Les personnages du manga détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama.

Prologue

J'imagine que je devrais dire que c'est arrivé au cours d'une des pires journées de ma vie… Une de ses magnifiques journées où tout ce que vous souhaitez qu'il ne vous arrive pas prend un malin plaisir à se produire malgré tout vos espoirs…Une de ses journées où lorsque vous croyez avoir touché le fond, l'événement qui se produit l'instant d'après se fait une joie de vous démontrer que vous pouviez encore vous enfoncez un peu plus dans la déchéance… Nous avons tous vécu ce genre de journées au moins une fois dans notre vie… Dans ces moments là, on se dit toujours que ça n'arrive jamais qu'à nous, mais il faut quand même se rendre à l'évidence, tout le monde, sans la moindre exception, finit par en être victime… Si ce n'est pas encore votre cas, ne vous réjouissez pas en pensant que la vie vous a oublié, c'est une comptable infaillible, si elle ne vous a pas encore réclamé la facture, elle le fera tôt ou tard, sans oublier d'y rajouter les intérêts pour le retard de paiement… Aucune fraude n'est possible avec elle.

Oh et il y a aussi autre chose qu'il vaut mieux savoir, c'est également quelqu'un d'insatiable qui prend un malin plaisir à vous pressurer comme un citron… Donc si ce genre de journées a constitué l'essentiel de votre vie, ne vous réjouissez pas non plus en espérant que le reste de votre existence ne pourra que s'améliorer en compensation… Si vous croyez que la vie est quelqu'un d'équitable… Oh ça, pour chaque moment de joie, aussi court soit-il, qu'elle vous offre, elle n'oubliera jamais de vous réclamer quelques heures de souffrances en compensation, mais si vous espérez que la réciproque soit vraie…

Vous me trouvez cynique ? Vous n'avez sans doute pas tout à fait tort, beaucoup d'autres personnes ont le même avis, moi y compris, bien que je préfère me considérer comme quelqu'un de réaliste…

Et vu ce que m'a offert la vie jusque là, j'ai toutes les raisons du monde de penser que c'est le deuxième qualificatif qui me correspond le mieux…

Jugez-en vous-même, j'ai perdu mes parents quelques années seulement après ma naissance, quelques années plus tard, j'ai perdu aussi ma sœur qui était la seule personne au monde que je me rappelle avoir vraiment aimé, et comme si ce n'était pas suffisant, je doit vivre dans la quasi certitude que, tôt ou tard, mes chers ex-collègues se feront un plaisir de m'enlever le peu qu'il me reste après que dame fortune ait prélevé son dû pour m'avoir accordé l'immense privilège d'avoir eue la chance de vivre…

Avouez quand même que dans ces circonstances, parvenir à conserver un semblant d'optimisme tiendrait plus de la bêtise que du courage…

C'est sans doute pour ça que je fait tout mon possible pour ne pas m'attacher à qui que ce soit à nouveau. Après tout quand on n'a rien, on n'a rien à perdre, non ?

Enfin, malheureusement entre dire et faire… Malgré tous mes efforts pour l'éviter, j'ai quand même été assez idiote pour ressentir un semblant d'affection pour quelques personnes…

Le vieux scientifique qui m'a recueilli chez lui comme si j'étais ma propre fille, l'imbécile de détective qui m'a promis de me protéger quoiqu'il puisse nous arriver, une petite fille qui me rappelait beaucoup ma sœur, ses deux camarades de classe… Je crois que j'ai fait à peu près le tour… Ah non, j'ai failli oublier quelqu'un dans ma petite liste… La petite amie du détective, qui attend toujours son tendre amour, alors que cela doit faire des mois qu'elle ne lui a plus parlé autrement que par l'intermédiaire d'un téléphone, et que cette situation risquerait bien de se prolonger encore quelques années… Sauf si je trouve cet antidote au poison responsable de leur séparation… Malheureusement, vu le dernier événement marquant de ma petite vie, je risque d'avoir un certain mal à le concevoir…

Pardon ? De quel événement je veux parler ? Excusez-moi, à force de digresser, je me suis éloignée de l'essentiel…

