Ses yeux étaient grand ouverts mais ne discernaient rien.
Dans un effort qui lui sembla surhumain, il passa la main devant son visage et réussit tout de même à en distinguer une vague forme.
Bien.
Cela était mieux que rien. Cela suffirait bien pour sa forme canine de toute façon.
Au prix de terribles souffrances traversant son corps comme autant d'aiguilles indifférentes, il réussit à se redresser et à se mettre à genoux.
Il se trouvait à présent face à ce qui aurait dû rester son tombeau, sa dernière demeure.
L'immense arche se trouvait devant lui, toujours aussi imposante, toujours aussi menaçante dans l'immense salle vide du ministère de la Magie.
Bien que désorienté, il savait combien il était chanceux d'avoir pu y échapper et il savait également pourquoi il avait pu en réchapper. D'ailleurs son esprit lui soufflait l'urgence de ce qu'il avait à faire. Passant outre ses vêtements en lambeaux, sa respiration erratique et surtout, la douleur sourde qui traversait son corps et ne semblait pas vouloir le quitter, il se leva et dut se concentrer un long moment afin de rassembler le peu de magie qu'il avait réussi à conserver jusqu'ici.
À bout de souffle, il dut s'appuyer un moment sur la pierre froide qu'il craignait et haïssait. Ses yeux purent saisir un mouvement à la surface du monument et il comprit qu'il n'avait plus de temps à perdre.
Il ferma de nouveau les yeux et entreprit sa transfiguration. Petit à petit ses traits changèrent, prirent la forme grossière d'un museau canin, son corps s'étrécit et des poils drus lui poussèrent. Il finit par se retrouver à quatre pattes et s'ébroua.
Sans plus attendre, le Sinistros qu'il était devenu s'élança vers la sortie.
À peine fut-il sorti de la salle que l'immense édifice en son centre se mit à trembler sur ses fondations.
Un immense vortex fit son apparition, ses tourbillons violents étaient traversés d'éclairs tout aussi puissants.
Soudain, une main aux doigts décharnées et à la peau grisâtre et déchiquetée en sortit.
Instantanément l'air se fit si glacé qu'il en devint irrespirable. Si un être vivant avait été présent à ce moment-là il aurait succombé sur-le-champ.
Un son entre le gémissement et une plainte lugubre se fit entendre tandis que l'être aux doigts crochus s'extrayait tant bien que mal de l'arche.
Une de ses proies avait réussi à lui échapper. Bien qu'extrêmement rare, cela arrivait une ou deux fois tous les cinq siècles et elle ne pouvait l'en empêcher. Mais elle ne laissait jamais passer cela sans rien faire. Et toutes les âmes adroites qui avaient réussis à s'échapper étaient retombées tôt ou tard dans ses griffes.
Il y allait tout de même de sa raison d'être.
La créature se redressa, observant les alentours de ses orbites creuses et vides de tout éclat.
Elle savait parfaitement où était parti l'homme qui avait pu s'enfuir de son fief, aussi ne se pressa-t-elle pas. Le pauvre fou pensait pouvoir changer le Destin ? Mais à la fin c'était elle, c'était toujours elle qui l'emportait et avec celui-là, elle prendrait son temps.
Oh oui.
Elle allait le regarder souffrir comme jamais il n'avait souffert et sa volonté si forte – si puissante soit-elle – se briserait et elle n'aurait plus qu'à récupérer son âme anéantie dont elle se délecterait sans remords.
Oui… Elle allait se repaître de la terreur, de l'angoisse et du chagrin de l'essence de Sirius Black.
ooo
Il avait réussi à sortir du Ministère sans aucuns problèmes. Il soupçonnait que tous devait se trouver à Hogwarts, sur ce qui allait devenir un immense champ de bataille. Il devait donc se presser car le temps lui manquait : s'il arrivait trop tard, son âme serait à jamais perdue et tout ceci n'aurait servi à rien.
Ignorant les protestations incessantes de chaque muscle de son corps, feignant de mépriser son souffle court et sa langue pendante, il continua à courir jusqu'à atteindre une zone où il pourrait transplaner.
Arrivé là, il métamorphosa de nouveau et dut poser un genou à terre, tremblant violemment, épuisé au-delà des mots. Il distinguait mal ce qu'il pouvait y avoir autour de lui aussi prit-il quelques secondes pour reprendre son souffle.
