Disclaimer : c'pas à moi du tout et c'est très dommage.

Bêta-test par m'dame Alaiya.

Bonne lecture ;)


Août 1990.

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« Arrête de mugir.

—Je ne mugis pas, je baille. On s'ennuie ici.

—Il n'y a que toi qui t'ennuies, Aldébaran. »

Pour réponse, le Taureau se contenta d'un soupir à secouer la terre et d'une lippe légèrement boudeuse. L'heure était grave : il s'ennuyait et… Il avait faim. On disait souvent, et d'un ton gentiment moqueur, que le Brésilien pensait en tout et surtout avec son estomac. Là où s'asseyait Aldébaran, les plats se remplissaient comme par magie mais pour se vider aussitôt, hélas, au grand désespoir de ceux qui se débrouillaient pour être dans les parages. Pégase et lui avaient leur manière bien à eux d'exprimer leur amitié gagnée de haute lutte et à la pointe de la corne : ils se lançaient dans des concours de gloutonnerie qui n'en finissaient pas d'écœurer les habitants du Sanctuaire. C'était tant mieux, il y en avait plus pour eux et, dans le fond, ce n'était pas faux : il pensait avec sa panse. Le Taureau était un gourmand, un amoureux des nourritures en tous genres. Il se repaissait de plats simples et bruts, de rires francs et d'étreintes gourmandes.

« Je ne mugis pas, Aphrodite.

—Tu es Taureau, tu mugis. Et tu baves aussi. Regarde, là. »

Cette fois, le colosse laissa échapper un grognement entre l'amusement et l'irritation. Amusement, car il venait encore de se faire prendre en flagrant délit de reluquage de l'Aigle et du Serpentaire en plein combat. Irritation, car le Poisson agressait tout le monde, lui compris, de ce ton acide depuis trois semaines. Le Brésilien était infiniment patient mais, de son avis, toutes les limites n'étaient pas faites pour être atteintes et encore moins repoussées.

On disait que son calme et sa bonhomie confinaient à la placidité. Il ne fallait pas non plus exagérer et Kiki l'avait appris à ses dépens après avoir moqué sans discrétion la corne manquante de son armure. Pas d'immunité pour les apprentis des collègues : une bonne tape dans le dos l'avait remis à sa place tout en lui éraflant quelques dents de devant. La pierre, c'était dur, surtout quand on la rencontrait à pleine vitesse et par surprise. Mü l'avait sévèrement réprimandé —on ne plaisantait pas avec les cornes d'un voisin de Temple— et le lendemain les avait trouvés pillant allègrement le garde-manger du Palais sous l'expression atterrée de Shion. Hélas, Aphrodite était loin d'être aussi simple à gérer que le lutin roux : « Quelque chose t'énerve, ma sirène ? plaisanta le Brésilien.

—Oui, fut la réponse lapidaire des Poissons.

—Et quoi, si ce n'est pas trop demander ? » demanda Aldébaran en se passant une main lasse sur le visage.

La réverbération du soleil sur le masque d'or l'aveugla. Il avait tourné la tête vers Aphrodite sans penser qu'elle en ferait autant et il obtint en réponse l'illusion d'un soleil miniature qui brûla ses rétines. Le Poisson lui opposait un visage flamboyant mais inerte en guise de réplique muette et il comprit que l'affaire était grave. Le masque d'Aphrodite était beaucoup plus détaillé que celui de Shaina ou Marin : les yeux de biche s'ornaient de fins cils, une fossette creusait la joue gauche, un grain de beauté s'esquissait délicatement au coin des lèvres. Ces mêmes lèvres, petites mais pleines, se relevaient en un doux sourire de nymphe enchanteresse. Aldébaran ne s'y trompa pas.

Tout avenant que fut le visage de métal, il ne cachait pas la tension qui raidissait la jeune femme. Alors que le silence s'invitait à nouveau entre eux, il l'observa du coin de l'œil. Il avait suffisamment parcouru son corps à la faveur de la nuit pour deviner le malaise qui l'habitait. Quelques gradins derrière eux, le Capricorne les assassinait du regard. « Une sacrée plaie, ce Shura », pensa Aldébaran. Il n'y avait pas de jalousie dans l'air : le problème, pour ne pas changer, venait du dixième étage. La seule présence de l'Espagnol avait le don de crisper Aphrodite. Pour le Taureau, c'était compréhensible.

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Il y a trois ans, à une vache près...

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« Mais qu'est-ce qu'on s'emmerde... » grommela Masque de Mort. Un coup dans les côtes de la part du Lion le rappela à l'ordre et au silence. Les réunions extraordinaires requéraient du calme et de l'attention et extraordinaire, ce rassemblement l'était autant par le nombre de participants que par les sujets à l'ordre du jour. Un Zodiaque complet en état-major, une flottille d'Argents, un bataillon de Bronzes : ne manquait à l'appel que la déesse qui, pour l'heure, avait rejoint les Cieux pour aplanir de vieux différends.

