Auteur: Logan O'Neill
Titre : « Motus et bouche cousue »
Saison: 4 après "Once upon a crime".
Castle et ses personnages appartiennent à Andrew Marlowe. Mais si jamais il veut se débarrasser de Castle, il peut me le refiler, je prendrai soin de lui.
C'est ma première immersion dans le monde de Castle, toutes les critiques, bien sûr constructives, sont les bienvenues.
UN
La pluie tombait depuis cinq minutes, doucement, bruit léger et continu, tranquille et diffus. Les façades grises, les rideaux tagués et les enseignes borgnes pleuraient, mêlant l'eau aux hydrocarbures, dans une vaine tentative de laver la Grande Pomme de la noirceur distillée par les sentiments humains. Ici et là, parmi les débris, une silhouette féline s'arrachait aux ombres qui l'entouraient pour disparaître aussitôt sous une voiture stationnée. La ville était endormie, inconsciente du malheur qui venait de frapper. Comme maintes fois auparavant, la nuit avait emporté une vie sans déranger les rêves, les cauchemars, les ébats de millions de ses citoyens. Cependant, il y avait de ceux qui étaient payés pour savoir comment de sombres desseins avaient pu amener une personne à en tuer une autre. Puis, il y avait ce drôle d'énergumène qui noircissait des milliers de pages avec ces mêmes sentiments destructeurs.
Richard Castle regardait défiler les rues désertes à travers la vitre côté passager de la Crown Vic. Tout était réuni pour que son imagination d'écrivain puise dans les événements. Il savait peu de choses à propos de cette nouvelle affaire, mais l'adresse que Beckett lui avait donné – une zone connue pour ses dealers et ses prostituées - était alléchante. Le temps était idéal, empreint de mélancolie et orageux, comme si le spleen pouvait être brisé par un coup de colère imprévisible. Selon Espo, le crime était plutôt inhabituel. Il avait ajouté sur le SMS envoyé à Kate que "ça devrait plaire à l'esprit tordu d'écrivain de Castle". Pourtant, la pluie et le manque de repos le rendaient maussade et aujourd'hui, il devait bien l'avouer, la perspective d'un crime en pleine nuit ne l'excitait pas vraiment.
Si quatre ans plus tôt, le sensationnel et les détails sordides l'emportaient, son penchant pour le macabre s'était quelque peu atténué depuis. L'écrivain était à présent plus enclin à explorer le côté collatéral des crimes. Il les abordait d'une façon plus humaine, ressentait la douleur, la détresse, la peine, l'angoisse et le désespoir de ceux qui pleuraient. Le contraire aurait été illogique. Il l'avait lui-même vécu, dans sa chair et dans son âme. L'adrénaline qui se déverse dans le sang, la nausée qui frappe les viscères, la recherche du souffle qui remplira de nouveau les poumons d'air, l'impression de que le monde s'écroule autour de soi sans qu'on puisse rien y faire... Le Capitaine Roy Montgomery était un bon policier, un bon père, un bon mari et un bon ami. Il avait fait une erreur, unique, et elle lui avait été fatale. Ses chaînes s'étaient alourdies et enroulées autour de son cou pendant dix-neuf longues années et elles avaient fini par l'étouffer et l'écraser sous leur poids. Castle détourna son attention des rues faiblement éclairées pour la porter sur sa partenaire. Il déglutit sans même s'en apercevoir, le souvenir était encore trop frais dans sa mémoire. Le sang poisseux et chaud sur ses mains, sur son uniforme, sur l'herbe fraîche du cimetière. Il avait failli la perdre quelques mois plus tôt lorsqu'une balle avait violé sa poitrine. Le sniper s'était envolé, il s'était évaporé, mais les dégâts qu'il avait provoqué subsistaient. Son corps s'était remis de sa blessure, mais psychologiquement cela avait rajouté des briques au mur qu'elle s'était érigé à la mort de sa mère. Cependant, quelque chose avait changé en elle depuis peu. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de l'écrivain. Ces derniers temps, des ouvertures commençaient à apparaître dans ce mur qui semblait inexpugnable. Il en était conscient et il laissait à Kate le soin de mener la barque. Castle s'adaptait, craignant de la faire fuir, acceptant ce qu'elle consentait à lui donner, pour l'instant. Il parvenait tant bien que mal à se contenter de la proximité physique injustifiée, des frôlements déguisés, des regards insistants, des sourires qui se dessinaient sur les douces courbes de ses lèvres autrefois figées. Récemment, un autre sentiment, ou plutôt l'expression de celui-ci, était apparu comme un signe supplémentaire de l'érosion de ce mur. C'était implicite, une façon détournée et bien moins agréable de lui faire comprendre ce qu'elle ressentait pour lui: la jalousie. Cette jalousie qu'elle ne craignait plus de lui montrer ouvertement. Une jalousie incisive, accompagnée d'une rage contenue et froide, d'une indécision douloureuse. Il avait vu tout cela dans ses yeux, ses mots le lui avaient fait comprendre quand elle pressentit en Sophia Turner une rivale, déçue de ne pas avoir été la seule et unique muse de Richard Castle. La jalousie ou l'envie de la possession. Le sourire sur les lèvres de Castle s'étira, ses yeux encore focalisés sur la figure qui se détachait de la pénombre extérieure.