Lorsqu'il put se relever, chancelant légèrement, sa vision était toujours trouble mais s'affinait.
Il prit une profonde inspiration.
La Cabane Hurlante, il devait aller à la Cabane Hurlante car c'était là qu'il se trouvait.
C'était là qu'il devait empêcher ce désastre.
Il sentit le tiraillement familier et horrible du transplanage et ne sut rester debout en arrivant.
L'effort avait été trop violent et pour sa magie et pour son corps. Il avait senti ce dernier comme se déchirer en deux lors d'un quart de seconde d'inattention et il avait été forcé de puiser dans ses dernières réserves magiques.
Tombant à genoux, ses mains se crispèrent dans la terre. Son estomac fut pris de spasmes violents et il ne put que vomir le peu de bile qu'il avait dans le ventre.
Son corps atteignait les limites de ce qu'il pourrait encore supporter et l'âcre liquide fut mêlé à du sang.
Des vaisseaux sanguins avaient dû se rompre.
Il s'essuya la bouche, frissonnant fortement sans arriver à s'arrêter. Puisant dans sa volonté, priant tous les magiciens, Dieux et entités susceptibles de l'aider, il réussit à se relever en chancelant.
Jamais de sa vie n'avait-il été en si piteux état. Il sentait ses doigts devenir gourds et un froid implacable semblait vouloir prendre possession de son corps.
Il savait qu'il allait – qu'il devait – mourir : l'entité régnant sans partage sur le voile ne lui permettrait pas de rester.
Mais il ne renoncerait pas. Il en valait largement la peine.
Titubant, trébuchant sur quelques racines, les cheveux dans les yeux, il réussit tout de même à s'approcher de la bâtisse.
Là, il se rendit compte que quelque chose clochait.
Les enfants n'étaient pas là.
Harry, Ron et Hermione devaient se trouver devant la cabane hurlante à observer ce qu'il se passait à l'intérieur. Cela aurait signifié qu'il était arrivé à temps.
Mais les enfants n'étaient pas là.
Il s'avança jusqu'à l'entrée s'appuyant un instant au chambranle de la porte pour reprendre son souffle.
Il entendit un son de voix étouffé non loin et décida de s'y diriger.
Son sang battait à ses tempes et le goût âcre du sang et de bile refusait de quitter son palais.
À mesure qu'il s'approchait, les voix se faisaient plus distinctes.
Il reconnut celle de son filleul.
Il sentit son cœur sombrer dans sa poitrine et se rua dans la pièce où se trouvait les voix.
Non. Non, non, ayez pitié…
Le spectacle qui apparut devant lui confirma toutes ses craintes.
Harry était à genoux, soutenant le Maître de Potions dont la gorge broyée par les crocs de Nagini, laissait échapper à flots le sang qui ne semblait pas vouloir se tarir.
Non loin d'eux se trouvaient Hermione Granger et Ronald Weasley, mais Sirius ne les remarqua pas de suite.
Il s'avança vers le corps allongé cherchant son regard, tentant désespérément de trouver encore une lueur de vie, une preuve qu'il n'était pas trop tard.
Il s'aperçut à peine que son filleul s'était tourné vers lui et avait murmuré son prénom, trop choqué par la fin horrible d'un homme qu'il avait haï une bonne partie de sa vie et qui ne méritait que son respect et sa reconnaissance et par la présence de son parrain qui aurait du être mort.
Lourdement, l'animagus s'agenouilla près d'eux et Harry le vit lever une main tremblante vers le visage blême du mourant dans ses bras.
« - Severus… »
Le susnommé ne sut comment, mais il entendit l'appel entre les limbes de la semi-conscience qu'était son agonie. Avec difficulté il réussit à soulever ses paupières. Merlin… ce simple mouvement semblait lui demander toute son énergie…
Il ne distingua rien d'abord puis dans un dernier sursaut de volonté, ses yeux firent le point et s'ancrèrent à ceux de l'homme qui avait murmuré son prénom.
Ô que le sort se montrait cruel !
Il tenta de bouger ses lèvres, d'exprimer ce qu'il ressentait là tout de suite, mais ses dernières forces l'avaient abandonnées.
Alors il tenta de faire passer ses pensées, ses sentiments par son regard. C'était là la seule – la dernière – occasion de faire comprendre au dernier des Black ce qu'il ressentait vraiment.
