Disclaimer : L'univers de Kuroko no Basket que vous reconnaitrez aisément appartient à Tadatoshi Fujimaki. L'auteur ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.


Les caprices du destin

Chapitre 01

La douleur était atroce. Il entendit un cri déchirant. C'était le sien. C'était lui qui hurlait. Sa souffrance, sa rage. C'était comme si l'on venait de lui couper la jambe à la hauteur du genou. La blessure était grave. Très grave.

Il était à la limite de s'évanouir. Il sentit une piqure dans son bras. La douleur sembla soudain moins forte, mais il n'arrivait plus à se concentrer. Il avait une sensation de flottement. Il savait qu'on le transportait et il entrevoyait les gyrophares de l'ambulance.

Il avait toujours mal, mais c'était supportable. Aux urgences de l'hôpital, les résultats des examens furent sans appel. Les ligaments croisés de son genou droit avaient été déchirés et le ménisque interne très endommagé. Il allait devoir subir une intervention chirurgicale. Il n'arrivait pas à croire ce qu'il entendait. Il comprit immédiatement que sa carrière de basketteur professionnel était terminée. Pour avoir vu des joueurs se faire le même genre de blessure, il savait que la rééducation serait un véritable enfer qui allait durer plusieurs mois. Et jamais il ne reviendrait au niveau qui était le sien avant ça.

Depuis trois ans qu'il avait signé avec les Spurs de San Antonio, il était devenu un joueur incontournable de l'équipe. En tant qu'ailier fort, sa capacité à marquer dans n'importe quelle position s'était accrue grâce à un entrainement régulier et intensif. Bien que sa taille ne dépasse pas les deux mètres, il faisait enrager ses adversaires par son jeu peu orthodoxe, son adresse et sa vitesse. Son rêve qui était enfin devenu réalité venait de se transformer cauchemar.

Le chirurgien avait été clair. Le basket de haut niveau, il devait y renoncer s'il voulait que son genou ne le lâche pas à nouveau. Et si c'était le cas, il pourrait bien en conserver des séquelles comme un boitillement plus ou moins marqué et des douleurs chroniques. Avec une bonne rééducation, il pourrait s'entrainer, mais la compétition, il devra faire une croix dessus.

À ces mots, une profonde lassitude l'avait envahie. Une sensation lourde et poisseuse qui s'insinuait dans son corps et sa tête. Il a envie de mourir. Quelques jours après l'intervention, il reçut la visite d'un psychiatre. L'équipe médicale savait parfaitement qu'un joueur de son niveau n'allait pas s'en sortir si facilement. Physiquement oui, avec de la patience et du travail, mais psychologiquement les choses allaient être beaucoup plus difficiles. Petit à petit, il s'enferma dans un mutisme qui inquiéta les médecins. Il ne parlait presque plus, passait des heures à regarder par la fenêtre de sa chambre.

Au début, ses coéquipiers, son entraineur, des amis étaient venus le voir pour prendre de ses nouvelles, mais les visites s'étaient espacées. Que dire à un homme qui vous répond à peine et encore par monosyllabe ? Il ne suivait même pas le championnat à la télévision. Parce que ça lui faisait mal de voir les autres jouer alors que lui était cloué dans ce lit.

Quand la rééducation commença, la douleur était si intense qu'il faillit tout abandonner. Il criait après le kinésithérapeute, après les infirmières, après tout le monde. Personne ne s'en formalisait, ils avaient l'habitude. Quand un homme réalise son rêve, et vit de sa passion, il était normal de réagir d'une façon ou d'une autre quand son monde s'écroule. Quelques semaines plus tard, il reçut une visite pour le moins inattendue.

– Salut…

– Kagami ? Qu'est-ce que tu fous là ?

– Eh bien ! Quel accueil ! J'ai appris pour ta blessure. Tes parents m'ont dit que ça se passait plutôt mal. Que tu ne voulais plus voir personne. Alors je suis dit que peut-être je pourrais venir pour constater les dégâts, expliqua son ancien adversaire en s'asseyant sur le fauteuil près du lit.

– Et ça t'amuse ? gronda Aomine, le regard furibond.

– Pas vraiment. Je pensais que tu étais plus fort que ça. Je sais que le basket c'est toute ta vie, mais je ne te croyais pas du genre à baisser les bras.

