Chapitre 1 : 1980, la rencontre.

Ryô Saeba, l'homme que l'on connaissait mieux sous le titre de nettoyeur et que l'on appelait City Hunter dans le milieu des truands, marchait dans les rues de Tokyo. Il se rendait à un rendez-vous professionnel que lui avait donné une femme pour qui il travaillait en ce moment. Ou plutôt pour qui il avait travaillé : la mission de protection que cette femme lui avait confiée avait pris fin la veille lorsqu'il avait fait mettre les coupables des menaces qui pesaient sur elle en prison. Le rendez-vous de ce jour là allait donc conclure cette affaire officiellement. Ryô devait recevoir son salaire, salaire qu'il souhaitait toucher en nature, enfin en mokkori comme il se plaisait à le répéter. La femme qui l'employait lui avait promis de le payer come il le souhaitait, mais il se méfiait un peu : les femmes avaient une fâcheuse tendance à promettre monts et merveilles (en clair plusieurs coups de mokkori) pour obtenir les services du meilleur nettoyeur du Japon, mais au final elles refusaient de payer leurs dettes. Parfois les plus honnêtes payaient en argent, mais Ryô préférait vraiment le paiement en nature, car c'était vraiment l'une des seules choses qui faisaient que la vie valait la peine d'être vécue.

Au fil de sa progression, et tout content à l'idée du paiement qu'il allait recevoir, Ryô s'enflamma. Il prit rapidement un air idiot : ses yeux s'ouvrirent en grand, sa bouche se tordit en un sourire béat tandis qu'il commençait à avoir la bave aux lèvres, puis tout à coup il commença à faire mokkori en pleine rue. Les exclamations outrées ne mirent pas longtemps à se faire entendre. Il faut dire aussi qu'une bosse pareille sous un pantalon ne passait pas facilement inaperçue. Ryô éclata d'un rire faussement gêné et accéléra le pas dans l'idée de calmer un peu ses ardeurs.

Comme il l'avait craint son employeuse avait payé ses dettes en argent. Elle avait rencontré quelqu'un la veille et ne souhaitait plus sortir avec City Hunter pour régler sa note. Résultat Ryô se baladait maintenant avec une grosse frustration et plusieurs millier de yens en poche, sans personne avec qui les dépenser. C'était dans ces moments là qu'il regrettait son vieil ami Mick Angel, son partenaire lorsqu'il était aux Etats-Unis. Mick savait vraiment faire la fête, il tenait autant l'alcool que lui et en plus tous deux partageaient le même goût pour le mokkori. Ryô n'était pas du style sentimental et se remémorer son passé n'était pas vraiment dans ses habitudes mais à ce moment là, ce moment marqué par la déception du manque de mokkori, il aurait bien échangé son argent contre une bonne beuverie avec son vieux compère. « Et puis merde ! pensa-t-il. Je vais aller faire la fête seul, je n'ai besoin de personne moi et surtout pas d'un mec ! Je vais aller trouver la bonne compagnie d'une très belle femme et lui faire mokkori toute la nuit ! C'est vrai quoi je suis Ryô Saeba, et aucune femme ne me résiste ! C'est décidé d'ici ce soir j'aurai trouvé une belle femme pour faire mokkori ! ». A nouveau il accéléra le pas et le hunter qu'il était se mit en chasse d'une belle miss mokkori.

Décidément la providence n'était pas de son côté aujourd'hui ! En comptant la femme qui l'avait employé, Ryô en était maintenant à son dixième râteau de la journée. Si dans la matinée il s'était senti frustré, là en cette fin d'après midi c'était son égo qui en avait prit un coup. Ryô entra dans un bar au hasard à la limite du quartier de Shinjuku avec la ferme intension de se souler jusqu'à ce qu'euphorie s'en suive. Il remarqua très vite que ce bar était beaucoup mieux fréquenté que ceux dans lesquels il avait l'habitude de passer ses soirées. D'ailleurs son simple blouson, son pantalon et ses chaussures de tous les jours juraient un peu au milieu de cette clientèle un tantinet bourgeoise et en tenue de soirée. Il s'apprêtait à faire demi tour lorsqu'il aperçu sur sa gauche dans l'un des box, une miss mokkori comme il n'en avait jamais vu ! D'apparence grande, de longues jambes sortant de sa jupe de tailleur verte émeraude fendue à mi cuisse, des courbes généreuses, de longs cheveux noirs et ondulés, environ le milieu de la vingtaine elle était perdue dans ses pensées, fixant son verre vide d'un air absent. Il ne pouvait pas laisser passer cette occasion et se faufila vers elle le plus silencieusement du monde, tout en réfléchissant à son angle d'attaque. Souvent lorsqu'il s'amusait à les draguer outrancièrement dans la rue, les femmes le rejetaient très froidement. Mais peu importait car cela n'était qu'une sorte de jeu. S'il décidait de vraiment séduire une femme, rares étaient celles qui lui résistaient, encore plus rare celles qui tenaient plus d'une soirée avant de tomber dans ses bras. Après une journée passée à faire le crétin dans la rue, cette fois il allait sortir le grand jeu.