Dans un silence tout relatif, Shion égrena sa liste de tâches et félicita la bonne volonté de ceux qui se proposèrent. On répartit les urgences, planifia des inventaires et des réparations, nota des suggestions et rappela des obligations. On trancha dans le vif aussi en interrogeant la légitimité de certains —entre les cas de duplicité avérée, le choix de la passivité ou l'aveuglement pour les mieux lotis, le Pope s'attendait à des règlements de comptes en pagaille dans les mois à venir. L'ambiance tourna au vinaigre, au point que Shion éjecta manu militari quelques idiots bornés pour en revenir aux affaires prioritaires. L'une d'entre elles, ô combien épineuse, promettait d'exciter un peu plus les foules. Pour l'évoquer, il nous faut toutefois revenir un peu plus en arrière.

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Quelques semaines avant, au-dessus des nuages...

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Artémis donnait de la voix et cela s'entendait jusqu'au morceau de terre qu'Athéna nommait Sanctuaire. Les Guerres Saintes se succédaient et les reproches évoluaient peu. Celui de la chasseresse était une vieille pomme de discorde rongée jusqu'au trognon : la loi du masque imposée aux femmes Chevaliers par sa cadette la faisait grincer des dents depuis l'âge d'or olympien. Lassée par ses jérémiades millénaires, Athéna rendit les armes mais à certaines conditions.

Puisque Artémis réclamait à cor et à cri une égalité de traitement somme toute normale, qu'elle persuade elle-même Héphaïstos de reforger chaque Armure pour y ajouter plus de surface. Elle ne se fit pas prier mais le divin artisan, agacé par ses cris stridents et occupé ailleurs, merci bien, se contenta de céder de la matière première et laissa les survivants atlantes se débrouiller. Cela leur suffit pour déployer tout leur art et rectifier l'Aigle et le Serpentaire —décidément peu efficaces— ainsi que le Caméléon —décidément trop tapageuse. Une fois cela réglé, on s'attaqua à une autre tradition. D'autres voix s'élevèrent et celles-ci étaient bien masculines.

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Il y a trois ans donc, au cours de cette fameuse Réunion Extraordinaire.

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Le Capricorne ouvrit les hostilités en lâchant dans le silence un « c'est une plaisanterie ? » qui fleurait bon le mépris et l'indignation. La nouvelle venait de pétrifier l'assemblée, du premier rang à l'arrière-garde, puis les cerveaux se remirent en marche et on s'exprima à grand renfort de gestes ou de réclamations. Il y eut trois camps : ceux qui approuvèrent vigoureusement pour des raisons parfois inavouables, ceux qui refusèrent et qu'on qualifia de rétrogrades, ceux qui se turent par indifférence ou mesure de prudence. Face à la houle formée par ses Chevaliers, Shion se félicita d'avoir édulcoré la requête d'Athéna. En vérité, la demande de sa déesse était plus directe : supprimer, dès à présent et définitivement, l'antique loi du masque. Le Pope connaissait bien les traditions et les mentalités de son Sanctuaire : plutôt que de faire avaler ce changement brutal à ses ouailles, il préféra une approche inversée.

Il proposa aux femmes de conserver leurs masques si elles le désiraient. Dans le cas contraire, il leur demanda de le porter au moins lors des entraînements et des missions. Le reste du temps, elles étaient libres de vivre enfin à visage découvert et d'adopter la tenue civile qui leur conviendrait. Alors qu'une marée de glapissements scandalisés emplissait la salle, les jeunes femmes se regardèrent —comment diable pouvaient-elles se comprendre avec leurs masques, sans parler et dans ce brouhaha ? Les visages de métal lisse se tournèrent de nouveau vers Shion, posant une question muette que l'Atlante comprit. Le Pope compléta son discours : « La loi du masque brisé est supprimée. Trop injuste et cruelle pour les deux concernés. » Un rang d'épaules se relâcha dans un bel ensemble, signe d'un soulagement immense, et Pégase, dans un coin de la pièce, s'autorisa un « ouf ! » qui traversa la masse compacte des plaintes et des réclamations.

Milo leva alors la main pour demander si les hommes pouvaient porter le masque eux aussi. Il n'avança qu'un argument esthétique qui lui valut une avalanche de regards indignés mais le Pope promit d'y réfléchir —plus tard, beaucoup plus tard, quand toute l'excitation serait retombée. Ce point réglé plus tranquillement qu'il ne l'avait espéré, Shion aborda le reste des sujets à l'ordre du jour.

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Revenons à aujourd'hui.

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« Je vais lui balancer une rose noire dans les bijoux de famille à ce con-là... » marmonna Aphrodite un peu trop fort. Aldébaran grimaça par solidarité masculine mais n'en pensa pas moins : une ou deux bonnes claques à vitesse-lumière mettrait peut-être un peu de plomb dans la cervelle du Capricorne qui bouillait d'impatience derrière eux. Les deux se retrouvaient régulièrement dans des duels à n'en plus finir mais aujourd'hui, sans raison apparente, Shura se retenait de la provoquer en grognant sa frustration. Ce changement d'habitude intrigua la Suédoise qui pivota pour l'observer et croisa son regard sombre. Il la fixait, les yeux emplis d'une fureur rentrée et d'autre chose, oh si peu subtil... Qu'Aphrodite comprit cela comme une provocation. Elle abandonna le Taureau sur son banc de pierre blanchi par le soleil et se planta devant le gêneur, signalant le début des hostilités.