– Tu n'es pas à ma place…

– C'est vrai. Tous nos amis attendent que je leur donne de tes nouvelles. Quand je vais leur dire que le gars qu'ils connaissaient a disparu, ils vont être sacrément déçus. Surtout Kuroko.

– Tetsu ? Qu'est-ce qu'il devient ?

– Ça t'intéresse ?

– Tchh…

– Il a fait médecine et là il est parti en Somalie avec Médecins sans Frontières pour six mois.

– Ça ne m'étonne pas de lui, sourit amèrement l'ancien as de Touou.

– Tu as réfléchi à ce que tu vas faire si tu ne peux plus jouer ? demanda abruptement Kagami.

Aomine grimaça. Bien sûr qu'il y avait pensé, mais rien de concret n'était sorti de ses réflexions. Et ça le minait encore plus.

– Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ? s'enquit Aomine pour détourner un peu la conversation.

– Je suis prof d'anglais dans mon ancien lycée à Seirin.

– C'est vrai que tu étais déjà bilingue.

– Oui, mais l'anglais que les gens parlent tous les jours est différent de celui qu'on apprend en classe. Il est plus soutenu. Et c'est comme ça qu'on doit l'inculquer aux élèves. Tu n'as pas répondu à ma question.

– Je n'en sais foutre rien. Pour l'instant je me concentre sur ma rééducation, après on verra.

– Ça passera plus vite que tu ne crois. Bon il faut que j'te laisse, on m'attend.

– Ta femme ?

– Non, mon père. Il travaille toujours aux États-Unis. Comme je venais le voir, j'en ai profité pour te rendre visite. Prends soin de toi.

– Bonne soirée. Hé Kagami ?

– Oui ?

– Tu repasseras avant de rentrer au Japon ?

– Tu veux ?

– Juste pour dire au revoir, mais tu n'es pas obligé.

– OK. Et réfléchis à la suite.

Aomine regarda la porte se refermer sur son ancien rival. Prof d'anglais ? Pourquoi a-t-il arrêté le basket ? Il ne lui avait même pas posé la question.

Les semaines passèrent. La routine s'était installée et Aomine s'enfonçait toujours un peu plus dans sa déprime. La rééducation portait ses fruits, mais les séances avec le psy s'avéraient inutiles. Aomine avait catégoriquement refusé de prendre des antidépresseurs qui auraient pu l'aider à remonter la pente. S'il devait s'en sortir, il le ferait seul. Sinon, advienne que pourra.

Son agent, qui était un des rares à venir encore le voir, lui avait apporté son ordinateur portable et il se mit à chercher des informations sur ses anciens coéquipiers. Il apprit que Kise faisait une superbe carrière de mannequin, Murasakibara était chef pâtissier dans un grand restaurant parisien, la Tour d'Argent et il sut par l'intermédiaire de Satsuki, avec qui il avait gardé le contact, que Midorima avait opté pour le droit, qu'il était devenu procureur. Et qu'Akashi était un psychiatre spécialisé dans les personnalités multiples. Aucun d'eux n'avait poursuivi dans le basket. Il était le seul. La jeune femme, quant à elle, était décoratrice d'intérieur. Il savait que ce domaine lui plaisait beaucoup et qu'elle avait du goût. Elle avait monté sa propre société et ça marchait plutôt bien. Elle s'était mariée avec un conseiller en communication et avait deux enfants. Tout le monde semblait avoir trouvé sa voie. Même lui. Pendant un temps. Mais maintenant tout était remis en question. Qu'allait-il bien pouvoir faire s'il ne jouait plus au basket en professionnel ? Son compte en banque était bien rempli et il avait de quoi voir venir. Mais après ? Sans revenu ? Il laissa ses idées vagabonder et somnola jusqu'à ce qu'on lui apporte son repas. Après, il regarda la télévision et s'endormit d'un sommeil agité.

