Jour/Thème: 10 décembre – tentation

Couple : Milo x Camus

Disclaimer : Tout à Masami Kurumada, Shueisha, Toei.

Warning : Univers Alternatif, guimauve, parodie de divers films d'anges

Music : Donizetti, Una Furtiva Lagrima


N'as-tu donc pas, Seigneur, assez d'anges aux cieux ? Victor Hugo, Odes et Ballades

Requiem pour un ange - Partie un

Milo n'a pas fait attention au début.

Comme chaque jour, il s'est levé déprimé. Comme chaque jour, il ne voit plus rien de bon dans sa vie alors qu'il a à peine vingt ans, un physique de jeune dieu grec et peu de problèmes matériels.

Il aime son travail de vendeur en librairie, mais sa véritable vocation, c'est écrire lui-même des livres.

Plusieurs refus d'éditeurs l'ont anéanti, et il a commencé depuis quelques mois à trop boire et à se laisser glisser dans une dégradation un peu masochiste.

Le vieux libraire parisien qui l'emploie a beau l'avertir paternellement " qu'il file un mauvais coton ", Milo lui sourit gentiment et laisse radoter l'homme.

Il se fout de tout, et il regarde tous les jours l'eau de la Seine en caressant l'idée d'en finir avec une vie où il n'est qu'un raté de la littérature.

Ce matin là, tout est donc ordinaire pour le jeune Grec exilé à Paris. Son patron l'accueille avec une grande grimace à moitié dissimulée dans sa moustache.

- Tu as des cernes jusqu'au menton, Milo. Qu'as-tu fait de ta nuit mon garçon ?

- Rien de bon, répond sincèrement le jeune vendeur, passant une main lasse dans ses longs cheveux bleus en désordre.

- Tssst… Au fait, le nouveau vendeur est arrivé. Il est dans la réserve, va donc faire sa connaissance et le mettre au courant. Moi, j'ai les nouveaux livres à aller chercher.

- Okay patron, ça roule, gouaille le Grec, qui navigue au milieu des piles de bouquins pour retrouver son nouveau collègue.

Milo pousse la porte de la réserve, avide d'un peu de nouveauté.

- Youhou, braille-t-il, tout content de faire sursauter le garçon qui étudie minutieusement les livres à classer dans les rayons.

Milo reste la bouche entrouverte. Le petit nouveau est superbe. Magnifique.

Ses longs cheveux bleu vert sont incroyablement lisses – Milo tente rapidement et sans succès d'aplatir les siens -, sa peau a la finesse de la porcelaine et sa silhouette mince est parfaite.

- Bonjour. Tu es Milo, n'est ce pas ?

- Hein ? fait le Grec, dégrisé de l'espèce d'hypnose qui l'a saisi. Comment tu connais mon nom ?

Le garçon a eu l'air un peu déstabilisé, puis a incline la tête.

- C'est le patron, il m'a parlé de toi depuis mon arrivée… Je supposais…

- Ouais, c'est moi, s'empresse Milo.

Il peut être un vrai crétin mal élevé parfois, s'auto-flagelle-t-il.

Milo ignore que Camus se fait lui-même des reproches. Il faut qu'il perde cette habitude de montrer qu'il sait tout. Cela pourrait le trahir.

Milo ne sait pas que l'on s'est intéressé à sa détresse, là-haut.

Il est très loin de penser qu'un ange vient d'atterrir sur terre pour le sauver de lui-même.

- Tu t'appelles comment ? demande Milo pour rattraper sa gaffe.

- Camus.

- Drôle de nom… enfin, c'est bien pour un vendeur de bouquins…

Milo a continué de bombarder son nouveau collègue de questions. C'est sa nature. Et puis, le garçon aux prunelles saphir a l'air complètement perdu. Débarquant de province et encore sans logement.

- Ben toi, dit Milo, reniflant avec amusement, on ne peut pas dire que tu sois très prévoyant… Ni très dégourdi.

