Je sors du bâtiment, totalement blasé et je raye une autre adresse sur ma liste. Ca fait la cinquième boîte qui me jarte depuis ce matin, la douzième depuis lundi et ça commence à me gaver profond. C'est quoi le problème à la fin, merde ?! Je suis beau gosse, j'ai un costard super classe, mon cv est pas pourri... je pige vraiment pas ce qui peut bloquer mon embauche, mais j'ai toujours la même réponse "non vous ne faites pas l'affaire, merci". Ca veut dire quoi ça ? Sérieux je suis dans une merde pas possible et si je retrouve pas un taf vite fait bien fait, ça va empirer. Les factures s'accumulent, c'est un miracle que j'ai encore mon portable et comme si ça suffisait pas, mon proprio menace de me virer parce que j'ai trois mois de loyer en retard.

C'est pour ça que je suis obligé de me traîner jusqu'à mon prochain entretien d'embauche à la con. La joie au coeur et le sourire aux lèvres... ou pas. Si je me fais de nouveau rembarrer je m'en fous je laisse tomber. Ils savent pas quelle chance ils loupent en ne me choisissant pas, moi, Nishikido Ryo.

Mon portable vibre alors dans ma poche. Sur les nerfs, je regarde qui m'a envoyé un sms. Ce n'est autre que Tacchon, mon meilleur ami, qui me demande où j'en suis dans ma recherche quasi-inutile d'un taf pas trop chiant. Pile ce qu'il me fallait. "Ou l'art de se faire snober et jarter par tout le monde et de pourrir sa journée, j'ai nommé moi-même qui cherche à entrer dans une putain d'entreprise pour enfin gagner un peu de fric. Tout le monde me hait et je hais tout le monde.", j'envoie comme réponse. Aaaah, ça défoule.

La réponse tarde pas, il doit être vissé à ton tél, comme d'hab. "T'as jamais pensé que tu te pourris peut-être tout seul ?". Super, sympa la réponse. Rah même lui il saoule ! Qu'est ce qu'ils ont tous aujourd'hui, bordel de merde ?! Raaaah J'en ai ma claque ! Il me faut une clope pour décompresser, sinon je vais péter un câble. Je tâte mes poches l'une après l'autre. Celles de ma veste, de mon froc... putain, j'ai oublié mon paquet à la maison... Je vais me pendre...

Non, allez respire Ryo, zen, ça va le faire. Direction le prochain entretien. Cette fois c'est la bonne. Yosh ! D'un pas décidé, je me dirige vers la bouche de métro et dix minutes plus tard, je suis rendu. Parce que comme je suis ni con, ni fou, j'ai choisi des boîtes qui sont pas loin de mon appart. Pas envie de me cogner des heures de transport tous les jours.

Rien qu'en passant les portes vitrées qui s'ouvrent toutes seules, je siffle face à l'endroit chicos. Ils en ont du fric eux ! Bien tape à l'oeil et tout. Bon alors ma salle d'entretien... putain fait chier, j'aurais VRAIMENT besoin d'une clope là... Perdu dans cette boîte avec des centaines de couloirs, je sais que je suis mal barré. Mais putaiiiinnn, ça fait combien de fois que je suis passé par là ?! Comment j'ai réussi à me paumer sérieux ?!

J'ai la rage, et pour faire encore plus moche je fonce dans quelqu'un. Manquait plus que ça...

- Z'allez bien ? je demande quand même pour être un minimum poli, même si j'ai pas la tête à ça.

L'inconnu se relève, me regarde, ne dit rien, puis sourit. ... il a fumé l'autre ou... ?

D'ailleurs il dit rien non plus en foutant le camp. Il se barre carrément quoi, je rêve. Et il me laisse en plan sans que je sois plus avancé.

- Attendez ! C'est où le bureau pour les entretiens ? je gueule à travers le couloir.

- Troisième porte à droite ! braille-t-il avant de disparaître de ma vue.

Bon ben c'est parti.

Et fuck ! Encore raté ! Nan mais cette fois c'est fini j'arrête tout. Sans déconner, c'est la loose totale quoi. Ah je suis trop vénère. Il me faut ma clope. Du regard, je cherche un tabac et finis par en repérer un. Sauvé ! Je me précipite dedans comme un mec qui crève de soif dans le désert et voit une oasis. Deux minutes plus tard, je recrache une bouffée de fumée. Aaaaaah ça fait du bien... Avachi sur un banc, ma sacoche à côté, le monde me parait moins vache le temps d'une clope.

