The werewolf thing
1 - Echapper.
Le choc fut assourdissant, il se répercuta dans tout mon corps, ricocha sur les parois de mon être, fit vibrer tous mes os, enveloppa mes organes, les malmena, les noya. Tout n'était que chaos, et mon coeur battait la mesure de ce rythme infernal. Je n'entendais ni ne voyais plus rien, c'était comme si je m'étais pris une balle dans la tête, un coup de crosse ou une morsure de sangsue. J'avais perdu le nord, j'étais foutu.
Je laissais le faire-part glisser entre mes doigts et tomber au sol, conscient que je risquait de le rejoindre très vite. ça ne pouvait pas être vrai, ça ne pouvait pas être si précipité. M'effondrant sur le lit, j'essayais de calmer la bête en moi, de l'apaiser, ne pas la laisser se déchainer, car c'était risquer de ne pas la controler. Mais je n'avais plus de forces, j'étais épuisé. Lutter, espérer, croire et rêver m'avaient exténué. Tant de temps perdu à s'imaginer qu'elle lâcherait le puma constipé, qu'elle reculerait au dernier moment, qu'elle refuserait de se transformer. Mais je m'étais berné d'illusions, elle ne vivait que pour ça, elle n'en avait rien à carrer de moi.
La bête grondait en moi, emplissant tout l'espace qu'elle pouvait s'approprier, essayant de me déchirer de l'interieur pour s'échapper. Je sentais ses griffes lacérer mes organes, trouer mes veines, dévorer mon coeur. Et cette brûlure me donnait la sensation que j'allais mourir si je ne la laissait pas sortir, je ne pouvais, ni ne voulait vraiment, la repousser. J'avais trop besoin d'elle, je devais la laisser s'évader pour qu'elle m'emporte loin avec elle.
J'ouvris la porte de la chambre avec fracas, traversais le salon au pas de course sans prêter attention à mon père, et sorti sur le seuil de la maison, alors que le tonnère grondait et que la pluie nous innondait. Je sentis dans la terre et l'odeur de l'orage, les premières effluves de la liberté. Je sentais le loup en moi, se démener plus fort que jamais, il ne voulait plus seulement s'échapper, il le devait. C'était mourir sur place ou s'élancer. Je l'ai laissé bondir et m'emporter dans son sillage.
La sensation était merveilleuse. Au fur et à mesure que je m'éloignais des cris de mon père, je prenais conscience de tout ce qui m'entourait. Je ressentais la pluie fine mouiller mon pelage, le tonnère ranimer mon coeur qui manquait plusieurs battements, le vent chasser mes pensées sombres et les éclairs illuminer mon chemin et me guider à travers bois. Je n'avais pas la moindre idée de la direction que j'empruntais, et je m'en fichais pas mal. N'importe où était mieux que Forks. Et je n'avais qu'un seul objectif, mettre le maximum de distance possible entre la douleur et moi.
Mais il est vite apparu que je ne pourrais pas mettre de la distance entre la souffrance contenue dans mon coeur et mes pensées. Je ne pouvais me défaire de ce morceau de peine que je trainais en moi. Alors je courais plus vite, pour oublier, pour ne pas penser, pour m'évader de cette prison dans laquelle je m'étais stupidement enfermé et dont j'avais jeté la clef, certain de pouvoir tout endurer sans ciller.
Elle n'y était pour rien. Elle n'avait jamais feint, jamais prétendu qu'il puisse se passer quelque chose entre nous un jour. La sangsue était toujours là, même à l'autre bout du monde, elle continuait de la hanter. Et moi je m'étais imposé, persuadé qu'à force de la cotoyer, je parviendrais à l'inciter à m'aimer. Mais j'ignorais que je m'attaquais déjà à un coeur condamné qui avait rendu son dernier battement à la seconde où leur regard s'étaient croisés.
Dieu que je me maudissais ! Que je pouvais être stupide ! Qu'est-ce qu'il m'avait pris d'espérer un futur avec cette fille déjà engagée et dont je ne m'étais même pas imprégné. Quel idiot ! L'amour est un salaud...