Aldébaran suivit leur descente dans l'arène d'un œil morne, assommé par la chaleur. En sentant la tension entre Poissons et Capricorne, les quelques fous qui s'entraînaient encore s'égayèrent dans les gradins du Colisée. Curieux, les spectateurs improvisés les observèrent alors que les deux Ors se regardaient sans s'attaquer. Un vent frais fit frissonner le Taureau à l'instant où Camus s'assit près de lui : « Ces deux-là ne comprendront jamais, soupira le Français.

—Parce que tu as compris, toi ? lui répondit le colosse, dubitatif.

—Je ne suis pas aveugle. C'est juste que je ne partage pas mes conclusions.

—Et ce sont tes voisins. Ça aide.

—Je suis littéralement aux premières loges, tu n'as pas idée à quel point. »

Un choc de cosmos traversa les gradins et scia les jambes des malchanceux se tenant debout pour observer le spectacle. La poussière leur brûla les yeux puis on entendit enfin le choc entre les deux parties. Sous le nuage ocre, on distingua Aphrodite, une jambe levée et tendue vers les côtes de l'Espagnol, et Shura, les bras croisés en position de défense. Même pour un entrainement entre Chevaliers d'Or, c'était bruyant, spectaculaire et trop proche de la vitesse maximum réglementaire —Shion allait adorer.

« Et donc, continua Camus d'un ton factuel, quand ces deux-là se battent sans Armures, ils font plus de bruit qu'avec.

—Tu en déduis quoi, toi qui es « aux premières loges » ? lui demanda le Brésilien, toujours aussi perplexe.

—Qu'il est temps de les laisser s'entraîner… En toute intimité. Tu me dois une revanche, tu te rappelles ?

—Je m'en souviens. »

Second et onzième gardiens quittèrent la zone d'entraînement, chassant les curieux vers les arènes secondaires par la même occasion. Eux s'orientèrent vers un cirque rocheux niché dans les falaises où la pierre portait mille stigmates, cosmos et poings confondus. Durant plusieurs heures, ils firent trembler la terre et le ciel avec application.

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Aphrodite était furieuse. D'ordinaire, un combat contre Shura était un moment d'adrénaline concentrée qu'elle ne retrouvait nulle part ailleurs —sauf entre les draps d'Aldébaran mais peut-être en reparlerons-nous après. L'Espagnol rendait coup pour coup, sans baisse de rythme, sans jamais ralentir. Bizarrement, compte tenu de son mépris pour la Suédoise, il n'avait jamais commis l'erreur de la sous-estimer, à la différence des autres Ors qui s'en étaient mordus les doigts après une première mise au point musclée. Le Poisson en profitait pour rattraper les années à esquiver les entraînements au corps à corps pour frapper et frapper encore la poignée d'imbéciles qui persistaient à la voir comme une faible chose hystérique. Sauf qu'aujourd'hui, le Capricorne ne réagissait pas comme prévu.

Après avoir encaissé quelques attaques, Shura se contentait maintenant de les esquiver mollement. La Suédoise tenta un ou deux coups en traître vers l'entrejambe mais le Capricorne, même oublieux du monde, du lieu et du contexte, les évita sans peine et continua de la fixer de ses étroits yeux noirs. Toute agressivité s'était évaporée de son cosmos et sa passivité fit basculer Aphrodite de l'agacement à la colère. Un cri de rage écartela l'air et le silence, une grêle de coups suivit et submergea l'Espagnol qui comprit bien trop tard ce qu'il avait déclenché.

Porté par sa fureur, le Poisson se rapprochait dangereusement de la vitesse maximum autorisée en entraînement. Shura se demanda s'il devait lui aussi faire flamber son cosmos —« Et les règles alors ? »— mais n'eut pas le temps d'achever sa réflexion. Un coude s'enfonça dans son estomac, une paume sur son plexus expulsa l'air de ses poumons et une jambe levée à un angle improbable le cueillit sous le menton pour l'envoyer glisser loin sur le sable. Le Capricorne grimaça sa douleur en retrouvant le sol et pria Athéna pour que le désastre qu'il devinait imminent n'arrivât jamais. Las.

Son souffle mourut dans sa gorge quand il sentit les cuisses du Poisson contre les siennes et la panique l'envahit en comprenant qu'Aphrodite s'installait à califourchon sur ses jambes. Refusant d'ouvrir les yeux pour assister à sa défaite, il tenta de se dégager sans grande conviction et n'obtint en récompense qu'une claque déshonorante qui résonna longuement dans l'enceinte de l'arène. Une seconde suivit, une troisième l'accompagna et ses joues frottèrent alternativement le sol, la gauche puis la droite, la gauche puis la droite... Aphrodite ponctuait chaque gifle d'un « han » étouffé qu'il trouvait affreusement suggestif —ce qui n'était pas pour l'arranger. « Pourquoi tu ne te défends pas ? » haleta la jeune femme entre deux soufflets qui ajoutèrent à l'humiliation du Capricorne. Ce dernier se décida enfin à réagir, attrapa au vol les poignets de la Suédoise et les immobilisa à bonne distance de son visage. Il était temps.