Alors qu'il allait s'asseoir discrètement en face de la jeune femme, celle-ci sortit de sa rêverie brusquement et braqua ses beaux yeux noirs sur Ryô. Son regard était celui de quelqu'un en alerte, un peu comme si…comme si elle l'avait senti approcher. Ryô balaya cette possibilité et décida de lui adresser son plus beau sourire avant de déclarer : « Mademoiselle, sachez que je ne suis pas aussi direct en temps normal, mais votre beauté m'a attiré comme un aimant et je trouvais cruel de vous laisser passer la soirée seule. » Tandis qu'elle le considérait d'un regard incertain il nota qu'elle avait un très joli grain de beauté à gauche un peu plus bas que la commissure de ses lèvres. « Vous savez, commença-t-elle, j'attends quelqu'un… » Un serveur s'approcha à ce moment là et demanda, non sans avoir jeté un léger regard désapprobateur à la tenue de Ryô, en se penchant vers la jeune femme :

« Vous-êtes bien mademoiselle Chamade ?

Oui c'est moi.

Un message pour vous mademoiselle. Conclu-t-il en lui tendant un papier plié en deux. »

Ryô compris qu'il avait sous-estimé la bourgeoisie de cet endroit et qu'il ne devait vraiment pas sembler à sa place. Mais qu'importe, pourvu qu'il puisse ramener cette jeune femme chez lui pour faire mokkori. Il attendit patiemment que la jeune femme lise son message et lève à nouveau les yeux vers lui. A nouveau elle le considéra : elle semblait l'évaluer et réfléchir en même temps. Ses yeux parurent esquisser un sourire, elle prit une légère inspiration et déclara :

« Il se trouve que je n'attends plus personne…

Formidable ! Coupa Ryô en s'asseyant en face d'elle. Dans ce cas rien ne nous empêche de boire un verre ensemble.

Il est un peu tôt pour commencer à boire, vous ne croyez pas ? Demanda-t-elle sur le ton de la plaisanterie.

Un café alors. Ou une autre limonade.

Une autre ?

Eh bien il n'y a plus rien dans ce verre. Expliqua-t-il en désignant le verre que la jeune femme tenait quelques instants plus tôt.

Comment savez-vous que je buvais une limonade ?

Je l'ignorais, mais je suis bon aux devinettes.

La jeune femme ne parût pas vraiment convaincue par cette réponse, mais ne releva pas. A la place elle demanda

Vous êtes nouveau dans le coin ? Je ne vous ai jamais vu ici.

Ah non pas de « vous » ça suffit. Si on se tutoyait ? Moi c'est Ryô, Ryô Saeba. Chantonna-t-il en tendant sa main au dessus de la table.

Va pour le tutoiement. Sylia Chamade .Finit-elle en serrant la main qu'il lui tendait. Alors Ryô tu es nouveau dans le coin ?

Pas du tout, c'est juste que je n'avais jamais mis les pieds ici.

Qu'est-ce qui t'a décidé à entrer ?

Rien de spécial, j'irai presque jusqu'à dire que je suis entré parce qu'il y avait de la lumière. Bon tu bois quoi ?

Une autre limonade.

Bien, Garçon ? Appela Ryô qui venait d'apercevoir le serveur. Celui-ci s'approcha et Ryô répéta la commande de sa compagne puis ajouta un whisky on the rocks pour lui.

Au fait Sylia rassure moi, tu n'attendais pas ton mari au moins ?

Oh non pas de risque. Je ne suis pas mariée

Ton petit ami alors ?

Je ne vois personne non plus. J'attendais mon… oncle.

Comment ça se fait qu'une beauté comme toi n'ait personne d'autre qu'un oncle pour l'accompagner ?

Mon oncle et moi sommes très proches. Merci pour le compliment.

Le serveur posa les verres devant eux en emportant le vide. Sylia prit le sien, avant de continuer

Et puis je n'ai pas vraiment de temps à consacrer aux hommes. Elle but une gorgée puis ajouta : même si là tout de suite je pourrais bien faire une exception pour toi. »

Elle approcha le verre de ses lèvres, adressa à Ryô un sourire assez charmeur par-dessus son verre et but une autre gorgée. « Et voilà ! pensa Ryô. CQFD. Elle me mange déjà dans la main. »

« C'est vraiment gentil de faire une exception pour moi ! A quoi dois-je cette chance ?

