Retour de flamme
Ce n'était pas supposé se passer de la sorte, songeait-Il tristement alors que les hurlements des damnés assourdissaient l'air saturé par la puanteur du soufre et du sang. Cela n'avait jamais été supposé se passer ainsi.
Il savait depuis le moment où Il avait décidé d'accorder le libre-arbitre aux humains que certains d'entre eux utiliseraient ce don pour commettre le mal, pour détruire leurs congénères, pour Le renier.
Blasphémer Son nom, refuser de croire en Son existence, cela n'était rien. Le véritable reniement survenait quand le pécheur causait sciemment du tort à son prochain. Et quand il n'en éprouvait aucun remords.
Le tort infligé au moindre de Ses enfants, c'était à Lui qu'on l'infligeait. Et venait toujours un seuil au-delà duquel tout pardon devenait impossible.
Pour autant, Il n'avait pas conçu l'Enfer comme un lieu de cruauté, comme ce que l'endroit était désormais. Non, initialement, l'Enfer n'était rien qu'une dimension vide. Vide de Sa présence.
Il était là, le châtiment suprême : être privé de la grâce. Il n'était pas nécessaire d'en rajouter. L'Enfer n'était supposé être que l'absence de Dieu.
Tout comme il n'était supposé être que temporaire.
Lorsque le pécheur se repentait sincèrement de son crime, la salvation lui était accordé. Le châtiment ne continuait que tant qu'il refusait d'admettre avoir été en tort. En vérité, l'Enfer était un peu l'équivalent divin d'une mise au coin – mettre le criminel à l'écart et attendre qu'il comprenne ce qu'il avait fait et s'en excuse avant de l'accueillir au sein de la Maison de Dieu.
Bien sûr, certaines personnes ne pouvaient pas comprendre par elles-mêmes ce qu'elles avaient fait de mal. C'était la raison pour laquelle Il avait décidé de confier la charge de l'Enfer à l'un de Ses Archanges.
Le choix avait été plutôt restreint : sur quatre candidats, Il savait déjà que les deux plus âgés ne conviendraient guère. Michel était un bon soldat, un bon fils, mais il manquait de compassion, sa bonté réservée aux membres de sa famille. Lucifer était à peu près pareil, mais avait de surcroît le désintérêt le plus total pour le devenir des âmes humaines. Non, les deux véritables candidats étaient les deux plus jeunes Archanges.
Raphaël avait un cœur rempli de compassion, et sa vocation de médecin faisait montre de sa détermination à venir en aide aux autres. Les âmes damnées n'étaient que des âmes en souffrance, dont la maladie était le péché, et il faudrait une précision et une délicatesse chirurgicale pour purifier ces esprits de leur infection maligne.
Pour sa part, Gabriel était encore jeune, mais possédait un sens de la justice très développé. Sa sensibilité lui permettait d'avoir de l'empathie même pour les plus déplaisants des anges et des bêtes, pourquoi n'en aurait-il pas pour les humains ? Rien qu'une minute en sa compagnie allégeait le cœur de n'importe qui.
Oui, deux candidats parfaits pour gouverner l'Enfer.
Pourquoi Lucifer n'avait-il pas compris ?
Son deuxième-né n'avait jamais été supposé prendre le contrôle de la dimension destiné aux damnés, il n'avait jamais été sensé en devenir le souverain. Ce rôle était destiné à l'un de ses deux cadets.
Jamais, tu m'entends ? Jamais tu ne feras ça à Raph ou à Gaby !
Et Lucifer avait détruit l'âme de Lilith, entrepris de remodeler l'Enfer selon ses souhaits, en en faisant une dimension d'éternelle souffrance et non de repentir.
Rien de tout cela n'était supposé arriver. Mais Lucifer s'était arrogé le rôle du Diable – pour en « sauver » ses petits frères, croyait-il, alors que le rôle n'était pas destiné à être celui du bourreau, mais celui du rédempteur. Comment avait-il pu le déformer autant ?
Cela n'avait jamais été sensé se dérouler ainsi, songeait-Il amèrement alors que les cris des âmes torturées assourdissaient l'espace.