Les gifles se muaient en coups et il estimait avoir eu sa part pour la matinée. Presque aussitôt, il regretta de ne pas avoir gardé ses paupières fermées. Au-dessus de lui, un œil immense, grand comme le ciel, engloutit ses réflexions le cercle azur se remplissait d'encre, alimenté par une rage flamboyante. À quel miracle devait-il cette vision divine, cette apparition ? Le masque d'or s'était fait translucide du côté gauche et il s'abreuva à cet iris étoilé. L'expression de son visage s'adoucit et Aphrodite, se trompant encore, en fit une marque de mépris supplémentaire. « Tu n'es pas une menace », crut-elle lire et cette simple interprétation suffit à rallumer sa colère.

« Tu m'emmerdes, Shura », cracha la jeune femme avec une vulgarité qui ne surprenait plus personne. « Tu m'emmerdes, répéta-t-elle. Tu me détestais quand tout le monde me prenait pour un homme et tu me méprises depuis que je suis une femme. Qu'est-ce que je t'ai fait exactement ? C'est le masque, ton problème ? C'est ce putain de masque ? »

Elle se libéra d'un mouvement brusque, retira son masque et le plaqua brutalement sur le visage du Capricorne. Le métal étouffa sa surprise et son horizon vira au noir. Le contact surchauffa sa peau et il eut l'impression tenace que l'objet se refusait à lui. La chaleur se dissipa pourtant et ses yeux retrouvèrent avec soulagement les couleurs du monde, juste à temps pour voir la rage déformer les traits de la Suédoise et ses mains descendre sur son cou. Elle exsudait la haine par tout son cosmos et Shura, sentant ses doigts se crisper sur sa gorge, eut peur pour la première fois depuis... Peur de quoi, au juste ? De mourir de ces mains miraculeusement épargnées par les combats ? Une déchéance à ses yeux, une humiliation pour l'ancien lui. Mourir de la main d'une femme, mourir de sa main à elle... Quelle faiblesse. En cet instant, il se trouva ridicule. Aphrodite était un Chevalier d'Or, après tout. Comme lui.

Rien ne vint. Le poids sur son corps s'évanouit et il put enfin se mouvoir librement. Il se redressa à moitié, juste assez vite pour voir le Poisson quitter l'arène d'un pas pressé, fuyant le combat, le lieu ou lui peut-être ? Il entendit des pas traînants dans son dos et le visage goguenard de Masque de Mort se matérialisa au-dessus de lui. « Alors, on bronze ? » fut la réplique prévisible de l'Italien. Le visage du Capricorne se chiffonna sous l'exaspération et le Cancer, à défaut de le voir, le devina.

« Tu veux quoi ? grogna Shura en réponse.

—Un combat puisqu'on est dans une arène. »

Le Capricorne secoua la tête pour remettre ses idées en place et se dit que cette demande avait du sens. « Va pour un combat alors... » répondit l'Espagnol en se remettant sur pieds. Il décrocha le masque d'un effleurement de cosmos et le posa sur un rocher à proximité où il capta un rayon de soleil. Quand ses poings rencontrèrent ceux du Cancer, le visage d'or frémit et distilla dans l'air un millier d'épingles dorées.

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La Fameuse Réunion Extraordinaire.

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« Par souci d'égalité de traitement entre femmes Chevaliers... » continua Shion dans un brouhaha qui enfla soudainement. Était-ce le début ou la fin de sa phrase ? Nul n'aurait su le dire et cela n'avait guère d'importance. L'important résidait dans ses mains sous la forme d'un masque d'or aux traits indéniablement féminins. On y devinait une petite bouche ourlée qui donnait l'impression de rire, d'un rire qu'on imaginait sans peine liquide et cristallin. Le contraste avec celui de Shion était saisissant : le Pope arborait un visage de fer lisse, sans lèvres ni nez, où seuls les yeux, à peine esquissés, faisaient office de traits humains.

Le vacarme cessa et on se remit à murmurer. Les interprétations les plus folles se répandirent du premier rang à l'arrière-garde. On dévisagea tour à tour Mü, puis Shaka, puis Aphrodite on élimina les Poissons des suspects, trop facile et trop évident on s'interrogea plus longtemps sur le Bélier et la Vierge, par précaution, et quelques-uns virent leurs mains bleuir sans avertissement pour avoir, disons-le franchement, déshabillé des yeux le hiératique Verseau. « Gardez vos fantasmes stupides, tas d'imbéciles ! » clama-t-il à la ronde et les rires sous cape se turent.

Le calme de Shion était déstabilisant. Insensible à l'agitation de ses Chevaliers, il attendait silencieusement que la coupable se dénonce et s'avance. On remarqua enfin que l'Aigle, le Serpentaire, le Caméléon, le Paon et quelques autres s'étaient avancées avec une discrétion relative vers Aphrodite. Le murmure revint, grandit, grossit, explosa enfin dans un vacarme où se mêlait questions et réponses, injures et infamies, fierté pour elles et surprise outrée pour eux.