Camus a juste eu un petit sourire éclairant ses traits impassibles, mais n'a pas paru vexé.

- Je trouverai bien un hôtel…

- Tu peux venir chez moi, le temps de te retourner ? propose spontanément le Grec.

- C'est gentil, mais…

- Je ne suis pas un satyre ! affirme Milo, doctement. Tu ne risques rien.

Camus a ricané à part lui. Bien sûr qu'il ne risque rien, Milo n'en a aucune idée

- Je ne voulais pas t'offenser… D'accord, alors. Si tu es sûr que cela ne te dérange pas.

- Non, non… Je vis seul alors…

Ils ont travaillé côte à côte toute la journée et Milo n'a cessé d'admirer discrètement son collègue. L'idée que le mystérieux jeune homme qui est resté affreusement discret sur sa vie privée va s'installer un peu chez lui enchante le garçon désabusé par la vie.

Vers six heures, le Grec pousse un hurlement de délivrance qui surprend Camus et se retourne vers lui avec un sourire éblouissant.

- Tu viens ? On rentre chez moi. C'est pas loin de la librairie, mon appart.

Milo, qui a pris les devants, n'a pas remarqué le petit sourire satisfait du jeune homme derrière lui.

Camus, lui, se congratule. Bien sûr, après toutes ces années et toutes ses missions, manipuler les humains lui est une seconde nature. Il doit bien trouver un moyen de côtoyer les personnes qu'il doit aider. Le jeune libraire a dépassé ses espérances en l'invitant chez lui.

A charge pour l'ange de trouver des excuses pour y rester le plus longtemps possible.

Il suit Milo.

***

L'appartement, cossu au demeurant, est vaste et extraordinairement en désordre. Des bouteilles de bière traînent dans le salon et l'ange secoue discrètement la tête de dépit.

Milo le pousse dans une chambre heureusement restée impeccable avec un enthousiasme mitigé.

- C'est ma chambre d'amis. A côté, tu as une salle de bains rien que pour toi.

- Merci.

Camus pose son sac à dos sur le lit, et Milo se passe la main dans ses longues boucles avec un air un peu perturbé.

- Tu as laissé tes valises à une consigne de gare ?

- Heu… se trouble l'ange.

Zut. Quand cessera-t-il de commettre cette gaffe récurrente. Ses copains célestes vont encore se moquer de lui plus tard.

- Quoi, s'ébaudit Milo, tu n'as que ce sac ?

- Tu sais, fait Camus en s'asseyant sur le couvre-lit, je peux y mettre pas mal de choses en les… les répartissant de manière logique.

Milo a acquiescé, pas convaincu par cette explication boiteuse. Mais il n'a pas insisté, songeant soudain que Camus a peut-être des ennuis, où qu'il est très pauvre, et il ne veut pas blesser la fierté de son locataire provisoire en posant trop de questions.

***

L'ange s'est installé, sortant du sac trop de vêtements pour les lois de la physique appliquée. Il a pris une douche aussi, et décide de commencer son travail en revenant dans le salon.

Camus a plissé le front. Milo, avachi devant un match de football, a visiblement l'intention de se nourrir de chips et de cacahouètes, de fumer des cigarettes qui ne sont pas des simples cigarettes et de boire de la bière par tonneau.

Tout ça avec la déprime scotchée dans ses si beaux yeux océan.

Il était temps qu'on l'envoie aider le jeune homme, certes. L'écrivain vaut beaucoup mieux que ça.

- Ça va, tu as tout ce qu'il te faut ? prononce vaguement Milo, souriant parmi la fumée.

- Oui, merci.

- Cool.

- Tu ne dînes pas ? interroge l'ange, contrarié.

Pas pour lui, qui ne mange sur terre que pour rester incognito, mais qui ne connaît ni la faim, ni la soif. Mais pour son client…

- Oh, non… J'ai pas faim. Mais c'est vrai, je ne pensais pas à toi.

- Oh, je ne mange pas grand-chose d'habitude.

