Un bruit de bébé hurlant les réveilla. Jack ouvrit difficilement les yeux et vit un sol particulièrement crasseux couvert de paille et de déchets végétaux. En se relevant il vit Ladislav encore inconscient dans un coin de ce qu'il identifia être une pauvre mansarde, éclairée pauvrement par deux bougies. Il s'agenouilla et secoua Ladislav pour le réveiller, Ladislav grogna, mais ne fit rien d'agressif. Toutefois, il se leva deux minutes plus tard, observant, ébahi, l'endroit où lui et Jack avaient été projetés. Une vieille mansarde, pauvre, où le froid régnait en souverain.

« Vous avez l'air réveillé tout les deux, enfin ! Écoutez-moi, résonna la voix de Jacques dans leurs têtes. Un petit retour dans le passé s'annonce. Vous êtes dans mes souvenirs, donc tout ce que vous ferez, direz ne changera en rien le futur, donc libre à vous de parler, mais surtout d'approcher pour observer de plus près. »

Un garçon qui ne devait pas avoir plus de onze ou douze ans entra dans la pièce, l'air inquiet plaqué sur son visage sale.

« Lui, c'est moi à onze ans. »

Le jeune garçon saisit doucement le nourrisson et le berça doucement. Il fredonna une chanson dans une langue que Jack identifia comme du français, mais avec un accent ancien, qu'il n'avait jamais entendu. Le jeune garçon fixa de ses yeux bleus le bébé, que Ladislav trouva très intenses.

« En effet, la crasse même ne pouvait pas ternir l'éclat de mes beaux yeux myosotis, commenta Jacques d'une voix joueuse. Et ne rigolez pas, c'est le seul avantage physique que ma mère m'a laissé. »

Le garçon, lui, chatouillait le bébé sur le ventre en lui penchant la tête en avant. Jack comprit immédiatement qu'il voulait le faire vomir. Plaçant une bassine entre ses pieds, le jeune Jacques ouvrit la bouche du bébé tout en le secouant légèrement pour faire évacuer le vomi plus rapidement. Le bébé vomit une vingtaine de secondes plus tard, Jacques lui rinça la bouche délicatement.

-Jacques ! hurla un homme avant d'entrer dans la pauvre demeure.

-Oui père ?

-Tu t'occupes encore de ce marmot ? nota le père.

-Oui père, affirma le jeune garçon. C'est le dernier-né des Boisset, et il est fragile. Il nécessite une vigilance permanente, il montrera peut être des pouvoirs plus tard, espéra Jacques en regardant son père dans les yeux. Le père avait tout du bel homme qui s'était laissé beaucoup trop aller : il était rougi par le vin, bouffi, et engraissé. La chevelure qui avait du être noire auparavant s'ornait d'une multitude de cheveux blancs. Une calvitie ravageait la moitié de son cuir chevelu. Les rides du visage du père se plissaient dans une expression inquiète.

-Il faudra trouver une autre personne pour s'en occuper, mon Jacquot, parce que maintenant tu viens avec moi pour une chasse.

-Une chasse, tout de suite, père ? Vous n'y pensez pas ! protesta le jeune Jacques en se levant après avoir déposé le bébé dans une sorte de lit très précaire. Vous êtes encore tout enviné !

-Tu viens à la chasse ! ordonna le père d'un ton sans appel. Il sortit de la mansarde en envoyant un sac de toile très grossière à Jacques. À contrecœur, Jacques sortit du taudis en s'assurant que le bébé demeurait tranquille.

-Isabeau, occupez vous du petit Louis je vous prie ! cria-t-il à une femme d'âge moyen, qui portait un seau d'eau tout lui montrant le sac tout usé et rapiécé. Je pars en chasse !

Il se dirigea vers une salle bien sombre.

« La salle d'armement, très importante dans la communauté des chasseurs »

Jacques en ressortit quelques minutes avec une grosse arbalète dans le dos qui semblait bien lourde mais surtout très vieille, une côte de maille très fine pour lui protéger le cou, une autre les poignets, le haut des cuisses et les chevilles, d'ailleurs il s'était paré d'une tunique noire qui semblait bien rude au toucher. Le pantalon, taillé dans la même matière était solidement attaché par les fines côtes de mailles. Des souliers misérables chaussaient Jacques qui attachait ses boucles bien crasseuses avec un cordon de fortune pour dégager son visage. Jack et Ladislav froncèrent de dégoût devant un tel niveau de saleté.

« Pourquoi tant de saleté, pensez-vous ? Et bien, en étant aussi sale, on couvre son odeur corporelle, ce qui permet de mieux se cacher. »

En observant mieux le vêtement, Ladislav vit qu'il y avait de nombreuses poches devant et derrière.

« C'est là que je mettais les onguents et petites dagues. »

La vraie dague, plus massive pendait sur la hanche droite de Jacques qui rejoignait un groupe pas loin. Jack distingua dans le groupe trois hommes adultes, quatre femmes, deux autres garçons, et une jeune fille ajustant la ceinture dorsale de l'arbalète.

Quelques minutes plus tard, ils partirent en courant dans la forêt. Arrivés à la lisière des bois ils se séparèrent en deux groupes.

« À partir de ce moment, je vous mets dans ma tête pour que vous compreniez. »

Jack et Ladislav se sentirent de nouveau happés, mais cette fois, cela fut beaucoup plus court, après quelques secondes ils se sentirent mieux. En fait, leurs esprits ne faisaient plus qu'un avec celui du garçon.