Je disais donc qu'il ne s'était pas manifesté comme le point d'orgue d'une journée cauchemardesque, bien au contraire, il m'a frappé aussi soudainement qu'un éclair qui aurait déchiré un ciel des plus serein l'instant qui l'a précédé…

Oui vraiment, cette journée s'annonçait marquante, mais dans un sens positif, et dans mon existence, c'est ce genre de journée qui fait figure d'exception…

Le temps était vraiment parfait, la température n'était ni glaciale ni caniculaire, une petite brise agréable flottait dans l'air, le ciel dépourvu du moindre nuage était d'un bleu azur… Bref une journée idéale pour commencer l'été.

La totalité des personnes qui avait réussi à se ménager une place dans mon cœur avait prévu de se réunir pour une après-midi au parc. Et bien évidemment, j'étais conviée moi aussi… D'ordinaire, je suis loin d'être enthousiaste à l'idée de perdre une précieuse journée de façon aussi futile, mais curieusement ce jour là, je me sentais heureuse de le faire…

Je ne peux même pas dire qu'il y a eu des signes avant-coureurs qui auraient pu me prévenir que ce bonheur ne durerait pas, qu'il ne pourrait pas durer et que je n'aie pas su y prêter attention à temps… Non vraiment, rien n'annonçait ce qui allait suivre.

Pas un seul chat noir n'a croisé ma route, il y avait bien quelques oiseaux qui planait dans le ciel, mais pas un seul corbeau pour me lancer un croassement lugubre en signe d'avertissement… Non pas que je soit superstitieuse, je fais très attention à me lever du pied gauche, au sens propre comme au figuré, chaque matin, uniquement pour m'amuser à faire un pied de nez, si je peut utiliser cette expression dans ce contexte, à toutes ses croyances stupides auquel la majorité des gens ne peut s'empêcher de croire dur comme fer.

Pourquoi est ce que, dans ce cas, j'essaye absolument de trouver des signes qui auraient pu me servir de présage au malheur qui allait s'abattre sur moi ?

Eh bien, je suis une scientifique, et en tant que tel, j'ai toujours su que chacun des événements qui se produisent dans le monde, aussi insignifiants soient-ils, est la conséquence inévitable et nécessaire de ceux qui l'ont précédé. La vie m'est toujours apparue comme un enchaînement logique d'une rigueur implacable fondé sur le sacro-saint principe de causalité. Il n'y a aucune incertitude dans l'avenir, il n'est que la conséquence logique du passé. S'il peut parfois nous apparaître comme un vaste terrain de jeu pour exercer une liberté que nous nous imaginons, à tort, posséder, une page blanche attendant un texte que nous n'avons pas encore pris la peine d'écrire, c'est uniquement parce que nous ne pouvons pas, ou plutôt parce que nous ne voulons pas connaître le passé qui est en train de déterminer le cours qu'il prendra. Un passé que nous pouvons essayer de nier, ou d'ignorer, mais qui n'en continuera pas moins de diriger le moindre de nos faits et geste jusqu'à notre mort…

Et Kudo qui faisait tout son possible pour me convaincre de ne pas m'enfermer dans le passé au risque d'y perdre mon avenir…

J'ai toujours trouvé, et je continue de trouver ce raisonnement futile. Considérer les choses sous cet angle serait aussi stupide que de refuser de tirer la seule conclusion logique des prémisses que l'on vient de poser.

Mais je me rends compte que je suis encore en train de digresser, on me le pardonnera volontiers quand on en apprendra un peu plus sur ma situation… Du moins je l'espère.

Voyez-vous, j'ai une quantité phénoménale de temps libre, bien plus vaste que tout ce que vous pouvez imaginer, alors je doit bien la meubler comme je peux.

En temps normal je ne perdrais pas mon temps à me laisser distraire par la moindre pensée qui pourrait m'éloigner du but vers lequel je tends mon esprit, mais comme cette fois ce but est justement de perdre le plus de temps possible… Si vous ne comprenez pas encore où je veux en venir, ce n'est pas très grave, tout vous paraîtra on ne peut plus clair le moment venu.

