La Mer

Elle est immense. Comme si elle s'étendait à l'infini. Un grand manteau bleu, gris et parfois noir. Tantôt calme, tantôt furieuse, elle coule d'un bout à l'autre l'horizon. Elle s'évapore parfois, pour retomber dru en cascades grises de larmes et hurlant sa tristesse dans le vent. Puis elle ruisselle par delà les vallées et les montagnes, les campagnes et les villages, espérant retrouver sa place dans l'étendue d'eau dont elle porte le nom.

Parfois encore, elle prend un autre chemin. Car de toute sa joie, elle s'échoue sur les plages. Mais de colère elle se porte plus loin encore, en des vagues immenses. Et alors, elle vole tout ce qu'elle peut pour ensuite tout rejeter ailleurs. Elle emporte aussi hommes, femmes, enfants, vieillards et animaux, qu'elle engloutit en son creux. Puis lorsque sa haine se tarie, elle se retire laissant çà-et-là de petits morceaux d'elle qui finiront par aller se cacher dans la roche, pour n'en ressortir que bien plus tard, au service de ces vies qu'elle a détruite. Comme une excuse pour le mal occasionné.

Si sauvage et pourtant domptée au-delà de tout ce qu'auraient cru nos ancêtres. Car c'est elle qui les a porté comme une mère porte son enfant, puis elle a accouché, les laissant vivre sur la terre ferme où il se sont épanouis. Pourtant rebelles, ils ne se sont jamais trop éloignés d'elle. Délaissant les plages pour les ruisseaux et les lacs, ils l'ont dédaigné, mal-aimé. Mais nous n'avons pas oublié son odeur, sa texture et son amour. Alors, l'adolescence passée, nous somme revenus à elle. Et faute de retourner en son sein, nous nous laissons porter, à l'aide de bateaux et de radeaux, poussé par son chant que le vent transporte.

Elle nous a vu naître, et nous verra mourir. Et malgré son malheur, c'est dans l'ordre des chose. Pourtant, aujourd'hui elle se meurt, empoisonnée par nous même qu'elle veille depuis toujours. Désespérée, elle se laisse faire, voyant là peut-être une porte de sortie de cette spirale monotone.

Et nous, sombres crétins aveugles que nous sommes, nous tuons notre Mer notre Mère.