Et là Ladislav constata un fourmillement de voix dans sa tête. « Ils ne doivent pas être plus très loin ces diables buveurs de sang ! » résonna la voix de la jeune fille dans son esprit. Soudain, un grand silence. Jacques avançait toujours rapidement avec son groupe. Après une dizaine de minutes le chef de groupe s'arrêta.

-Voilà les cinq cents toises, annonça le chef d'une voix qui se voulait calme. « J'ai entendu que la fille vampire était vraiment violente, au nom de Dieu, faite que personne ne meure ce soir ». La pensée, elle, était, vraiment, mais vraiment plus apeurée. L'homme se racla la gorge. – Que Dieu soit avec vous dans votre quête.

Après avoir tous fait le signe de croix, ils se séparèrent. Jacques marchait bien plus lentement que les autres chasseurs. Après quelques minutes de marche il entendit non pas une, mais deux pensées entremêlées.

« Encore, plus… » Des gémissements de plaisirs envahirent les pensées de Jacques qui se sentit rougir malgré la fraicheur de la nuit. Plus il s'enfonçait pour atteindre la source de pensées, plus il avait envie d'être nyctalope comme trois des chausseurs en action cette nuit-ci.

Les gémissements s'intensifièrent beaucoup dans sa tête et il se rendit compte qu'il ne les entendait pas que mentalement. Arrivé à la source, il se cacha habilement dans un gros arbuste, mais il ne se rendit pas compte qu'un vampire, lui aussi caché l'observait.

« Se servir d'un vampire appât était vraiment une tactique géniale de la part d'Ursule. Regardez ce petit imbécile qui pense être bien caché ! »

Identifiant la source derrière lui, Jacques hurla pour donner l'alerte. Il savait qu'il était trop faible pour combattre deux vampires en pleines formes. Son hurlement eut le mérite de déloger le vampire de sa cachette pour bondir sur le jeune garçon. Jacques brandit sa dague pour essayer de garder une distance convenable avec le vampire, mais il avait encore disparu de sa vue, sans compter la vampire et l'humain que Jacques n'entendait plus du tout gémir. Le vampire donna un grand coup dans le dos de Jacques, qui lâcha une grande plainte. À terre, Jacques ne pouvait rien voir, mais par contre il avait une vague idée d'où pouvaient être les autres.

Relevé par sa côte de maille au cou, il commença à vraiment à avoir peur de ce que le vampire lui infligerait si les autres ne venaient pas l'aider vite. Le vampire le leva à sa hauteur. Il lui arracha sa côte de maille et un gros morceau de sa tunique noire : la morsure froide de la nuit donna la chair de poule au garçon.

« Et si… je m'amusais un peu… »

Jack et Ladislav restèrent étonnés de ce qu'ils entendirent de nouveau. Jacques pouvait vraiment, mais vraiment, entendre les pensées de tout. Mort ou vivant, rien ne lui échappait.

Les paupières de Jacques s'agrandirent en voyant les crocs du vampire luire dans la nuit. Jacques hurla une deuxième fois, plus fort. Le vampire, ne se sentant pas du tout menacé, resserra sa prise sur le cou de Jacques. Plus vite qu'il ne le pensait, Jacques re-rencontra la terre légèrement humide du sol. Le vampire s'agenouilla près de son corps et avança près de son corps, un air meurtrier sur son visage d'immortel.

Jacques essaya de se débattre avec la main qui tenait sa dague mais le vampire lui arracha violemment et la lança au loin. Ce dernier d'ailleurs, s'était allongé lourdement sur son corps. Jacques étouffa un gémissement de douleur : le vampire devait peser une quarantaine de kilos de plus que lui.

« Goûtons-le pour voir s'il est bon. »

Un frisson de peur remonta le long du dos de l'enfant, et un petit tiraillement le prit au ventre, tiraillement qui n'avait rien à voir avec la peur du tout. Il sentit la main glacée du vampire lui tourner la tête, et quelques secondes plus tard s'était les crocs qui perçaient sa carotide sans aucune douceur qui intensifièrent cette sensation étrange de tiraillement dans son bas-ventre.

« Le goût est vraiment bon sous cette couche de saleté… Dommage qu'il soit si jeune, sinon je l'aurai défloré en même temps. Quoique… »

Un gémissement de plaisir s'échappa de la bouche de Jacques alors qu'il sentait une autre gorgée de son sang passée de son corps à celui du vampire. Jacques avait l'impression que quelqu'un manipulait de petites cordes dans son dos parce qu'il sentit qu'il se cambrait de manière impulsive contre le corps du vampire, cherchant plus de contact physique avec lui. Après quelques secondes le vampire retira sa bouche de la gorge de Jacques.

« Le marmot a l'air d'apprécier en tout cas, comme quoi ce sont les chasseurs les plus appréciateurs des morsures. »

Les mains du vampire lui écartèrent les cuisses avant de se glisser entre elles, ensuite, il appuya son bassin contre celui du très réceptif enfant. Le vampire se délecta des violentes rougeurs qui apparurent sur ses joues lorsqu'il sentit qu'il n'était pas le seul à en prendre du plaisir. Le courant d'air, froid, contrastait énormément avec le sang chaud qui coulait de sa plaie. Jacques couina à ce contact mordant, il se tordit.