D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi je devrait m'excuser auprès de qui que ce soit pour mes digressions… Après tout, depuis le début, je n'ai jamais parlé qu'à moi-même. Enfin si ce n'est pas le cas et que quelqu'un m'écoute, qu'il soit gentil de me le faire savoir, je ne demanderais rien de mieux que de ne plus avoir à me contenter d'un interlocuteur imaginaire. Les monologues deviennent très vite ennuyeux vous savez ? Bien sûr que vous le savez puisque vous et moi ne sommes qu'une seule et même personne, mais comme je ne peux plus me payer le luxe du dialogue, je dois bien essayer de m'en contenter…

Mais bon, s'il y a un risque, même infime, que j'ennuie quelqu'un d'autre que moi-même, je ferais mieux de passer directement à l'essentiel…

Promis, cette fois, je ne m'en éloignerait plus…Enfin j'essaierais…

Donc nous étions arrivé devant le fameux parc, il n'y avait plus qu'une rue à traverser pour le rejoindre. Enfin, je devrais plutôt dire qu'Ayumi et moi n'avions plus qu'une rue à traverser pour aller rejoindre les autres, qui nous attendaient devant la grille du parc.

Pourquoi est ce que nous étions restées en arrière ?

Il y avait quelque chose dont Ayumi voulait absolument me parler, sans que personne d'autre n'entende ce qu'elle voulait me confier, voilà pourquoi nous nous étions mis à l'écart.

Qu'est ce qu'elle m'a confié ? Vous êtes bien indiscret dites-moi… Mais bon, je peux bien vous le dire puisque ce n'est pratiquement un secret pour personne…

Notre petite Ayumi était amoureuse de Conan… Je ne vous apprend rien, n'est ce pas ? Il aurait fallu être pratiquement aveugle pour ne pas le voir.

Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c'est qu'elle était persuadée que Conan et moi étions tombés amoureux l'un de l'autre depuis notre première rencontre et que nous faisions tout notre possible pour le lui cacher. Amusant, n'est ce pas ? Il n'y a qu'une petite fille naïve et romantique comme Ayumi pour imaginer cela… Quoique si on y réfléchit bien, nous lui avions donné toutes les raisons du monde de le penser. Après tout, je ne compte plus le nombre de fois où nous nous étions mis à l'écart pour discuter de l'organisation ou de l'antidote sans qu'elle, ou n'importe qui d'autres de son âge, puisse nous entendre…

C'était loin d'être idiot de considérer que nous le faisions pour nous chuchoter des mots doux à l'oreille… On peut même considérer que cette explication était beaucoup plus réaliste que la vérité… Franchement, deux adolescents qui auraient rajeuni de dix ans grâce à un poison expérimental mis au point par une organisation secrète, qui pourrait croire que cela pourrait exister en dehors des bandes dessinées pour gamins que Genta et Mistuhiko essayaient tant de me faire lire ?

De plus, comme j'étais la personne la plus apte à comprendre Conan dans cette école, étant donné que j'étais, non seulement la seule à avoir le même âge que lui, mais également la seule personne de tous son entourage à avoir figurée sur la liste noire du syndicat… Là encore, c'était quand même plus intelligent de nous voir comme deux âmes sœur jouant à l'éternel jeu du « je t'aime, moi non plus… »… Et puis à force de fréquenter deux cas désespérés comme Sato et Takagi, on finit par voir ce genre de couple dès que deux personnes manifestent des sentiments un tant soit peu ambigus l'une vis-à-vis de l'autre, et les detective's Boy avaient fréquentés les deux inspecteurs plusieurs mois…

Hum ? S'il y avait une part de vérité derrière les suppositions d'Ayumi ?

Ne soyez pas ridicule, en pratiquement un an, les sentiments de mon imbécile de détective envers celle qui attendait vainement son retour n'ont jamais déviés d'un iota…

Si moi je ressentais quelque chose pour lui, même si c'était à sens unique ?

Je devrais vous exposer ma façon de penser avec une de mes remarques cinglantes pour avoir osé poser ce genre de question, vous savez ?

