J'observe le cadavre devant moi. Son épaule droite forme un drôle d'angle, sa lèvre inférieure a été arrachée, il lui manque un œil, ses intestins disent bonjour au sol. Son cerveau dégouline par les fissures de son crâne écrasé, il n'a plus d'ongles et aucun de ses doigts n'est droit. Je prends mon appareil photo et prends un seul cliché : les œuvres d'arts ne doivent pas être trop vues, sinon elles perdent de leurs saveurs, de leur piquant, de ce qui fait d'elles des œuvres d'arts. Je ne fais pas attention à la porte qui s'ouvre derrière moi, trop occupée que je suis à philosopher sur l'art et ses innombrables formes.
-Stupéfix !
Pas prévu. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que les gens se sentent toujours obligés d'arriver au meilleur moment ? Des cris de stupeur et d'horreur retentissent derrière moi. Dommage, mon œuvre d'art n'en est plus une. Trop de personnes semblent l'avoir vue : je ne peux plus regarder mon cadavre tranquillement, maintenant, je ne peux pas le regarder parce qu'il a perdu ce qui fait de lui une œuvre d'art. Dommage, il était très réussi, je trouve. Mais ce n'est plus un tableau, plus une photographie, maintenant qu'il est retourné à l'état de simple cadavre, d'enveloppe humaine dépourvue d'âme et de vie.
Un visage entre dans mon champ de vision. Je crois reconnaître l'Auror Shacklebott, mais je ne suis pas sûre, il fait trop sombre, et la couleur de sa peau n'aide pas. Ah. Ca doit être pour ça que je l'ai reconnu.
-Audrey, murmure-t-il comme s'il a du mal à le croire. C'est bien toi… ?
J'ai bien envie de lui répondre que non, je suis ma propre jumelle maléfique, mais je ne peux pas parler, et je me prendrais un Avada Kedavra de toute façon, si j'arrivais à ouvrir la bouche. Je m'explique : ils penseront que je sais faire de la magie sans baguette, quand je suis stupéfixée en plus, et, de peur de ma réaction, ils me tueront. C'est simple. Tellement simple que ç'en devient idiot.
-On t'emmène, fait-il, le visage plus dur.
Oh, voyez-vous cela, ils m'emmènent. C'est bizarre, moi qui pensais qu'ils allaient me laisser mourir de faim et de soif ici, à côté d'un cadavre, stupéfixée jusqu'à ma mort. Kingsley attrape mes mains, et me passe des menottes anti-magie. Il me rends ma mobilité, et me pousse dans le dos pour que j'avance. Quand la porte se referme, je lance un dernier regard à mon mort, et aux types en blanc à côté. Je souris et fais un petit signe de la main à mon œuvre d'art, sous les regards horrifiés des Aurors. Ils sont quatre, un devant, un derrière, à ma gauche et à ma droite.
-Quelle escorte. Je n'en demandais vraiment pas tant.
Je me fais assassiner du regard. Dommage pour eux, parce que la tueuse ici, c'est moi, et que je ne crains pas la mort, vu le temps que j'ai passé à l'administrer. J'arrête de sourire et les laissent m'emmener jusqu'à Azkaban. On prends un Portoloin, et on atterrit sur une bande de sable gris. L'orage au dessus de moi me trempe, et je jette ma tête en arrière pour profiter des biens-faits de la pluie qui tombe drue. Je pousse un soupir satisfait en sentant des centaines de gouttes me dévaler le long du visage, du cou, de mes bras nus, sous mes vêtements trempés.
Mon escorte et moi-même montons dans une embarcation qui a du voir des jours meilleurs vu son état. Oh, mais elle avance toute seule, en plus ! Les avantages de la magie, voyez-vous, parce que les sorciers sont trop flemmards pour ramer eux-mêmes. Et après, ils viennent avec leurs souliers vernis et leurs beaux cheveux blonds pour nous dire qu'on est supérieurs aux moldus, alors qu'eux, ils ont construit et inventé tellement de choses ! Les sorciers, excusez-moi pour mon language, sont vraiment des cons narcissiques qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez en trompette. Oh, on est arrivés.
-Descends, crache l'Auror devant moi.
Je me lève et pose un pied sur les graviers noirs qui entourent Azkaban. C'est grand, ce machin, quand même. On entre par la porte principale, c'est pas comme si il y avait d'autres portes, mais bon. On traverse un couloir gigantesque, où les quelques lumières encore restantes clignotent vaguement, apparement à la limite de leurs vies d'ampoules de prisons.
-C'est luxueux.
-On t'as rien demandé, alors ferme la, réplique un des Aurors.
Aucun sens de l'humour, ç'en est déplorable. Je vous demande de m'expliquer où est le mal dans le sens de l'humour. Certes, le mien est douteux et très cynique, mais ça reste de l'humour. L'humour est une forme d'art ! J'aime ce mot : humour, j'aime la façon dont le « r » roule dans ma gorge, j'aime la façon dont mes lèvres se mettent en avant pour prononcer le « ou ». C'est un très beau mot, et son sens l'est encore plus, dommage que les rustres tels que les Aurors ne le comprennent pas.
-On est arrivé, murmure Kingsley, probablement toujours sous le choc.
Tout les journaux en parle : aucun rapport entre les victimes blond, brun, roux, châtain, aux yeux bleus, verts, marrons, Sang-Pur, Sang-Mêlé, né de moldu, moldu. L'auteur des crimes est probablement un homme, la trentaine, avec un air très avenant pour attirer ses victimes, hommes, femmes ou adolescents.
Ils ne pouvaient pas se planter plus que ça, sauf peut-être en disant que c'était Dumbledore. Voyez, même quand on tue, on peux faire de l'humour ! Revenons-en à l'auteur des crimes, soit moi : j'ai quinze ans dans un mois, de longs cheveux bruns que j'aime à attacher en tresses, des yeux marrons. Je ne suis ni jolie, ni moche, je n'ai pas de problèmes aux yeux, ni au cœur, ni d'asthme, j'ai des amis, mes parents sont tout deux en vie, je n'ai jamais été violée, violentée, ou abandonnée. Je ne suis ni débile, ni très intelligente, mes résultats sont moyens mais satisfaisants. Aux yeux des autres, je ne suis qu'une adolescente banale.
Y'a juste que j'aime tuer.