- Ouais, mais quand même. Je suis un très mauvais hôte.

Milo, honteux, s'est précipité au téléphone pour commander des pizzas, et a recommencé à bombarder son invité de questions. Camus n'a jamais dû autant mentir, personne ne s'est jamais montré aussi bavard et curieux à son égard.

Mais c'est un bon début.

***

Trois jours après, Camus a subi une terrible algarade de Milo. L'écrivain n'a pas supporté que Camus lise ce qu'il écrit sur son ordinateur.

L'ange, confus, s'est excusé et en a profité pour glisser sa croyance en le talent littéraire du Grec, mais Milo lui a hurlé de plus belle dessus et lui a dit de prendre ses affaires et de virer ses fesses de chez lui, qu'il n'est qu'un sale petit fouineur sans le sou.

Camus n'a pas bronché et a tourné le dos pour aller ranger ses affaires dans son sac à dos, et se diriger lentement dans le hall d'entrée.

- Mais qu'est-ce que tu veux réellement, toi ? s'écrie encore le Grec, qui se sent à bout de nerfs et se déteste en même temps d'être si agressif avec un mec gentil qui a juste lu ce qu'il a trouvé sous son nez.

- Moi ? Rien, ment Camus – c'est pour la bonne cause après tout.

Les prunelles myosotis de son client se font tellement perplexes et soupçonneuses que l'ange se décide à prendre les devants.

- Mais je comprends que m'héberger plus longtemps puisse te déranger, tu as déjà été très gentil. Tu ne connais un hôtel pas loin de la librairie ?

Milo oscille entre désir de fiche pour de bon à la porte un garçon si étrange, qui s'est installé dans sa vie comme on enfile une vieille paire de pantoufles confortable et chaude, et peur viscérale qu'il s'éloigne, avec sa gentillesse, son calme et son sens de l'écoute. C'est peut-être ça qui lui manque, à Milo, quelqu'un qui l'écoute.

L'ange lit à livre ouvert sur le visage bronzé de Milo, et achève son numéro bien rodé en faisant mine de prendre son sac à dos pour sortir de l'appartement.

- Non, le coupe dans son élan le ton presque désespéré du Grec. Non, Camus, reste ! Pardon ! Ne fais pas attention, je suis taré, tout le monde te le dira.

- Mais non. Juste un peu perdu.

- Ne me laisse pas ! Je ne veux pas être de nouveau tout seul…

Camus n'a rien dit, mais ses ailes invisibles en frémissent de soulagement.

***

Milo a fait beaucoup d'efforts durant ces trois semaines. Pour ne plus boire autant, pour ne plus sortir dans des discothèques louches et se réveiller nauséeux dans un lit inconnu. Pour ne plus avaler de substances illicites malgré son manque.

Non, il reste tous les soirs sagement dans son salon, avec Camus qui lit imperturbablement des livres épais comme des annuaires téléphoniques.

Il l'admire derrière l'écran de son ordinateur portable – ce n'est pas ça qui fait avancer son roman.

- Tu sais que tu es un mec étrange, Camus ? risque-t-il un soir, encore tout remué d'avoir vu son colocataire désormais permanent – accord tacite – sortir de la salle de bains en simple caleçon vert foncé.

- Etrange ? relève l'ange, un peu amusé.

- C'est bizarre. Tu as l'air si… détaché. A croire que rien ne t'affecte.

- Tu as raison, admets volontiers l'ange. Je suis assez… insensible.

- Cela peut changer, marmotte pour lui tout seul Milo, une lueur de défi dans son œil azuré.

Il va passer à l'étape supérieure, et montrer à Camus tout son intérêt pour lui.

***

Le samedi suivant, Milo invite Camus au restaurant, avec une supplication irrésistible dans le ton et le regard.

Camus a bien essayé de refuser. Un dîner aux chandelles dans un petit restaurant intime est une proposition très dangereuse.