« Regardez-moi cet enfant catin… » Le ton était très moqueur.

Néanmoins le vampire accepta avec plaisir de mordre de nouveau Jacques lorsque celui-ci le supplia avec une voix désireuse de le faire encore.

Alors qu'il gémissait de nouveau, un bruit violent l'arracha au plaisir. Le vampire criait de douleur. Jacques vit qu'une flèche avait transpercé le vampire à l'œil et que, en plus, la flèche ressortait de derrière sa tête.

« Je l'ai touché, ce diable ! Je vais le finir ! » Le chasseur banda son arc et tira une autre flèche qui toucha le vampire au cœur. Avec un bruit horrible, le vampire tomba en poussière sur Jacques. L'effet fut rapide sur Jacques : émergeant lentement de la perte de sang, il avait à peine remarqué ce qui se passait autour de lui.

-Tout va bien, je suis là maintenant, tonna la voix rauque de son sauveur. Vous pouvez marcher ? demanda-t-il.

-Hum… murmura Jacques.

-Elise ! hurla le chasseur. Venez soigner le garçon ! Vite ! Il saigne !

Le chasseur, repartit aussitôt à l'assaut ne mit que peu de temps avant de tuer cette Ursule qu'avait nommé le vampire mort quelques instants avant.

Toujours tremblant, mais de douleur cette fois, Jacques se sentit revenir à la vie quand la main chaude d'Élise appliqua un onguent sur sa plaie. Il ouvrit ses yeux et vit le visage mignon d'Élise lui sourire gentiment.

« Il est trop faible pour marcher. Je vais attendre le retour d'Armand pour faire quelque chose de ce pauvre enfant. »

Armand revint et jugea l'enfant trop faible. Jacques, fatigué, décida de fermer son esprit pour être un peu au calme. C'est alors avec une légère surprise qu'il sentit les bras d'Armand s'enrouler autour de son corps avant de le porter dans ses bras comme si ce n'était qu'une plume, ce qui, dans la tête de Jacques devait être vrai. Il se laissa alors aller dans les bras du sauveur.

Armand couru avec Jacques dans ses bras, suivi de près par Élise. Ils revinrent au lieu des cinq cent toises à la hâte.

-Combien ? aboya une femme à Armand.

-Deux vampires et un humain, répondit-t-il en ajustant son arbalète sur son dos.

-Ce soir a été une très bonne prise ! Quinze vampires en moins ! constata l'unique jeune fille du groupe.

-Et on a failli perdre un humain de notre côté !

-Jacques ! hurla son père quand il se rendit compte qui Armand tenait dans ses bras. -Mon pauvre enfant ! pleura-t-il en caressant ses cheveux colmatés par la terre et le sang. Il avait raison, je n'aurais pas du l'envoyer en chasse ce soir.

Le père serra son fils contre son cœur. Il leva sa tête et planta son regard plein de larmes dans les yeux marron d'Armand.

-Merci du fond du cœur ! remercia-t-il avec chaleur. Je ne sais pas de quelle manière vous repayez, mais sentez vous libre de venir chez nous quand vous voulez, soupira le père en voyant les respirations faibles, mais présentes de Jacques.

-Y a pas de quoi. C'est d'ailleurs grâce à lui que j'ai trouvé les deux vampires. Son odeur excitée se sentait de très loin, répliqua Armand avec un très fort accent allemand.

-Excitée… ? Excitée comment ? hasarda le père.

-Comme charnellement excitée, assena Armand.

Plusieurs respirations se coupèrent à la fin de la phrase. L'expression faciale du père, désespérée, se mua en une colère ardente.

-Quel monstre ! Prendre du plaisir charnel en buvant le sang d'un enfant ! foudroya le père.

Armand eut la décence d'esprit de ne pas ajouter que l'odeur excitée dont il parlait était celle de son fils.

Toujours serré contre son père, Jacques rentra dans leur mansarde, s'allongeant sur le lit, enfin paillasse, comme un poids mort. Après quelques minutes où Jacques sombrait dans le sommeil, une vieille femme décharnée pénétra dans la demeure, un gobelet rempli d'un liquide fumant à l'odeur âcre. Posant le récipient sur la petite table à côté du 'lit', elle examina Jacques minutieusement.

-Le pauvre… murmura la vieille femme en observant les morsures profondes sur le cou de l'enfant. Elle appuya doucement dessus, pour prendre le pouls.

Le père serrait ses lèvres, toujours inquiet et rongé par la culpabilité.

-Il s'en sortira… n'est ce pas ?

-Bien sûr ! Ce n'est qu'une petite perte de sang Charles voyons ! brusqua la femme devant l'air pitoyable du père.

Elle ouvrit la bouche de Jacques et fit avaler sans ménagement le contenu du gobelet.

-Voilà, il sera en pleine forme demain, indiqua-t-elle. Reposez-vous aussi, Charles, la chasse de demain sera plus dure, et plait à Dieu de nous donner le plus de chance possible face à ces démons, mais il faut être aussi bien disposé, vous m'avez compris ?

-Oui.

La vieille dame repartit en fermant soigneusement la porte, et à peine fut elle partie que Charles saisit son enfant dans ses bras, pleurant doucement et caressant ses cheveux.