-Castle...
-Hum?
-Arrêtez de faire ça.
-Faire quoi?
-Me fixer avec un sourire carnassier.
Il tourna le regard vers l'avant, portant le café à sa bouche pour déguiser ce sourire qui s'était quelque peu estompé mais dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Les images qui s'étaient mises en branle dans son esprit à l'évocation du mot "possession" ne le poussaient pas forcément à la retenue.
Le silence s'était doucement installé dans l'habitacle. Ce n'était pas un silence incommodant ni maladroit, c'était un silence reposant, le calme avant la tempête. Beckett en avait besoin avant de commencer une nouvelle affaire et Castle le savait, aussi il le respectait. C'était une façon comme une autre pour lui de finir sa nuit. Enfin, finir était un bien grand mot. Il était trois heures du matin lorsque la sonnerie de son portable l'avait réveillé. Castle était au milieu d'un rêve où se mêlaient des images confuses de Kate et de Sophia Turner. Un mois après sa mort, elle hantait encore ses rêves et perturbait son sommeil. Il se sentait de plus en plus las, tant son sommeil était fragile et ses rêves usants. Mais il ne voulait rien paraître. Rick tentait tant bien que mal de rester égal à lui-même, grand gamin, partenaire attentionné et fin limier. Mais la fatigue s'accumulant, cela devenait de plus en plus difficile. Et la fatigue, il la ressentait d'autant plus à cette heure tardive, faite pour le sommeil, même léger et rempli de rêves agités. Ses paupières étaient lourdes, se refermaient d'elles-mêmes, sans qu'il puisse rien y faire. Bercé par le ronronnement de la voiture et la conduite souple de Kate, il se sentit glisser peu à peu dans les bras de Morphée. Son sommeil se brisa brusquement lorsque une chaleur moite traversa le tissu de son pantalon.
-Merde! S'exclama-t-il tout en se redressant brusquement sur son siège. Il s'était assoupi avec la tasse de café dans la main.
-Castle, il faut dormir la nuit!
-C'est vous qui m'avez réveillé à trois heures du matin! Rétorqua-t-il en s'essuyant frénétiquement le pantalon avec une des lingettes que Kate gardait dans la boîte à gants.
Kate haussa un sourcil, interloquée. Elle n'était pas habituée au ton sec qu'il avait employé. Et ce n'était pas un juron qu'il venait de lâcher? Étonnant chez Castle.
-Si vous ne voulez plus que je vous appelle lorsqu'une affaire se présente en pleine nuit, vous n'avez qu'à le dire. Personne vous oblige à venir.
Un blanc. Juste le ronronnement du moteur. Dehors, le feu passa au rouge et la voiture s'immobilisa.
-Désolé, je n'ai toujours pas assez de caféine dans mon organisme... Je ne voulais pas... Castle ne trouvait pas ses mots, il s'en voulait d'avoir réagi de la sorte. Il passa une main hésitante par ses cheveux encore humides. Kate connaissait bien ce geste, Castle était fatigué et nerveux. Elle secoua la tête, impossible de lui en vouloir. Ces jours avaient été particulièrement éprouvants pour lui et, malgré qu'il fasse de tout son possible pour le cacher, elle voyait bien que les événements qui avaient entouré la mort et la trahison de Sophia Turner l'avaient atteint plus qu'il n'était prêt à l'avouer.
-Castle, respirez. D'habitude c'est moi qui est intraitable sans ma dose de caféine. Vous avez bien le droit de l'être pour une fois. Elle l'obséquia d'un léger sourire pour le mettre à l'aise et cela fonctionna car il le lui rendit aussitôt. Leurs regards, comme bien souvent ces dernières semaines, s'accrochèrent plus que de raison.
-Kate... sa voix n'était quasiment qu'un murmure.
-Hum? Dit-elle encore engluée dans ses yeux bleus.
-C'est vert.