Les regards embrasés que Milo pose sur son visage et son corps d'ange depuis quelques jours mettent déjà Camus très mal à l'aise.

Milo reprend visiblement couleurs et moral, mais pas pour de bonnes raisons. Il piétine toujours sur son livre, et ne s'occupe que le draguer très habilement. Il profite de toutes les occasions pour le frôler de façon équivoque et pour lui murmurer des compliments. Il est sincère, Camus le sait, et cela rend les choses moins faciles que s'il était un simple séducteur sans scrupules.

Il se questionne beaucoup à vrai dire. Rien ne le blesse habituellement, aucune manifestation humaine. La haine, l'amour, la peur, il ne connaît pas.

Mais avec Milo, c'est différent. Rien ne marche comme d'habitude.

Les paroles dures de Milo l'affectent, avec un pincement à son cœur qui est pourtant blindé. Quand Milo est fâché et s'en prend à lui, sa gorge se serre et ses yeux le picotent comme s'il allait pleurer, lui qui ne sait pas verser une larme. Quand Milo se saoule ou se drogue, parle de suicide, les côtes de Camus se font douloureuses et il a envie de prendre Milo dans ses bras pour le bercer jusqu'à ce qu'il aille mieux.

Il est sur une très mauvaise pente. Très glissante.

***

Très glissante.

Après le dessert, Milo lui a prit la main entre les coupes de champagne et a chargé son ton de miel velouté.

- J'ai un truc embarrassant à te dire, Camus… On se connaît depuis un mois maintenant et je…

Camus ferme les paupières, concentré sur la main chaude de Milo entourant la sienne.

- Je suis amoureux de toi, Camus…

Patatras.

L'ange le savait. Sa mission déraille, et gravement. Il va devoir replacer ses distances, ses barrières, malgré ce qu'il ressent pour Milo, ce qui ressemble… à de l'amour.

- Tu es très gentil. Mais je ne peux pas sortir avec toi.

Dépité, au bord des larmes, Milo s'est rejeté en arrière sur sa chaise.

- Mais pourquoi ? On s'entend bien ! Je… Je suis si bien avec toi !

- Je suis là pour t'aider… En fait… je suis un ange, Milo. Je ne peux pas éprouver d'amour pour un humain. Je n'ai jamais…

- T'es vierge ?

- Oui, les anges sont obligés de rester purs.

Milo, sidéré, choqué, a alors ricané comme un dément.

- Oh la la, en plus d'être puceau, t'es cinglé. Ça se soigne, tu sais, le fait de se prendre pour un autre…

- Milo…

- T'as pas besoin d'inventer des conneries, Camus. T'es pas homo, les mecs ne t'attirent pas, je ne te plais pas, je suis un minable, ça au moins ce serait clair.

- Si, tu me plais ! proteste Camus, écarlate, en un cri sincère qui a fendu le cœur de Milo.

- Ben alors ? fait le jeune Grec, qui a repris brusquement espoir.

- Alors c'est vrai. Je ne peux pas. C'est interdit…

- T'es marié ?

- Non…

- T'as le Sida ?

- Non !

- Alors, a conclu Milo, qui oscillait entre colère et incompréhension, t'es coincé dans une secte de barjots.

Camus a perdu patience – décidemment, il devient un mauvais ange. Il a congelé l'eau de la carafe entre eux, pour prouver ses dires à Milo, puis s'est levé, les tempes brumeuses.

- Pardon Milo. Tu es un type formidable, mais je ne peux pas.

Milo n'y croyait pas encore. Certes, l'eau de la carafe avait gelé par un tour mystérieux. Mais le jeune Français avait peut-être des talents d'illusionniste.

Il a accompagné Camus dehors, est descendu sur les quais de la Seine avec lui, et a joué son va-tout en plaquant le corps mince de Camus contre le sien, une main retenant sa nuque et l'autre caressant la joue froide de son ami, pour finir par se pencher sur les lèvres qui tentent en vain de se dérober.

- Milo, non !

