Ginny et aux autres Weasley qu'il n'y avait rien à faire pour Harry, silencieusement, ils avaient tous compris ce qu'il restait à faire pour le sauver. Curieusement, ce n'était pas Arthur qui avait dit le premier ce qu'ils avaient tous en tête. Confier le plus grand sorcier de tous les temps à la médecine moldue, quand même ! C'était Hermione qui avait parlé, parlé, jusqu'à ce qu'ils se taisent tous, enfin. Elle leur avait dit les grandes découvertes de la science moldue, les bras articulés, les cœurs en métal, les organes reconstruits. Ils regardaient tous leurs pieds. Et puis, Ron avait glissé :
« Mais, ma chérie, tu ne penses pas que c'est un peu risqué, quand même… ? »
« Tu ne connais rien à la médecine moldue », avait-elle explosé. « Tu ne sais pas ce que tu racontes ! La médecine moldue sauve des vies tous les jours ! »
« Oui, mais des vies moldues ! » était intervenu Bill. « Est-ce qu'on peut vraiment confier à un hôpital moldu la vie de Harry Potter ? » « Mais arrêtez, arrêtez, enfin, avec Harry Potter ! Harry Potter est fait de chair et d'os ! Avant qu'il apprenne qu'il était un sorcier, est ce qu'il n'allait pas chez le médecin moldu ? »

Elle s'était rendue compte, mais trop tard, qu'elle criait. C'était trop. Trop. Finalement, ils s'étaient tous rangés à son avis. Elle avait confié Harry à l'hôpital Britannia. En quelques jours, le diagnostic de l'imagerie médicale avait confirmé le pire : Harry souffrait d'un cancer du cerveau, au stade terminal. Il n'y avait pas d'échappatoire. La médecine moldue pouvait juste alléger un peu ses souffrances.

La famille Weasley n'avait rien dit, mais Hermione avait bien senti le reproche dans leurs yeux. On t'avait dit, disaient chacun de leurs gestes et de leurs regards. On t'avait dit qu'on ne voulait pas savoir. Mais tu t'es entêtée, petite sorcière acharnée. Tu t'es entêtée. Et maintenant ? Et maintenant, hein ? On en est où ? On est plus avancés ? On a un moyen infaillible de guérir Harry Potter ? Je ne crois pas, non. Tu sais toujours tout mieux que tout le monde. Tu vois le résultat ?

Oui, elle voyait le résultat. Ils ne comprenaient rien. Où étaient-ils, tous, maintenant ? Les fleurs qu´elle avait apportées n´avaient pas été changées depuis son dernier passage. Au prétexte qu´ils avaient peur de l´hôpital, qu´ils avaient peur des moldus, ils étaient partis. Et maintenant, elle était seule. Seule avec Harry.