Enfin, je vais quand même vous répondre de façon sincère… Je n'en sais rien… Oh, je ne nie pas que moi-même, je me sois posé la question alors je ne vais pas vous en vouloir d'avoir fait de même… Mais comme je n'ai jamais trouvé la réponse, comment voulez-vous que je vous la donne ?

Mais revenons à cette conversation avec Ayumi ce jour là… Bref, elle me demandait d'être sincère avec elle et de lui dire franchement s'il y avait quelque chose entre moi et Conan… Elle m'a même dit qu'elle ne m'en voudrait pas et qu'elle serait toujours mon amie même si c'était le cas… C'est touchant, vous ne trouvez pas ? J'ai même hésité à lui répondre qu'elle ne s'était pas trompé afin qu'elle cesse d'avoir de faux espoir vis-à-vis de Conan…

Oh ce n'était pas pour faire une fleur à cet idiot, je préférerais mourir que de lui rendre service… Comment ? Pourtant je l'ai déjà fait à plusieurs reprises ? Je ne devais pas avoir toute ma tête lorsque je l'ai fait, voilà tout. Donc, je voulais faire croire à Ayumi qu'elle avait vu juste à propos de nous deux, non pas pour aider Conan à ne plus avoir à faire face aux avances de quelqu'un de dix ans plus jeune que lui mais pour l'aider, elle. Que voulez vous ? Cela me faisait mal au coeur de la voir si triste en étant tombé amoureuse de quelqu'un qui ne partagerait jamais ses sentiments… Qu'est ce que vous croyez ? J'ai aussi un cœur, même si un certain détective de ma connaissance en doute parfois…

Enfin, j'ai fini par lui répondre qu'elle ne s'étais pas totalement trompé et que, même si je ressentait quelque chose vis-à-vis de Conan, il m'avais clairement fait comprendre que je ne serais jamais rien d'autre qu'une amie pour lui. C'était parfaitement faux bien sûr, quoique si, par extraordinaire, j'avais vraiment essayé, les choses se seraient sans doute passés ainsi, mais je pensais qu'Ayumi, en voyant que même moi j'avais dû renoncer à Conan, se déciderait à en faire autant…

Est-ce que ça a marché ? Eh bien en fait… Oui et non, j'allais être amené à m'en rendre compte par la suite mais là, je m'avance un peu…

Sur le coup, Ayumi avait plutôt bien pris la chose… Elle a même essayé de me consoler, la brave petite, cela m'avait beaucoup amusé sur le moment, mais j'ai essayé de le lui cacher, dans la mesure où cela me touchait aussi qu'elle se montre si attentionnée… C'est à ce moment là que…

Je ne sais toujours pas si ce chauffard avait quelques godets de trop dans le nez, s'il s'agissait d'un criminel poursuivi par la police, ce qui expliquerait la rapidité avec laquelle elle est arrivé sur les lieux, ou si mes charmants collègues avaient essayé de ratifier mon licenciement d'une manière un peu plus discrète que d'habitude… Toujours est-il que nous nous sommes retrouvés, elle et moi, sur la trajectoire d'une voiture conduite par quelqu'un qui avait non seulement oublié les limitations de vitesse en ville mais qui, pour couronner le tout, semblait incapable de faire la distinction entre rue et trottoir…

Si j'ai pensé à m'écarter tout de suite de ladite trajectoire, après tout plusieurs mois à fuir l'organisation ont du avoir un impact positif sur mes instincts de survie, ce ne fut pas le cas d'Ayumi qui est resté figée à fixer incrédule la mort qui déferlait sur elle à grande vitesse…

Une personne normale serait sûrement restée sur place, immobilisée par la terreur, à regarder impuissante sa meilleure amie mourir devant elle, ensuite elle aurait passé le reste de sa vie à se laisser ronger par la culpabilité pour avoir été incapable de la sauver quand elle en avait eue l'occasion…

