D'un coup d'œil furtif, Lily s'assurait que rien ne clochait dans le décor. Tout était étrangement calme, comme d'habitude. Quelques moldus rentraient chez eux avec une multitude de sacs sous le bras, des bonbons pour halloween sûrement. Rien de plus. Sa crainte cessa de peser sur son estomac. Aucun signe qui laisserait entrevoir une quelconque attaque. Mais il fallait être réaliste. Voldemort n'était pas du genre à s'annoncer. La rouquine tapota nerveusement de ses ongles, la table de la cuisine. Cette sérénité la dérangeait car elle était fausse. Elle savait pertinemment que cette pérennité illusoire ne ferait qu'endormir sa vigilance. C'était ce qu'il fallait éviter. La sorcière secoua sa tête afin de se raisonner. Sa paranoïa la poussait dans une mauvaise direction. Ils étaient en sécurité. Elle rangea les quelques objets traînant ci et là sur l'évier puis décida de quitter la pièce pour gagner le salon. Un homme à la tignasse emmêlée alignait des guirlandes au-dessus de la cheminée. Il attachait la dernière banderole où divers potirons venaient s'aligner. Il sifflotait une chanson des Bizzar's Sisters en ajoutant des « pam pam » aux endroits qu'il jugeait un peu trop plat. James se retourna et offrit une moue déconfite à sa femme.

« Pour l'originalité, on repassera hein. »

Lily leva les yeux au ciel, c'était la millième fois qu'il lui répétait ça. Sa réaction amusa grandement le sorcier.

« Je trouve ça très bien. C'est très gentil de la part de Remus de nous avoir apporté de quoi fêter Halloween. »

L'homme recula d'un ou deux bons mètres et admira son œuvre. Il sortit sa baguette et en quelques tours de poignet, anima le papier. Les citrouilles ricanaient, les chauves-souris battaient des ailes, les fantômes tremblaient. Il alluma les citrouilles de diverses tailles réparties dans la pièce et donna vie à un vieux squelette en plastique qui s'acharna dès lors à faire des allers-retours entre la porte du salon et celle du couloir. Il clopinait à la manière de Fol-Œil et cette pensée fit sourire bêtement James.

« J'espère que le petit aimera ! »

Lily hocha de la tête, bras serrés contre sa poitrine. James l'attira contre lui.

« Arrêtes de t'en faire. Il ne lui arrivera rien. »

« Je sais… »

Il glissa sa paume dans la crinière flamboyante de la jeune femme et en profita pour attraper son menton.

« Non, tu ne le sais pas. Lily, on a fait tout ce qu'on pouvait. Dumbledore lui-même nous a aidés. Arrête de t'en faire autant. On est à l'abri. D'ailleurs, je comprends pas pourquoi il nous oblige à rester enfermés…»

Cette discussion sans issue à nouveau. Il était temps que Sirius repasse par chez eux. Il était bien le seul à savoir trouver les mots justes pour apaiser la fougue de James. Ils s'installèrent dans le divan et observèrent le jouet trottiner d'un bout à l'autre de la salle. Lily posa sa tête contre le cou de son époux. L'arôme voisin apaisa ses angoisses aussi rapidement qu'un sortilège d'amnésie. Son optimisme la réconfortait au milieu du malaise permanent. Même si son impatience grignotait du terrain, il semblait toujours certain que ce cauchemar aurait une fin. Une fin proche même.

« Faudrait que je recommande ce livre à Sirius. Dans le genre, nous sommes tous des psychopathes refoulés. Il va adorer ! »

James la tira de sa torpeur en lui présentant un petit ouvrage. « Difficultés & abstractions du moi spirituel». Lily s'empara du livre et le feuilleta sans grandes convictions. La facture du bouquin laissait supposer qu'il n'avait pas été lu.

« Qui t'as passé ça ? »

Le sorcier dévoila ses dents d'un autre sourire.

« Disons que je l'ai trouvé… »

La rouquine fronça les sourcils rudement et chercha sur les premières pages un nom. Une fine écriture apparue alors. « Hailey, 5éme année, Poufsouffle. »

« Bon, bon, ne me fais pas ce regard. Je vous jure Madame la préfète-en-chef que jamais je n'aurais osé voler ce livre à sa propriétaire. Rusard lui avait confisqué, tu comprends ? On l'a embarqué avec les autres trucs qu'on a pu trouver. »

Le rire de Cornedrue effaça l'exaspération de la jeune femme. Les meilleures années de James Potter. Irrévocablement. Elle ne pouvait même plus lui en vouloir. Surtout pas depuis qu'ils étaient captifs d'un dessein bien sombre.

« Pourquoi est-ce qu'il lui aurait confisqué ça ? »

Une nouvelle vague d'hilarité gagna son mari.