Trop tard. Camus pourrait se débarrasser de l'importun avec ses pouvoirs, mais il ne bouge pas. C'est… c'est trop bon. Il est trop bien. C'est son premier baiser.

Le Grec a fini par se détacher de lui, plein de défi. Il a nettement senti l'abandon de Camus à son baiser, sa maladresse de novice aussi.

- Ose dire après ça que tu ne m'aimes pas ! Dis-le, Camus, dis le que tu ne m'aimes pas et je te laisse tranquille…

- Je ne peux pas ! Les anges ne peuvent pas…

- Arrête avec tes mensonges idiots. J'y crois pas.

Milo a bien dû y croire quand Camus, ses si beaux yeux saphir brillants de larmes, a baissé la tête.

- Laisse-moi seul, Milo. J'ai besoin d'être seul.

- Pas tant que tu ne m'auras pas dit la vérité, s'est obstiné Milo.

- Je te l'ai dit.

- C'est ça, et moi je suis la déesse Athéna.

Milo s'est alors retrouvé seul et tout bête sur le quai. Camus s'est littéralement volatilisé. Volatilisé, c'est le mot. Milo lui tenait pourtant le bras, et se retrouve avec du vide dans les mains.

Etrangement, une plume a tourbillonné à côté de lui et Milo l'a machinalement ramassée sur le pavé. Une plume duveteuse, blanche, et toute douce. Le Grec a regardé le ciel, guettant un oiseau, mais rien.

Rien d'autre que les étoiles dans le ciel de Paris.

***

Camus a atterri dans un bar quelconque, et a entrepris de se saouler consciencieusement. Pas très indiqué pour un ange, mais il n'en a cure.

- Tu comptes en avaler combien ? a susurré à son oreille une voix cristalline et connue.

L'ange s'est retourné, pour tomber sur un gracieux jeune homme du même âge que lui, qui dépare totalement dans le lieu avec sa trop longue chevelure blonde et soyeuse, et son costume immaculé.

- Shaka ?

- Tu te souviens quand même de tes collègues. C'est vrai que boire autant ne te sers à rien, n'est-ce pas ? Cela ou de l'eau…

- Je sais, mais cela me donne l'impression que si.

- On s'inquiète pour toi, Camus.

- Je vais réussir. Je n'ai jamais échoué à sauver un humain.

- Je ne parlais pas de la réussite de ta mission, mais de ton comportement aberrant ! Il t'a embrassé ! C'est un blasphème !

- Il ne savait pas… Je n'ai pas eu le cœur de le blesser.

- Suis ton chemin, Camus… Aide ton client, et garde tes distances. N'est-ce pas toujours ce que tu me disais, quand tu m'as aidé pour mes premières missions ?

- Je n'étais jamais tombé amoureux, avant…

- C'est une illusion. Ce garçon t'a ému plus que les autres, et il s'accroche trop à toi, d'accord… Mais ne confond pas tout. Un ange n'a pas le droit d'aimer un humain.

- Camus !

Les deux anges sursautent en chœur. Camus se demande brièvement comment Milo l'a retrouvé si vite, même s'il ne s'est pas rematérialisé très loin des quais.

Le Grec se faufile déjà en direction du comptoir, et a avisé en un coup d'œil le verre plein de Camus et sa proximité avec le bel inconnu aux longs cheveux dorés et aux prunelles encore plus bleues que les siennes.

- Vous êtes qui, vous ? aboie rudement le jeune libraire, sans aucune politesse. Ne vous approchez pas de lui ! C'est pas parce qu'il se saoule que vous pouvez en profiter !

- L'alcool n'a pas d'effet sur nous, fait remarquer le blond d'un ton uni, presque professoral.

- Nous ? capte enfin le furieux. Vous en êtes ?

- Je te laisse, Camus. N'oublie pas ce que je t'ai dit, cesse de dévier et de faire n'importe quoi.

- Bon vent ! l'a salué aigrement Milo, mécontent de la condescendance hautaine de l'inconnu. Et toi, tu viens avec moi.