Et j'ai continué à courir. ça ne servait à rien et je le savais. J'avais juste besoin de temps pour me défouler et pour m'éloigner des voix de ma meute qui m'incitaient à faire demi-tour. Je ne voulais plus. Je refusais d'être subordonné à qui que ce soit. J'étais soumis à Bella, j'aurais tout fait pour elle, je serais même mort s'il le fallait, et à quoi ça m'avait servi ? A sentir mon coeur se fissurer, se déchirer, à sentir des sillons se creuser jusqu'à ce qu'il finisse par imploser. Je ne voulais plus. Plus jamais ressentir ça. Je ne voulais plus d'attache, plus de lien, je voulais rester seul, panser mes plaies loin.
Je sentis la solitude envahir tout mon être au moment où je traversais ce que je devinais être la frontière canadienne. Plus un bruit dans mon esprit, silence radio, plus une phrase, pas le moindre mot. C'était la paix, la paix totale. Et pourtant ça ne m'apaisa pas autant que je l'espérais. Mes pensées pouvaient occuper l'espace qui s'était libéré, et actuellement, tout ce à quoi je réfléchissais, tout en essayant de ne pas le faire, c'était à la peine insupportable qui faisait vibrer tout mon corps. Une douleur sourde, indescriptible et incontrolable. Une douleur dont je me savais l'unique responsable, mais que je n'acceptais pas de supporter.
J'aurais tout donné à cet instant précis pour être quelqu'un d'autre, pour ne pas vivre ce que j'étais en train de vivre, pour me décharger de ce fardeau que je ne pouvais plus porter. Pourquoi les génies n'apparaissent-ils pas quand on a réellement des voeux à formuler ? Si j'avais pu, j'aurais choisi de m'imprégner d'une fille bien, une fille qui m'aurait aimé exactement pour ce que j'étais, qui ne m'aurait jamais meurtri, jamais blessé. Une fille qui m'aurait fait oublier celle que je n'avais pas pu avoir, et qui m'aurait fait vivre un amour sans l'ombre d'un regret. J'aurais voulu une fille qui soit assez courageuse et déterminée pour ne pas avoir peur de m'aimer.
Mais, alors que mes pensées déviaient vers cette fille parfaite que je n'avais jamais eu le bonheur de rencontrer, je me rendis compte que je m'approchais de l'orée de la forêt et que, quelques mètres plus loin, le terrain était bien trop à découvert pour permettre à un loup garou de gambader discrètement.
Epuisé, je ralentis et me mit à marcher. Inspirant profondément pour reprendre mon souffle, j'humais l'odeur d'un humain au loin. Doucement, avec précision et lenteur, j'avançais en direction de la clairière. Mes pas s'enfonçaient dans la neige, masquant leur bruit, et je remerciais le ciel que la neige hivernale soit aussi dense dans cette partie du continent américain.
La lumière filtrait par les branches, et se reflétait dans la blancheur du sol. Au fur et à mesure que je me rapprochais, le parfum se faisait plus facile à distinguer. J'étais surpris, je n'avais pas senti d'humain depuis une bonne centaine de kilomètres, et celui-ci dégageait une odeur assez étrange que je ne parvenais pas à identifier.
Glissant entre les arbres, j'arrivais à l'orée du bois. Une étendue blanche s'offrit à moi. Une neige fraiche et parfaite, sans la moindre trace de pas couvrait le sol. Au loin, facile à distinguer dans la blancheur du paysage, un grand chalet en bois. C'était la seule habitation des alentours et je devinais que son propriétaire ne pouvait être que l'humain dont j'avais humé les effluves et qui se tenait quelques mètres plus loin.
Exténué, je m'allongeais dans la neige froide et me mit à l'observer. Je n'avais pas la moindre idée de la raison pour laquelle je m'étais arrêté, je n'avais pas continué mon épopé. Mais je sentais au fond de moi que j'étais arrivé à destination. C'était une intuition, un besoin impérieux, une incapacité de bouger. J'étais arrivé à l'endroit où je devais demeurer, parce que si ma vie devait connaître un nouveau virage, j'étais au carefour de mes opportunités, et je ne pouvais pas me permettre de prendre la mauvaise direction dans la précipitation. Personne ne m'attendait, j'avais tout le temps pour choisir quelle voie emprunter. Et quelque chose me disait que ma vie était sur le point de changer.