Faut sérieusement que je me sorte de cette merde totale... Fumer me déstresse et j'arrive un peu mieux à réfléchir. Vaut mieux, parce que quand je suis en mode vénèr je fous n'importe quoi. Et comme on parle de fric faut pas que je fasse de conneries.

Je ressors mon cv de ma sacoche. Est-ce que y'a un truc qui cloche dedans ou ceux qui le lisent sont vraiment cons ? J'ai tellement de bons diplômes (enfin, qu'un seul quoi) qu'ils devraient me choisir direct merde !

Je le parcours viteuf' des yeux. J'vois pas où ça bugue, il est parfait ce...

- Vous avez fait une faute d'orthographe dans la première phrase.

Je sursaute comme pas possible, ma clope tombe dans la poussière et je me retourne vers le taré qui a parlé, qui se trouve derrière moi et mon banc. Tranquille l'autre il lisait par-dessus mon épaule ?! Et c'est qui bordel ?!

- Désolé, je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais vous aviez l'air à la fois si agacé et si plein d'incompréhension, que j'ai voulu vous éclairer.

- Trop aimable. Et si vous vous mêliez de vos oignons ?

- Ah, ça aussi c'est peut-être une explication.

Je fixe le mec aux dents bizarres. Il cause de quoi lui ?

- Vous êtes qui d'ailleurs ? je demande.

- Ah pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Murakami Shingo. Je suis producteur d'émission de télé.

Je siffle. Producteur, la classe quoi.

- Z'auriez pas un job pour moi, m'sieur le producteur ?

Il me fixe, d'un air condescendant. Il se prend pour qui ?! Il sait qui je suis ?!

- Vous feriez mieux d'accepter, je continue pour lui faire rentrer dans le crâne que je SUIS un atout majeur pour ceux qui me filent du boulot - et du fric.

- Pourquoi devrais-je ?

- Bah... parce que je suis moi, Nishikido Ryo.

Il rigole. Enfin, il se fout de ma gueule oui.

- Allez quoi, vous avez bien un poste où y a personne non ?

Mais comme il ne dit toujours rien, j'ai un peu des doutes.

- Vous êtes vraiment producteur en fait ?

- Pourquoi doutez-vous ?

- Vous avez pas la tronche.

- Oh, voilà qui est charmant à dire à l'inconnu que je suis pour vous.

- ... vous parlez super chelou.

- C'est votre langage qui est trop inapproprié.

- Mais ouais, c'est ça... Alors ce job, c'est oui ou merde ?

Il me sourit d'un air zarb. J'aime pas ça, c'est comme s'il sait un truc que je sais pas. J'aime pas qu'on me prenne pour un con. Il fouille dans une poche intérieure de sa veste de costard et me tend une carte.

- Présentez-vous à cette adresse vendredi. Et bonne chance.

Il s'incline et se casse direct, sans attendre ma réponse. Je regarde même pas la carte. C'est bien un rencard pour un job qu'il vient de me filer là nan ? Yossssssssh ! Ça va le faire ! Comme délivré d'un poids, je fourre la carte dans ma poche et me rallume une clope pour fêter ça. Bon, ben j'ai plus rien à foutre dehors. Je rentre !

Une demi heure plus tard, je suis avachi sur mon canapé, une bière à la main, une clope dans l'autre. Ça c'est la vraie vie, je kiffe. Après une heure de programmes débiles à la télé, je zappe et tombe sur une pub qui m'interpelle. C'est un genre d'appel à témoin. Ils cherchent des gens pour participer à une émission de télé-réalité dans laquelle il faut présenter un talent quel qu'il soit devant un jury, pour gagner 106 779 426 yens. Bordel, il me ferait un putain de bien, ce pognon. Une date clignote en rouge. Le trente novembre.

La porte claque à ce moment-là. Cool, Tacchon est d'jà rentré... je me retourne pour lui annoncer mon rencard d'embauche quand je me fais éblouir. Par Yasuda évidemment. Ce mec - qui est aussi le petit ami de mon meilleur ami - se fringue méga chelou et coloré. En gros il t'aveugle dès que tu le vois avec ses salopettes à carreaux orange et bleu électrique et ses pull bouffants vert pomme ou rouge pétant.

Ca se voit à des kilomètres qu'il est gay, ce mec.