C'est toujours agréable de passer du temps avec un homme aussi charmant que toi. »

Ryô se pencha en avant pour lui faire un grand sourire avant de lui-même boire une gorgée de son verre. Il voulait surtout éviter que son mokkori soit trop apparent. Cette fille n'y allait pas avec le dos de la cuillère ! Si elle continuait comme ça il n'aurait pas à faire grand-chose pour la convaincre de faire mokkori avec lui. « Oups ! Il ne faut pas que je pense trop à ça, sinon mon mokkori va empirer. Pensa-t-il. ». Heureusement pour lui il ne savait pas qu'à ce moment même, la jeune femme en face de lui était déjà en train de se demander à quoi il pouvait ressembler sans ses vêtements.

Ryô et Sylia discutèrent pendant un petit moment de tout et de rien avant de sortir du bar pour aller diner ensemble. Ils formaient vraiment un couple étrange, elle en tailleur habillé lui avec ses vêtements de ville. Cependant ils n'avaient pas l'air de se soucier des regards qu'ils attiraient sur eux. Ryô les voyait comme d'habitude mais il ne s'en préoccupait pas. Bizarrement elle les voyait aussi, même les plus discrets. Il avait vite remarqué que la jeune femme qui l'accompagnait était presque aussi consciente que lui du monde qui les entourait. Elle semblait entendre et voir tout à la fois, tout à fait comme lui, ce qui était assez inhabituel. Par bien des aspects, et notamment son air de femme fatale, elle lui rappelait la jolie policière mokkori qui l'avait arrêté quelques mois plus tôt…Saeko quelque chose. Il avait revu cette femme quelque fois depuis par hasard, mais elle avait toujours refusé de sortir avec lui. Ryô la soupçonnait de le repousser car elle sortait avec le petit flic rusé à lunette qui lui servait de partenaire, un certain Makimura. Mais s'il était sûr de ne jamais réussir à mettre Saeko dans son lit, il avait la certitude inverse en ce qui concernait Sylia. Et puis cette femme avait quelque chose de particulier. Ses atouts physiques mis à part, il émanait d'elle autre chose que Ryô n'arrivait pas à identifier, mais qui de toute façon l'attirait beaucoup.

Ils parlèrent longuement pendant le diner. Lorsqu'enfin arriva la question de la profession, Ryô détourna un peu la vérité en disant qu'il était détective privé. Elle lui apprit qu'elle tenait depuis peu avec sa jeune sœur un café nommé le Cat's Eye. Ryô sourit puis déclara :

« C'est marrant comme nom de café. Surtout quand on pense que c'est le pseudonyme qu'utilise une voleuse d'œuvres d'art.

Il aurait pu jurer qu'il avait vu son regard changer l'espace d'un instant, un peu comme si elle était soudain en alerte. Mais ça n'avait pas duré et elle avait à présent retrouvé son air enjoué

Je ne pensais pas que tu t'intéressais à l'art.

Pas vraiment en fait je lis juste les journaux. Mais si tu me le demandes c'est que toi tu t'y intéresse.

Oui effectivement, l'art est une passion que m'a transmise mon père. Il aimait peindre et j'adorais le regarder…Je… je ne sais pas trop pourquoi je te dis ça, déclara-t-elle en riant à moitié. Généralement je n'en parle pas.

Ah, pourquoi?

Souvent ceux qui aiment l'art et qui s'y connaissent assez dans ce domaine sont pris pour des prétentieux, alors j'évite de le dire. »

Ryô nota cette manière élégante de détourner la question. Il avait bien compris que ce dont elle évitait de parler en réalité était le fait qu'elle regardait son père peindre. Décidant qu'ils avaient assez parlé pour la soirée, il lui proposa d'aller au cinéma. Elle jeta un petit coup d'œil à sa montre, puis accepta de bon cœur. Ils allèrent donc voir The Blues Brothers, une comédie américaine sortit depuis quelques temps déjà. Ryô n'était plus allée au cinéma depuis longtemps et remarqua que pas mal de choses avaient changé, les prix pour commencer qui avaient doublé. Mais il ne laissa rien paraître, il fallait toujours rester cool devant une jolie fille mokkori. Heureusement qu'il avait été payé le matin même. Et puis une sale obscure était idéale pour passer à l'attaque. Le film commença, et Ryô décida d'attendre encore quelques minutes avant de tenter quoi que ce soit. Elle finit par poser son bras sur l'accoudoir. Ryô approcha son propre bras et lui prit la main. Elle ne la retira pas, mais surprise elle tourna tout de même la tête vers lui. Il guettait sa réaction, prêt à retirer sa main si ses yeux le lui demandaient. Au lieu de ça elle sourit et répondit à la pression de sa main, avant de retourner la tête vers l'écran. Ryô regarda le film d'un œil distrait, trop occupé à se concentrer pour ne pas faire n'importe quoi. Sylia n'avait pas lâché sa main depuis, elle la tenait même un peu plus fermement à présent. Mais ça n'était pas tout : elle lui jetait souvent des petits coups d'œil en coin, lui offrant un sourire quand il croisait son regard. Chaque fois Ryô devait faire appel à tout son self contrôle pour ne pas lui sauter dessus ou laisser ses pensées dériver un peu trop et réveiller son mokkori. Il avait vraiment touché le gros lot cette fois, cette femme splendide avait flaché sur lui et elle avait l'air de passer une très bonne soirée, soirée qu'il entendait bien finir sur une apothéose.