Harry lui-même en fut bouleversé. L'intensité de ce que les deux hommes avaient pu partager était quasiment palpable. L'air était saturé de sentiments si puissants, que le souffle lui manqua et que les larmes lui vinrent aux yeux.
Il comprit toute l'injustice – toute l'horreur – de la vie de ces deux êtres et maudit son incapacité à pouvoir les aider.
Sirius saisit avec délicatesse l'une des mains inertes du Maitre de Potions. Il la souleva et la serra doucement contre sa poitrine.
« - Je suis… revenu… pour toi… et… tu… tu aurais… l'audace de… partir quand… même ? »
Ce n'était qu'un chuchotement mais Severus l'entendit tout de même.
Ô Seigneur, il aurait tant voulu répondre à cette tendre boutade, mais sa gorge arrachée ne lui était plus d'aucune utilité et il sentait le poison, inexorable, s'écouler dans ses veines et lentement affluer jusqu'à son cœur.
Bientôt cela n'aurait plus aucune importance.
Il réussit tout de même à resserrer l'étreinte de sa main sur celle de l'animagus.
Malheureusement, tous les efforts fournis avaient eu raison du peu de forces qui lui restaient et il sentit le souffle glacial de la mort l'envahir doucement pour l'emporter.
Bientôt…
Il rouvrit brutalement les yeux lorsque la morsure du froid se fit plus douloureuse. Dans la pénombre, il ne distinguait plus que des ombres fugaces mais il ressentit avec acuité l'aura mortellement glaciale de ce qu'il comprit être le spectre de la Mort.
Sa dernière pensée avant de sombrer fut que même son trépas serait un moment de douleur à subir.
L'entité qui venait de faire son apparition lui caressa lentement le front de ses doigts décharnés aux ongles horriblement déchiquetés.
Un petit rire lui échappa.
Et c'était pour cela que sa proie s'était enfuie ? Que les êtres humains pouvaient se montrer vains et stupides.
Elle tourna sa tête encapuchonnée vers l'individu qui avait réussi l'exploit de s'échapper de son royaume.
Sirius ne distinguait, à présent, que deux lueurs malsaines, sûrement ses yeux, mais il ne s'y dégageait aucune chaleur, c'était là l'éclat de lueurs mortes et les croiser de son propre regard ne signifiait qu'une seule chose.
Inconsciemment il serra convulsivement la main du Maître de Potions.
Si Harry savait ce qu'était la peur, il comprenait à présent ce que signifiait la terreur. Pourtant… pourtant, il se devait de tenter quelque chose – n'importe quoi – pour protéger son parrain car il comprenait instinctivement que la créature – d'ailleurs qu'était-ce ? L'on pouvait penser à un dementor mais l'aura dégagée était infiniment plus écrasante – en avait après Sirius.
Il fit mine de lever sa baguette, mais la voix de son parrain l'arrêta net :
« - Harry… non… »
Le Survivant le regarda sans comprendre. Il fut choqué à la vue du visage de l'animagus : ses traits étaient tellement tirés qu'il paraissait sans âge, son regard était éteint et plus aucun espoir ne s'y lisait encore. Tout son être hurlait à la résignation et au désespoir.
« - Sirius… »
Ce dernier secoua la tête et lui accorda un sourire sans joie.
Il s'approcha de son filleul et posa une main sur son épaule qu'il pressa doucement :
« - Non Harry. Il ne vient pas pour toi… J'ai été… trop présomptueux et… je… dois en payer… le prix. Toi… tu dois encore… te battre… Ton heure n'est pas… encore venue… et tous comptent… sur… toi… ont… besoin… de toi…Moi… je suis déjà… mort. »
La gorge nouée et les larmes roulant le long de ses joues, le jeune homme ne put s'empêcher de se jeter dans les bras de son parrain et de le serrer de toutes ses forces.
« - Ce n'est pas juste… ce n'est pas juste… »
Sirius l'étreignit à son tour, lui caressant les cheveux :
« - Mais… tout ira… bien… Harry… Je serais… toujours… avec toi… toujours… Ne l'oublie jamais. »
Ils restèrent ainsi quelques instants et enfin Harry le relâcha doucement et se releva. Il frotta ses paupières afin de tarir ses larmes et se fut d'un air décidé qu'il se détourna de son parrain et alla rejoindre ses deux amis. Il se tourna une dernière fois vers lui puis sortit rapidement, suivis de Ron et Hermione, tous deux blêmes de frayeur.
