Entre

27/02/07

Par la Halfeline

David était ramassé contre le mur de la cour. Avant qu'il se retrouve ici, ses potes lui en avaient raconté plus d'une sur la vie de taulard… et pourtant, jamais il n'avait imaginé pouvoir réellement finir comme ça. Ses jours de fanfaronnade à Fox River avaient duré bien peu. Il avait commis une première erreur : celle d'ignorer la division des camps. Lui, le petit blanc des quartiers miteux de Chicago, avait grandi aux côtés de gamins blacks de son âge… Il n'avait pas idée que les oppositions raciales puissent régir la vie quelque part. Et pourtant, on lui avait fait comprendre que rester comme il le faisait le cul entre deux chaises ferait définitivement de lui un ennemi de tous. On l'avait baptisé Tweener, à l'initiative de T-bag. Tweener, celui qui se trouve entre deux… Il avait dû se débrouiller seul dans la prison, sans l'appui d'un clan. Seulement, l'autre erreur de David Apolskis était d'être tout jeune et plutôt agréable à regarder… Ceci avait fait de lui un article de grande valeur au marché noir du chef des matons : Bellick. Ce salopard… ce bouledogue sans pitié avait dû se faire une coquette somme en le jetant en pâture à Avocado. Grand et gros, affublé d'une barbe grisonnante et d'une affreuse queue de cheval à l'arrière d'un crâne déjà dégarni, le bonhomme ajoutait à sa monstruosité une sensibilité parfaitement asséchée par les années, ce qui ne laissait guère à son être usé que la baise mécanique comme source d'une quelconque émotion. Et David en avait fait les frais. Voilà comment il avait été réduit à se planquer comme un ver, à se recroqueviller dans un coin de la cour en espérant que personne ne lui prêterait attention. Et tout ça… tout ça pour une carte de base-ball.

David était pourtant loin d'être ignoré par tout le monde, tout replié qu'il était contre la muraille. Quand Michael Scofield s'approcha de lui, il ne leva même pas les yeux.

- J'aurais besoin que tu piques un truc pour moi.

La phrase lui arracha presque un rire cynique. Evidemment, il n'intéressait les autres détenus que pour ce qu'il pouvait leur apporter, point-barre.

- Comme la montre de la dernière fois ?

- Oui.

Tout le pénitencier le prenait décidément pour un con…

- C'est vrai que ça m'a carrément rendu service. Je me suis fait choper… et ils m'ont mis avec Avocado, lâcha-t-il en jetant un coup d'œil quelques mètres plus loin.

Michael suivit son regard, et aperçut l'autre détenu, affalé sur la pelouse comme une baleine échouée, dévorant Tweener des yeux. Le dégoût crispa sa mâchoire un instant.

- Tu veux que je te rende un service ? Alors cette fois c'est donnant-donnant.

Scofield baissa à nouveau les yeux sur le jeune pickpocket. On sentait dans sa voix que sa gorge était nouée.

- Qu'est-ce qu'il te faut ? Demanda Michael en redoutant déjà la réponse.

- Tue ce fils de pute…

Le ton du jeune homme tremblait de rage et de frustration. Scofield se sentait coupable de la tournure qu'avaient pris les choses par sa faute… réellement coupable. Mais il ne pourrait rien faire pour David de ce côté-là.

- Tu sais bien que je peux pas faire ça.

Le visage de Tweener se durcit un peu plus. Il fusilla Avocado du regard. Mort. Il voulait le voir mort. Il voulait qu'on l'éventre et qu'on le laisse se noyer dans son sang pour les horreurs qu'il lui avait fait subir la nuit dernière. Pourquoi personne ne voulait faire quelque chose contre ce salaud ? David tressaillit en le voyant se lever. A force de lui lancer des regards noirs, il avait tout gagné : la brute s'approchait de lui. Il se redressa précipitamment. Gueule-d'Ange restait à ses côtés. C'était bien gentil de sa part… mais ce n'était certainement pas lui qui allait le défendre contre l'immonde masse de chair.

Une trentaine de mètres sur la droite, Bagwell rongeait son frein au milieu de ses camarades de l'Alliance. Il était assis avec eux sur les gradins, mais resté en-dehors des conversations, il épiait la scène qui se déroulait plus loin avec un déplaisir croissant. Pour commencer, voir le gros porc polluer le paysage avec ses poses lascives à vomir l'avait passablement agacé… Une telle enflure ne méritait pas ce à quoi elle avait droit. Mais lorsqu'il l'avait vu se relever pour trimballer sa vieille carcasse jusqu'au joli petit Tweener, T-bag s'était vivement redressé, presque en arrêt. Claquant sa langue contre son palais, il avait lâché, comme un avertissement :

- Danger, oooh… danger…

Les gars de sa bande, qui avaient remarqué où se portait l'attention de leur chef depuis quelques minutes, essayèrent de l'apaiser.