***

Milo s'est collé contre Camus dans l'ascenseur qui mène à son troisième et dernier étage.

- Pardon, Camus.

- Tu me crois, maintenant ?

- Mais comprend que cela paraît incroyable, ce genre de truc. Je ne crois pas à tout ce surnaturel, moi. Je ne pouvais pas deviner… Mais ça ne change rien ! Je t'aime, même si tu as une paire d'ailes dans le dos… Tu as bien des ailes ?

Camus a souri faiblement à la question naïve de Milo.

- Oui… mais je les cache quand je viens aider les humains, bien sûr…

Le Grec a oublié ses clés dans son émotion, et Camus achève de le convaincre en ouvrant la porte d'un geste de la main.

Milo choit dans les coussins du divan, et lève un visage empli d'espoir sur son vis-à-vis.

- Alors tu as vraiment été envoyé ici rien que pour moi ?

- Oui. Mais… mais le genre d'aide que tu désires, je ne peux pas te la donner.

Le Grec le jauge, ses pupilles luisantes et étrécies comme celles d'un prédateur. Cela vrille Camus qui détourne les yeux.

C'est la première fois qu'il doit baisser la tête devant un humain. Avec Milo, ce sont toujours des nouveautés.

- Tu n'en as pas envie ? continue Milo d'une voix douce, élevant le bras pour saisir la main tremblante de l'ange.

- Si, avoue Camus, oh, si, j'en ai envie. Je ne connaissais pas ce sentiment, mais si, je t'aime aussi, Milo.

- Ben alors, il n'y a pas de problème ! s'enthousiasme le Grec.

- Je ne peux pas… Je serai puni, sûrement. Je suis ici pour te redonner le goût à la vie, pour que tu ne te suicides pas… Pour que tu deviennes un grand écrivain et pour que tu rencontres quelqu'un de bien… Après, je m'en irai.

- Mais tu me redonnes goût à la vie, Camus ! Tout prend un sens depuis que tu vis avec moi ! J'en viens même à croire que je pourrai enfin écrire un truc valable…

- Bien sûr que tu écriras un livre valable.

Milo a continué à plaider de longues minutes.

- Laisse-moi t'aimer… Je les empêcherai de te faire du mal… Même eux, ils ne peuvent rien contre l'amour… Ce n'est pas un péché, tu ne fais rien de méchant… On s'aime, où est le crime ?

Milo a attiré Camus sur ses genoux.

- Reste avec moi, Camus… Ne m'abandonne pas.

Camus a soupiré, et est resté assis à califourchon sur Milo, laissant l'humain glisser ses mains exigeantes sous sa chemise blanche. Il écoute l'accent méditerranéen de Milo faire chanter ses paroles d'amour.

Il va craquer, il le sent.

- Je ne sais même pas si je suis capable de… faire ça… dit-il très bas.

Milo a eu un petit sourire sensuel et gourmand en effleurant les reins de son ange.

- Tu m'as l'air d'avoir tout ce qu'il te faut là où il le faut, rassure-toi…

Camus a haleté sous la caresse. Sans doute. On a dû leur laisser la possibilité de la tentation, aux anges.

Où serait la vertu pour un être qui ne pourrait pas pécher ?

- Tu me les montres, tes ailes ? imploré soudain le Grec, ses mains toujours sous la chemise de Camus.

La peau du garçon est chaude, et son cœur d'ange bat si vite que Milo en est tout ému.

Camus s'est tortillé un peu, toujours à califourchon sur ses genoux, et Milo a dû se mordre les lèvres pour ne pas gémir de désir. Il ne veut pas effaroucher Camus. Camus qui n'est pas que simplement innocent, Camus qui n'a sans doute jamais eu la moindre pensée de cette nature avant de croiser sa route.

Milo a eu presque honte. Est-il tellement dépravé qu'il réussit même à pervertir un ange ?