il ouvrit la porte qui se trouvait devant lui et fit un pas… Il tomba dans le vide, tomba, tomba avant de rebondir sur un trampoline et rebondir et rebondir encore… Soudain ses pieds se trouvèrent dans les fixations d'une planche de snowboard qui commença à glisser dans un half-pipe… Il fallait monter jusqu'au bord, faire une acrobatie et revenir dans le pipe, glisser, monter, pirouetter, glisser, monter, monter, monter toujours plus haut, si haut que des oies sauvages volaient à ses côtés tandis qu'il manœuvrait son delta-plane… C'était grisant cette sensation de voler, de se sentir libre... Il piqua vers le sol à une vitesse vertigineuse et l'eau éclaboussa son visage… Debout sur une planche, il tirait de toutes ses forces pour que la voile prenne le vent et avance… Soudain devant lui, l'eau fut prise de violent remous, des rochers affleuraient à la surface et il pagayait inlassablement, assis dans son kayak… Soudain il heurta un rocher…

Aomine se réveilla en sursaut et en sueur. Les yeux écarquillés dans le noir, il se souvenait du moindre détail de son rêve. Il avait le souffle court et tentait de le calmer. Il finit par y parvenir et se laissa retomber le coussin. Mais qu'est-ce que ça voulait dire ? Que quoi qu'il fasse, il échouerait comme dans son rêve ? Qu'il allait droit dans le mur ? Pour une fois, il aurait quelque chose à dire au psy…

– Cela ne signifie pas forcément un échec, déclara le psychiatre, plutôt content du récit de son patient.

Avait-il enfin décidé de parler ? De dire tout ce qui lui passait par la tête ? Pas si sûr. Il avait fini par comprendre que la psyché d'Aomine était bien plus complexe qu'il ne l'avait cru au départ. Sous son air désinvolte et bourru, il y avait un homme d'une grande intelligence qui réfléchissait vite et qui se fiait beaucoup à son instinct. Qui avait aussi un égo démesuré bien que sa blessure et les conséquences qu'elle avait désormais sur sa vie ainsi que son séjour à l'hôpital semblaient en avoir un peu érodé les arêtes tranchantes.

– Qu'est-ce que ça peut vouloir dire selon vous ? demanda-t-il au médecin.

– Il est possible que vous vous accrochiez désespérément au monde du sport et que cela puisse prendre une forme différente du basket professionnel. Et votre subconscient vous le dit par l'intermédiaire des rêves.

– Une autre forme de compétition ?

– Bien sûr. Il existe de nombreuses façons de se battre en dehors d'un terrain de basket, de foot ou de tennis. Prenez le monde des affaires. Des sociétés qui fournissent sensiblement les mêmes services ou produits s'affrontent sur le terrain commercial, financier ou qualitatif de ce qu'ils vendent. Le vainqueur est celui qui a le plus grand nombre de magasins, dont le chiffre d'affaires ne cesse d'augmenter ou qui offrent la meilleure qualité. Ça reste de la compétition.

– C'est plus compliqué que de gagner un match, rétorqua Aomine un brin cynique.

– Ça s'apprend. L'économie, la gestion, le commerce sont des disciplines qu'il est nécessaire de maîtriser comme le dribble ou le shoot au basket.

– Tchh… De belles paroles tout ça…

– Je ne faisais qu'extrapoler une possible signification à votre rêve, sourit le psychiatre qui comprit qu'il ne tirerait rien de plus de son patient aujourd'hui. Il va être l'heure de votre séance de rééducation, on se voit demain.

Aomine sortit à son tour de sa chambre avec ses béquilles pour rejoindre la salle de kinésithérapie. Encore une séance de torture qui lui plomberait un peu plus le moral. Il n'était là que depuis trois mois, mais il avait l'impression que ça faisait une éternité et qu'il n'en sortirait jamais. Combien de temps encore allait-il rester ici ? Il repensa à la visite de Kagami qui était passé avant de repartir pour le Japon et aux paroles du psychiatre. Il y pensa sans cesse, à la limite de l'obsession jusqu'à ce qu'enfin, il prenne une décision.