- T'excite pas pour ce morveux, T, il en vaut pas la peine…

- Ouais, d'façon il a que c'qui mérite maintenant.

Bagwell tenta de se contenir lorsqu'il vit Avocado lancer quelque chose au jeune homme. Scofield semblait vouloir calmer le jeu, mais n'interposait guère qu'une main pour le protéger. … Aussi, lorsque le gros machin poussa Tweener contre le mur, un vilain sourire sur sa figure molle, T-bag sauta à terre, et se dirigea droit sur eux. Le môme ne méritait sans doute pas son attention, mais le spectacle avait suffi à le pousser à bout.

Eh, fous-lui un peu la paix.

- La ferme, Gueule d'Ange, répondit Avocado en le repoussant sans effort. Ton tour viendra, va… Mais mon petit bijou m'avait l'air bien excité à l'instant. Tu sais, il va falloir attendre pour les choses sérieuses, mais on peut déjà s'amuser un peu tout de suite…

- Casse-toi ! cracha David avant de se faire plaquer contre la pierre du mur.

Lorsqu'il rouvrit les yeux après le choc, ce fut pour apercevoir T-bag qui approchait de sa démarche balancée, quoique plus rythmée qu'à l'ordinaire. Il avait l'air particulièrement contrarié sous la visière de sa casquette bleue, ce qui ne laissait présager rien de bon pour lui… Avocado ouvrait tout juste la bouche pour lui lancer une obscénité quelconque, quand il fut brusquement saisi par le collet et tiré vers l'arrière. Theodore ne s'embarrassa même pas de l'un de ses avertissements – qui d'ordinaire suffisaient à faire lâcher le morceau à la majorité des détenus – avant de lui balancer son poing dans la figure. David sursauta, stupéfait.

- Garde ta cellule pour peloter le gamin, d'accord ? lâcha-t-il de sa voix un peu traînante, typique des moments d'exaspération.

- J' t'emmerde, Bagwell !

La grosse masse se rua sur lui, et les bourre-pifs se mirent à pleuvoir des deux côtés. Michael se massa un instant le front. Ce n'était pas aujourd'hui qu'il pourrait circonvenir tranquillement Apolskis pour récupérer ces saletés de clés… Quant à l'intéressé, il fixait le corps à corps en ignorant absolument l'issue qu'il aurait dû préférer. Ces deux malades n'étaient vraiment ni plus ni moins que des animaux… le gorille contre le varan, varan qui avait d'ailleurs bien du mal à gérer le poids et la force brute de son adversaire. T-bag était un petit gabarit… sa force était concentrée à l'intérieur de lui. Elle résidait dans son art de calculer les situations, de séduire et de s'assurer des troupes, ou alors… dans l'absence totale de retenue des moments où il était ivre de violence. Or, c'était là une des rares occasions où il avait agi seul de manière irréfléchie, sans être porté par sa folie furieuse. Il eut tôt fait d'être maîtrisé par la robustesse de son adversaire, et à son tour épinglé au mur par les grosses paluches d'Avocado.

- Tu serais pas jaloux quand même, mon p'tit Führer ?

Bagwell lui répondit par un regard noir en mordant sa lèvre inférieure.

- On peut aussi avoir un peu de bon temps tous les deux, si t'insistes ! s'exclama le mastodonte avec un sourire amusé, avant de faire tomber sa casquette déjà de travers.

T-bag leva les yeux au ciel et lui cogna violemment le genou, ce qui ne lui valut que d'être un peu plus écrasé contre la muraille.

Mais avant qu'il ne soit plus humilié devant Scofield et Tweener, il entendit des pas précipités et une petite forme blonde bondit de tout son élan sur les épaules d'Avocado ; elle le mordit directement à la gorge, enfonçant sans pitié les ongles dans le cou. La brute se mit à hurler et relâcha immédiatement Theodore. Maël avait été le premier de ses gars à réagir, comme c'était étonnant… songea Bagwell en reprenant contenance. Il ne connaissait cette sauvagerie enthousiaste que chez lui… Aucun autre détenu n'ignorait à ce point la tempérance et la crainte. Ce petit irait loin…