Elle, la traîtresse rattrapée par le temps, restait immobile, droite et fière dans son Armure, et les yeux emplis de méfiance pour le masque d'or. Son impunité se brisait et l'heure, à son grand désespoir, était au jugement et à la pénitence. Sans préavis, son existence à visage découvert se terminait et une partie de sa liberté partait en fumée. Elle offrit un sourire à ses consœurs et s'approcha de Shion dans un silence soudain. Pour celles qui avaient conservé son secret pendant toutes ces longues années, il fallait renoncer avec grâce à ce privilège injuste et conservé par un très pieux mensonge.

Le masque chantait son nom dans les paumes du Pope. Elle l'effleura avec un soupçon de crainte, s'en empara dans un mouvement de rage et s'en affubla pour cacher sa détresse. Le Sanctuaire découvrit alors le véritable visage d'Aphrodite des Poissons.

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Et l'ironie n'échappa à personne, soyez-en certain.

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Le présent, splendide et prometteur. Paraît-il.

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« Magda, ne t'acharne pas sur ces ronces comme si elles avaient le visage de mon très cher voisin du dessous.

—Ça te dérangerait d'utiliser mon prénom en entier ?

—Que je sache, je ne t'ai jamais empêché de m'appeler Gab'... » pointa le Verseau en s'installant sur une grosse pierre plate qui encombrait le jardin. En tailleur sur son siège improvisé, une ride en travers du front, il avait tout d'un penseur découragé venu trouver des réponses dans la beauté paisible d'une nature bien entretenue. Qui savait dans quelles sphères inconnues voyageait cet esprit agile ?

« C'est bien que tu laisses ce gros caillou là, dit-il en tapotant la surface rugueuse sous lui, ça permet d'attendre le jour où tu installeras enfin des chaises de jardin. »

Autant pour les pensées élevées.

« Tu es venu me parler meubles d'extérieur ? Tu n'as rien de mieux à faire ? » râla la jeune femme. Le Verseau se dandina un peu sur son rocher, plaça son menton sur sa paume gauche, échangea avec la droite, trouva cela plus confortable, soupira, frémit et soupira encore un peu plus pour le principe, complétant ainsi le portrait d'un homme qui accepte la défaite.

« Je n'ai pas toute la journée, Gabriel.

—Je repars à Asgard dans deux semaine, lâcha le Verseau après un nouveau silence.

—Je me suis laissée dire ça, oui. Et ?

—Magda, Magda, cette fois-ci c'est très sérieux. Si je reviens, et j'insiste sur le « si », ce sera en tant que prince consort. »

Aphrodite tira brutalement sur une tige qui lui resta entre les doigts. Elle le fixa, les yeux écarquillés, un plant déchiqueté dans les mains qui lui remontait le long du poignet comme un serpent de jade. Camus cacha son visage dans ses paumes avec un long, très long, gémissement de désespoir.

« Elle est enceinte. Magda, je suis dans la merde, totalement et complètement dans la merde, geignit-il avec un écart de langage inhabituel pour qui ne l'avait jamais croisé ivre.

—Ah, effectivement. On peut dire ça. Tu es sûr de ton coup, au moins ?

—Magda ! s'indigna le Verseau touché dans sa fierté.

—Moi, ce que j'en dis hein... Ça pourrait très bien être Saga. Tu y as pensé ? Enceinte de combien, au fait ? »

Il pinça les lèvres et avoua : « Quatre ou cinq mois, à peu près. Et elle n'a jamais couché avec Saga. Ce ne sont que des rumeurs.

—Quatre ou... ? »

Aphrodite se livra à un rapide calcul qui provoqua une expression perplexe : ou elle ne savait plus compter ou il lui manquait des informations. Camus et Hilda de Polaris s'étaient rencontrés pour la première fois il y avait trois mois lors d'une ambassade menée par les Gémeaux, ambassade qu'Aphrodite avait intégrée bien malgré elle. Les négociations qui avaient débuté le lendemain de leur arrivée avaient été longues et fastidieuses, un foutoir diplomatique et administratif dont la Suédoise n'avait rien retenu à part l'irruption des deux dirigeants de Blue Graad en plein milieu et surtout, surtout, l'électricité entre les Gémeaux et la reine d'Asgard.

« Bon, allez, avoue tout. Où et quand ?

— Février dernier, pendant ma reconnaissance des ruines de Blue Graad. Je devais la faire avec un érudit du palais.

—Je me souviens de ça. Shion était surexcité à l'idée d'envoyer quelqu'un, se remémora Aphrodite en retournant à ses plantes.

—Je le comprends. J'étais tellement pressé de partir que j'ai foutu Misty à la porte après avoir reçu mon ordre de mission. Le pauvre, obligé de demander l'asile aux Blue Warriors... Je crois qu'il m'en veut toujours. Bref, j'ai commencé à explorer les ruines tout seul et elle est arrivée le lendemain. Je me suis dit à sa façon de parler qu'elle était probablement d'une famille noble mais rien ne donnait son rang précis. Quant à son cosmos… Il était à un niveau très bas mais, en soi, rien d'exceptionnel pour une Asgardienne donc je n'ai pas cherché à jauger sa puissance plus que ça. Oui, je sais, je sais : erreur d'apprenti. Mais je le jure, je ne savais pas que c'était elle ! La première semaine, un blizzard nous est tombé dessus et nous n'avons rien trouvé de mieux à faire pour nous réchauffer que... »

Le Verseau débita son histoire en mâchant ses mots avant de se remettre à soupirer, vaincu par la honte.