Après que son médecin lui confirma qu'il pouvait parfaitement poursuivre sa rééducation au Japon, il appela son agent pour qu'il lui trouve un appartement à Tokyo. Pas forcément très grand, mais luxueux avec deux chambres, salon et cuisine à l'occidentale. Une idée complètement folle venait de germer dans son esprit. À vingt-trois ans, Aomine Daiki allait retourner à l'école. Dans la plus grande discrétion, il rentra au Japon, passa avec succès l'examen d'entrée à l'université et pendant trois ans il se consacra corps et âme aux études. Finalement, il obtint son diplôme en gestion et commerce. Il fut embauché dans une entreprise de téléphonie mobile pour acquérir de l'expérience. À trente ans, il montait sa propre société de vente de matériel de sport. Grâce à un projet en béton et aux liens qu'il avait conservés avec certains clients de son ancien travail, il trouva des investisseurs. Il joua aussi sur le fait qu'il était un ancien joueur de ce qui, à l'époque, avait été appelé la Génération des Miracles. Les portes s'ouvrirent d'autant plus facilement. La Kiseki no Sedai Sports Ltd était née.

Le premier magasin fut ouvert à Tokyo. On pouvait y trouver des produits de marques et de qualité à des prix défiant toute concurrence parce qu'Aomine avait décidé de ramener la marge bénéficiaire à niveau qui, pour l'instant, lui permettait tout juste de rembourser les crédits, de payer les charges qui incombaient à toutes sociétés et de faire un bénéfice substantiel qui était immédiatement réinvesti dans sa quasi-totalité. Il ne voulait pas être trop gourmand au risque de tout rater. Il était souvent sur le terrain, ce que les employés appréciaient beaucoup. De plus, ce n'était pas tous les jours qu'on avait l'opportunité de travailler avec un ancien joueur de la Génération des Miracles et les salariés n'en étaient que plus motivés en particulier quand il leur offrait de le défier en un contre un qui finissait bien souvent dans des rires joyeux. Aomine avait commencé un match qu'il était en train de gagner. La maturité l'avait rendu plus humble, moins arrogant, mais il n'en restait pas moins un prédateur. Le monde des affaires était sans pitié.

Sa blessure était guérie, mais de temps en temps, si le temps était orageux, s'il se donnait un peu trop avec ses employés, son genou le tiraillait légèrement. Rien de bien méchant, juste un petit rappel à l'ordre comme quoi il ne devait pas abuser.

Et les années passèrent. Personne ne fit vraiment attention à cette entreprise qui grignotait doucement des parts de marché et donc personne ne savait qui était le patron. Ils n'étaient que quelques-uns à qui les initiales KnS semblaient familières, mais cela pouvait tout aussi être un nom de famille ou n'importe quoi d'autre.

Dans la cinquième année de sa création, après l'ouverture du septième magasin, celui-ci fut cambriolé. Les caméras de surveillance externes et internes avaient enregistré le déroulement du vol et après quelques jours d'investigation, les voleurs et les recéleurs ainsi que la majeure partie de marchandise furent retrouvés. C'est lors du procès qu'Aomine et Midorima se rencontrèrent. Pour le procureur, l'affaire était simple et les preuves écrasantes. Bien qu'il se doive d'être impartial, l'ancien shooter de Teiko requit la peine maximum pour un tel délit. Peut-être en souvenir de son passé commun avec Aomine. De plus, même si l'avocat de la partie adversaire avait eu vent de cette information, tout avait été fait dans le plus strict respect des procédures. Les coupables écopèrent de plusieurs mois de prison fermes et l'assurance de KnS remboursa les dégâts ainsi que les produits qui n'avaient pas été retrouvés ou qui avaient été détériorés. Tout était rentré dans l'ordre. Quelques semaines plus tard, les deux anciens coéquipiers se retrouvèrent dans un restaurant italien discret.

– À quoi dois-je cette invitation ? demanda Midorima en préambule de leur dîner.

Les deux hommes se laissèrent conduire jusqu'à leur table et commandèrent un apéritif.

– Toujours aussi direct et froid, hein ? grimaça Aomine en s'asseyant. Si tu crois que c'est pour te remercier pour le procès, tu trompes complètement.

– J'ai appris pour ta blessure. Je suis désolé. Vraiment. Pour quelqu'un qui aime le basket autant que toi et qui est si doué, c'est un méchant coup du destin.

– J'avoue que je l'ai très mal pris au début. J'ai sombré dans la dépression. Mon monde s'écroulait. Mais je m'en suis sorti.

– C'est l'essentiel. Le contraire m'aurait surpris. Et déçu, de ta part. C'est donc là que tu as disparu toutes ces années ?