Sirius lâcha un soupir de résignation et se retourna vers la créature qui était venue pour le ramener dans les limbes ténébreux et cruels qu'était l'abîme de l'arche.
Il caressa la main, à présent froide, de Snape. Il n'avait pas su le sauver et par sa faute, le Maître de Potions était condamné à errer entre la vie et la mort, à ne jamais connaitre le repos éternel parce qu'il avait eu le malheur d'avoir été tué par une chose à qui les dieux eux-mêmes n'accordaient aucun espoir de rédemption.
Les Horcruxes étaient des êtres, des choses, maudits et celui ou celle qui avait été contaminé par l'un deux finissait immanquablement damné.
Seul un Sacrifice Absolu était à même de sauver le pauvre hère touché par ces choses, encore fallait-il avoir assez de Magie pour cela. Harry en avait bénéficié grâce à ses parents, c'était pour cela que Sirius ne s'inquiétait pas pour son filleul : il ne risquait rien, bien qu'étant lui-même un Horcruxe.
Il ferma les yeux. Si Severus devait souffrir jusqu'à la fin des temps, il ne serait pas dit qu'il le ferait seul.
« - Fais vite, je t'en prie. »
La voix sépulcrale s'éleva :
« - Il n'est pas encore mort. »
Sirius en rouvrit instantanément les yeux :
« - Que… quoi ? »
Un rire d'outre tombe lui répondit.
Cet humain l'amusait grandement.
Au premier abord, elle avait pensé simplement récupérer son âme emplie du désespoir de n'avoir pu sauver l'agonisant, mais, c'était bien trop facile maintenant.
Il voulait encore éprouver sa volonté, il voulait voir jusqu'où pourrait aller sa résolution et son courage. Combien de temps avant que l'animagus ne le supplie lui-même d'abréger ses souffrances ? Ne le supplie de le ramener dans les sublimes ténèbres de l'Arche ?
Oui… La note d'espoir dans la voix de l'homme face à lui, lui promettait un amusement sans pareil, une coupure exquise qui finirait en apothéose totale.
Il fallait conclure un pacte.
La créature se rapprocha encore de Sirius et celui-ci fut brusquement submergé par son odeur de tombeau, âcre, douceâtre, tenace… écœurante.
« - Veux-tu le sauver ? Son âme est encore présente dans son corps. Es-tu prêt à passer un pacte avec moi ? »
« - Oui ! Tout ce qu'il faudra ! »
Un rire d'un cynisme insoutenable retentit.
Ah ! Ces humains… Si… prévisibles et inconscients.
« - Acceptes-tu de lier ton âme à la sienne afin de le garder dans le monde des vivants ? »
Sirius n'hésita pas.
« - Je l'accepte. »
« - Acceptes-tu que tous t'oublient, que tu ne sois à peine plus qu'un vague souvenir à leurs yeux ? Que tu ne sois plus rien pour personne ? »
L'animagus ferma les yeux, la gorge sèche.
Qu'ils l'oublient ? Tous ? C'était revivre la double agonie qu'avait été et Azkaban et l'enfer de l'arche…
Ses doigts effleurèrent le front de Severus.
Mais c'était un prix bien faible à payer.
« - Oui, je l'accepte également. »
« - Bien. Ton âme scellera le pacte. Je réclamerai mon dû le moment venu. »
« - Mais… lequel ? »
L'Entité ne répondit pas. Elle s'approcha et se pencha vers lui comme pour lui donner un baiser et pendant un instant de pure panique, Sirius se débattit. Si son âme était aspirée maintenant comment sauver Snape ?
La voix autoritaire et caverneuse retentit à son oreille.
« - Ta bouche devra être scellée, sinon le contrat deviendra automatiquement caduc. Tu ne pourras non plus interagir avec celui dont ton âme est liée, sinon il mourra aussitôt. Tu devras obéir à tout ce qu'il te sera ordonné, où vous en subirez les conséquences. »
Bien qu'il entendit ces paroles, il peinait à les comprendre parce que la séparation brutale entre son âme et son corps était bien trop douloureuse : il lui semblait qu'on lui arrachait chaque centimètres de chair avec une lame chauffée à blanc et la souffrance semblait aller croissant.
Il hurla, hurla jusqu'à que la douleur devint tellement insupportable qu'il préféra sombrer dans les ténèbres de l'inconscience.