Surexcité qu'il est toujours il vient me faire la bise. Bien un truc de pédé ça... Et commence à me péter les tympans en me racontant des conneries. Puis enfin le messie arrive sous la forme de Tadayoshi qui demande à Shota de se la fermer deux minutes.

- Alors Ryo, ces entretiens ça a donné quoi ? me demande Tacchon.

Il pouvait pas poser une meilleure question !

- J'ai eu une demande d'un producteur méga connu héhé.

- Ah bon ?! Qui ça ?!

- ...

Merde comment il s'appelait déjà l'autre con débile profond doublé d'un faciès ingrat (il m'arrive d'utiliser des mots d'intello si si) ?

Murasaki ? Nan c'est pas ça... Merde, les noms et moi on est pas potes. Agacé de pas retrouver, je sors de ma poche la carte qu'il m'a filée en me disant que normalement son nom doit y être marqué. Comme une carte de visite quoi.

Mais sur la carte, pas de nom, pas de numéro, même pas d'e-mail. Juste une foutue date et un horaire.

- Putain, c'est quoi ce cirque ?

- Ryo ? Un problème ?

Ben ouais, forcément il s'inquiète vu la tronche que je dois tirer. Je le regarde et lui tend la carte.

- C'est quoi ?

- La carte que le mec m'a filé. Mais je me suis fait arnaquer j'crois. Y'a pas de coordonnées dessus.

Il regarde attentivement et me regarde d'un drôle d'air.

- Quoi ? je fais, un peu sur la défensive.

- Ryo, t'as pas percuté ?

- Percuté quoi ?

- La date qui est écrite. C'est pas pour un job qu'il t'a donné cette carte.

- Pour quoi alors ?

- C'est la date de l'audition.

- Quelle audition ? De quoi tu causes ?

- Celle dont ils ont parlé à la télé. Ce type, ce producteur, il t'a juste invité à passer l'audition de cette émission.

... Chotto. Stop. Temps mort. On arrête tout ce bordel.

L'émission... où on gagne plus de 100 000 000 yens ? CETTE émission là ?

- Te fous pas de ma gueule Tacchon, c'pas possible, cet autre fêlé aurait pas filer ce genre d'invit' à un inconnu comme moi.

- Ryo. C'est noté sur le papier. C'est la date, le lieu et l'heure de cette émission là.

- Tu te fous de ma gueule, je répète.

- Bah nan, avance Yasuda. C'est vraiment la même émission. Tout concorde !

- Tu te fous de ma g-

- Bon Ryo arrête deux minutes !

Je la boucle, comme il le demande.

- Tu comptes faire quoi alors ? qu'il continue.

- Bah... y aller quelle question ! T'as vu tout le fric qu'on peut gagner tranquillou ?!

Un petit blanc s'installe. Rho putain quoi encore, j'ai dit une connerie... ?

- Quel "incroyable talent" tu as à présenter au jury ? souffle alors Yasuda.

Hm. Ouais. Il a raison de dire ça si doucement, puisqu'il sait que ça peut me mettre dans une colère pas possible !

- Dis tout de suite j'ai rien de particulier et je suis une grosse merde en tout !

- N'engueule pas Shota, il a juste dit ce que je pense aussi, intervient Tacchon en se mettant devant son petit ami. Tu comptes leur présenter quoi ?

- Mais j'en sais rien moi... je trouverai bien !

- C'est une date limite Ryo, t'as pas toute la vie pour y réfléchir.

- Bah... Bah.. Ah mais j'en sais rien ! Vous saoulez avec vos questions !

C'est vrai que j'avais pas réfléchi non plus. Je suis un pur beau gosse, bien foutu, je me démerde pas trop mal en pas mal de trucs... Bon après de là à dire que ça peut devenir un talent...

Je sors une clope, la met dans ma bouche... et me la fait arracher.

- Oi !

- Je t'ai dit mille fois de ne pas fumer dans l'appart. Après ça chlingue.

- Et je m'en bats les couilles, ça aussi je te l'ai dit mille fois.

- Sérieusement, Ryo, c'est pour ça que tu trouves pas de boulot et que tu foires tous tes entretiens : tu te fous de tout, t'écoutes jamais personne à part toi et en plus t'as un langage grossier en permanence.

- Rien à battre. Je vais gagner ce putain de prix, alors plus besoin de trouver un taf.