– Je suis retourné à l'université pour apprendre la gestion et le commerce. Ensuite j'ai travaillé dans une société de téléphonie mobile et quand j'ai estimé que j'avais acquis assez de connaissances, j'ai créé KnS.

– Kiseki no Sedai, hein ? C'est bien pensé.

– Et toi ? Le droit ? Et te voilà procureur.

– Oui. C'est passionnant et très complexe. Il y a cependant une chose qui me chiffonne, fit Midorima tout en mangeant une bouchée de sa fricassée de calamars.

– À quel propos ?

– Il a dû te falloir beaucoup d'argent pour tout ça.

Aomine éclata de rire. Le procureur Midorima Shintaro qui doutait de l'honnêteté des fonds de KnS. Il s'agissait sans doute d'une déformation professionnelle.

– Rassure-toi, hoqueta l'ancien as de Touou. Une grande partie c'est ce que j'ai gagné en tant que joueurs chez les Spurs. Le reste vient de contacts que j'ai eus avec des banquiers et des investisseurs quand je travaillais dans la téléphonie. La plupart se souvenaient de la Génération des Miracles et quand ils ont su que j'en avais fait partie, les chèques ont afflué. Je connais aussi quelques politiciens qui ont accéléré mes dossiers pour les permis de construire et d'exploitation. Et je n'ai pas eu besoin de soudoyer qui que ce soit. Tout est parfaitement transparent. Si tu doutes, je me ferais un devoir de te montrer la comptabilité et les contrats. Et puis les bénéfices ont été en grande partie réinvestis et j'ai versé des primes à mes employés.

– C'est presque trop beau pour être vrai, railla le procureur. Un vrai patron modèle.

Aomine savoura deux bouchées de son escalope de veau à la milanaise avant de répondre.

– Je veux réussir. J'ai été obligé de choisir une autre voie contre mon gré. J'ai échoué dans mon premier choix, je ne laisserai pas passer cette chance. Et je veux le faire proprement. Je sais que le monde du commerce est impitoyable, c'est une vraie jungle. Ils n'ont rien avoué, mais ceux qui m'ont cambriolé ont certainement été commandités par un concurrent que je dois menacer.

– Tu vas devoir te montrer prudent à l'avenir.

– Ça devrait aller. Je connais bien un certain procureur, sourit-il à Midorima. Au fait, tu es marié ? Tu as une famille ?

La cuillère de l'ancien shooter de Shutoku s'arrêta entre son dessert et sa bouche. De toute évidence, il ne s'attendait pas à cette question.

– Non, ni épouse ni famille. Et toi ?

– Célibataire et heureux de l'être. On commande un café ?

– Un déca pour moi.

– Tu as revu nos anciens coéquipiers ? demanda le patron de KnS tandis qu'ils sirotaient leur digestif.

– Non. Après le lycée nous avons tous suivi des chemins différents. Tu es le premier que je revois après tout ce temps.

– Kagami est passé me voir quand j'étais encore à l'hôpital il y a quelques années. Il était prof d'anglais à Seirin à l'époque. J'ignore s'il l'est toujours. Vous êtes les deux seuls que j'ai revus de mon côté. J'ai seulement gardé contact avec Satsuki par mails et parfois on se téléphonait. Je sais que Kise avait continué dans la mode, Murasakibara travaille dans un grand restaurant français, Akashi est psy et Kuroko médecin. Il est revenu du Nigéria il n'y a pas longtemps.

– C'est aussi ce que j'ai appris. C'est étrange que nous nous soyons perdus de vue comme ça. J'avais pensé que notre match contre Jabberwok(1) nous aurait un peu rapprochés au contraire.

– C'est la vie Midorima. Le destin en a décidé autrement.

– Tu te mets à croire au destin maintenant ? fit le procureur en esquissant un sourire.

– C'est quoi l'objet chanceux du jour ?

– Un stylo quatre couleurs, répondit Midorima en sortant l'objet de la poche intérieure de son veston.

Aomine le regarda et ne put retenir un petit rire.

– Tu n'as pas changé tant que ça, finalement.

Les deux hommes se séparèrent devant la voiture du procureur en se disant qu'ils garderaient le contact maintenant qu'ils s'étaient retrouvés. Aomine rentra chez lui avec une drôle d'impression. Il était certain que Midorima lui avait menti à propos de son célibat. Mais ce n'était pas très important et il avait tout à fait le droit de ne pas vouloir parler de sa vie privée après tout.