« Si je m'en souviens bien, il l'a pris pour un traité de magie noire. Quel imbécile. »

Lily eut du mal de gober cette explication. Aussi borné qu'il fût, jamais Rusard n'aurait pris une inoffensive thèse divinatoire pour une science occulte. Face à l'expression déconcertée de son épouse, le jeune homme finit par avouer.

« Ok, on lui avait un peu chamboulé l'esprit ce jour-là. J'avoue. Bah, au moins, on a sauvé Hailey de la déchéance. Attends, la divination. Y a rien de mieux pour te laver le cerveau, tu ne crois pas ? »

La rouquine ne prit même la peine de répondre. Cependant, un petit rictus s'était glissé sur les coins de ses lèvres.

« Tu as gardé ça depuis tout ce temps ? »

La façon dont il conservait ses vieux souvenirs, laissait Lily rêveuse.

« Bah. »

Il haussa les épaules. Il déposa sa bouche à mi-chemin entre les cheveux et le front de son épouse puis se leva d'un seul mouvement, déterminé.

« Où est-ce que tu vas ? »

James demeura mystérieux et ne lui donna qu'un clin d'œil en guise de réponse. Avant de partir, il prit soin d'éteindre les lumières de la pièce. Seuls les yeux et les bouches des potirons éclairaient la pièce. Perdue au milieu de cette ambiance tamisée, la rouquine ne put qu'éprouver l'étrange sentiment d'être en sécurité. Quand il revint enfin, il tenait dans ses bras un petit bambin dont le regard émerveillé s'accrochait à chaque détail. Harry montrait avidement la cheminée du doigt en secouant le col de son père. Le squelette dévissa sa tête et la fit rouler sur ses épaules ce qui fit éclater de rire l'enfant. James rayonnait de plaisir autant que son fils. Lily n'aurait pu réprimer sa propre joie.

Ils étaient tous ce qu'elle possédait.

Quelques heures plus tard, les bras chargés de la plus mignonne petite chose au Monde, la sorcière s'aventura dans les escaliers et en profita pour partager quelques gazouillages avec son fils. L'encre du ciel altérait leur progression jusqu'à la chambre. Mais tous deux n'en avaient cure. Elle déposa Harry dans son petit lit et glissa ses lèvres sur son front avant de s'asseoir tout près de lui.

« Bien quelle histoire vais-je pouvoir te trouver ce soir.»

Le bambin se mit à sourire et répondit d'une voix assurée un babillage de bébé.

« Tout à fait, ce soir ça sera le chaudron, le fantôme et… »

Un bruit à peine audible. La rouquine inspira une grande bouffée d'air pour s'apaiser. Elle était décidément trop sur ses gardes. Un second bruit et la candeur s'évapora définitivement. Lily chercha frénétiquement sa baguette mais elle l'avait oubliée dans la cuisine. Elle s'apprêtait à aller la chercher quand la voix de James émergea. Rien de plus effroyable que son impuissance, leur impuissance. Tout se bousculait à l'intérieur de son crâne. Froidement, elle devait analyser la situation. Mais la panique s'allongeait entre ses raisonnements et perfide, elle bloqua tout sens critique. Lily porta son attention sur Harry, ses prunelles émeraude la questionnaient en silence. Il fallait le sortir de là. Mais comment ?

Successivement, la rouquine perçu le sifflement d'un sort et d'un atterrissage. Quand elle se tourna vers les ténèbres sur sa droite, deux yeux luisés dans la pénombre. Lily recula vers le berceau de son enfant et affronta le regard sévère qui la toisait. En quelques secondes seulement, il lui attrapa fermement le poignet. Quand elle comprit qu'il ne cherchait pas à la nuire mais bien à la sauver. Elle s'empara rapidement d'Harry et lui confia. Elle murmura si bas que l'homme dû se pencher.

« Prends le & pars. »

Il refusa le petit être qu'elle lui tendait. C'était ridicule, il savait qu'elle ne partirait pas sans son mari. Sans tenter de faire quelque chose. De toute évidence, il saisit son intention. De sa voix grave et définitivement convaincue, il délia les notes les plus dures.

« Il est mort. »

La vérité balaya ses derniers espoirs mais elle ne pouvait pas quitter les lieux sans au moins vérifier de ses yeux si… Harry. Il fallait le faire sortir mais… Les tremblements de sa carcasse eurent raison d'elle et il parvint à l'entrainer. Le transplanage s'effectua de justesse. Le Seigneur des ténèbres venait de poser son pied dans la pièce quand ils réussirent à quitter l'endroit.

Elle ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer. Tout ce qui parvenait à atteindre ses songes était ce même raisonnement.

Elle avait abandonné James- elle avait abandonné James - elle avait abandonné James.

Son mari, le père de son enfant. L'homme qui partageait sa vie. Ses jours heureux. La douceur de son sourire. La chaleur de ses bras. Elle avait tout perdu. Tout.

Elle avait abandonné James.