- A supposer, encore, que tu sois le vainqueur. T'as une idée du nombre de personnes qui vont se présenter ? Et en admettant que tu remporte ce prix, combien de temps tu crois qu'il va durer, ce million de yens ?

- Ça dépend ce que je m'offre avec...

Des clopes d'une meilleure marque que celle que je me coltine en ce moment, un voyage à Hawaii pour mater des filles en bikini, une suite permanente dans un palace 5 étoiles au dernier étage avec piscine intégrée...

- J'suis sûr que tu penses qu'à des truc futiles et sans grand intérêt, des trucs qui ne prennent pas en compte ton avenir.

- Pfff... t'es lourd Tacchon.

- Ryo, faut que tu sois sérieux deux minutes. Tu peux pas te pointer à l'audition sans rien avoir préparé si ce n'est ta grande gueule, et déjà rêver de ce que tu feras avec l'argent gagné alors qu'il doit y avoir des milliers de personnes plus méritantes que toi !

Là je vais péter un câble... Il a osé dire quoi là ?!

- Tout de suite ! Tu me soutiens même pas !

- Te soutenir de quoi ? Tu prévois rien du tout !

- Hé... du calme..., essaie vainement Yasuda.

Sur les nerfs je pousse le petit ami de mon meilleur pote pour pouvoir passer dans le couloir et entrer dans ma chambre. Je claque alors ma porte pour bien leur faire comprendre que je suis en mode méga-énervé. Fallait pas commencer merde.

- Tu vois Ryo t'agis comme un gosse ! Grandis un peu, t'es un adulte merde ! me gueule Tacchon depuis le salon.

- Vas te faire foutre ! je crie à travers la porte.

Il me saoule, bordel ! Est-ce que je lui demande si ses souhaits sont bidons moi ?! Il croit que je le sais pas, qu'il voudrait se marier avec son crétin de copain multicolore ?! Si c'est pas complètement con, ça ! Ah ils m'énervent les deux là ! Clope, clope, clope... J'en ai besoin là... Une bouffée, deux, trois... Aaaaah... Ça va mieux... N'empêche qu'ils ont raison ces cons-là. Un talent... Un talent... Je regarde dehors par la fenêtre. J'ai au-cune i-dée. Mais alors zéro, nada, que dalle. Je sais pas ce que je sais faire. Le trente c'est dans trois jours. Ça veut dire que je dois me trouver un putain de talent en trois jours ? J'crois que ça s'appelle être dans la merde. J'pourrais aussi pas y aller, ça résoudrait le problème... mais ne pas essayer de choper tout ce pognon, ce serait vraiment con.

- J'vais chanter.

Des fois, je sors des trucs, que je savais pas moi-même que j'allais les dire. Et ça, je sais vraiment pas d'où c'est sorti. Tacchon, qui buvait une gorgée de bière, s'étrangle à moitié en m'entendant.

- Tu vas... quoi ? il suffoque.

- Chanter.

Ben ouais je continue sur ma lancée vu que de toute façon, c'est dit et que j'ai pas de meilleure idée.

- Tu déconnes j'espère ?

- Ben nan.

- Ryo... te fais pas plus con que t'es. Chanter, ça s'improvise pas, faut un talent de départ et je t'ai même jamais entendu meumeumer quoi que ce soit.

- Si tu y vas et que tu fais ça, t'es au courant que tu vas te taper la honte non seulement devant le jury, mais aussi devant des centaines de spectateurs et des milliers de téléspectateurs ? ajouta Yasuda.

- Ton ego sur-dimensionné supportera jamais ça, conclut Tacchon.

... Ok je passe pour un gros connard qui s'intéresse qu'à sa propre gueule. Remarque c'est peut-être ce que je suis, ch'sais pas.

- J'peux bien essayé de chanter devant vous, et si c'est vraiment le bordel je choisis autre chose, je propose quand même.

Merde ils devraient m'aider un peu, 1 million de yens ça se refuse pas si ?! En tout cas ils ont pas l'air convaincu par la beauté de ma voix. Ils m'ont jamais entendu chanter en même temps, mais des miracles ça peut exister non ?

- J'ai pas envie de ne plus avoir de tympans pour aujourd'hui Ryo, tu seras gentil de d'abord t'entraîner un peu avant de nous faire écouter l'étendue de ton talent, souffle Tacchon en se passant la main sur les yeux.

Ok il a vraiment pas confiance lui...

- Vas faire un tour au karaoké, propose Yasuda.