Quelques mois après cette affaire de cambriolage, le septième magasin marchait bien et commençait à dégager des bénéfices. Même si le travail était physique pour les manutentionnaires qui remplissaient les rayons, en particulier ceux des poids pour la musculation, ils avaient le cœur au beau fixe et les hôtesses de caisse avaient un sourire éclatant. Aomine avait fait en sorte de créer une ambiance qui donnait envie de travailler et de se dépasser. Il put alors se consacrer au projet d'un huitième et neuvième magasin respectivement dans les villes de Kawasaki et Kyoto. Sur les grands panneaux publicitaires, le clip de KnS passait en boucle toutes les trois heures et l'impact n'était pas négligeable. C'est à peu près à cette époque qu'Aomine put rencontrer le ministre des Sports. L'entretien dura une demi-heure environ et l'ancien basketteur, pas le moins du monde intimidé par le personnage, avança tranquillement ses arguments pour une promotion encore plus large et encadrée du sport au Japon. La conversation fut enregistrée afin que tout soit conservé. Le ministre lui assura qu'il étudierait très sérieusement ses idées et qu'il le recontacterait le cas échéant.

Bien qu'il n'ait pas une confiance absolue dans les politiciens, curieusement celui-ci lui fit une bonne impression. Était-ce parce qu'il était le premier qu'il rencontrait, ou bien parce qu'il avait aimé son regard droit et franc ? L'avenir le lui dira. Quelques semaines plus tard, le dixième magasin KnS était inauguré. Pour marquer l'évènement, Aomine décida d'organiser une grande réception dans un des salons du Hilton. Exceptionnellement les magasins fermeraient plus tôt pour permettre aux employés de participer à la soirée. Les invités avaient été choisis méticuleusement. Le maire de Tokyo bien sûr avec quelques-uns de ses collaborateurs, le ministre des Sports qu'il avait rencontré, celui du commerce et de l'industrie, le préfet de police, ça pouvait toujours servir, tous ceux qui avaient investi dans la société, quelques responsables d'agences publicitaires, les fournisseurs les plus importants et bien évidemment les médias. Et pour une raison qui lui échappait encore, il avait également envoyé une invitation à Kagami qui enseignait toujours à Seirin et à Midorima. La majorité des invités étaient arrivés et il devait y avoir entre cent cinquante et deux cents personnes. Le maitre de cérémonie décida qu'il était temps pour lui de faire son apparition.

Son arrivée dans la salle de réception fut remarquée et applaudie. Les hommes admirèrent sa prestance et son charisme, ou le jalousèrent, quant aux femmes elles avaient les yeux brillant d'excitation. Aomine n'avait rien perdu de sa présence écrasante. Et la maturité avait renforcé ce trait. Il avait toujours cette aura prédatrice accentuée par sa démarche féline. Il avait appris à se servir de son sourire pour séduire ses interlocuteurs et si ça ne marchait pas sur tous, ça fonctionnait sur un bon nombre. Il se dirigea vers la petite estrade et prit le micro.

– Mesdames et messieurs, je vous suis reconnaissant d'avoir répondu présent à mon invitation. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Aomine Daiki, le président de la KnS Sports Ltd. Nous avons ouvert notre dixième magasin et tout cela n'aurait pas été possible sans l'aide de chacun de vous. D'abord les représentants des ministères de la Jeunesse et des Sports et du Commerce et de l'Industrie qui ont compris et soutenu mon projet. Les banques ensuite, qui m'ont accordé les crédits nécessaires et les investisseurs privés qui ont crus en ce projet. Et pour finir, je remercie chaleureusement mes employés qui se donnent à fond tous les jours pour faire de ces magasins des lieux qui donnent envie de faire du sport, un espace convivial où chacun peut trouver le matériel qu'il lui faut ainsi que des conseils avisés.

Le Japon est une nation mondialement bien classée en sport, mais nous pouvons encore faire mieux si nous nous en donnons les moyens. Si nous devons donner à nos enfants l'envie d'apprendre à l'école, nous devons aussi leur donner envie de faire du sport. Ils sont nos champions de demain. Encore merci à tous d'être présent. Je vous souhaite une très bonne soirée.