Beuglant toujours, Avocado finit par se débarrasser de son assaillant en le jetant à terre. Mais la moitié de l'Alliance l'entourait déjà, l'air menaçant. Il se figea, un peu impressionné ; il ne cherchait jamais les ennuis d'ordinaire. T-bag prit le temps de remettre sa casquette, étira un instant les muscles de son cou de chaque côté, puis s'avança pour aider son soldat le plus dévoué à se relever. A l'instant où ce dernier croisa le regard de son chef, il put y lire un fond de reproche résigné… mais Maël ne baissa pas les yeux avant de se ranger auprès de ses camarades. Bagwell se retourna ensuite vers Avocado. A présent pleinement sûr de lui, il s'approcha tout près pour ordonner :

- Tire-toi. Je veux plus te voir près de nos plates-bandes, gros sac de viande, c'est compris ?

Le gorille recula, non sans un sourire dédaigneux.

- C'est ça, parade bien maintenant que tes petits SS sont autour de toi… Mais j' vais te dire un truc, T-bag : toi et tes copains vous serez pas toujours là pour baby-sitter cette gamine. Je penserai à toi cette nuit quand je compenserai…

Après un dernier sourire salace à l'adresse de David, il se retira, en prenant soin de jeter quelques coups d'œil derrière lui.

- Allez, on remballe, lança T-bag tout en fixant la mine décomposée de Tweener.

Lorsque celui-ci leva les yeux vers lui, Theodore le sonda encore un instant avant de se détourner, prêt à suivre ses troupes aux gradins. Un frémissement de satisfaction le parcourut lorsqu'il entendit :

- Eh, T-bag !

Il s'arrêta et se retourna vers le jeune homme.

- Qu'est-ce qu'il y a, mon garçon ?

- Pourquoi est-ce que t'as fait ça ? Avant ça t'amusait d' me faire chier dès qu'tu m'voyais. T'as un compte à régler avec Avocado ou quoi ?

T-bag soupira.

- Ca ne m'amusait que parce que c'était moi qui te taquinais, bonhomme… J'ai horreur qu'on me pique ma place.

Il vit Tweener avaler sa salive.

- Liquider ça t'connaît, j'crois…

A ces mots, Gueule-d'Ange crut bon d'intervenir.

- Arrête, y a d'autres façons de régler ça…

Mais Bagwell répondit aussitôt avec un léger sourire :

- Oui, c'est dans mes cordes…

Le petit jeune s'approcha alors de lui pour baisser un peu la voix :

- Alors bute-le. S'il te plait… Fais ça l'plus vite possible, chuis prêt à t' payer ! Donne-moi ton prix.

T-bag le considéra quelques secondes avant de lancer :

- Il paraît que tu es ce qu'on fait de mieux comme pickpocket…

- Ouais, ça c'est vrai, j't'assure. Tu veux quoi ? J'peux faire les poches de n'importe qui, même de John Abruzzi s'il le faut.

Bagwell se mit à rire tendrement.

- Laisse donc Johnny-boy en-dehors de ça… A vrai dire c'est plutôt les miennes que je veux que tu fasses.

Il tira alors la main droite de sa poche de pantalon, emportant la doublure au bout de trois de ses phalanges. Les doigts s'écartèrent comme les pattes d'une araignée, et tendirent la toile blanche pour la faire voir à Tweener. David la regarda sans comprendre, puis tourna un regard interrogateur vers Michael. Celui-ci fixait la scène en fronçant les sourcils, les yeux emplis de mépris, secouant doucement la tête.

- Qu'est-ce tu veux qu'je fasse de ça ?

- Laisse tomber, coupa Scofield, ça va t'attirer des ennuis.

T-bag ne protesta même pas, préférant capter calmement l'attention de sa cible en continuant de la fixer.

- Cette poche, petit, est la seule qui t'assurera un avenir facile. Tu t'y accroches et je te tire du caniveau ; tu la prends, et je te garde toujours près de moi de manière à ce que plus rien ici ne puisse t'arriver…

- T'es en train d'me d'mander d'te suiv' partout comme un toutou accroché à c'truc ? Non mais t'as fumé ou quoi ?

Apolskis recula de quelques pas, l'air révulsé.

- Réfléchis, Tweener… Tu sais bien que tu feras pas long feu ici tout seul.

Bagwell alla s'adosser nonchalamment au mur avant de poursuivre.

- A la prochaine altercation les nègres te mettront en pièces et aucune de ces têtes-de-nœuds ne bougera le petit doigt pour essayer de recoller les morceaux, à supposer que tu n'aies pas joué au cochon pendu d'ici là à force de te faire malmener ce joli petit corps par l'affectueux tas de saindoux qui te sert de compagnon de cellule…

- La ferme, T-bag.