« Mon enfant… Mon fils… Tout ce qu'il me reste de ma pauvre Jeanne. Oh Jeanne, pardonne-moi de ce que j'ai pu faire à Jacques. » Il embrassa doucement son front avant d'aller se coucher sur une paillasse en face.

Les heures défilèrent lentement, et la nuit céda à la lumière du jour. Jacques fut le premier réveillé. Il se leva en s'étirant comme un chat, plein de vitalité.

Le père de Jacques ouvrit les yeux une demi-heure plus tard sur son fils qui l'observait minutieusement.

-Jacques, rugit-il en se ruant sur son fils. Il étreignit son fils très fort comme s'il voulait bien vérifier qu'il était encore en vit.

-Père, père ! Vous m'étouffez ! se plaignit son fils en se débattant un peu.

Charles se baissa pour regarder son fils dans les yeux.

-Je vois que tu vas bien pour avoir autant de fougue dès le matin.

Charles se retourna pour prendre deux oranges dans une corbeille. Il en jeta une Jacques qui manqua de peu de la faire tomber.

« Il manque de réflexes pour faire un bon chasseur… Que vais-je faire de lui ? » Si son père lui souriait en croquant allègrement dans son fruit mais le ton pensif et légèrement anxieux qu'il percevait dans sa pensée ne trompa pas le moins du monde Jacques : il ferait un chasseur très très médiocre physiquement. Jacques se sentait vraiment désolé pour son père.

-Aujourd'hui, que penses-tu d'apprendre la base de fabrication de remèdes simples ? demanda gentiment le père. « Comme ça il n'aura pas à tirer sur ses forces. On pourrait en faire un guérisseur… »

Jacques hocha simplement la tête. Son père lui ébouriffa ses boucles sales.

-Si tu allais te rafraîchir un peu ? proposa son père.

-Je ne suis pas de chasse ce soir ?

-Non, je ne le permettrais pas, tu es une proie facile. Mais la prochaine après celle-là, tu reviens sur le terrain, déclara son père, triste. D'ailleurs Jacques, la famille d'Armand arrive ce soir, des chasseurs allemands. Fait leur bon accueil en remerciant chaleureusement leur fils devant eux. « Quel garçon talentueux ! Si seulement Jacques pouvait avoir un peu de son talent… »

Jacques mordit dans son orange qu'il trouva amère et acide alors que les oranges étaient délicieusement sucrées.

-Va te passer la tête sous l'eau petit saligaud! le pressa-t-il avec un petit rire forcé.

Jacques sortit de la mansarde et marcha jusqu'au puis. Il accrocha ensuite le seau libre et remonta l'eau lorsqu'il sentit que le seau était bien dur à porter. Il prit le seau dans ses mains.

-Jacques, chantonna la voix douce de Magdalena qui arrivait avec un seau. Elle lui tendit un pot qui contenait une mixture étrange fortement odoriférante d'argile et de citron. –Ton père m'a raconté que tu allais te laver les cheveux donc je t'ai apporté ceci. Je vais te laver les cheveux d'ailleurs, enlève ta chemise, je serai rapide !

Jacques fit passer sa chemise au dessus de sa tête à contrecœur, le froid de novembre mordait sa peau. Il frissonna.

Avec le soleil faible qui rayonnait au dessus de leur tête la peau de Jacques ressortait encore plus laiteuse que d'habitude.

« Quelle peau blanche, les veines tellement bleues… »

-Tu as une peau de noble garçon, Jacques. Je suis sûre que même le Roi n'a pas une peau si pâle.

-Si tu l'affirmes, répondit Jacques platement. Je trouve qu'une peau blanche est moche et fragile. Une peau mate est bien plus jolie à regarder. La tienne à la couleur d'une pêche, c'est beau.

-J'ai une peau de paysanne, ce n'est pas un compliment ! se moqua-t-elle. « Il trouve que j'ai une belle peau, qu'il est gentil. »

Elle lui mouilla les cheveux, puis appliqua une couche généreuse de mixture sur ses cheveux crades. Elle frotta intensément ses boucles avant de les rincer longuement. Après les avoir essorés elle passa sommairement ses doigts dans ses cheveux humides pour les démêler.

« En plus d'avoir une peau magnifique, il a des cheveux fantastiques ». Jacques ressentit parfaitement le ton plein de jalousie de Magdalena.

Contrairement à la coutume de l'époque, Jacques aimait les peaux dorés et les cheveux plutôt normaux des chasseurs qui vivaient en communauté.

-Voilà ! C'est terminé ! lui dit-elle légèrement.

-Merci. Le ton de Jacques était chaleureux, mais pressant : il voulait rentrer quelque part et échapper à tout prix au froid.

