Alphus me fait signe de suivre une ombre parcourant les couloirs mal éclairés, en quête d'un abri. Je soupire et m'exécute, je sais vu la petite taille de l'ombre à qui je vais avoir à faire. J'accélère le pas, sachant pertinemment qu'il n'y a aucune sortie qui pourrait lui sauver la vie et je ne sens aucuns sentiments m'envahirent lorsque je la vois s'arrêter. Un adolescent… sans doute à peine assez âgé pour rejoindre Poudlard. Je lève la baguette, emprise à une certaine haine contre moi. Je peux tuer des sorciers… pas des enfants sans défense.

- Vas-y gamin, on n'a pas le temps.

Gamin… je vais lui en foutre des gamins ! Lui et sa chemise à carreaux sortant de sa robe de sorcier. Manquerait plus qu'une vache à côté et on pourrait se croire dans un western.

- Avada Kedavra !

Tellement habituel qu'il n'y a plus d'intonation dans ma voix. Je détourne la tête et poursuis ma route en sens inverse.

Je sursaute comme un imbécile et ne bouge plus, le temps pour moi de retrouver mes esprits. Et enfin, comme aucun bruit suspect ne se fait entendre, j'en déduis que finalement, je suis réellement dans mon lit… dans ma maison. Saleté de cauchemar qui revient chaque nuit. Pour m'empêcher d'oublier quel homme misérable je suis, je fus.

Ma main traîne dans mes cheveux que la sueur a plaqué contre mon front et je me lève d'un pas chancelant. Direction la salle de bain, un coup d'œil au miroir et je gomme les poils qui salissent mon visage d'un coup de baguette. J'ai 25 ans aujourd'hui et ça, tout le monde s'en fout.

Mes yeux sont cernés, ma bouche pâteuse… moi Drago Malefoy suis un homme parmi tant d'autres. Ou presque.

- Papa !

Je ne peux m'empêcher de sourire malgré moi et j'accueille dans mes bras une petite tornade blonde prénommée Eavan. Des cheveux blonds rassemblés dans une tresse et une toute petite bouche, elle pourrait être le portrait craché des Malefoy si encore elle n'avait pas le visage parsemé de tâches de rousseur et des yeux d'un bleu loin d'être froid.

- Ca ne va pas ?

Comment peut-elle devenir sérieuse si rapidement ? Je prends son menton entre mes doigts et tente de lui sourire sincèrement. Les enfants sont champions pour débusquer le mensonge.

- J'ai faim… que dirais-tu d'une bonne crêpe ?

- Tu sais pas les faire !

Il est vrai que ma fille est même plus douée que moi pour verser des céréales dans un bol, et j'exagère à peine. Du haut de ses six ans, elle a appris à grandir toute seule. Je suis un père, pas un papa. Ces mots tellement vrais restent au travers de ma gorge. J'ai parfois peur d'être mon père. Mangemort tué dans la bataille. Moi j'ai survécu… assez pour voir Potter assener le coup de grâce à notre maître.

Quand j'y repense… j'aurais pu finir ma vie à Azkaban. Si encore cette fille n'avait pas tellement cru en moi. Bien la première fois qu'elle avait faux. Moi, mangemort qui ait tué son mari… elle n'y a vu que du feu… m'a laissé partir.

Eavan a six ans. Il y a six ans que nous sommes ici. Pays mystérieux qui est devenu le sien. Je redoute le jour où je devrais rejoindre le pays que j'ai quitté. Mon pays. Voilà six ans que j'ai quitté le boulot de « chargé aux archives » et monté les échelons pour devenir reporter. Voilà six ans que je mens à ma fille au sujet de sa mère, six ans que j'essaie d'oublier que je fus un sorcier indigne de la société.

- N'y va ?

Poussé de ma rêverie par son petit minois si sérieux, la gourmandise de ma fille l'a menée vers l'impatience. Je souris à la voir mettre sa robe de sorcière sur son pyjama et l'en débarrasse sous son grognement.

- Eavan, je t'ai déjà dit, pas de pyjama pour sortir, même sous une robe de sorcier.