Le chemisier de Camus est tombé sur le sol, et Milo s'est rempli les yeux de la vision de son torse dénudé. Bien sûr il l'a déjà vu sortant de la douche, mais là ce n'est plus pareil.

Milo a poussé un cri de surprise. Ses mains toujours agrippées aux épaules du Grec, Camus a déployé ses ailes, dont l'envergure neigeuse balaye le salon.

Le corps caressé par un zéphyr léger, Milo contemple avec émerveillement les élytres célestes battre doucement autour d'eux.

- Comme elles sont belles ! Je peux les toucher ?

Camus a indiqué son accord du menton, un peu malicieux sous l'étonnement du Grec.

- Mais doucement… C'est fragile.

Milo a tâté respectueusement du bout des doigts les plumes, ce qui lui donne une impression encore plus douce que le duvet de canard qui est sorti une fois de son oreiller éventré.

Au bout s'un moment, Camus a replié ses ailes. Cela ne serait quand même pas très pratique pour… ce que Milo s'apprête à lui faire découvrir.

Milo a suivi pensivement la courbe un peu plus saillante que naturel sur ses omoplates.

- C'est dingue qu'elles se cachent comme ça…

- Elles ne rentrent pas là-dedans, a ri Camus. Elles se dématérialisent.

- Ah, tu me rassures.

Camus a posé sa tête dans le creux de l'épaule de Milo. Milo lui a mordillé le cou.

- Tu veux ? s'est juste assuré Milo.

- Oui.

Les jeunes gens se taisent, ensuite. Les mots ne font que compliquer les choses dans certains cas. Camus a peur de l'inconnu, mais se laisse rassurer par le sourire énamouré de Milo. Milo ne lui fera jamais de mal, il le lit dans son cœur.

***

Milo l'a porté dans sa chambre. Sur son lit.

Milo lui enlève délicatement son jeans, touche chaque parcelle de son corps, là où on ne touche jamais les anges, d'abord avec ses mains tremblantes d'émotion, puis avec ses lèvres humides et chaudes.

Milo le fait frissonner, le fait bouillir, le fait supplier et se tordre, lui qui n'a jamais ressenti de sensations bassement humaines en quatre cent ans de vie au ciel.

Milo sourit de joie quand Camus lui dit que les préservatifs peuvent rester sous le lit, qu'il ne peut rien attraper comme maladie humaine.

Milo prend son temps, tout son temps, même si Camus lui affirme qu'il ne ressentira pas de douleur, qu'il ne sait pas ce que c'est.

Milo lui demande s'il est bien certain de sa décision. Qu'il peut encore tout arrêter, mais Camus l'attire sur lui et s'offre avec un sourire réellement humain qu'il n'a découvert que pour Milo.

Milo entreprend enfin de le faire sien et d'unir son corps mortel à son corps céleste, et hoquetant d'étonnement sous l'indescriptible sensation, Camus s'attend presque à être foudroyé sur place pour apostasie.

A la place, ce sont des flux et des reflux de plaisir qui s'entrechoquent sans répit dans son corps pâle.

La foudre qui l'anéantit n'a rien d'une punition, et l'ange renégat a la sensation d'arriver à la bonne destination après un voyage très long et très ennuyeux.

Milo crie son nom et son amour. Leurs souffles s'entremêlent encore et encore et Camus s'abandonne totalement à la joie de se sentir vivant comme les humains qu'il a tant aidés.

***

Après, Milo a pleuré, et n'a cessé de demander pardon. Il a fixé, pétrifié, les traits sereins de Camus, ses longs cheveux épandus sur l'oreiller comme des coulées d'encre indigo, auxquelles répondent des légères traînées d'encre rouge, plus bas sur les draps bleu ciel.

Camus a dû le bercer, le réconforter, lui assurer qu'il ne regrette rien. Pour la première fois de son existence, il ressent aussi le besoin de dormir, et se réfugie entre les bras de Milo, sans être sûr de s'y retrouver au réveil.

***