Jacques se leva et courut vers la maison qui servait d'entrepôt et de fabrique pour les remèdes. C'était la seule maison du village qui était en pierre d'ailleurs. Entrant le plus doucement possible, Jacques se surprit à apprécier la chaleur douce qui émanait de la cheminée. Il ferma la porte et se retrouva dans une douce clarté. L'odeur qui dominait la pièce était celle de l'argile, Jacques fronça d'ailleurs son nez. Il se demandait ce que les guérisseurs du village allaient lui apprendre aujourd'hui, s'ils ne laissaient pas sur le côté. Il s'assit près du feu pour attendre. Après quelques dizaines de minutes à patienter, une jeune fille entra dans la maison. Jacques la connaissait, c'était Célestine. Il ne savait presque rien de Célestine : elle était orpheline de ses deux parents, elle vivait avec le guérisseur adulte du village et sa famille, elle était apprentie guérisseuse et qu'elle devait avoir bientôt seize.
Seize ans : l'âge le plus important pour les chasseurs de ce village. C'était l'âge où l'apprentissage devait être fini : les enfants étaient alors considérés comme adultes, prêts ou pas. Il y avait d'ailleurs une épreuve pour les chasseurs enfants à seize ans : les adultes les lâchaient près d'une communauté de créatures surnaturelles dans une autre ville. S'ils revenaient humains dans les jours suivants ils devenaient chasseurs à part entière. Ce jour effrayait les enfants, qui pour la majorité revenaient humains, mais mutilés, défigurés.

-Toi… tu dois être Jacques. Jacques hocha la tête. - Alors toi aussi tu es trop faible pour combattre d'après ce que j'ai ouï hier.

Jacques ouvrit grand les yeux : les adultes n'admettaient jamais devant lui sa faiblesse à voix haute, il n'était pas habitué à l'entendre de vive voix, et il ne savait pas s'il s'y habituerait un jour.

« Faiblesse… Il va falloir que tu en sois conscient petit : les guérisseurs sont les ânes inutiles. »

« Faiblesse… Il va falloir que tu en sois conscient petit : les guérisseurs sont les ânes inutiles. »

Dans la tête de Jacques la pensée rebondit plusieurs fois. Il fixa dans les yeux Célestine et se concentra. Cet effet miroir de pensées fut une expérience nouvelle pour lui.

« Mais qu'est ce qu'il se passe… ? » Jacques entendit sa voix dans la tête de Célestine. Il entendait ses propres pensées dans les pensées de Célestine.

-Toi aussi tu es télépathe ! La phrase résonna contre les murs.

-Télépathe… c'est comme ça que l'on s'appelle ? formula Jacques. Célestine acquiesça.

-C'est un don hors du commun. Je suis tellement heureuse de l'être.

Les grands yeux verts-dorés de Célestine brillèrent doucement derrière l'épaisse et longue frange de cils dans son visage anguleux un peu crade. Ses cheveux épais et raides, noirs comme l'ébène, ternis, cachaient un peu ses traits. Ses lèvres étaient pleines, quoique la bouche fût trop large, l'arête du nez trop fine, une fossette au menton bien prononcée et une colonie de tâches de rousseur sur les pommettes. De grandes paumes et de longs doigts fins et des pieds comme des péniches. Quinze ans et aucune poitrine dans cette extrême minceur.

Les yeux dans les yeux, Célestine et Jacques se dévisagèrent en silence jusqu'à ce qu'un homme d'une quarantaine d'années rentre dans la mansarde.

-Bonjour maître ! salua Célestine.

-Bonjour maître, imita Jacques timidement.

-Bonjours les enfants !

Il s'approcha de Jacques en souriant presque tendrement. S'agenouillant, il poussa la masse de boucles brunes de son cou encore humides et regarda les deux plaies sur son cou. Il frotta la plaie de son pouce et elle rompit.

-Célestine, va me chercher le cataplasme au basilic, ordonna-t-il calmement.

Sous les yeux choqués de Jacques, le maître sentit son sang puis le porta à sa bouche.

-Hum… Un sourire gourmand étira ses lèvres. -Un goût de pistache bien sucrée avec un peu de thym et de violette en fond, c'est fin.

« Ce petit devra être protégé ou il deviendra un réservoir pour les vampires »

Célestine revint avec un pot en terre cuite.

-Merci bien, remercia le maître avant d'en prendre dans sa main pour cicatriser la plaie de Jacques.

-Qu'allons nous faire aujourd'hui maître ?

-Ce que nous allons faire, Célestine ? Cela est évident : tu vas lui apprendre à lire et à écrire et les rudiments du calcul, comme je l'ai fait pour toi, répondit il en montrant Jacques de la tête. Allez prendre place dans l'atelier, je t'amènerais des plumes et du papier dans quelques instants.

- Suis-moi Jacques.

Jacques suivit ses pas dans une petite pièce totalement sombre. Célestine s'approcha des bougies et les alluma avec son doigt une par une. Elle rigola en voyant l'air totalement émerveillé de Jacques.

-Tu apprendras vite, ce n'est qu'une question de temps avant que tu puisses faire la même chose mon petit. Deux semaines je pense seront suffisantes pour savoir lire et écrire.

Le maître posa les plumes et le papier sur un bureau.

Et effectivement, en dix jours Jacques savait lire et écrire. Il avait une assez jolie calligraphie et un talent très certain dans le calcul mental. Il pouvait signer de sa main et était extrêmement ravi.

Le onzième jour le maître revint avec un livre, Le début de la guérison : les plantes.

-À partir d'aujourd'hui tu peux considérer que tu commences l'apprentissage pour devenir guérisseur, sourit le maître en lui tendant le livre. Comme Célestine tu suivras les mêmes apprentissages : herbologie, botanique, anatomie, cuisine, magie, potion, soin, étude des créatures maléfiques et bénéfiques et études de langues magiques. Je n'ai rien oublié ?

-Cueillette ?

-Ha oui, la cueillette des plantes. Comme ça vous ferez un peu d'exercice.