Elle fait la moue mais se laisse faire. Le temps pour moi de lui passer une robe légère et d'attacher ses cheveux aléatoirement avec une pince. Pourvu que ça tienne… J'enfile moi-même un pantalon qui jadis fut sur mesure et une chemise, puis je me laisse entraîner vers la cheminée.

L'avenue de Merlin. Connue dans le monde entier, une avenue commerçante digne de la démesure qu'a pris l'Amérique pour les moldus. Pourtant, si ce n'est la longueur qui atteint facilement le double du chemin de Traverse, rien dans la qualité et la renommée des magasins ne diffère de ce dernier.

Je tiens fermement la main d'Eavan et passe devant les enseignes sans m'y arrêter. Nous arrivons là, juste derrière ce tout nouveau magasin où les adolescents en baskets affluent. Je jette un regard à l'enseigne « Farces et Facéties W. Frères. » et je maudis le propriétaire. Impossible de prendre un petit déjeuner tranquille sur la terrasse. Pas temps que ces jeunes crieront à la manière de Pansy devant un rouge aux lèvres.

Par habitude, nous nous asseyons l'un en face de l'autre et je la laisse se barbouiller de confiture. Trop occupé à regarder mon porte-monnaie de plus en plus léger.

Je n'ai plus rien… mon père mort, sa fortune aurait dû me revenir à la naissance de mon héritier. J'avais tout prévu… oubliant que nul n'est habilité à choisir le sexe de son futur enfant. Voilà comment je fus surpris d'avoir une fille. Comme si j'avais pu penser qu'il fallait s'y prendre d'une manière différente pour les concevoir.

Mais elle est là. Il est faux de dire que j'en suis heureux. Je l'aime. Mais je n'en suis pas… heureux. Comment l'être ? Si Eavan avait eu cette chose entre les jambes qui aurait fait d'elle un garçon, je serais en ce moment même en train de rugir contre l'elfe qui aurait trop fait griller les pancakes et en train de retenir sur la paye de ma nurse les quelques minutes de retard qu'elle aurait engendrées.

Ma fille n'a d'autre nourrice que la vieille folle qui habite l'étage d'au-dessus. Je n'ai d'autre maison qu'un appartement miteux. Et d'autres serviteurs que mes bras.

Déjà fatigué par une matinée parmi tout ce monde, je ne traîne pas et rentre chez moi. Sitôt arrivé, je lâche la main de la petite tornade et la laisse vaquer à ses occupations. Le regard vide, fatigué, éreinté par ma situation, je tombe sur une chaise, une boule dans la gorge. Salazar où est le Drago d'autrefois ?

Je ne suis plus personne d'imposant… je ne suis plus personne.

Un claquement se fait entendre le long de ma vitre et machinalement, je l'ouvre pour laisser entrer le courrier du jour. Un exemplaire du « vent de l'ouest » (le journal qui m'embauche) et quelques factures que je n'aurais le courage d'ouvrir qu'après un bon café.

Ma main se pose sur le journal. Je le parcours d'un rapide coup d'œil et grogne en voyant mon article sur les habitudes des cadres sorciers relégué en troisième page. Il ne m'en faut pas plus pour arrêter ma lecture. Plus qu'un choix : les factures.

Loyer… taxe sur les balais… école d'Eavan, pub pour de la nouvelle poudre de cheminette « garantie sans nausées » et une lettre au caractère officiel provenant de mon boulot. Manquait plus que ça… avec la chance dont je fais preuve, j'ai dû me faire virer pour cause de mauvais travail…

Cher Mr Malefoy,

À la vue des services que vous nous avez rendus jusque présent et de l'inutilité de votre poste dans nos modifications, nous avons décidé de revoir votre contrat. Ainsi, si vous le désirez, vous pouvez être notre représentant chez notre confrère : « le hibou britannique ». Pour cela, il vous faudra bien entendu déménager de l'autre côté de l'atlantique et nous pouvons d'ores et déjà vous aider à trouver un logement en Grande-Bretagne.

Nous nous permettons de vous faire remarquer que ceci est une offre qui ne se refuse pas.

Cordialement.

S.G.

En clair, j'accepte où je me fais virer… « Le hibou britannique » nom idiot qui ne m'est pas inconnu. Salazar dans quelle panade me suis-je fourré…