C'était bizarre d'avoir Pierrette dans la maison après l'enterrement de M. Marcel. C'était revoltant, le sourire follement amoureux qui graciait les traits de Mme Gaby. C'était gênant de leur servir du café chaque matin et de remarquer les traces de bonheur toujours présents sur le visage de Pierrette, des petits choses que je connais si bien.

C'était bizarre, et Mme Gaby pensait évidamment la même chose, car elle m'a foutue à la porte malgré les pleurs de ses filles. Quitter la pauvre Suzon était triste, enceinte comme elle l'était, mais franchement je ne pouvais plus rester dans cette maison-là.

Je vis maintenant chez ma sœur et je me demande sans cesse : « Que vais-je faire maintenant ? »

Je n'ai plus d'emploi, je n'ai plus d'amour, je n'ai plus rien sauf cette vue que je regarde chaque jour par la fenêtre de la cuisine.

L'hiver prendra fin cette années aussi, comme à l'accoutumée.

J'aime la lumière d'après-midi après un jour gris et pluvieux, une lumière légèrement truffée d'éclats de soleil.

Je pense sans cesse : « Après la pluie, après l'hiver, le monde soupire. La lumière dorée est comme une fille amoureuse, très jeune, elle pourrait prendre n'importe qui par la main pour danser. »

Que penserait-elle, Pierrette, de ces phrases ?

Je me souviens quand elle est venue un jour, toute inattendue dans ma vie tranquille et rangée. Elle me laissait souvent parler, elle écoutait patiemment le déluge de mots affectueux qui sortait de ma bouche. Je ne lui dirai plus jamais des mots comme ceux-là. Me serait-il pour toujours interdit de dire ces mots ? À qui pourrait-je les dire ? Tous ces mots sans importance, toutes ces pensées qui traversent mes jours, qui s'écoulent comme des secondes, aussitôt dans le passé.

Il y a un vide, il y a un trou qui reste éternellement vide en moi.

À nouveau sans amour, j'ai froid dans cette lumière du début du printemps.

Au bout de la beauté il n'y a plus rien que le froid.