« On dirait que tu as bien réussi ton coup. C'était pour ça la convocation de Shion ?

—Pour Saga et pour moi, oui. Son flirt avec Hilda a franchi les frontières. Il voulait tirer ça au clair entre nous deux.

—J'en connais un qui doit t'en vouloir.

—Bel euphémisme. »

Aphrodite interrompit à nouveau son jardinage pour réfléchir à la situation de son ami et voisin. Elle était complexe, en vérité. Il se disait qu'Odin était très possessif avec ses prêtresses et que s'il les choisissait souvent jeunes, jolies et avec une courte espérance de vie, c'était pour se les réserver au paradis. Pour ce que la Suédoise en savait —et qu'elle tenait de la reine, justement—, le mariage et la maternité n'étaient pas des étapes dans les vies des servantes d'Odin mais qui pouvait se vanter de connaître leurs coutumes ? Asgard cultivait le secret et se coupait du monde depuis si longtemps que son nom était à peine mentionné dans les Archives. Sans Kanon et ses manigances, le royaume aurait été relégué avec l'Atlantide au rang de légende. Comment savoir dans ces conditions si cette situation était exceptionnelle ?

Dans tous les cas, le pauvre Camus se retrouvait embarqué dans une histoire qui allait probablement le conduire devant un autel. Tout ceci fleurait bon l'alliance à renforcer et le piège se refermait sur la reine de Polaris et lui, avec Saga en dommage collatéral de cette intrigue, l'amant malheureux qui n'aurait pas la chance de courtiser la dame de son cœur. Les trois étaient des êtres pétris par le devoir et aucun ne remettrait en cause la décision de leurs divinités tutélaires. C'était infiniment triste mais Aphrodite ne pouvait que prier pour le sort de son ami et espérer que la liberté de vivre qui lui avait été rendue n'aurait pas à s'incliner face aux tractations divines.

Un froissement d'herbe les tira de l'abattement où ils s'étaient enfoncés et Masque de Mort apparut dans le jardin, accompagné de la Chevelure, son ancien apprenti. On salua du bout des lèvres au douzième et au onzième, on grogna au quatrième et puis ce fut tout ou presque : l'Italien mit une grande tape dans le dos de son cadet, le surprenant et le faisant tituber sur quelques pas.

« On voudrait pas déranger vos petits papotages, hein, mais le môme là veut se faire passer pour Casanova. Il a juste pas compris qu'on chope rien en sentant la sueur. Donc si madame a un truc qui sent pas trop les fleurs pour lui, on est prêt à payer.

Il est prêt à payer.

—C'est ce que j'ai dit, le môme. »

Aphrodite rechigna mais entraîna l'adolescent vers ses appartements, laissant le Cancer à l'extérieur. Camus déroula sa longue silhouette et s'achemina vers des affaires plus urgentes, non sans une dernière parole qui l'agaça au plus haut point : « Tu devrais aller voir Shura quand même. Pour discuter », conseilla le Verseau avant de s'éclipser.

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Ledit Shura était à l'agonie, cloîtré dans son Temple, consumé par une fièvre qu'il répugnait à nommer. Elle lui mangeait l'esprit, perçait ses poumons et s'agrippait à ses entrailles comme une créature à la faim dévorante. Le Sanctuaire était si prompt à accueillir et déformer la moindre information que la rumeur courait déjà sur sa parodie de combat avec les Poissons, la transformant en histoire d'amour contrariée. Rien n'était plus faux, se répétait le Capricorne en espérant encore gober son propre mensonge : il mourait de désir et c'était totalement différent. Il soupirait pourtant comme un amoureux solitaire dans l'obscurité de sa chambre.

Le masque d'Aphrodite reposait tranquillement sur les draps de son lit. Son regard capta le sourire taquin si semblable à celui de la Suédoise et sa respiration s'emballa. Il le posa sur son visage, inhala les effluves de rose qui s'y accrochaient encore. La réaction, cette fois, eut lieu beaucoup plus bas.

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Aphrodite posa tout son attirail sur l'établi branlant et considéra le conseil de Camus. « Non mais de quoi je me mêle ? » grogna la jeune femme dans la pénombre de son appentis. Elle soupira bien fort, prit son courage à deux mains et se décida à descendre au dixième.

Enfin.

