La vie d'une ombre.
Mon histoire a commencé un jour normal. Un jour comme vous aussi en vivez tous les jours. J'avais passée une journée comme vous, j'étais allée à l'école, j'étais rentrée, j'avais fait mes devoirs, puis... plus rien. Pour tenter de comprendre, je vais tout vous raconter. Toute cette journée. La fin devrait me revenir.
Je m'étais levée vers six heures et quart, le temps de déjeuner, de me préparer et d'aller au bus. Une fois dans ce dernier et confortablement installée, il se mit en marche et accomplit son horrible travail : aller chercher de pauvres ados innocents pour les emmener dans leurs établissement scolaires. Après avoir passée une matinée plus qu'embêtante en cours, le reste de la journée passa tout aussi normalement. Puis vint l'heure de reprendre le bus. Alors que nous roulions, tout d'un coup, il fit nuit noire et plus aucun mouvement ne se fit sentir : le bus était immobile. Après un instant de profond silence, plusieurs bruits se firent entendre, des bruits très étranges. Puis une lumière nous éclaira, nous nous retournâmes et virent une forme brillante qui ressemblait étrangement à un cœur qui montait et s'évanouissait dans le noir. Et c'est à partir de là que tout le monde paniqua, hurla, essaya de courir pour s'échapper... Mais échapper à quoi, et aller où ? Je vis plusieurs points jaunes dans le noir, entendit les bruits étranges se rapprocher de moi, deux sphères jaunes qui ressemblaient à deux yeux s'élevèrent quelque peu vers moi, je sentis une grande douleur comme si l'on serrait mon cœur dans un étau puis... plus rien. Seulement le noir et le silence.
Quand j'ouvris les yeux, ma première impression fut que si je les fermais il n'y aurait aucune différence. Je me redressais et ne me sentais pas comme d'habitude. Je me sentais plus petite et toute... vide. Je me touchais pour constater les dégâts et remarquais que je n'avais plus la même forme. Mes mains étaient à présent dotées de seulement trois doigts et d'après ce que je sentais, j'avais des antennes. D'après ce que je voyais, j'étais de la même couleur que mon environnement : noire ténèbres. Je secouais mes antennes alors que l'information me pénétrait lorsque je vis que d'autres formes étranges s'approchaient de moi : tout ce que je pouvais voir d'elles étaient leurs yeux jaunes comme des soleils. Je pris alors conscience de ma situation qui m'aurait semblé totalement absurde si j'étais encore humaine : j'étais devenue un Sans-Coeur.
Étrangement, cela ne me fit ni chaud ni froid. Peut-être l'absence de cœur y était-elle pour beaucoup, mais sans sentiments tels que la tristesse, la colère ou l'incompréhension, je me sentais bien plus légère. J'appris aussi sans étonnement que même si nous étions des Sans-Coeur, nous pouvions toujours communiquer. Comme quelques insectes, cela passait généralement par les antennes, mais nous avions aussi un langage parlé. Celui que l'on entend quelques fois quand nous apparaissons, un bruit étrange, mais qui pourrait se résumer par des séries de " Kéta kéta ! ". Ce langage était nettement plus compliqué et nuancé que celui des humains.
J'étais réunie dans une " salle ", qui était en fait une portion de Ténèbres, avec d'autres ex-humains qui avaient été avec moi dans ce bus. Mes débuts de communication étaient forts maladroits, c'était un tout nouveau langage que je parlais couramment, mais dont je devais prononcer une fois les mots et chaque nuance pour les connaître entièrement. Au départ, je prononçais mes mots de travers, d'une façon indéchiffrable, puis je parvins finalement à formuler parfaitement la phrase " Qui es-tu ? ". Après encore un peu d'entraînement, je parvins à formuler mon surnom. Étrangement, je ne me souvenait que de ça... Avais-je eu un prénom auparavant ? Je ne m'en rappelais pas. Je me souvenais juste que l'on m'appelait " Yoko " il n'y a pas si longtemps. J'apostrophais plusieurs autres Sans-Cœur et engageait le dialogue.
" Qui es-tu ?
_ Je ne sais plus. "
Avec quelques difficultés, je parvins à articuler d'une manière acceptable :
" Avais-tu un surnom ?
_ ... "
L'autre mit quelques temps à répondre. Avant de me faire transformer, quand j'étais encore dans le bus, j'étais assise à côté d'une amie dont je ne me rappelais pas le nom. Conséquence de la transformation, son physique aussi m'était devenu vague... " Quand j'étais dans le bus ", ça me semblait si lointain et si proche en même temps ! Je perdais mes sentiments, je perdais la notion du temps, je réapprenais un langage. L'autre me toucha pour attirer mon attention, et ce fut un contact glacé. Nous n'avions plus de cœur, plus de chaleur.
" On m'appelait Evi. Et toi ?
_ Yoko. "
Nous nous reconnûmes immédiatement : c'était l'amie en question. Même si nous n'éprouvions plus rien, nous étions tout de même... comment vous dire, à présent ? Réconfortées ? Oui, réconfortées de nous retrouver ainsi. Nous décidâmes de rester ensemble jusqu'à la suite des événements. Succinctement à cette promesse silencieuse, les Ténèbres se firent plus pesantes : elles nous resserrèrent puis nous engloutirent enfin. Quand elles s'éclaircirent assez pour nos yeux, nous pûmes distinguer devant nous toute une cohorte de Sans-Cœur de type " Soldats ". C'étaient nos supérieurs, me dictait ma logique de Sans-Cœur. Cette logique me dictait d'ailleurs bien d'autres choses. Cette logique était aussi l'instinct.
Il nous fût expliqué que notre mission serait de récupérer le plus de cœurs possibles. Peu importait comment, où, à qui et pourquoi, il fallait récupérer ces cœurs. Et si nous devions tomber sous les coups, nous ne devions pas avoir peur : les Ténèbres nous feraient tout bonnement réapparaître, sans aucun changement. Notre mémoire redevenue quasiment vierge allait connaître un renouveau.
Vous vous demandez si je n'étais pas triste de ce changement ? Je ne sentais plus la tristesse. Vous vous demandez si ma famille me manquait ? A présent, j'ignorais le sens même de cette phrase. Vous vous demandez si j'étais triste d'avoir changé de vie ? Les sentiments m'importaient peu, comme dit précédemment, et je n'étais plus en vie, tout comme je n'étais pas morte. J'étais un Sans-Cœur et c'est tout. A présent, une autre " vie " allait commencé. Mon dernier point d'attache serait cette amie, " Evi". Ma " vie " serait vouée à prendre celle des autres...