Le film se termina peu avant minuit. Ils discutèrent quelques instants du film, et de ses jolies chansons devant le cinéma, puis

« Je crois qu'il est temps que je rentre. Déclara finalement Sylia.

Ooohhh déjà ? se plaignit Ryô. »

Il lui prit la main gauche, puis la taille de sa main libre et ajouta à mi voix : « J'avais pensé qu'on pourrait finir la soirée sur une note plus tendre, si tu vois ce que je veux dire ?

Elle souleva un sourcil et sourit comme s'il venait de plaisanter, tout en le repoussant doucement mais sans aucune hésitation.

Tu vas un peu vite en besogne. Il faut bien garder de quoi nous occuper les prochaines fois qu'on se verra…

Et ça sera quand ces prochaines fois ? Demanda Ryô en reprenant sa main et en plongeant son regard dans celui de la jeune femme.

Après demain, même heure même endroit que ce soir, ça te va ?

Parfait ! » Il nota qu'elle n'avait encore pas lâché sa main. Il remarqua aussi qu'il avait du mal à se détacher de ses yeux. Elle avait vraiment un regard envoûtant, il devrait prendre garde à ça plus tard.

« Ryô il est tard il faut vraiment que je rentre chez moi. Continua-t-elle sans pour autant s'écarter, ou lâcher sa main.

Je vais te raccompagner. A cette heure-ci il n'est pas prudent pour une jeune femme de traverser la ville seule.

Ne t'inquiètes pas je vais prendre un taxi.

D'accord comme tu veux. » Il n'insista pas, il savait qu'il ne devait pas trop insister s'il voulait la garder de bonne humeur pour la prochaine fois.

Elle tenait toujours sa main lorsqu'elle se tourna pour chercher un taxi des yeux. Lorsqu'elle en repéra un elle leva sa main libre pour lui faire signe. Le temps qu'il se gare elle se tourna vers Ryô et déclara :

« J'ai vraiment passé une excellente soirée, merci beaucoup !

Moi aussi j'ai passé une très bonne soirée, je ne regrette pas d'être rentré dans ce bar.

Elle mit sa main libre sur la portière tout en souriant. Il la regarda droit dans les yeux et murmura presque : Laisse moi te donner quelque chose qui te donnera encore plus envie de me revoir dans deux jours. »

Il lâcha sa main, saisit délicatement son visage entre ses mains, et se pencha pour l'embrasser. Elle venait juste de poser sa main libre sur son bras, lorsqu'il s'écarta de quelques millimètres puis déposa un baiser aussi léger qu'une plume sur ses lèvres, avant de finalement s'écarter d'elle. Elle avala sa salive, il se félicita car son baiser avait eu l'effet escompté, puis elle lui souhaita bonne nuit et entra dans le taxi alors qu'il lui répondait. Une fois assise elle donna son adresse au chauffeur et tandis que la voiture démarrait, elle lança un dernier sourire à Ryô. Celui-ci regarda la voiture s'éloigner. Chacun d'eux attendit que la voiture ait tourné au coin de la rue pour se laisser aller. Sylia laissa échapper un léger soupir et renversa la tête sur le dessus de la banquette en se disant que personne ne l'avait envoûté autant et aussi vite depuis son adolescence. Cet homme était dangereux, elle se promit de faire plus attention dans les jours à venir. Ryô quand à lui avait fait demi tour pour rentrer chez lui, et sautillait à présent comme un petit cabri en chantonnant « Ryô chouchou a passé la soirée avec une miss mokkori ! Et bientôt on fera mokko mokko mokkoRI ! »

Tous deux s'étaient fait plus ou moins la même remarque concernant l'autre au cours de la soirée. L'avenir leur montrerait bientôt que leurs instincts ne les avaient pas trompés : il y avait vraiment du danger dans l'air.