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Le Capricorne roula sur le ventre avec un grognement d'insatisfaction. Un ange enveloppé du cosmos de la Vierge passa son Temple et Shura entendit enfin les sanglots déchirants d'un sitar descendant du Palais. L'Hispanique grogna encore, refoulant au loin un souvenir aigre. La mélodie devait provenir du Pope lui-même, de ses doigts agiles et de sa mémoire insondable. Son élève et lui s'étaient sûrement installés dans l'ombre des colonnes à l'entrée du Palais et les notes ainsi portées devaient s'entendre au moins jusqu'au Sagittaire. Exactement comme ce jour d'été, un an après leur retour à la vie, où Shaka s'était exclamé « Je reconnais cette musique ! » et s'était empourpré aussitôt après, un peu honteux de son éclat de voix et de son enthousiasme. On avait ri gentiment, surtout ce groupe hétéroclite et improbable qui avait absorbé la Vierge en son sein. Camus, pince-sans-rire, s'était fendu d'une taquinerie, Milo avait renchéri et Aldébaran avait poursuivi l'air de rien.

Au milieu de cette étonnante démonstration d'amitié, Shura n'avait retenu qu'une seule voix : celle d'Aphrodite prononçant le prénom de l'Indien avec un doux sourire qui avait émietté son cœur. Kamal pour Kamalnayan, « aux yeux de lotus », le bien nommé. « Ka ». « Mal ». Avec une accentuation légère sur le « ka » et une aspiration quasiment inaudible sur le « mal ». Oh, comme son corps s'était crispé de jalousie, comme il avait haï son esprit d'avoir superposé son prénom à celui de la Vierge. Le sien, le vrai, était ni exotique ni élégant —ni rien du tout, en fait— et ne franchirait jamais ses lèvres sur un sourire ou un gémissement de plaisir. Et cela, vous vous en doutez, le remplissait de tristesse.

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Un bruit à sa porte brisa sa langueur. Comme dans un rêve, il se leva, le masque des Poissons à la main, et ouvrit. Aphrodite, furieuse avant même de parler, se tenait sur le seuil de ses appartements. Elle avisa son masque, tenta de lui arracher en vain et affronta un regard noir soudain résolu.

« Aphrodite, attends. Je voudrais m'excuser. Et t'expliquer. Essayer, au moins. S'il-te-plaît ? »

Il avait parlé avec une détermination qui lui faisait défaut dernièrement. Peut-être que, finalement, cet homme-là était un Chevalier. Peut-être que cet homme-là était un homme courageux.

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Il expliqua. Pourquoi il l'avait détestée, pourquoi il ne la détestait plus. Pourquoi il se détestait lui, comment il s'était accepté : difficilement. Le Capricorne était... Un éternel trompé. Bien sûr, sa raison ne rejetait la faute sur personne. Tous ces évènements qu'il placardait comme des trahisons ne cachaient pas ses propres erreurs. Sa fierté blessée portée en étendard n'était qu'une piètre défense face à son aveuglement car, comme les autres, il avait perfectionné l'art d'ignorer les écarts répétés du faux Pope. Mais au milieu de ce jeu de dupes, une traîtrise ultime lui permettait de remâcher sa rancœur sans remords. Bien sûr, elle s'appelait Aphrodite.

Avant elle, il y avait eu Aiolos, modèle et exemple. Il avait foulé au pied sans le vouloir l'adoration aveugle de l'enfant qu'il était, déjà un peu trop grand, rigide et gauche dans son armure clinquante. Shura pensait avoir admiré un parjure et le parjure avait achevé sa formation en le transformant en tueur. Même aujourd'hui, la vérité enfin connue et tous les pardons accordés, il était incapable de penser autrement. L'image de cette nuit était gravée dans sa mémoire et le goût de la trahison enseignée par son idole lui brûlerait longtemps la langue.

Il y avait eu Saga et sa duplicité. Oh, il ne pouvait pas dire qu'il n'avait jamais rien soupçonné. Il avait essayé de se faire entendre une fois : il se rappelait très bien avoir remis en question une directive du Pope lors d'un compte-rendu de mission puis... Le reste de sa vie était un amas confus de souvenirs jusqu'au réveil brutal, l'électrochoc de la Bataille du Sanctuaire. Le Capricorne avait ouvert les yeux, avait compris et s'était maudit pour cette erreur commise treize années plus tôt qui les avait tous menés au désastre. Le bras fautif avait mérité d'être tranché par son adversaire et il avait réparé sa faute en sauvant in extremis le Dragon.

Il y avait eu ce Surplis infâme, cette parodie d'Amure qu'il avait endossée pour tromper Hadès et ses hommes. Ce bref passage sous drapeau ennemi lui provoquait toujours des cauchemars et une douleur fantôme au bras, là où la chair avait été tranchée par Shiryu. Il se réveillait au cœur de la nuit entouré de vapeurs fétides qui lui évoquaient les Enfers avant de réaliser qu'il était au Sanctuaire, vivant et sauf. Il avait sacrifié son nom, son honneur et sa tranquillité post-mortem pour une action qu'il avait jugée bien piètre sur l'instant et même si Athéna avait triomphé, porter un Surplis lui avait suffoqué le cœur.

Ils étaient revenus.

Ils étaient apparus en déformant la trame du monde, singuliers fœtus à la croissance accélérée. On les avait rendus à la terre des vivants enveloppés de langes à taille adulte, chacun dans un berceau de pierre monumental et une Armure d'Or en guise de hochet. À leur charge de vivre enfin avec ces ultimes cadeaux. D'être humain, à peu près. Shura avait essayé. Et échoué.