Mais voilà, je n'étais pas une personne normale. Je l'ai dit, Ayumi me rappelait cette sœur que j'avais perdu, c'est peut-être pour ça que j'ai tout fait pour ne pas la perdre, elle… Et ceux qui me connaissent savent qu'il m'arrive, dans certaines circonstances, de ne pas accorder beaucoup d'importance à ma propre vie…

Alors, au lieu de rester à l'abri comme j'aurais du le faire, il a fallu que je me précipite sur elle pour la pousser violemment hors de la ligne de mire du véritable char d 'assaut qui s'apprêtait à la broyer comme un vulgaire insecte… J'ai réussi à la sauver mais le petit problème qui se posait à moi, c'est qu'en le faisant, j'avais pris sa place sur la trajectoire de cette maudite guimbarde lancée à toute allure.

On vous a sûrement raconté que lorsque vous vous retrouvez face à la mort, vous voyez instantanément la totalité de votre vie défiler sous vos yeux en un instant… Si je me fie à mon expérience personnelle, ce n'est qu'une légende… Le film de ma vie ne s'est pas rembobiné en un éclair pour être ensuite passé en avance rapide devant moi, non… Il a continué de suivre son cours habituel, mais par contre la dernière séquence a mis un temps infini à se dérouler… Comme si quelqu'un avait enclenché le ralenti pour mieux prêter attention à chaque détail de la scène… Ce qui fait que, même si je n'avais plus le temps de me mettre hors de portée de cette voiture qui s'apprêtait à faucher une petite fille moins innocente qu'elle n'en avait l'air, elle a tout de même mis des heures à parcourir les deux malheureux mètres qui la séparaient de sa cible…

Je devrais dire que j'ai ressenti une terreur inimaginable à ce moment là mais ce ne fut pas le cas… Non vraiment, ce n'est pas de la fanfaronnade, j'ai vraiment cessé d'éprouver la moindre peur dès l'instant où j'ai su qu'Ayumi ne mourrait pas ce jour là… Peut-être que je n'ai pas eue le temps d'avoir peur…

Ou alors… Bah la peur est un instinct de survie, donc à partir du moment où la mort se présente comme quelque chose d'inévitable, il est possible que l'organisme se décide à couper tous les signaux d'alarme plutôt que de les laisser résonner en vain… Ou peut-être encore que les impulsions électriques, ces infatigables petits messagers qui parcourent nos neurones pour transmettre les informations que nos organes leur envoient, se sont décidé à faire la grève à ce moment là… On peut les comprendre, vous seriez motivé si on vous demandait de signaler au directeur de votre entreprise que sa compagnie a fait faillite ? Je pense que non, n'est ce pas? Après tout, a quoi bon être zélé puisqu'il ne vous payera plus pour ça ? Et à quoi bon avoir peur puisqu'il ne peut même plus menacer de vous envoyer à la rue pour votre incompétence ?

Toujours est-il que, quel qu'en soit la raison, je n'aie ressenti aucune crainte… Je crois même que j'ai adressé un sourire béat à cette voiture juste avant qu'elle ne me percute…

C'est ironique quand on y pense, non ? Les derniers mois de ma vie je n'ai cessé d'être dévorée par la peur à l'idée que je pourrais faire face à la mort du jour au lendemain, et quand elle arrive enfin…

Quel fût ma dernière pensée à ce moment là ?

Je pourrais mentir et vous dire qu'elle a été pour ma sœur, que j'allais rejoindre dans un instant, ou pour Ayumi, que je venait de sauver, je pourrais dire aussi qu'à ce moment là, j'aie pris conscience des sentiments que j'éprouvais pour un détective idiot et que j'ai regretté de ne pas les lui avoir avoué plus tôt…

Mais non, ce ne fut pas quelque chose d'aussi touchant… A ce moment là, je me suis mis à penser que si j'étais l'un des personnage d'une des bandes dessinées d'Ayumi, le héros viendrait forcement me sauver au tout dernier moment… Forcement juste avant l'instant fatidique, histoire de ménager le suspens…

Je me suis tourné vers Conan à ce moment là et, effectivement, il était en train de se précipiter vers moi, la distance entre nous ne devait pas mesurer plus d'un mètre, donc il y avait encore une chance, même infime, pour qu'il me sauve…

