CHAPITRE I : Huit Clos
La cellule était petite et austère.
Sur les murs, il n'y avait absolument rien. Ils étaient d'une blancheur parfaite et nulle trace de captif précédemment enfermé ici ne maculée cette impeccable perfection.
Mais ce qui marqua le plus la jeune fille, c'était que tout ici représentait l'absence totale de personnalité, ou plutôt d'humanité.
Si sa main avait pu tenir un pinceau à ce moment précis, elle aurait peint mille couleurs pour échapper à cet enfer abyssal.
Elle s'assit contre les barreaux de sa prison, la tête plongée sur ses genoux qu'elle enlaça mollement. Ses très longs cheveux noir et lisses glissèrent sur ses bras pour se déposer délicatement au ras du sol plus pâle encore que son visage. Dans ses yeux sombres comme la nuit, pas de larmes.
Malgré le fait qu'elle fut petite de taille, elle paraissait géante au milieu de cette salle et alors qu'elle pensait être assez forte et patiente pour supporter ce drame, une plainte quasiment étouffée s'échappa de ses lèvres.
_Ça va aller ?
La jeune fille releva la tête en entendant la voix de l'homme qui s'adressait à elle.
Dans cette prison provisoire, ils étaient deux captifs, séparés dans des cellules individuelles mais mitoyennes.
_Oui, ça va, répondit-elle. Je n'ai pas peur. Je sais qu'il viendra me sauver.
L'autre personne se mura dans le silence.
_Tu dois me haïr, murmura-t-elle. Si tu es ici, c'est entièrement de ma faute… Je n'aurais jamais dû peindre ce tableau.
_Ce n'était pas très intelligent, c'est vrai mais si j'en suis là, c'est que j'ai défié les règles du Seireitei et trahis la confiance de mon Commandant-Capitaine. Je mérite ma punition.
La jeune fille éclata de rire.
_Écoute-toi, espèce d'idiot ! Dit-elle exaspérée. C'est ridicule ce que tu dis ! Quel mal y a-t-il à aimer quelqu'un ? Surtout si cette personne connaît ton univers ? Bon sang ! Tu n'as trahis personne !
_Ce sont les règles, ajouta-t-il froidement. Les vivants doivent rester avec les vivants, les morts avec les morts. Et les ennemis doivent mourir. Tout comme les traîtres…
Un long silence s'installa de nouveau entre eux.
Puis elle reprit :
_Tu es devenu si froid avec moi… avant c'était pas comme ça…
_Que veux-tu que je réponde à ça ?
_Rien… il n'y a rien à dire, je suppose…
La jeune fille appuya sa tête contre les barreaux métalliques de sa cage, ses yeux scrutant le plafond.
_Eh ! Tu ne te rappelles vraiment de rien ?
_De quoi tu parles ?
_De toutes les fois où tu es venu pour tes missions… et pour moi… Les mots que tu as prononcés, les choses que l'on a faites ensemble…
_Je ne me souviens même plus être déjà venu sur terre… alors toi, n'en parlons même pas.
Cet aveu transperça le cœur de la jeune fille comme un coup de poignard. Sept années d'amitié sincère et d'amour défendu et passionné effacées comme ça, balayées par le vent.
Elle colla sa main contre le mur qui reliait leur cellule entre elles.
Si peu de distance les séparait physiquement l'un de l'autre et pourtant, c'était un gouffre immense qu'il y avait entre eux. Elle ne pouvait même pas toucher ses cheveux blancs comme la neige, sa peau diaphane et lisse, sonder son regard de glace, caresser son visage impassible et baiser ses lèvres douces et chaudes.
Et même s'ils avaient été enfermés ensemble, dans une seule et unique cellule, il ne l'aurait pas laissé faire. Sans sa mémoire, il n'éprouvait plus rien à son égard, il ne l'aimait plus. Peut-être qu'il ne l'aimerait plus jamais.
Un frisson traversa le corps de la jeune fille.
_Kurosaki-san, reprit-il avec une hésitation peu perceptible, raconte-moi notre histoire. Je veux bien être puni, mais je veux savoir quel est mon crime.
_Tu veux que je te raconte tout ? Maintenant ?
_A part si t'as d'autres occupations ici, railla-t-il.
Karin Kurosaki s'allongea alors de tout son long sur le sol froid et se concentra pour réunir au mieux tous ses souvenirs.
_La première fois que nous nous sommes rencontré, il y a sept ans environ, tu étais en mission sur terre. C'était juste le fruit du hasard. C'est bête, en fait ! Je rentrais d'un entraînement de foot et j'étais un peu désespérée parce que mon frère avait disparu du jour au lendemain alors j'ai frappé dans mon ballon qui s'est envolé vers la route et c'est toi qui l'as récupéré. Je crois que ce qui t'a amené à moi au début, c'était simplement la curiosité. Après tout, je possède un peu de ce don… ou plutôt de cette malédiction de voir ces saloperies de monstres. Puis ça t'a mené à aider mon équipe à gagner un match quand tout semblait perdu. Et puis surtout… tu nous as sauvés la vie quand une de ces pourritures de hollow nous a attaqué. C'est là que tu as appris que j'étais la sœur d'Ichigo.
Elle fit une pause. Tout semblait si simple à cette époque.
_Après ce jour, reprit-elle, tu es revenu me voir. Par envie, par curiosité ou par ennui, je ne sais pas pourquoi. Tous les six mois environ, dès que tu avais un peu de temps libre. Tu jouais avec nous au foot, tu venais à la maison, dans ma chambre discuter de tout et de rien jusqu'à pas d'heure, on s'baladait un peu partout. J'ai même réussi à t'entrainer dans une fête foraine ! - C'était vraiment marrant ! Tu as tellement de mal à te laisser aller ! -
Elle rit gentiment.
_Et une fois, tu as accepté de me servir de modèle lorsque je commençais tout juste à dessiner. Et puis, comme d'hab', tu m'as sauvé la vie un bon nombre de fois. J'ai vraiment la poisse...
Karin eût un frisson de froid. Elle attrapa la petite couverture qui siégeait sur le minuscule lit en fer qui jouxtait le mur de gauche de sa cellule. Elle se blottit dedans.
_C'est petit à petit, continua-t-elle, qu'on est devenu… plus intime. Un peu plus à chaque rencontre. Rien de flagrant ! Mais nous avions parfois des gestes plus… tactiles. Des mains qui se frôlaient l'air de rien, une tête posée sur une épaule feinte par une fausse fatigue, des caresses discrètes quand la lumière était éteinte, un baisé sur une joue pour te dire au revoir, comme un flirt d'enfant. Innocent.
La jeune fille se tut. Se souvenir de son passé était plus dur qu'elle ne l'aurait imaginé dans ces circonstances.
_Et après ? Insista-t-il.
_Et après, tu as grandis et moi aussi. Les enjeux changent lorsque nous changeons à notre tour. La première fois que les choses sont devenues sérieuses entre toi et moi, c'était il y a trois ans. Je crois que tu avais prévu de me dire adieu…