« Aphrodite, écoute. Je suis désolé, vraiment. Être aussi agressif, ce n'est pas moi, ça n'a jamais été moi. Mais pendant toutes ces années... Pendant toutes ces années, j'ai cru que tu étais un homme. J'ai gobé ça, comme les autres. J'ai fini par l'intégrer, une bonne fois. C'était difficile à accepter, surtout quand j'ai réalisé que j'étais attiré par toi. Par un homme. »

Le fond du problème. Plutôt simple, finalement, pour une pièce qui se jouait au Sanctuaire, une caserne divine qui, si on occultait les capacités exceptionnelles de ses occupants, n'offrait rien de neuf côté mœurs —une demi-douzaine de femmes Saints en période faste, le calcul était vite fait comme le disait avec poésie Masque de Mort, on n'enfermait pas autant d'hommes et si peu de femmes sur une aussi petite surface sans en prévoir les conséquences ou un bordel. La belle affaire : ses désirs n'étaient pas plus faciles à accepter parce qu'il était entouré de colonnes millénaires. Longtemps il s'était traité de déviant, de pervers, jusqu'au jour où il avait réalisé que ses yeux se portaient plus vers les discrètes servantes du Pope que sur les gardes en faction.

« Finalement, tout n'était pas perdu pour moi. »

Aphrodite tiqua sur ces mots : brouiller les pistes pendant la plus grande partie de sa vie avait renversé sa conception du désir. Elle avait été homme aux manières délicates puis femme au corps noueux, une véritable curiosité pour ceux qui désiraient la posséder quand elle était encore « il ». Être l'un ou l'autre. Aimer l'un, désirer l'une ou l'inverse : cela n'avait aucune importance pour elle. Pas pour le Capricorne, déraciné trop jeune mais pétri de vieilles peurs et de tabous sentant la poussière, marqué dans son esprit d'enfant par des croyances refusant de mourir. Il avait culpabilisé pour des envies qu'il ne pouvait pas maîtriser, au point de tout confondre et de tourner en rond longtemps avant de se comprendre.

La vérité de cette histoire était pourtant très simple : quelque part entre enfance et adolescence rognées, la bataille du Sanctuaire, celle contre Hadès et son retour à la vie... Il était tombé amoureux d'Aphrodite. Il avait admiré son talent au combat et ses techniques si particulières. Il avait apprécié son implication dangereuse contre le sombre monarque. Puis ils étaient revenus. Les masques étaient tombés, à plus d'un titre, et la jeune femme les avait affrontés sans jamais baisser les yeux, statue d'or vivante et fière.

S'il l'avait huée à l'époque comme beaucoup d'autres, c'était autant par bêtise, il le reconnaissait, que par colère de s'être fait duper une fois encore. Athéna, qu'il l'avait détestée ! Pourtant, il reconnaissait aujourd'hui que même à ce moment-là, il l'avait admirée. Elle n'avait pas répondu une seule fois aux insultes qui l'avaient poursuivie —et il y en avait eu, des infamies lâchées à voix basse sur son chemin. Elle était restée droite face à cette injustice qui lui faisait porter ce masque qu'elle avait fui de longues années. Il l'avait regardée, il l'avait méprisée et il l'avait respectée.

Après encore, quand les murmures s'étaient étouffés, il avait observé sa transformation avec une attention qu'il ne pouvait plus nier. La jeune femme appliquait maintenant son idéal de beauté à ce qui l'entourait plutôt qu'à son visage, mettant à profit toutes ses connaissances des plantes et pharmacopées du monde. Avec une discrétion et une abnégation forçant le respect, Aphrodite s'était éclipsée pour laisser la place à une Magdalena qui se cherchait encore.

À distance, Shura avait étudié toutes ses facettes. Il aurait pu les apprécier à leur juste valeur mais, enchaîné par sa rancœur, tiraillé par ses anciennes envies, il s'était fait agressif et amer. Étourdi par ses sentiments passés et nouveaux, il était devenu lointain et fuyant. Lui aussi s'était cherché, longtemps. Aujourd'hui, alors que le masque de toutes les discordes rayonnait entre eux et que sa propriétaire se trouvait près de lui, il savait ce qu'il voulait. Athéna lui en soit témoin, si une guerre devait un jour les renvoyer sur un champ de bataille, ce serait avec un immense honneur qu'il protégerait le dos du Chevalier des Poissons. En espérant qu'elle accepte d'en faire autant.

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À un moment, pendant le long monologue du Capricorne —se rendait-il seulement compte de tout ce qu'il avait dit ?—, Aphrodite récupéra ce qu'elle était venue chercher et resta là à l'écouter, les yeux arrondis de surprise. Rien ne l'avait préparée à cette déclaration en bonne et due forme, tortueuse et maladroite, honnête et touchante, digne du soldat qu'il était. En témoignait la plainte métallique du fameux masque quand il toucha le sol, abandonné par sa propriétaire, occupée à rassembler son cœur et sa raison éparpillés par les paroles de son alter ego.

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*retourne dans sa grotte préparer le prochain chapitre*