Mais tu n'as jamais été un héros de bande dessinée, ni même un héros tout court, Kudo… Je crois que c'est la dernière chose qu'il a dû lire dans mon regard…

« Est-ce que je n'ai pas cessé de te le répéter ? Tu n'es pas un héros, tu ne pourras pas me protéger quoiqu'il arrive, comme tu me l'avais promis… Alors, Kudo, est ce que je n'avais pas raison de le penser ? »

J'imagine que j'ai dû lui adresser un dernier sourire sarcastique à ce moment là… Juste avant que cette voiture ne vienne confirmer mes pensées…

Voilà le dernier sentiment que j'ai dû ressentir avant que la mort ne me frappe de plein fouet, la satisfaction d'avoir eue le dernier mot…

Est-ce que je n'avais pas raison de considérer que je n'étais pas quelqu'un de cynique mais de réaliste ?

Dommage que je n'ai pas vu ta tête à ce moment là, Kudo, cela m'aurait donné une dernière occasion de m'amuser à tes dépens… Mais malheureusement à cet instant, j'ai eue du mal à prêter attention à autre chose qu'à cette voiture qui venait de s'encastrer dans un innocent lampadaire…Une victime de plus des accidents de la route, paix à sa pauvre carcasse métallique… J'ai fais tout ce que j'ai pu pour toi, pauvre petit luminaire, nul n'est mieux placé que toi pour le savoir… Après tout, tu connaissais beaucoup de gens qui se serait interposé entre toi et cette voiture, au point de connaître le même sort qu'une pauvre noisette prise entre les deux extrémités métallique de l'instrument de torture que la gourmandise pousse un nombre incalculable de personne à utiliser ?

Lorsque ce chauffard s'est suffisamment remis de ses émotions pour enclencher la marche arrière et dégager son véhicule encastré dans ce lampadaire, ayant ainsi la bonté de libérer le pauvre petit corps déchiquetés de son autre victime, pour qu'il puisse tranquillement s'écraser sur le sol avec un bruit flasque, je ne ressentais même plus la douleur qui m'avait déchiré l'instant d'avant…

Je ne la ressentais toujours pas quand j'ai vu Conan se pencher vers moi… Pauvre petit, tu aurais bien voulu me prendre dans tes bras mais tu avais encore suffisamment de présence d'esprit pour ne pas le faire… Après tout, cela aurait pu aggraver mes blessures… A moins que ce ne soit pour éviter de salir tes vêtements avec mon sang ? Non, c'est ce que j'aurais pensé moi, si je m'étais trouvé à ta place… Les bons sentiments ont toujours été plus développés chez toi que ton sens de l'esthétique…

Qu'est ce que tu essayes de me dire Kudo ? Navré, mais mon univers sonore vient d'être envahi par un bourdonnement diffus qui m'empêche de faire la moindre distinctions entre les sons qui parviennent à mon oreille…

Oh je t'en prie, arrête de pleurer en me fixant avec ce regard de chien battu, j'aurais voulu que la dernière chose que je vois avant de mourir soit un peu moins déprimante…

C'est ce que j'aurais voulu te dire… j'aurais aussi voulu te dire que ce n'était pas ta faute… J'ai même voulu te remercier de ces derniers mois que j'ai passés en ta compagnie… Malheureusement, pour toi comme pour moi, respirer m'était aussi difficile que d'essayer d'aspirer du béton frais avec une paille alors essayer de parler… Et si je me fie à la sensation d'un liquide chaud et poisseux en train de s'écouler au fond de ma gorge, ainsi qu'à la sensation désagréable de sentir de l'air frais s'y engouffrer, en empruntant une voie différente de celle qu'il est censé prendre pour cela, je crois bien que je ne suit même plus sûre d'avoir encore des cordes vocales pour pouvoir prononcer ces mots…

Désolé, Kudo, il faudra te contenter de déchiffrer mon regard… C'est amusant, une espèce de blancheur immaculée est en train de te submerger, Kudo… Il s'est mis à neiger en plein été ? Non, je ne pense pas… Cette espèce de brouillard ne doit pas être visible à quelqu'un d'autre que moi…

Tiens, je ne te vois plus, le spectacle était trop insupportable pour toi ? Quel petite nature !