Une salve d'applaudissements éclata et Aomine quitta l'estrade avec un geste de la main. Immédiatement, il fut accaparé par les journalistes qui voulaient lui poser des questions. Il répondit à quelques-unes puis leur fit comprendre qu'il se devait à ses autres invités. Suivi de son secrétaire, il allait de groupe en groupe pour saluer un banquier, un politicien, un investisseur. Puis il s'attarda plus longtemps avec ses salariés qui parlaient avec lui comme s'il était l'un des leurs et non pas leur patron. Il aperçut Midorima près du buffet en compagnie d'un homme brun de dos. Il se dirigea vers eux et eut une seconde de surprise.

– Takao ?

– Aomine. Ça fait longtemps.

– Une bonne vingtaine d'années, je dirais, commenta froidement Midorima.

– Je crois que je comprends pourquoi tu as éludé certaines de mes questions lors de notre dîner, sourit l'ancien as de Touou qui avait remarqué que les deux hommes portaient des bagues identiques.

– Et donc ? rétorqua le procureur, sur la défensive.

– Et rien. Tu croyais que j'allais te faire un numéro de vierge effarouchée ? N'oublie pas que j'ai vécu aux États-Unis et que j'y ai vu toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Je suis content pour vous deux. Qu'est-ce que tu deviens, Takao ?

– Je travaille dans un cabinet d'architecte, je suis associé.

– Félicitations.

– Daiki !

Les trois anciens basketteurs se retournèrent comme un seul homme pour voir arriver une tornade rose qui s'accrocha au bras d'Aomine. Elle fut instantanément haïe par toutes les femmes présentes.

– Satsuki ! répondit-il en l'entourant de son bras pour la serrer contre lui.

– Désolée, je suis en retard, mais j'avais un client un peu pénible. Takao, l'étude pour ton projet est bientôt finie.

– Il n'y a pas d'urgence.

– Vous travaillez ensemble ? demanda Aomine, curieux.

– Il nous arrive de faire appel à elle pour la décoration intérieure de certains de nos projets, expliqua Takao.

Ils continuèrent à discuter un moment quand le responsable de la sécurité vint parler à l'oreille d'Aomine qui hocha la tête. Il s'excusa auprès de ses amis et suivit l'homme vêtu d'un smoking pour être plus discret. Lorsqu'il arriva dans le hall de l'hôtel, il se figea. Devant lui se tenaient Kagami et Kise qui vinrent vers lui en souriant

– Kagami. Ça me fait plaisir de te revoir.

– J'ai été pris dans un embouteillage monstre.

– Kise.

– Je suis un peu déçu de ne pas avoir reçu d'invitation de ta part, lui reprocha son ancien coéquipier de Teiko.

– Je ne savais pas où te joindre. J'en ai même envoyé une à Murasakibara en France sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas venir. Et Akashi est à un colloque de psychiatrie à Séoul. Comment as-tu su ?

– J'ai eu Satsuki au téléphone aujourd'hui et elle m'en a parlé. Je me suis dit que je pouvais faire un saut, mais la sécurité m'a arrêté.

– C'est son rôle. Mais venez, ne restons pas ici. Midorima et Takao sont là aussi.

À leur entrée dans le salon de réception, toutes les têtes se tournèrent vers eux. Aussitôt les journalistes se jetèrent comme des vautours sur Kise. Son visage était suffisamment connu et il portait le smoking comme personne. Il fit signe qu'il les rejoindrait dans un moment. Immédiatement plusieurs femmes l'approchèrent ce qui contraria Aomine sans qu'il s'explique pourquoi. Il abandonna ses amis pour refaire acte de présence auprès de ses invités et la soirée fila doucement. Le salon commença à se vider et personne n'oublia de venir saluer le patron de KnS et le remercier d'avoir été invité. Beaucoup se sentaient privilégiés d'avoir été là. Certains employés qui travaillaient le lendemain se retirèrent avant les autres et au final, il ne resta qu'Aomine et Kise. Ils étaient assis à l'une des tables avec une flute de champagne devant eux.

– Alors ? Pourquoi es-tu venu Kise ?