- Je le préviens dans son intérêt, ma beauté. T'es pourtant bien placé pour savoir comment ça se passe. Ose lui dire que je le baratine !

La mâchoire du jeune homme était crispée, son regard figé entre la révolte et la supplique. Le plus terrible était qu'au fond de lui, il ne pouvait pas nier ce qu'il venait d'entendre de la bouche de T-bag… Et T-bag, lui, voyait se former la faille dans cette mine accusatrice enfantine. Il aimait cette expression.

- Et en quoi ça va m'aider d'me trimballer toute la journée pendu à tes jupes ? Désolé d'te dire ça mais on pourra encore moins m'piffer quand on m'verra avec toi… en train d'tenir ce machin, non mais c'quoi cette idée d'taré ?

Il décida de s'engouffrer dans la lézarde.

- Fillette, je ne peux te garantir que les bons sentiments d'une seule personne, hélas… mais ce que je peux t'assurer, en revanche, c'est le respect de tous ces taulards mal dégrossis, et tu sauras que c'est déjà un privilège princier…

Il se redressa et s'avança vers lui, reprenant sa poche entre l'indexe et le majeur.

- Ce que je t'offre, c'est une poche qui te protégera. Il s'agit de hiérarchie, de sécurité, et de proximité. C'est une main que je te tends là.

Ses yeux étaient à la fois rassurants, et relevés d'une sourde menace. « Laisse-moi te débarrasser du danger. » ordonnaient-ils. Tweener grimaça.

- Ouais c'est ça, ouais… Y a pas qu'la main si tu veux mon avis ! Tu crois qu'j'la vois pas v'nir, celle-là ? Vas-y trouve-toi une aut'chienne à balader, vieux dég'…

Sur ce, le pickpocket tourna les talons et repartit vivement en direction du bâtiment, les mains vissées au fond de ses propres poches. Michael jeta un dernier regard mauvais à T-bag avant de prendre le même chemin, sans un mot. Theodore se mordit pensivement les lèvres, puis s'en retourna vers les gradins.

Maël l'attendait quelques mètres plus loin, et lui emboîta le pas, tout sourire.

- Tu veux un sucre ? lança Bagwell sans même le regarder.

- Pas d'quoi, c'est naturel… répliqua l'autre détenu en baissant les yeux, un petit sourire ironique toujours au coin des lèvres.

- Tu m'as entendu te siffler tout à l'heure, Maël ? Il n'y avait aucun besoin que tu viennes te mêler à ça. Tu es un petit gars qui prend trop d'initiatives.

- Faut dire que je t'aurais mal vu nous appeler avec une grosse main de primate serrée autour de la gorge.

T-bag se retourna pour lui allonger une calotte sèche sur le haut de la tête.

- Fais attention à toi, blondinet. Ton culot peut peut-être te sauver la mise avec les autres, mais dans la famille il a tendance à agacer de plus en plus, et moi en particulier. Ce serait dommage que la merde finisse par retomber sur le coin d'une belle petite gueule comme la tienne.

Maël releva timidement les yeux sur lui.

- Je croyais que les membres d'une famille prenaient soin les uns des autres…

Bagwell s'arrêta, souhaitant laisser quelques pas entre eux et le reste de l'Alliance pour lui dire d'un ton sarcastique :

- Ecoute, mon garçon. Je sais déjà à quel point tu souhaites prendre soin de moi, et j'en suis très touché. De ton côté tu sais déjà que tu ne me sers pas à grand chose, mais la dernière lubie dont tu as intérêt à t'enticher, c'est bien celle de devenir ma nounou personnelle de 52 kilogrammes. J'apprécie que tu sois une petite boule de nerf sanguinaire comme j'en avais plus vue depuis longtemps, mais ça ne te donne pas tous les droits, et ici tu ne bouges tes fesses que lorsque je te dis de le faire, est-ce que tu as compris, Maël ?

Le jeune prisonnier le scrutait de toute la détermination butée de ses vifs yeux verts. Le leader de l'Alliance ne parviendrait donc jamais à réduire à néant cette étincelle de défi qu'on y voyait toujours ?

- Je sais bien que t'as peur que ça nuise à ton image… mais moi je peux pas regarder quelqu'un t'agresser sans réagir, c'est comme ça.

A l'expression courroucée que prit instantanément le visage de T-bag, Maël tressaillit par réflexe. Il n'attendit pas longtemps avant de se faire empoigner par les cheveux et jeter vers les gradins, sur lesquels Bagwell le poussa d'un coup de pied dans les reins en sifflant :

- A ta place !