Dès que le maître fut parti Célestine posa sa main sur l'épaule de Jacques.

-Ne prends pas cet air effrayé Jacques, tout va bien se passer. Je sais que ça a l'air énorme au début, mais au final, on apprend vite les débuts. Et plus tu apprends, plus tu peux faire des choses fantastiques avec la magie. Je te promets, être guérisseur a des bons côtés, rassura-t-elle en caressant les boucles de Jacques.

Elle prononça des mots dans une langue étrangère et les cheveux de Jacques furent secs, devenant une magnifique couronne épaisse de boucles brunes.

-Merci… souffla-t-il, un peu effrayé.

« Qu'il est mignon le petit… »

Il fronça les sourcils, mécontent et Célestine éclata de rire.

Treize semaines plus tard, Jacques connaissait presque toutes les propriétés des plantes et des métaux. Il savait comment brouir la plupart des ingrédients nécessaires aux potions les plus importantes et possédait un odorat très pointu.

-Que sens-tu dedans Jacques ? interrogea son maître en lui tenant un pot rempli de cendres sous son nez.

Fermant les yeux, Jacques inspira lentement, respirant chaque odeur avec méthode.

-Fleurs de citronnier, feuilles de marjolaine, et… un peu de poudre d'abricot.

Le maître sourit et lui ébouriffa les cheveux.

-Un petit avec un nez très fin, bravo. Maintenant, Jacques, dis-moi, à quoi serviraient ces plantes si je les faisais bouillir pendant sept heures avec du cuivre ?

Le maître lui posait une question technique, Jacques ne savait pas quoi répondre.

« Cela sert de potion contre les morsures fraîches de loup garou : cependant si elle est administrée un jour qui n'est pas celui de pleine lune, elle tuera la victime. »

La voix du maître, limpide dans la tête de Jacques et de Célestine, se révélait être un véritable atout lors de questionnaire comme celui-ci. Célestine avait dit a Jacques de ne pas trop copier les phrases du maître, de les métamorphoser, et même des fois de ne pas répondre.

- Cela sert de potion contre les morsures de loup garou… récentes… : cependant si elle est administrée un jour autre de celui de pleine lune, la victime meurt.

-Correct.

Le maître lui donna une pastille qui avait la couleur du cérumen.

-Une pastille au miel de châtaigner et à l'ail frais pour améliorer ta circulation sanguine. Tu souffres clairement du froid Jacques, affirma le maître en observant les veines presque violettes de Jacques sur ses mains. -Manges, ordonna-t-il.

Jacques mit la pastille sous sa langue, dérangé par le goût assez acre du remède qui lui rendit la bouche pâteuse. Le maître s'en rendit compte.

-Allons Jacques, tu as douze ans, tu n'es plus un bébé ! Avale-la ! ordonna-t-il avec sécheresse.

Jacques avala prestement la pastille devenue très petite avec une aversion ostensible. Il détestait ces pastilles à l'ail et au miel de châtaigner. Il préférait la crème d'amande avec du miel de romarin, adorait la confiture de rose, les bonbons à la violette, le caramel, les cerises et le raisin. Il ne mangeait pas de viande, comme les deux autres guérisseurs du village, mais s'autorisait certaines fois de manger du fromage frais ou de la crème. Depuis qu'il apprenait avec son maître, il s'était un peu épaissi, à la grande joie de ce dernier et de son père.

Son père. Jacques baissait la tête à chaque fois qu'il pensait à lui. Son père. Il avait honte de lui. D'un fils faible qui ne pourrait jamais devenir chasseur parce que trop faible pour. Sans lui, son père aurait encore sa mère. Les larmes montèrent dans ses yeux bleus.

Célestine, qui entendait ses pensées, le prit dans ses bras et le serra contre elle. D'habitude farouche, Jacques se laissa faire pour une fois. Célestine fit passer dans les muscles de l'enfant une douce magie tiède pour le détendre.

« J'ai une force physique nulle, une magie nulle… » Il fondit en larmes bruyamment.

Avec toute la patience du monde, Célestine l'étreignit plus fort jusqu'à ce que ses larmes se tarissent.

Elle le regarda dans les yeux – ils faisaient la même taille –.

-Nous sommes libres l'après midi. « Si tu le veux, je peux nous téléporter très loin d'ici sans que personne ne le sache et on pourrait faire des choses inédites toi et moi… Comme de la magie noire plutôt que de rester ici à se peler et à manger des pastilles infâmes. » Une lumière que Jacques n'avait encore jamais vu s'embrasa dans les yeux de Célestine.

-Tu as peur… le visage de Célestine se ferma de déception.

Malgré tout, un frisson d'excitation remonta le long de sa colonne vertébrale. « De la magie noire ? »

Célestine hocha la tête. « De loin la plus puissante et utile pour nous, c'est dommage que le maître ne veuille pas nous l'apprendre »

-On y va ? Célestine lui tendit la main. Après une dizaine de minutes d'appréhension, Jacques hocha la tête et la saisit. Le monde se brouilla autour de lui.

Quand il reprit conscience, sa chair le fit souffrir. Allongé contre des pierres brutes, le corps arrangé de façon totalement comique. Il avait mal.