Après tout, tu as déjà eu l'occasion de voir pire dans ta vie avec tous ces meurtres… Allez, je vais essayer d'être moins cynique pour une fois et me dire que tu es parti chercher du secours… Ou alors tu empêches Ayumi de contempler sa meilleure amie dans cet état ?

Oh mais qui est en train de se pencher vers moi ? C'est toi Akemi? Ils t'ont laissé venir me chercher en personne ? C'est bien aimable à eux…

Ah non, je me suis trompé, c'est Ran qui est en train de se pencher vers moi… Qu'est ce qu'elle en train de me dire ? Navré mais je suis devenu un peu dure d'oreille ses dernier instants, il faudrait que tu te penche un peu plus pour que je te comprenne…

Ah mais c'est ce que tu es en train de faire si je ne me trompe pas… Comment ? Ne surtout pas fermer les yeux ? Essayer de tenir bon jusqu'à l'arrivée des secours que Conan vient d'aller chercher ? Décidément cela ne m'étonne pas que vous soyez tombé amoureux l'un de l'autres… Vous partagez cette fâcheuse tendance à empêcher les gens de mourir quand ils en ont envie… Mais parfois c'est la meilleure chose qu'il puisse leur arriver, quand est ce que vous arriverez à le comprendre ?

Hum ? On dirait que je suis dans une ambulance… Comment les secours ont-ils faits pour arriver si vite ? J'ai dû m'évanouir avant leur arrivée…

Et bien sûr, tu es encore là Ran… Ils t'ont laissé venir avec moi… Oh arrête de pleurer, tu me rappelles ma grande sœur quand tu fais ça…

Tiens, je ne te vois plus… Qui est ce qui est en train de se pencher vers moi ? Hum si j'en juge à sa tenue, ce doit être un chirurgien… Oh et il n'est pas seul… J'ai dû m'évanouir une seconde fois quand ils m'ont conduite dans la salle d'opération…

Qu'est ce que c'est que ce vrombissement que j'arrive à entendre malgré ce maudit bourdonnement ? Oh mon Dieu, mais c'est une scie sternale qu'il tient en main… Oh vous ne savez pas ce que c'est ? Pardonnez-moi, j'ai tendance à oublier que la plupart des gens n'ont jamais eu à disséquer des cadavres d'infortunés ayant servi de cobaye à une toxine expérimentale… Eh bien essayez d'imaginer une espèce de scie circulaire, un peu comme celle que les bouchers utilisent pour découper leurs énormes carcasses de viandes… Vous y arrivez ?

Bien alors essayez maintenant d'imaginer que quelqu'un est en train d'en brandir une au dessus de vous… Je devrait avoir peur mais bizarrement, là encore je ne ressens plus rien… Cela doit venir de la quantité phénoménale de morphine qu'ils ont du m'injecter… Preuve supplémentaire que les émotions ne sont que le produit de nos hormones, qu'on s'amuse à perturber un peu l'équilibre chimique de l'organisme et elles s'évanouissent comme par enchantement… Hum ? Qu'est ce que c'est que cette sensation de flottement ? Est-ce que mon âme, si légère, est en train de se détacher de ce corps devenu soudain si lourd ? Non, ce doit être un effet secondaire de la morphine… Tout comme cette tendance à voir les choses de manière trop poétiques…

Bon, quand est ce que je vais enfin perdre conscience ? Ce n'est pas que j'aie peur, je vous aie déjà dit que non… Je ne pense pas non plus que je puisse encore ressentir la moindre souffrance dans mon état… C'est juste que la vision de voir quelqu'un s'amuser à m'ouvrir comme une dinde de noël est un spectacle dont je me passerais bien volontiers… Ah mais on dirait que… Ca y est, le blanc immaculé commence à laisser la place à un noir d'encre…

Splendide, je vais enfin pouvoir sombrer dans le sommeil… Un bienheureux sommeil sans rêves…