– D'abord parce que je me suis senti exclu, mais maintenant que je sais pour quoi, je ne t'en veux plus. Je ne suis plus mannequin, c'est donc plus difficile de me joindre.

– Et que fais-tu si tu ne te promènes plus sur les podiums ?

– De l'argent.

– De l'argent ?

– J'ai monté ma société d'investissement et de conseils en finances. En parallèle de ma carrière j'ai fait des études de commerce et de gestion, comme toi. Ça fait sept ans. Je spécule en bourse et j'investis dans des entreprises qui me semblent avoir de l'avenir. Comme la tienne.

– La mienne ?

– Oui. J'avais l'intention de prendre rendez-vous avec toi pour qu'on en discute.

– Je n'ai pas spécialement besoin de liquidité pour le moment. Tu veux un pourcentage sur les bénéfices ?

– Non. Des parts dans KnS.

– Des parts ? Ça ferait de toi mon associé.

– Exactement.

Aomine plissa les yeux et Kise frissonna. Ce regard d'un bleu lumineux et abyssal avait toujours la même force pénétrante comme s'il vous perçait jusqu'à l'âme. Il but une gorgée de champagne pour cacher son trouble.

– Je ne veux pas de quelqu'un qui va venir me dire comment mener ma barque sous prétexte qu'il a acheté une rame.

– Si mes estimations et mes analyses sont correctes, KnS va bientôt être cotée en bourse sur le second marché. Je dirais d'ici deux ans, trois tout au plus. Si tu continues sur cette lancée, les parts prendront de la valeur et je rentabiliserai mon investissement.

– Je n'ai aucune obligation d'entrer en bourse, se défendit Aomine qui ne comprenait pas où voulait en venir son interlocuteur. De plus c'est dangereux.

– Tu le feras. Le second marché est plus stable, les risques sont très réduits. Mais les bénéfices que tu retirerais pourraient être importants.

– Et ça me ferait payer davantage d'impôts.

– C'est le revers de la médaille, sourit l'ex-mannequin.

– Je n'ai pas créé KnS pour faire de l'argent, commença Aomine en faisant tourner sa flûte entre ses doigts. Retourner à la fac et monter ma société a été une thérapie pour moi. Après ma blessure, j'ai fait une grosse dépression. Ne plus pouvoir jouer au basket en championnat, en compétition, j'ai eu l'impression d'être tombé en enfer. Mais on m'a fait comprendre que je pouvais me battre ailleurs que sur un terrain de basket. De plus, j'allais donner un travail à beaucoup de personnes. Faire des bénéfices est important, j'en conviens, mais ce n'est pas ma motivation première.

– Et quelle est-elle ?

– Donner aux gens la possibilité de faire du sport avec du matériel de bonne qualité, pas trop cher pour toucher autant de personnes que possible et contribuer à mener le Japon toujours plus loin sur la scène sportive internationale.

– Rien que ça ? éclata de rire Kise. C'est très ambitieux et très noble comme objectif. Mais ce n'est pas moi qui te contredirai. J'aime le sport autant que toi, en particulier le basket. Et nous connaissons tous les deux les bienfaits d'une activité physique sur la santé.

– C'est ça.

– Tu as changé.

– Comment ça ?

– Avant tu ne pensais qu'à toi, tu jouais pour toi sans te soucier des autres. Aujourd'hui c'est tout le contraire. C'est étrange.

– Jouer avec vous contre Jabberwok(1) et avec les Spurs m'a appris le travail en équipe, je le reconnais. Je trouvais ça stupide de devoir compter sur les autres, mais il y a des choses qu'on ne peut pas faire tout seul. C'est tout. Je l'ai compris un peu tard, c'est vrai, mais jouer en équipe est tout aussi gratifiant et plaisant.

– Alors là, je suis bluffé. Et content. J'aime bien le nouveau Aomine, sourit franchement Kise en se levant. Bon, il est temps que je rentre. Je te laisse ma carte. Même si tu ne veux pas de mon argent pour l'instant, je peux toujours te conseiller pour tes investissements. Ce sera avec plaisir et je te ferai un prix d'ami.

– C'est généreux de ta part. Rentre bien.

– Bonne nuit Aomine.

– Bonne nuit.


À suivre…

(1) Jabberwok est l'équipe américaine qu'ils affrontent dans "Kuroko Extra Game"