-Te voilà enfin réveillé ! Je commençai à vraiment m'inquiéter pour toi ! « J'ai oublié une fois de plus sa fragilité. »

En se relevant, Jacques vit que Célestine avait allumé un feu. Il observa qu'elle lisait un document, assise sur un rocher, qui devait être les instructions du rituel.

-Quelle est la température du feu Jacques ?

Jacques fit sortir de la magie de son corps pour protéger sa main. Une sorte de lumière blanche entoura ses mains du bout des ongles jusqu'au milieu de son avant bras. Après avoir furtivement passé sa main très brièvement au dessus des flammes pour s'assurer qu'il était bien protégé, il la plongea sans peurs dans le feu brûlant.

-Assez pour brouir de la sauge pour les baumes fongicides.

-Parfait !

Célestine se releva de son rocher en bondissant.

-Recules-toi de cinq toises, lui indiqua-t-elle tandis qu'elle reculait elle aussi. Elle sortit un petit coutelas et une fiole en verre sombre d'une besace bien remplie.

-Pourquoi reculer ?

-Parce que c'est un rituel qui va provoquer un feu très dangereux et brûlant. Mortel. Mais c'est nécessaire.

-Et à quoi sert ce rituel ?

Les yeux de Célestine brillèrent.

-À comprendre le langage des animaux. C'est un de mes rêves de comprendre leur langage et de pouvoir parler avec eux.

-Pourquoi un canif ? osa Jacques

-Pour le sang. Il faut du sang pour le rituel, au moins un tiers d'once de sang, individuellement. Tu veux le faire ? proposa-t-elle à Jacques. La lame brillait doucement dans le soleil déclinant et maigre de l'hiver. Jacques frissonna.

-Oui, affirma-t-il plus tard d'une voix qu'il voulait sûre mais qui se teintait d'effroi.

-Tient moi la fiole de je te prie.

Elle lui tendit la fiole débouchée. Avec un mouvement plein d'assurance, elle passa le canif sur sa peau. Elle pressa la chair ouverte entre deux doigts au dessus du goulot. Le sang, épais et sombre, coula lentement dans la fiole. Elle referma la plaie magiquement quand il y en eut assez.

-Tu veux vraiment le faire… ? Le ton de Célestine était plein d'espoir.

« Je ne peux pas me mutiler, fais le moi s'il te plait… j'ai peur… père…. »

Jacques releva sa manche. La jeune fille trancha la peau d'un geste vif pour causer moins de douleur à l'enfant qui couina tout de même. La plaie, plus profonde que la sienne permit au sang de s'écouler plus fluidement dans la bouteille.

-Voilà c'est fini. Elle referma la plaie de Jacques en chantonnant puis elle secoua la fiole avec vivacité après l'avoir rebouchée.

-Le mélange est prêt ! Cinq gorgées chacun. Tu veux commencer ? proposa-t-elle.

Avec fébrilité, Jacques amena la fiole à sa bouche et avala cinq gorgées. Le mélange était infect : le goût du sang frais avec des herbes moisies. Le pire fut les reflux gastriques puissants de magie qui pour Jacques semblaient brûler le début de son appareil digestif. Il pleura en silence en se tenant le ventre. Ce fut ensuite le tour de Célestine, qui but le mélange sans aucune expression faciale.

« Encore une fois, je suis un faible… » Jacques renifla.

Elle enserra la taille de l'enfant tout en jetant la fiole dans le feu. Le feu atteint trois mètres de hauteur et prit une affolante couleur bleu nuit. La chaleur pesante du feu initial était lourde, maintenant elle était tout simplement étouffante. L'air autour de Jacques semblait onduler et sa peau à l'air libre se couvrit en dix secondes d'une pellicule de sueur. Il n'avait qu'une envie : courir. Loin.

-Maintenant… il faut aller dans le feu, asséna Célestine.

-Pardon ? s'exclama Jacques, maintenant totalement horrifié.

-J'aurais du te le dire avant. Il faut mourir par ces flammes pour achever le rituel. Si tout se passe bien, nous renaîtrons.

-Mais… si tu avais raté la potion ? Jacques demanda, très anxieux devant ce feu bleu, menaçant et sans fumée.

-Si je l'ai raté… et bien, nous renaîtrons, mais sans la capacité de lire dans l'esprit des animaux.

Célestine voyait bien la terreur dans les yeux ciel de Jacques, mais elle serra sa taille un peu plus fort. Elle, aussi, avait peur de ce qui allait se passer dans le feu.

-Je t'avais dit que c'était interdit, murmura-t-elle. Veux-tu encore y aller… ?

Il hocha la tête faiblement, mais elle le vit toutefois.

Se collant mutuellement, ils marchèrent, pas après pas en direction du feu, lentement mais sans hésitation. Arrivés à un pied du feu ils commencèrent à avoir beaucoup de difficultés pour respirer. Sans prévenir Jacques, Célestine bondit, l'entrainant elle et lui dans les flammes maléfiques.

La douleur due aux flammes étaient bien pires que celles que Jacques avait ressenti dans toute sa vie. Il hurla tellement fort qu'il pensa que ces cordes vocales allaient se briser. Les flammes léchaient sa peau, la craquelaient. Quand il essayait de respirer il sentait quelque chose de très acide lui liquéfier les poumons. Il allait mourir dans d'atroces souffrances.

Avec toute l'énergie qui lui restait il fit sortir sa magie protectrice pour se sauver. Sous le danger, la puissance de Jacques fut démultiplier et il sentit une couche fraiche couler sur son corps nu et brûlé. Avec tout son instinct il se rua hors des flammes en criant.

