Ode à la mort, ode à la vie

Wendy avait fermé les yeux. Plus rien au monde ne comptait, mis à part son archet qui dansait sur son violon. Le mouvement de ses doigts. L'émotion qu'elle ressentait.

Elle était seule dans la salle de classe ; elle s'était assurée que personne ne l'entendrait, que personne n'entrerait dans l'espace de quiétude, de souvenirs et de regrets dans lequel elle s'était plongée.

La mélodie qu'elle jouait lui avait été enseignée par sa mère, de nombreuses années auparavant. Elle se souvenait avoir peiné des heures durant pour essayer de reproduire l'intensité du son qui s'échappait du violon de sa mère, la beauté de la musique. Elle n'y était pas parvenue.

Alors qu'elle était au bord des larmes, sa mère s'était mise à genoux pour arriver à son niveau, avait pris son visage entre ses mains, et lui avait dit :

« -Il y a des choses, ma chérie, que l'entraînement brut ne peut nous donner. Pour retransmettre des émotions à travers la musique, il faut déjà les avoir vécues. Les avoir ressenties, de toute ton âme. Tu apprendras que ce sont les expériences les plus fortes, les plus extrêmes qui ressortiront de ta mélodie. Les moments de joie, comme les moments de tristesse. »

Mrs. Darling avait embrassé sa fille sur le front, avant d'ajouter : « Un jour tu comprendras ».

Wendy, alors âgée de huit ans, n'avait pas vraiment saisi le sens du message de sa mère.

La Wendy d'aujourd'hui sentait les mots couler en elle, vifs et forts. Réels.

Sa mère était morte d'un cancer peu de temps après, et son père n'avait pas tardé à la suivre, à cause d'un malencontreux accident de voiture. Ses frères et elle avaient été placés à l'orphelinat ; à ce moment-là, John et Michael étaient trop jeunes pour comprendre la gravité de la situation. Elle avait été seule, à lutter contre vents et marées. Elle avait été forcée de grandir, trop, beaucoup trop vite.

Cependant, ce n'était pas à cela qu'elle pensait alors qu'elle faisait voler son archet. Elle se remémorait le temps de l'insouciance, le temps de l'amour. Le temps où ses parents étaient encore vivants, le temps où ils étaient heureux, tous les cinq. Les notes s'envolaient d'elles-mêmes, miroirs de ses pensées, de son âme. Joie et tristesse. Amour et nostalgie. Infinis.

Wendy se laissa emporter.

Ce n'était pas un morceau, c'était un cri. Ce n'était pas une mélodie, c'était une ode à la vie. A la mort. Aux deux en même temps.

Derrière la fenêtre entrouverte de la salle de classe, adossé contre le mur, un garçon écoutait, les yeux fermés.

Alors que le morceau touchait à sa fin, Wendy s'éveilla à la réalité, à regret. Elle resta immobile, l'archet suspendu au-dessus des cordes, savourant l'écho de sa dernière note.

Un léger bruit la fit sortir de sa torpeur.

Elle posa son instrument, s'approcha de la fenêtre et l'ouvrit complètement, jetant un regard au-dehors. Le ciel était d'un bleu mélancolique, les feuilles bruissaient doucement.

Il n'y avait personne.


Alors ? L'aventure vous tente ? Voulez-vous faire un peu de chemin avec moi ?