Il se retrouva sur le gel des feuilles mortes avec un soupir de ravissement. Il se tortilla pour apaiser cette maudite douleur qui mangeait ses membres sans aucune pitié. Quand la douleur fut un peu soulagée, il rouvrit ses yeux et vit que les flammes bleues n'étaient plus. Et Célestine n'était plus non plus. Il n'y avait que des cendres. Le néant.

-Célestine, gémit il avec désespoir.

Il se releva, brûlé, et constata les grosses marques noires nimbant son corps pâle. Une odeur pestilentielle s'en dégageait. Il toucha une des marques et elle tomba, à sa grande horreur. Un pus vert suppura avec du sang.

« Quelle odeur ! De la magie noire et… quelle délicieuse odeur de sang… »

De toutes les possibilités Jacques n'avait pas prévue celle de se faire trouver par un vampire. S'il avait peur avant, ce n'était vraiment rien comparé à ce qu'il ressentait maintenant : dans sa peur il n'avait même pas remarqué que le soleil s'était couché. Ses boyaux se tordirent et il déféqua. S'est en reniflant qu'il se rendit compte qu'il pleurait. Encore.

-Mais qu'avons-nous ici… ?

Un homme comme Jacques n'en n'avait jamais vu apparu : plus de six pieds de haut, habillé de bleu. Sa vision, brouillée par les larmes ne lui permit pas de détailler le vampire. Néanmoins l'atmosphère était lourde, Jacques avait du mal à respirer.

-Tu as peur, petit enfant ?

La voix du vampire coulait comme du miel : belle, profonde et suave, elle aurait enchantée le plus aigri des hommes.

Jacques ne sentit pas l'homme s'approcher. Mais son cœur eut un sursaut quand il vit que le visage était à une cinquantaine de centimètres du sien. Il trembla de tout son petit corps. Le vampire agenouillé le fixait de ses yeux chocolat. D'aussi près Jacques remarqua l'étrange couleur des cheveux du monstre : argenté.

-C'est infâme… susurra-t-il en observant une des croûtes que Jacques avait à la jonction de son nez et de ses sourcils tomber.

-Ah !

La plainte qu'avait émise Jacques ne dérangea pas le vampire mais le sang qui en coula l'intéressa bien plus.

Jacques recula la tête lentement quand il vit que les yeux de l'homme passèrent du marron à un bordeaux profond. Son recul fut néanmoins arrêté quand les mains, gantées, du vampire attrapèrent doucement mais avec fermeté sa nuque. Le mouvement silencieux et souple pendant lequel le vampire se rapprochait de Jacques le fit hurler à l'aide intérieurement. Il vit les narines du vampire frémir légèrement, puis il se lécha les lèvres.

En ce moment, les douloureuses brûlures sur son derme ne dérangeaient plus l'enfant, totalement fasciné par le vampire proche de lui. Sans qu'il l'eût vu venir, l'enfant sentit la langue soyeuse et fraiche du vampire lui lécher les lèvres doucement avant de remonter la ligne de son nez jusqu'à la plaie de son front qu'il suçota un peu.

-Et bien… que vais-je faire de toi ? demanda le vampire avec une voix aussi douce que du velours, mais le plaisir sadique non dissimulé caché en dessous donna la chair de poule au petit.

-Ménandre ! cria une voix d'homme au loin.

-Ici, Philibert, informa doucement Ménandre.

Aussi silencieux que Ménandre, le dénommé Philibert apparut aux yeux de Jacques. Plus grand, blond comme un blé, plus musclé cependant il faisait moins peur. Ses yeux bleus si sombres qu'ils apparaissaient violets dans le clair obscur tournèrent au rouge en voyant une larme de sang pendre à la commissure gauche de la bouche brûlée de Jacques. Jacques maudit d'ailleurs cette maudite magie noire, le langage des animaux et surtout Célestine pour les siècles à venir.

Poussé par un regain puissant d'instinct, Jacques bondit de plusieurs mètres en arrière et atterrit à l'endroit du bûcher sur le dos. Une plainte de lamentation s'échappa de ses lèvres. Mais il y avait plus préoccupant : une épaisse fumée verte s'échappait de la terre. Aussi précipitamment qu'il avait bondit dedans, il sauta en dehors.

Les trois paires d'yeux fixaient avec attention ce qu'il se passait. La fumée s'épaissit considérablement et un feu aussi vert que cette dernière explosa, atteignant cinq mètres de hauteur. Puis aussi rapidement qu'il était apparu il s'effaça. Et la jeune fille était là. Nue, couverte de suie, mais elle était là.

-Célestine !

Elle sourit, mais ce fut impossible à voir dans l'obscurité. Elle s'essuya le visage de ses mains et elle les vit. Les deux hommes entourant Jacques, qui la fixait avec surprise et intérêt.

Aussi rapidement que possible, elle saisit la besace et courut vers Jacques. Elle l'attrapa par les épaules et le téléporta avec elle.

Ils réapparurent dans sa chambre à elle et entourant Jacques de son corps, elle se rendit compte des multiples blessures. Elle fondit en larmes en implorant son pardon.

-Pardon, pardon… répétait-elle dans un mantra. Je n'aurais jamais du te faire faire ça…